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HENRY DE MONTHERLANT : LA ROUTE VERS L’OUBLI

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

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HENRY DE MONTHERLANT
20 avril 1895 Paris – 21 septembre 1972 Paris

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HENRY DE MONTHERLANT 
LA ROUTE VERS L’OUBLI

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Déformation à partir du tableau de
par Jacques-Émile Blanche (1922),
au musée des beaux-arts de Rouen.

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« A votre égard, je peux le plus et ne peux pas le moins. Je vous l’ai dit : je n’éprouve plus rien pour vous, rien de vivant, rien qui bouge. » disait Andrée Hacquebaut à Pierre Costals dans une de ses nombreuses lettres du roman Les Jeunes Filles. Phrase pour le moins prémonitoire.

L’impression d’une œuvre morte est si forte que l’alchimie qui œuvrait farouchement, diablement, semble s’être depuis peu éventée.
L’œuvre est ici, posée bien tranquillement dans le fond d’une bibliothèque avec une valeur au mieux historique. Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la littérature ou au culte des vertus antiques !
La question reste la suivante : qui peut aujourd’hui s’enflammer pour Montherlant ?
Que fait-il brûler dans notre for intérieur ?
Que fait-il tout simplement vibrer ?

Henry de Montherlant fait partie de ces auteurs qui se lisent avec un impression de caste !
Sauf que cette communauté semble bien avoir disparu sur terre ! Du moins sur le territoire vivant.

Resterons les inconditionnels !
Mais comme il y en a pour la formule monoplan à aile basse cantilever des Messerschmitt ou pour une collection de rivets de la tour Eiffel.

Nous savons qu’il fit le bonheur des éditeurs et des salons de lecture pendant un demi siècle. Pour autant, la chute déjà annoncée semble inéluctable.

Il s’étiole ! Il s’évanouit !

Il s’étiole comme s’étiolent certaines plantes dès la venue des premiers signes de l’automne ! Ne parlons même pas de l’hiver.

L’œuvre est là ! Conséquente et massive.
Mais cela suffit-il ?

L’œuvre est là !
Chargée d’honneur et de titres ! Chargée de la gloire de l’Académie française ! Rien que ça !
Des honneurs d’auteurs eux-mêmes non lus aujourd’hui : « Le plus grand peut-être de nos écrivains vivants », soulignait Bernanos en 1939. « Quand sera retrouvée cette vérité banale qu’il existe un art littéraire comme il existe un art pictural et un art musical ; quand les écrivains – les seuls à le faire – cesseront de traiter de haut la « littérature », qui parfois le leur rend bien, l’œuvre de Montherlant montrera que l’art de notre temps connut, lui aussi, l’union fort rare de l’ironie avec une écriture royale ». ajoutait Malraux en 1952.
Des décorations par paquet et des honneurs par vague.

Des signes du désamour pour l’auteur sont peut-être déjà là avec cette écriture royale. Il y a dans son écriture une hauteur qui est moins due à son talent qu’à sa caste. Ce n’est pas une écriture bourgeoise, non, mais plutôt une écriture aristocratique qui manie l’humour comme un administratif manierait le concept.
Il n’y a jamais trace de cet humour qui plane dans les ouvrages « qui restent », comme ceux de Céline ou d’Albert Cohen par exemple.
Il y a de l’ironie, mais de cette époque et trempée dans ce temps que les moins de soixante dix ne peuvent plus connaître.

Tous les grands auteurs ne manient pas l’humour à la manière du Voyage au bout de la nuit ou de Belle du Seigneur. La Recherche du Temps Perdu n’en regorge pas et elle restera un des rares livres de référence du siècle passé.
Oui ! Mais…
Oui mais dans cet œuvre passe un grand vent, un éclair si long que nos neurones se court-circuitent, dans cet oeuvre passent tant de puissances et de maîtrise, le style et l’épopée, même s’il s’agit d’une épopée de l’être et du moi. Peu importe ! Nous sommes tourneboulés et la moindre phrase prise au hasard nous met sens dessus dessous ! Même sans comprendre l’histoire ni connaître les personnages !
Époustouflant !!

Dans Montherlant, nada !

Il a tant écrit pourtant.
Jacques Chancel le loue en montrant qu’il a touché au théâtre et au roman avec la même dextérité.
C’est vrai !
Mais il n’a jamais excellé, il n’ a jamais perforé, éclaté le système ou la langue. Il est resté tranquillement dans sa zone de confort, fort bien, mais en bon père de famille qui gère sa langue comme un portefeuille d’actions.

