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ODE À BUFFON – POÈME DE LEBRUN-PINDARE (1729-1807)

Ponce-Denis Écouchard-Lebrun,
dit Lebrun-Pindare
(11 août 1729 – 31 août 1807)

ODE I
À MONSIEUR DE BUFFON,
SUR SES DÉTRACTEURS



Buffon (1), laisse gronder l’Envie ;
C’est l’hommage de sa terreur :
Que peut sur l’éclat de ta vie
Son obscure et lâche fureur ?
Olympe, qu’assiège un orage,
Dédaigne l’impuissante rage
Des Aquilons tumultueux ;
Tandis que la noire Tempête
Gronde à ses pieds, sa noble tête
Garde un calme majestueux.

Pensais-tu donc que le Génie
Qui te place au trône des arts,
Longtemps d’une Gloire impunie
Blesserait de jaloux regards ?
Non, non, tu dois payer la Gloire ;
Tu dois expier ta mémoire
Par les orages de tes jours ;
Mais ce torrent qui dans ton onde
Vomit sa fange vagabonde,
N’en saurait altérer le cours.

Poursuis ta brillante carrière,
Ô dernier Astre des Français !
Ressemble au Dieu de la lumière,
Qui se venge par des bienfaits.
Poursuis ! que tes nouveaux ouvrages
Remportent de nouveaux outrages
Et des lauriers plus glorieux :
La Gloire est le prix des Alcides !
Et le Dragon des Hespérides
Gardait un or moins précieux.

C’est pour un or vain et stérile
Que l’intrépide fils d’Eson
Entraîne la Grèce docile
Aux bords fameux par la Toison.
Il emprunte aux forêts d’Épire
Cet inconcevable Navire
Qui parlait aux flots étonnés ;

Et déjà sa valeur rapide
Des champs affreux de la Colchide
Voit tous les monstres déchaînés.

Il faut qu’à son joug il enchaîne
Les brûlants taureaux de Vulcain :
De Mars qu’il sillonne la plaine
Tremblante sous leurs pieds d’airain.
D’un Serpent, l’effroi de la terre,
Les dents, fertiles pour la guerre,
À peine y germent sous ses pas,
Qu’une Moisson vivante, armée
Contre la main qui l’a semée,
L’attaque, et jure son trépas.

S’il triomphe, un nouvel obstacle
Lui défend l’objet de ses vœux :
Il faut par un dernier miracle
Conquérir cet or dangereux :
Il faut vaincre un Dragon farouche,
Braver les poisons de sa bouche,
Tromper le feu de ses regards ;
Jason vole ; rien ne l’arrête.
Buffon ! pour ta noble conquête
Tenterais-tu moins de hasards ?

Mais si tu crains la tyrannie
D’un monstre jaloux et pervers,

Quitte le sceptre du Génie,
Cesse d’éclairer l’Univers,
Descends des hauteurs de ton âme,
Abaisse tes ailes de flamme,
Brise tes sublimes pinceaux,
Prends tes envieux pour modèles,
Et de leurs vernis infidèles
Obscurcis tes brillants tableaux.

Flatté de plaire aux goûts volages,
L’Esprit est le dieu des instants,
Le Génie est le dieu des âges,
Lui seul embrasse tous les temps.
Qu’il brûle d’un noble délire
Quand la Gloire autour de sa lyre
Lui peint les Siècles assemblés,
Et leur suffrage vénérable
Fondant son trône inaltérable
Sur les empires écroulés !

Eût-il, sans ce tableau magique
Dont son noble cœur est flatté,
Rompu le charme léthargique
De l’indolente Volupté ?
Eût-il dédaigné les richesses ?
Eût-il rejeté les caresses
Des Circés aux brillants appas,
Et par une étude incertaine

Acheté l’estime lointaine
Des peuples qu’il ne verra pas ?

Ainsi l’active Chrysalide,
Fuyant le jour et le plaisir,
Va filer son trésor liquide
Dans un mystérieux loisir.
La Nymphe s’enferme avec joie
Dans ce tombeau d’or et de soie
Qui la voile aux profanes yeux,
Certaine que ses nobles veilles
Enrichiront de leurs merveilles
Les Rois, les Belles et les Dieux.

Ceux dont le Présent est l’idole
Ne laissent point de souvenir :
Dans un succès vain et frivole
Ils ont usé leur avenir.
Amants des roses passagères,
Ils ont les grâces mensongères
Et le sort des rapides fleurs.
Leur plus long règne est d’une aurore ;
Mais le Temps rajeunit encore
L’antique laurier des neuf Sœurs.