Il manque une œuvre.
Un titre !
Il manque un titre ! Un seul !
Comme Lautréamont avec Chants de Maldoror ou Roger Nimier avec son Hussard Bleu.

Il manque une fulgurance !

Il manque un éclair !

une rayure dans l’ère du temps ou dans l’air du narratif ! Il manque de l’insolence !

Il manque cet ambition !
Il manque un réveil ! et si « la meilleure façon de réaliser ses rêves et de se réveiller » (Paul Valéry), Montherlant est resté en sommeil.

Il manque une œuvre !

S’il devait en rester une, de l’avis de tous les spécialistes de l’auteur, il ne s’agirait pas de la Reine Morte, mais des Jeunes Filles.
Mais comme l’écriture et l’histoire entre Pierre Costals et Andrée Hacqueraut, Thérèse Pantevin et Solange Dandillot semblent vieillottes et surannées.
Il y a bien les expressions qui semblent vouloir fleurter avec la prise d’infini : « Je connais bien l’amour ; c’est un sentiment pour lequel je n’ai pas d’estime. » OK et alors … » Et j’ai aidé assez de femmes à se damner pour que j’en aide une dans l’aventure contraire. » OK et alors… »Si je n’avais pas d’égoïsme, je n’aurais pas d’œuvre ; il a fallu choisir. Vous expérimenterez un jour cet égoïsme, si Dieu veut…« 
…Et alors ?
Je passe les passages misogynes et datés
… un peu facile ! Non ?

Juste un alors : « Mais toi tu prendras les mille francs. Parce que tu es Française. Parce que tu es femme. Et parce que tu n’as aucune raison de refuser… » (Les jeunes filles)…
Une autre ? allez !
dans le même roman : « D’ailleurs il [l’Amour] n’existe pas dans la nature ; il est une invention des femmes. »
… Un petit dernier :
« Rien à faire contre cette équation : femme = chichis. » Ah bon !

Il manque, en dehors du souffle, en dehors du style, en dehors de l’onirique, en dehors de l’humour, l’intérêt.
Comme c’est ennuyant ! Comme c’est ampoulé !

Comme à la fin du roman, nous voudrions nous écrier nous aussi : « Je n’en peux plus, et je n’en peux plus ! » (Les Jeunes filles)

Et comme on se fiche de ces caprices d’écrivain qui croit dominer et le monde et les lettres.

Montherlant a pris la route chargée, que les éditeurs surtout ont bigrement chargé, des auteurs oubliés, de ceux-là qui faisaient salon et briller la France, du moins le croyaient-ils, autrefois grandioses et, parfois, souvent, grandiloquant : André Gide, Malraux et tant d’autres ! Qui ont fait le bonheur de tant d’éditeurs et des auteurs eux-mêmes.

C’est déjà ça !

« Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les Héros d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.
« 
L’oubli de José-Maria De Heredia

***

Jacky Lavauzelle

L’ŒUVRE DE ANDRE MAUROIS

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LITTERATURE FRANCAISE
ANDRE MAUROIS

André Maurois
Émile Salomon Wilhelm Herzog

26 juillet 1885 Elbeuf – 9 octobre 1967 Neuilly-sur-Seine

 

L’ŒUVRE DE 
ANDRE MAUROIS

par Jacky Lavauzelle

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Claude Monet, La Promenade, La Femme à l’ombrelle, 1875

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LA FRAGMENTATION DU MOI
&
LA DERIVE DU TEMPS et DES ÊTRES

LES THEMES MAJEURS d’André Maurois

DE LA SOUDAINE JEUNESSE AUX SOLEILS DEFUNTS

UNE RECOMPOSITION DES TRAITS
ORIGINAUX DE MON MOI

UN PROUST CHIRURGIEN ET UN MAUROIS ARCHEOLOGUE

UN COMPOSITEUR MYSTERIEUX
QUI ORCHESTRE NOTRE EXISTENCE

NOS EMOTIONS LES PLUS FORTES
SONT-ELLES LES PLUS RESISTANTES ?

ET QUE MEUVENT NOS HUMEURS

UN MOI PRESENT ET UN MOI DISPARU

« NOUS RECONNAISSONS LEUR VERITE
PASSE A LA FORCE PRESENTE
DE LEURS EFFETS« 

CREER UN PASSE QUI NE FUT POINT

AU MOINS UN AIR DE VERITE,
JUSTE UN AIR

TIRER DE CHAQUE MOMENT
CE QU’IL PEUT CONTENIR D’INTENSITE

ANDRE MAUROIS
UNE CERTAINE IDEE DU MONDE

« ON SENT TOUT DE MÊME QU’ILS NE SONT PAS DE NOTRE MONDE« 

LES MALHEURS DE LA NAISSANCE

CE NE SONT PAS DES GENS
COMME NOUS

S’ELEVER DU SENTIMENT DE CASTE
AU SENTIMENT NATIONAL

ANDRE MAUROIS
OU LA MUSIQUE DANS LA NATURE

Le charme d’une musique rode, habille ou se jette sur les protagonistes dans l’œuvre d’André Maurois.

 » De la musique avant toute chose » 
(Verlaine, Art poétique)


« Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! »

 » C’est des beaux yeux derrière des voiles »
(Verlaine, Art poétique)

ANDRE MAUROIS
LA LENTE DERIVE VERS LA MER

C’est le destin, maître de tout qui dirige le mouvement. Sans libération avec lassitude, oubli, parfois résignation attendue et sereine, toujours dans l’abandon de toute volonté : « The weariest river, répétait-elle souvent, la rivière la plus lasse, j’aime bien ça…C’est moi, Dickie, la rivière la plus lasse… Et je m’en vais tout doucement vers la mer. » (Climats)

LA FEMME CAMELEON

Une femme dans l’œuvre d’André Maurois n’a aucune personnalité, ou plutôt les a toutes ; elle a la personnalité de l’homme aimé, totalement. La femme se retrouve véritable caméléon.  Elle n’est, bien entendu, plus avec Maurois déjà ce qu’elle pouvait être du temps de Molière, par exemple. Les temps ont changé.

ANDRE MAUROIS
LE CHEVALIER & LA PRINCESSE

 A l’origine était l’amour parfait, un héros, fort et titanesque, et sa belle, fragile, douce et tendre, voire larmoyante.
Le héros, Cavalier d’or, magnifique, serait le défenseur, armé et bataillant contre tous les ennemis. Comme dans toute l’œuvre de Maurois, la belle serait là, à attendre ou prisonnière, point fixe, dans sa chambre, sa tour ou son château aimantant le cavalier errant et tournoyant, défendant dans des contrées interlopes, lointaines ou non, l’honneur de sa dame.

ANDRE MAUROIS
ET LA MUSIQUE DU SENTIMENT AMOUREUX

Une vie amoureuse et symphonique
où les thèmes s’entremêlent    

L’ŒUVRE
DE
ANDRE MAUROIS

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LA BONNE VOIX Gabriele d’ANNUNZIO – Poesia -Poème : LA BUONA VOCE

Gabriele D’Annunzio
prince de Montenevoso

Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE

 

Letteratura Italiana

Gabriele D’Annunzio
1863-1938

Traduction Jacky Lavauzelle

——– Gabriele d'Annunzio Traduction Artgitato Proses et Poèmes Italiens


La Bonne Voix

LA BUONA VOCE

Sei solo. D’altro piú non ti sovviene
Seul. Tu es seul. Tu ne te souviens de plus rien d’autre.
E d’altro piú non ti sovvenga mai!
Et d’autre chose puisses-tu ne t’en souvenir jamais !
Sul tuo cuore fluisca l’oblío lene.
Que sur ton cœur coule l’oubli

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Canzoniere Poet – LE CHANSONNIER Pétrarque Sonnet 34-CANZONIERE PETRARCA SONETTO 34

CANZONIERE POET
Traduction – Texte Bilingue
Le Chansonnier PETRARQUE 34
LITTERATURE ITALIENNE

Letteratura Italiana

PETRARQUE

Francesco PETRARCA
1304 – 1374

Traduction Jacky Lavauzelle

——–

——–


Canzoniere Petrarca Sonetto 34

LE CHANSONNIER PETRARQUE Sonnet 34

Rerum vulgarium fragmenta

Fragments composés en vulgaire

PRIMA PARTE
Première Partie

34/366

Apollo, s’anchor vive il bel desio
Apollon, si encore vit le beau désir
che t’infiammava a le thesaliche onde,
qui t’enflammais dans les vagues de Thessalie,
et se non ài l’amate chiome bionde,
et si tu n’as plus les aimées mèches blondes,…