Jusques à quand de vils Procrustes (2)
Viendront-ils au sacré vallon,
Bravant les droits les plus augustes,
Mutiler les fils d’Apollon ?
Le croirez-vous, Races futures ?
J’ai vu Zoïle (3) aux mains impures,
Zoïle outrager Montesquieu !
Mais quand la Parque (4) inexorable
Frappa cet Homme irréparable,
Nos regrets en firent un Dieu.

Quoi ! tour à tour dieux et victimes,
Le sort fait marcher les talents
Entre l’olympe et les abîmes,
Entre la satire et l’encens !
Malheur au mortel qu’on renomme.
Vivant, nous blessons le Grand-Homme ;
Mort, nous tombons à ses genoux ;
On n’aime que la Gloire absente ;
La mémoire est reconnaissante ;
Les yeux sont ingrats et jaloux.

Buffon, dès que rompant ses voiles,
Et fugitive du cercueil,
De ces palais peuplés d’étoiles
Ton Âme aura franchi le seuil,
Du sein brillant de l’empyrée
Tu verras la France éplorée
T’offrir des honneurs immortels,
Et le Temps, vengeur légitime,

De l’Envie expier le crime,
Et l’enchaîner à tes autels.

Moi, sur cette rive déserte
Et de talents et de vertus,
Je dirai, soupirant ma perte :
Illustre Ami, tu ne vis plus !
La Nature est veuve et muette !
Elle te pleure ! et son Poète
N’a plus d’elle que des regrets.
Ombre divine et tutélaire,
Cette Lyre qui t’a su plaire,
Je la suspends à tes cyprès !

**

(1)
Buffon
Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon
naturaliste, mathématicien, biologiste, cosmologiste et écrivain français (1707 — 1788)

(2)
Procruste
Procuste est le surnom d’un brigand de l’Attique nommé Polypémon.
« Le Céphise a son cours beaucoup plus rapide à Éleusis que dans le reste de l’Attique. On donne le nom d’Erinéum (le figuier sauvage) à un endroit voisin par où Pluton descendit, dit-on, aux enfers après avoir enlevé Proserpine (Perséphone). C’est aussi auprès du Céphise que Thésée tua le brigand Polypémon, surnommé Procruste. »
(Pausanias – Description de la Grèce de Pausanias – Tome 1 – traduction nouvelle – 1821)

(3)
Zoïle
« Zoïle, fameux critique grec, connu par l’amertume de ses censures à l’égard d’Homère (d’où le surnom d’Homeromastix ou fouet d’Homère), né à Ephèse ou à Amphipolis, vivait à la fin du IVe s. av. J.-C. On a débité mille fables sur son compte : on a dit qu’il avait été condamné à mort par Ptolemée Philadelphe et crucifié ou lapidé par la foule enthousiaste d’Homère. Quoi qu’il en soit, son nom est resté synonyme de critique envieux et partial ; on l’oppose à celui d’Aristarque. On lui attribuait, entre autres ouvrages, 9 livres de Remarques hypercritiques sur Homère, une Hist. d’Amphipolis, une Hist. générale du monde jusqu’à Philippe (roi de Macédoine) : aucun n’est parvenu jusqu’à nous. »
Marie-Nicolas Bouillet – Alexis Chassang – Dictionnaire universel d’histoire et de géographie Bouillet Chassang (1878) -Librairie Hachette, 1878 (3, p. 2037).

(4)
Parques
« Déesses infernales, dont la fonction était de filer la trame de nos jours. Maîtresses du sort des hommes, elles en réglaient les destinées. Tout le monde sait qu’elles étaient trois sœurs, Clotho, Lachésis, & Atropos ; mais les Mythologues ne s’accordent point sur leur origine. Les uns les font filles de la Nuit & de l’Erebe ; d’autres de la Nécessité & du Destin ; & d’autres encore de Jupiter & de Thémis. Les Grecs les nommaient μοίραι, c’est-à-dire les déesses qui partagent, parce qu’elles réglaient les évènements de notre vie ; les Latins les ont peut-être appelées Parcæ, du mot parcus, comme si elles étaient trop ménagères dans la dispensation de la vie des humains, qui paraît toujours trop courte ; du moins cette étymologie est plus naturelle que celle de Varron, & supérieure à la ridicule antiphrase de nos grammairiens, quod nemini parcant. »
Louis de Jaucourt – L’Encyclopédie, 1re édition – 1751 (Tome 12, p. 80-81).




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La Vie de
Lebrun-Pindare

« Le Brun naquit à Paris en 1729. Ses dispositions poétiques se révélèrent de très bonne heure. Le prince de Conti, voyant qu’il s’annonçait avec éclat, voulut se l’attacher, et lui donna le titre de secrétaire de ses commandements, avec deux mille livres d’honoraires ; mais une protection qui lui fut plus utile ce fut celle de Louis Racine, qui ne lui épargna ni les avis ni les encouragements.
À vingt-six ans, Le Brun s’était déjà placé au premier rang parmi nos poètes lyriques.
L’amour le fit poète élégiaque.
Il épousa en 1760, la femme qu’il avait chanté sous le nom de Fanny. C’est dans le premier temps de cette union qu’il conçut l’idée de son poème de la Nature, poème que ses malheurs domestiques lui firent abandonner plus tard.
De maladroites attaques de Fréron forcèrent notre poète à s’essayer dans l’épigramme, où il y excella.
Une horrible banqueroute mit le comble à la misère de Le Brun, qui trouva dans M. de Vandreuil un protecteur intelligent et dévoué.
La révolution ayant éclaté, Le Brun en éprouva les principes et en embrassa les espérances. Lors de la formation de l’Institut, il fut l’un des premiers membres choisis par le directoire. Napoléon récompensa avec magnificence ses travaux et son patriotisme en lui accordant une pension de 6000 livres, dont il ne jouit pas très longtemps : il mourut pendant l’été de 1807. »
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours –
Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris –Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)


ODE À LA POSTÉRITÉ de Jean-Baptiste Rousseau (1670-1741)

Portrait de Jean-Baptiste Rousseau
par Nicolas de Largillière

ODE X
« À LA POSTÉRITÉ »

Déesse des héros, qu’adorent en idée
Tant d’illustres amants dont l’ardeur hasardée
Ne consacre qu’à toi ses vœux et ses efforts ;
Toi qu’ils ne verront point, que nul n’a jamais vue,
Et dont pour les vivants la faveur suspendue
Ne s’accorde qu’aux morts ;

Vierge non encor née, en qui tout doit renaître
Quand le temps dévoilé viendra te donner l’être,
Laisse-moi dans ces vers te tracer mes malheurs ;
Et ne refuse pas, arbitre vénérable,
Un regard généreux au récit déplorable
De mes longues douleurs.

Le ciel, qui me créa sous le plus dur auspice,
Me donna pour tout bien l’amour de la justice
Un génie ennemi de tout art suborneur,
Une pauvreté fière, une mâle franchise,
Instruite à détester toute fortune acquise
Aux dépens de l’honneur.

Infortuné trésor ! importune largesse !
Sans le superbe appui de l’heureuse richesse,
Quel cœur impunément peut naître généreux ?
Et l’aride vertu, limitée en soi-même,
Que sert-elle, qu’à rendre un malheureux qui l’aime
Encor plus malheureux ?

Craintive, dépendante, et toujours poursuivie
Par la malignité, l’intérêt et l’envie,
Quel espoir de bonheur lui peut être permis,
Si, pour avoir la paix, il faut qu’elle s’abaisse
A toujours se contraindre, et courtiser sans cesse
Jusqu’à ses ennemis ?

Je n’ai que trop appris qu’en ce monde où nous sommes,
Pour souverain mérite on ne demande aux hommes
Qu’un vice complaisant, de grâces revêtu ;
Et que, des ennemis que l’amour-propre inspire,
Les plus envenimés sont ceux que nous attire
L’inflexible vertu.

C’est cet amour du vrai, ce zèle antipathique
Contre tout faux brillant, tout éclat sophistique,
Où l’orgueil frauduleux va chercher ses atours,
Qui lui seul suscita cette foule perverse
D’ennemis forcenés, dont la rage traverse
Le repos de mes jours.

Écartons, ont-ils dit, ce censeur intraitable
Que des plus beaux dehors l’attrait inévitable
Ne fit jamais gauchir contre la vérité ;
Détruisons un témoin qu’on ne saurait séduire ;
Et, pour la garantir, perdons ce qui peut nuire
À notre vanité.

Inventons un venin dont la vapeur infâme,
En soulevant l’esprit, pénètre jusqu’à l’âme ;
Et sous son nom connu répandons ce poison :
N’épargnons contre lui mensonge ni parjure ;
Chez le peuple troublé, la fureur et l’injure
Tiendront lieu de raison.