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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canzoniere Petrarca sonetto 34
le chansonnier Pétrarque sonnet 34
canzoniere poet

André MAUROIS La Fragmentation du moi

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 André MAUROIS

André Maurois & La fragmentation du moi Artgitato
LA FRAGMENTATION DU MOI
&
LA DERIVE DU TEMPS et DES ÊTRES

1/ LES THEMES MAJEURS d’André Maurois

A l’image de Mme Fontanes qui a « démonté toutes les pièces du mécanisme intellectuel de son mari » (Les Roses de septembre),  nous tenterons de démonter et de remonter une partie des  rouages et des pièces de l’œuvre d’André Maurois.

Les thèmes majeurs dans l’œuvre de Maurois se dessinent évidemment : une fragmentation, une métamorphose, une dérive de l’être dans le temps, une description d’une société monadique, de castes, l’importance des femmes, de la nature ou encore l’importance de la musique, de la simple voix flûtée à la symphonie endiablée, dans de nombreux descriptifs, l’importance apportée aux paysages dans la structuration d’une pensée ou dans la naissance d’une émotion, dans l’amour de certains lieux qui reviennent en boucle : la Normandie, l’Angleterre ou l’Italie.

2/ DE LA SOUDAINE JEUNESSE AUX SOLEILS DEFUNTS

Un des thèmes revenant constamment dans son œuvre : le temps, la durée, la mémoire, en somme, l’être ou l’âme, le moi dans le temps, et sa transformation dans ce passé mystérieux.

Déjà la seule maîtrise de notre être présent semble complexe. Notre être présent, là, que nous voyons à travers le miroir, nous étonne, nous déstabilise et nous questionne. Nous rajeunissons, nous vieillissons parce que ce que nous vivons dans l’instant est gai ou douloureux. En une fulgurance, le temps se joue de nous : « Fontane, dans une glace accrochée au mur, aperçut leurs deux visages et fut frappé par la soudaine jeunesse du sien. Ses yeux brillaient  et un air de sérénité semblait effacer les deux plis profonds de sa bouche. » (Les Roses de septembre)

Pour que, peu de temps après, Fontane retrouve son âge réel, peut-être même encore un peu plus vieux, avachi, cassé, déformé et abattu par la foudre des sentiments qui retombe : « En remontant l’escalier du Granada, Fontane sentit soudain qu’il était de nouveau un vieil homme. Son humeur avait changé brusquement, comme ces places de village qu’a transfigurées, un instant l’éblouissement d’une fête et qui se retrouvent, après les dernières fusées, sombres et pauvres, parmi les carcasses des soleils défunts. Il éprouvait de l’humiliation, de la honte et de la fureur. « La même phrase ! pensait-il, et sur le même ton…Ah ! Comédienne !… » (Les Roses de septembre)

3/ UNE RECOMPOSITION DES TRAITS
ORIGINAUX DE MON MOI

Ce passé, ni imprévisible, ni aléatoire, puisque succession de moments vécus ou d’impressions, s’organise, se restructure et se recombine pour devenir autre, pour finir dans l’oubli, ou devenir obsessionnel. Cette recombinaison en tout cas bouleverse totalement notre moi, voire finalement le change, à devenir à terme un autre moi.

A chaque moment, nous penserons à Proust. Cette dissolution et cette recomposition rapide de l’être, comme dans un Amour de Swann : « il suffisait que…mon sommeil fût profond et détendît entièrement mon esprit ; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m’étais endormi et, quand je m’éveillais au milieu de la nuit, comme j’ignorais où je me trouvais, je ne savais pas au premier instant qui j’étais ; j’avais seulement…le sentiment de mon existence comme il peut frémir au fond d’un animal ; j’étais plus dénué que l’homme des cavernes ; mais alors le souvenir – non encore le lieu où j’étais, mais de quelques-uns de ceux que j’avais habités et où j’aurais pu être- venait à moi comme un secours d’en haut pour me tirer du néant d’où je n’aurais pu sortir tout seul ; je passais en une seconde par-dessus des siècles de civilisation, et l’image confusément entrevue de lampes à pétrole, puis de chemises à col rabattu, recomposaient peu à peu les traits originaux de mon moi»  (A la Recherche du temps perdu, I).