Imposteurs effrontés, c’est par cette souplesse
Que j’aurai vu tant de fois votre scélératesse
Jusque chez mes amis me chercher des censeurs ;
Et, des yeux les plus purs bravant le témoignage.
Défigurer mes traits, et souiller mon visage
De vos propres noirceurs.

Toutefois, au milieu de l’horrible tempête
Dont, malgré ma candeur, pour écraser ma tête,
L’autorité séduite arma leurs passions,
La chaste vérité prit en main ma défense,
Et fit luire en tout temps sur ma faible innocence
L’éclat de ses rayons.

Aussi, marchant toujours sur mes antiques traces,
Combien n’ai-je pas vu dans mes longues disgrâces
D’illustres amitiés consoler mes ennuis,
Constamment honoré de leur noble suffrage,
Sans employer d’autre art que le fidèle usage
D’être ce que je suis !

Telle est sur nous du ciel la sage providence,
Qui, bornant à ces traits l’effet de sa vengeance,
D’un plus âpre tourment m’épargnait les horreurs :
Pouvait-elle acquitter, par une moindre voie,
La dette des excès d’une jeunesse en proie
À de folles erreurs ?

Objets de sa bonté, même dans sa colère,
Enfants toujours chéris de cette tendre mère,
Ce qui nous semble un fruit de son inimitié
N’est en nous que le prix d’une vie infidèle,
Châtiment maternel, qui n’est jamais en elle
Qu’un effet de pitié.

Révérons sa justice, adorons sa clémence,
Qui, jusque dans les maux que sa main nous dispense,
Nous présente un moyen d’expier nos forfaits ;
Et qui, nous imposant ces peines salutaires,
Nous donne en même temps les secours nécessaires
Pour en porter le faix.

Juste Postérité, qui me feras connaître,
Si mon nom vit encor quand tu viendras à naître,
Donne-moi pour exemple à l’homme infortuné,
Qui, courbé sous le poids de son malheur extrême,
Pour asile dernier n’a que l’asile même
Dont il fut détourné.

Dis-lui qu’en mes écrits il contemple l’image
D’un mortel qui, du monde embrassant l’esclavage,
Trouva, cherchant le bien, le mal qu’il haïssait,
Et qui, dans ce trompeur et fatal labyrinthe,
De son miel le plus pur vit composer l’absinthe
Que l’erreur lui versait.

Heureux encor pourtant, même dans son naufrage,.
Que le ciel l’ait toujours assisté d’un courage
Qui de son seul devoir fit sa suprême loi ;
Des vils tempéraments combattant la mollesse,
Sans s’exposer jamais par la moindre faiblesse
A rougir devant toi !

Voilà quel fut celui qui t’adresse sa plainte ;
Victime abandonnée à l’envieuse feinte,
De sa seule innocence en vain accompagné ;
Toujours persécuté, mais toujours calme et ferme,
Et, surchargé de jours, n’aspirant plus qu’au terme
A leur nombre assigné.

Le pinceau de Zeuxis (1), rival de la nature,
A souvent de ses traits ébauché la peinture ;
Mais du sage lecteur les équitables yeux,
Libres de préjugés, de colère, et d’envie,
Verront que ses écrits, vrai tableau de sa vie,
Le peignent encor mieux.

**

(1) Zeuxis, peintre grec d’Héraclée (cité antique d’Italie sur le golfe de Tarente, à proximité du fleuve Siris) vécut de 464 av. J.-C. à 398.

**

Jean-Baptiste Rousseau
Ode X (Quatrième livre des Odes de J.-B. Rousseau)
Œuvres de J. B. Rousseau, Chez Lefèbvre, Libraire, 1820, Tome I (p. 390-396).

ODE à la mort de Jean-Baptiste Rousseau (1670-1741)- Lefranc de Pompignan

Jean-Jacques Lefranc de Pompignan
(1709 à Montauban – 1784 à Pompignan)


ODE À
LA MORT DE
Jean-Baptiste ROUSSEAU
(poète et dramaturge français)

Portrait de Jean-Baptiste Rousseau
par Nicolas de Largillière

 
Quand le premier chantre du monde
Expira sur les bords glacés,
Où l’Ebre effrayé dans son onde
Reçut ses membres dispersés,
Le Thrace errant sur les montagnes,
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs :
Les champs de l’air en retentirent,
Et dans les antres qui gémirent,
Le lion répandit des pleurs.

La France a perdu son Orphée ;
Muses, dans ces moments de deuil,
Elevez le pompeux trophée
Que vous demande son cercueil :
Laissez par de nouveaux prodiges,
D’éclatants et dignes vestiges
D’un jour marqué par vos regrets.
Ainsi le tombeau de Virgile
Est couvert du laurier fertile
Qui par vos soins ne meurt jamais.

D’une brillante et triste vie
Rousseau quitte aujourd’hui les fers,
Et loin du ciel de sa patrie,
La mort termine ses revers.
D’où ses maux ont-ils pris leur source ?
Quelles épines dans sa course
Etouffaient les fleurs sous ses pas ?
Quels ennuis ! Quelle vie errante,
Et quelle foule renaissante
D’adversaires et de combats !

Vous, dont l’inimitié durable
L’accusa de ces chants affreux,
Qui méritaient, s’il fût coupable,
Un châtiment plus rigoureux ;
Dans le sanctuaire suprême,
Grâce à vos soins, par Thémis même
Son honneur est encore terni.
J’abandonne son innocence ;
Que veut de plus votre vengeance ?
Il fut malheureux et puni.

Jusques à quand, mortels farouches,
Vivrons-nous de haine et d’aigreur ?
Prêterons-nous toujours nos bouches
Au langage de la fureur ?
Implacable dans ma colère,
Je m’applaudis de la misère
De mon ennemi terrassé ;
Il se relève, je succombe,
Et moi-même à ses pieds je tombe
Frappé du trait que j’ai lancé.

Songeons que l’imposture habite
Parmi le peuple et chez les grands ;
Qu’il n’est dignité ni mérite
A l’abri de ses traits errants ;
Que la calomnie écoutée,
A la vertu persécutée
Porte souvent un coup mortel,
Et poursuit sans que rien l’étonne,
Le monarque sous la couronne,
Et le pontife sur l’autel.

Du sein des ombres éternelles
S’élevant au trône des dieux,
L’envie offusque de ses aîles
Tout éclat qui frappe ses yeux.
Quel ministre, quel capitaine,
Quel monarque vaincra sa haine,
Et les injustices du sort !
Le temps à peine les consomme ;
Et jamais le prix du grand homme
N’est bien connu qu’après sa mort.

Oui, la mort seule nous délivre
Des ennemis de nos vertus,
Et notre gloire ne peut vivre
Que lorsque nous ne vivons plus.
Le chantre d’Ulysse et d’Achille
Sans protecteur et sans asile,
Fut ignoré jusqu’au tombeau :
Il expire, le charme cesse,
Et tous les peuples de la Grèce
Entr’eux disputent son berceau.

Le Nil a vu sur ses rivages
De noirs habitants des déserts,
Insulter par leurs cris sauvages
L’astre éclatant de l’univers.
Crimes impuissants ! Fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d’insolentes clameurs,
Le dieu poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

Souveraine des chants lyriques,
Toi que Rousseau dans nos climats
Appela des jeux olympiques,
Qui semblaient seuls fixer tes pas ;
Par qui ta trompette éclatante
Secondant ta voix triomphante,
Formera-t-elle des concerts ?
Des héros, Muse magnanime,
Par quel organe assez sublime
Vas-tu parler à l’univers ?

Favoris, élèves dociles
De ce ministre d’Apollon,
Vous à qui ses conseils utiles
Ont ouvert le sacré vallon ;
Accourez, troupe désolée,
Déposez sur son mausolée
Votre lyre qu’il inspirait ;
La mort a frappé votre maître,
Et d’un souffle a fait disparaître
Le flambeau qui vous éclairait.

Et vous dont sa fière harmonie
Egala les superbes sons,
Qui reviviez dans ce génie
Formé par vos seules leçons ;
Mânes d’Alcé et de Pindare,
Que votre suffrage répare
La rigueur de son sort fatal.
Dans la nuit du séjour funèbre,
Consolez son ombre célèbre,
Et couronnez votre rival.

*****

JEAN-JACQUES LEFRANC DE POMPIGNAN
Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.


« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité.
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours –
Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris –
Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires –
1870)

Ode III de Jean-Jacques Lefranc de Pompignan – L’autre jour sans inquiétude

Jean-Jacques Lefranc de Pompignan
(1709 à Montauban – 1784 à Pompignan)

ŒUVRE DE LEFRANC DE POMPIGNAN

****

L’autre jour sans inquiétude
Respirant la fraîcheur de l’air,
J’errais dans une solitude
Sur le rivage de la mer.

J’aperçus de loin des statues,
De vieux débris d’arcs triomphaux,
Et des colonnes abattues ;
J’approchai : je vis des tombeaux.