UN PROUST CHIRURGIEN ET UN MAUROIS ARCHEOLOGUE

Dans Proust, le temps du changement est un temps court, celui d’une nuit, de la seconde. Proust opère en chirurgien. Maurois en observateur astronome, loin ; en regardant les grands bouleversements, tel un géologue. L’être, au fil du temps, se niche tout au long de sa vie écoulée, au fil d’un passé qui grandit, comme un arbre, cumulant ses cernes et ses anneaux ou comme une tortue portant  une carapace de plus en plus lourde, il souhaite parfois vouloir s’en débarrasser. Heureux sont les homards…

« Voyez-vous, mon ami, nous sécrétons, en cinquante ou soixante ans, une carapace d’obligations, d’engagements, de contraintes si lourde que nous ne pouvons vraiment plus la porter…Moi, j’en suis accablé…Les homards, eux, se réfugient de temps à autre dans un trou du rocher et font cuirasse neuve. Sans doute est-ce d’une métamorphose, ou d’une mue dont j’aurais besoin… » (Les Roses de septembre)

4/ UN COMPOSITEUR MYSTERIEUX
QUI ORCHESTRE NOTRE EXISTENCE

Les lignes, les cernes et les anneaux du temps ne sont, pour autant, ni linéaires ni égales dans leurs tailles. Les plus vieilles ne sont pas nécessairement les plus vite oubliées. Nos souvenirs et nos êtres sont entre les mains de ce « compositeur mystérieux qui orchestre notre existence »(Climats).

La densité du temps. Certaines secondes valent des années. Des existences se concentrent dans la force d’une émotion. Un temps qui se contracte ou se dilate, se remplit ou se vide comme une outre de tout ce qui l’entoure, comme le décrit Proust : « Une heure n’est pas une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément » (A la Recherche du temps perdu, III) ou encore « les mesures du temps lui-même peuvent être pour certaines personnes accélérées ou ralenties. » (III). Amnésie, hypermnésie, paramnésie,… fausse mémoire, vraie reconnaissance, distraction de l’être, cheminement :

DES JOURS QUI VALENT DES ANNEES

« En ces quelques semaines, j’ai plus vécu là-bas qu’en ma vie toute entière. Comment mesurer la longueur d’un temps aboli sinon par la quantité d’images laissés par lui en notre esprit ? Chacun des jours passés avec Dolorès vaut, dans ma mémoire, une année. » (Les Roses de septembre). Comme si le plaisir se détournait du temps, s’en soustrayait. Ce passage nous rappelle celui de la Recherche : « c’était peut-être bien des fragments d’existence soustraite au temps, mais cette contemplation, quoique d’éternité, était fugitive. Et pourtant, je sentais que le plaisir qu’elle m’avait…donné dans ma vie était le seul qui fût fécond et véritable » (A la Recherche du temps perdu, III)

5/ NOS EMOTIONS LES PLUS FORTES
SONT-ELLES LES PLUS RESISTANTES ?

Nous sommes néanmoins aujourd’hui, la somme, plus ou moins,  des expériences de notre passé. Pour ne plus être, il suffirait d’oublier dans sa totalité ce temps, peut-être en s’enfonçant dans le bleu d’un verger.

« J’ai l’impression que si nous nous enfoncions dans ce verger bleuâtre, vous et moi, nous y oublierions le passé et ne reviendrions jamais sur terre. Le Léthé doit couler tout près d’ici. » (Les Roses de septembre)

D’abord le naître et l’être ; un être puis un autre lié à la défragmentation du précédent, et ensuite un être différent, un plus d’être, jusqu’au plus d’être du tout dans un dernier final. Quel est notre moi fondamental ? Qu’est ce qui fait que nous sommes toujours un peu le même ? Le jeune homme que nous étions et l’homme que nous sommes sont-ils encore un peu les mêmes ?

« Or l’homme que vous rencontrez dix ans, vingt ans plus tard, est celui d’un temps M’, M’’ ; il n’y a plus en commun, avec l’auteur de votre livre bien-aimé, que des souvenirs d’enfance, et encore… » (Les Roses de septembre)

« Nos émotions les plus fortes meurent, ne trouvez-vous pas ? Et on regarde la femme qu’on était il y a trois ans avec la même curiosité et la même indifférence que si elle était une autre. » (Climats)

« Peut-être parce que je suis devenue, pour ma fille, trop différente de la femme que font renaître ces souvenirs… » (L’Instinct du bonheur)

6/ ET QUE MEUVENT NOS HUMEURS

Des êtres morcelés en puzzles irréguliers, donc inconstants et changeants, et infidèles. L’être qui parle qui pense n’est fidèle qu’à cet être là, le temps du présent. Comme le disait Montaigne : « Chaque jour nouvelle fantaisie et se meuvent nos humeurs avec les mouvements du temps »

« Je ne comprends pas du tout qu’elle importance à la fidélité, avait-elle dit avec une diction martelée qui donnait toujours à ces idées un air abstrait et métallique. Il faut vivre dans le présent. Ce qui est important, c’est de tirer de chaque moment ce qu’il peut contenir d’intensité. On y arrive que de trois manières : par le pouvoir, le danger ou par le désir » (Climats)

7/ UN MOI PRESENT ET UN MOI DISPARU

En fait, cette métamorphose engendre des actions qui ne sont, peut-être, plus les nôtres et donc rend possible le pardon de l’autre pour ses actions répréhensibles.
Tout devient possible. « Supposez que demain, je chasse théâtralement de Preyssac Valentine que j’aime et qui m’aime, Valentine qui peut-être, il y a vingt ans, a été coupable et imprudente, mais qui n’est plus la même femme, qui se souvient à peine de ses actions de ce temps-là et de leurs causes réelles… » (L’Instinct du bonheur)

« L’homme qui regrette n’est plus l’homme qui a été coupable. Et ce n’est certes pas moi qui reprocherai à votre Moi présent et purifié les erreurs de votre Moi disparu. » (Ariel ou la vie de Shelley)

Le passé n’est plus. Il n’est déjà plus réel. Sans être encore un rien du tout. Il se réveille, comme dans la madeleine proustienne, où parfois-même se révèle dans une profondeur encore insoupçonné. Il suffit parfois de rencontrer un espace familier, une odeur particulière ; il nous renverra immédiatement dans un autre temps oublié, en rendant présent ce qui est, pour l’heure absent. Comment s’opère ce choix dans notre cerveau entre les images et les impressions qui resteront et les autres. Pourquoi des périodes entières meurent pour renaître et souvent meurent à jamais dans un total oubli. Rappelons-nous l’image proustienne des portes : « si nos souvenirs sont bien à nous, c’est à la façon de ces propriétés qui ont des petites portes cachées que nous-mêmes souvent ne connaissons pas. » (A la Recherche du temps perdu)

« Pourquoi certaines images demeurent-elles pour nous aussi nettes qu’au moment de la vision, alors que d’autres en apparence plus importantes, s’estompent puis s’effacent si vite ?» (Climats).

« Voyez mon cas : oui, il y a eu dans ma vie une affreuse tragédie, mais parce qu’elle est toujours restée muette, elle est maintenant comme étrangère…Et il faudrait la réveiller ? Commencer entre Valentine et moi, un dialogue douloureux qui ne finirait plus qu’avec notre mort ? » (L’Instinct du bonheur)

8/ « NOUS RECONNAISSONS LEUR VERITE
PASSE A LA FORCE PRESENTE
DE LEURS EFFETS« 

Il n’y a pas, nous le savons bien, une chronologie des événements. Un autre ordonnancement s’opère, mystérieux, magique.

« Les souvenirs de l’enfance ne sont pas, comme ceux de l’âge mûr, classés dans le cadre du temps. Ce sont des images isolées, de tous côtés entourées d’oubli, et le personnage qui nous y représente est si différent de nous-mêmes que beaucoup d’entre elles nous paraissent étrangères à notre vie. Mais d’autres ont laissé sur notre caractère des traces à ce point ineffaçables que nous reconnaissons leur vérité passée à la force présente de leurs effets. » (Le Cercle de Famille).

Cette jeunesse nous paraissais interminablement longue et monotone, souvent ennuyeuse ; et pourtant, il ne reste que quelques images, quelques photographies, rochers dans un océan immense informe.

« Quand je relis mon journal de jeune fille, j’ai l’impression de voler dans un avion très lent au-dessus d’un désert d’ennui. Il me semblait que je n’en finirais jamais d’avoir quinze ans, seize ans, dix-sept ans. « (Climats)

9/ CREER UN PASSE QUI NE FUT POINT

L’être du passé n’est plus, n’est pas, l’être présent. Rien n’interdit alors de faire de cet être, un être inventé, changeant, au gré des désirs et de notre volonté, ou d’une cristallisation amoureuse : « – Comme je suis bien ! dit-elle…Il me semble que je t’ai toujours connu…-L’amour, dit-il, créé, comme par magie, les souvenirs d’un passé merveilleux qui ne fut point. »(les Roses de septembre)

 « Je vous ai dit qu’elle vivait surtout dans l’instant présent. Elle inventait le passé et l’avenir au moment où elle en avait besoin puis oubliait ce qu’elle avait inventé. Si elle avait cherché à tromper, elle se serait efforcée de coordonner ses propos, de leur donner au moins un air de vérité ; et je n’ai jamais vu qu’elle s’en donnât la peine. Elle se contredisait dans la même phrase » (Climats)

Invention ou failles dans la mémoire, les failles sont parfois si nombreuses, que l’être sans trouve chamboulé. Qu’est ce qui est vrai ? Quelles sont les images, les sensations que nous possédons vraiment en les ayant vécus totalement. Quelle part pour le rêve ?

« Oublier le passé…Que cela paraît difficile, impossible, et que c’est facile si le décor de la vie change entièrement !…A partir de 1919, nous sommes venus vivre dans ce pays, où notre histoire était ignorée. Je vous assure que souvent, au cours de ces dernières années, je mes suis demandé si cette histoire était vraie. Qu’étais Martin-Buissière ? Un fantôme, le souvenir d’un rêve. » (L’Instinct du bonheur)

10/ AU MOINS UN AIR DE VERITE,
JUSTE UN AIR

Cette lecture de notre mémoire n’est, bien entendu, pas nécessairement mytho-maniaque, mais en tout cas elle permet aussi d’éviter le vulgaire, le commun  donc l’ennui :

« Elle disait : « Qu’est-ce que c’est que la vie ? Quarante années que nous passons sur une goutte de boue. Et vous voudriez qu’on perdît une seule minute à s’ennuyer inutilement » (Climats)

« Je vous ai dit qu’elle vivait surtout dans l’instant présent. Elle inventait le passé et l’avenir au moment où elle en avait besoin puis oubliait ce qu’elle avait inventé. Si elle avait cherché à tromper, elle se serait efforcée de coordonner ses propos, de leur donner au moins un air de vérité ; et je n’ai jamais vu qu’elle s’en donnât la peine. Elle se contredisait dans la même phrase » (Climats)

Tout s’opère, se mélange, le vrai, l’avoué, le passé décoré, les images qui s’imposent, et partent aussi rapidement, dans des rythmes différents. Mais au final, tout va si vite.  

«En marchant, je vois passer ma vie, comme les personnages des films. Elle me semble une toute petite chose. Je pense que ma vraie jeunesse, celle où l’on croit encore à la réalité d’un univers féérique, est finie. Comme cela a été vite. » (Le Cercle de Famille).

« -Ah ! Monsieur Schmitt, vous autres incrédules, vous êtes comme les éphémères qui dansent au soleil et ne pensent pas qu’ils seront morts le soir ». (Le Cercle de Famille)

11/TIRER DE CHAQUE MOMENT
CE QU’IL PEUT CONTENIR D’INTENSITE

Une  possibilité pour stopper ces mouvements virevoltants du temps c’est s’ancrer très fort dans l’immédiateté du présent, sans imagination, ni création, presque dans une vie animale. 

« Ce jour-là, pour Odile, la vie c’était une tasse de thé, des toasts bien beurrés, de la crème fraîche, c’est peut-être que les uns vivent surtout dans le passé et les autres seulement dans la minute présente » (Climats)

 « Je ne comprends pas du tout qu’elle importance à la fidélité, avait-elle dit avec une diction martelée qui donnait toujours à ces idées un air abstrait et métallique. Il faut vivre dans le présent. Ce qui est important, c’est de tirer de chaque moment ce qu’il peut contenir d’intensité. On y arrive que de trois manières : par le pouvoir, le danger ou par le désir » (Climats)

L’être dans cette dérive du temps, de fait tout en se défaisant. Comme une petite pièce de notre présent qui pourrait à elle-seule transformer radicalement l’ensemble de notre être sur lequel elle se pose. Nous voguons dans le mystère des choses et,

O mysterio das cousas, onde esta elle ?
Onde esta elle que nao aparece
Pelo menos a mostrar-nos que é misterio?
(Fernando Pessoa, Poèmes de Alberto Caeiro, XXXIX)

Jacky Lavauzelle

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