C’était d’abord le mausolée
D’un de ces conquérants vantés,
Par qui la terre désolée
Vit détruire champs et cités.

On y voyait trente batailles,
Des rois, des peuples mis aux fers,
Des triomphes, des funérailles,
Et les tribus de l’univers.

Au pied de deux cyprès antiques,
Un monument plus gracieux,
Par ses ornements symboliques,
Attirait l’œil du curieux.

C’était la tombe d’un poète
Admiré dans le monde entier.
Le luth, la lyre et la trompette
Pendaient aux branches d’un laurier.

Tout auprès en humble posture
Un pécheur était enterré ;
Un filet pour toute parure
Couvrait son cercueil délabré.

Ah ! dis-je, quel art déplorable !
Cet objet aux passants offert
Leur apprend que ce misérable
A moins vécu qu’il n’a souffert.

Et pourquoi ? reprit en colère
Un voyageur qui m’entendit.
La pêche avait l’art de lui plaire :
C’était son métier, il le fit.

Tu vois par là ce que nous sommes ;
Le poète fait des chansons,
Le guerrier massacre des hommes,
Et le pêcheur prend des poissons.

Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.

*****


« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité.
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours –
Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris –
Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires –
1870)

ODE AUX CONTEMPORAINS – CYPRIAN NORWID – DO SPÓŁCZESNYCH (ODA) – 1867

***

Traduction Jacky Lavauzelle*******

**
Cyprian Norwid poèmes
**

LITTERATURE POLONAISE
POESIE POLONAISE

CYPRIAN NORWID
1757-1841
Traduction Jacky Lavauzelle

**

Traduction Jacky Lavauzelle


LES POEMES POLONAIS
OSTATNIE LATA PARYSKIE
LES DERNIERES ANNEES PARISIENNES

DO SPÓŁCZESNYCH
(ODA)
Szopena

ODE AUX CONTEMPORAINS

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**

 

Traduction Jacky Lavauzelle


***

Traduction Jacky Lavauzelle
Paul Merwart, Paweł Merwart, Le Déluge, Potop (2), olej na płótnie, huile sur toile

 

I

 

I pożegnałem kraj, i brzegi znane
Et j’ai dit au revoir au pays et aux rives si chères
Odepchnąłem nogą, jak wioślarz z łodzi
J’ai poussé avec ma jambe tel un batelier
Ziemię odpycha – i jak? odgarnia on pianę
Repoussant la terre – et comment ? faites disparaître cette mousse
Leniwo-płynną i luźną…
Paresseuse et fluide …
Kraj! – – gdzie każdy-czyn za wcześnie wschodzi,
Ô Pays ! – où chaque action démarre trop tôt,
Ale – książka-każda… za późno!
Mais – où chaque livre arrive…trop tard !

II

Nogą odepchnąłem ten brzeg, co pokornie
J’ai repoussé le rivage avec mon pied, humblement
Zgiął się pod moim obcasem;
Il s’est recroquevillé sous mon talon ;
I skrzypiał mi on, że jest męczeńskim, wytwornie
Et il m’a hurlé qu’il était martyr, élégamment
(Ale przeklinał mnie basem!).
(Mais à voix basse, il m’a maudit !).

III

Och! wy – którzy śpiewacie krwawo i pożarnie,
Oh! vous – qui chantez du sang et du feu,
Kiedyż?… zrozumiecie sąd?
Quand ? …quand comprendrez-vous le jugement ?
Żyć wy radzi w dziejach, lecz żaden nie wie,
Vous vivez dans l’histoire, mais personne ne sait
Że cali urośliście w krwi-ulewie,
Que vous avez grandi sous un déluge de sang,
Czyści i matematyczni, jak błąd!
Propre et mathématique … une erreur !

V

Ciemna to pieśń jest – w zamian wy?… bardzo jaśni –
La chanson est si sombre – et toi si pâle –
Szkoda tylko, że nigdy nie wiecie,
C’est dommage que tu ne saches jamais
Czemu?… Umysł-mąż mówi: « Zaśnij! »
Pourquoi ? … L’esprit raisonnable dit : « Dors ! »
« Zaśnij! »… – mówi po tańcu mdłej kobiecie.
« Dors ! » … – dit-il à une femme, après la danse.

1867 novembris. Parisorum-Luteciae

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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Traduction Jacky Lavauzelle

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Cyprian Kamil Norwid
Dzieło Cyprian Kamil Norwid
Œuvre de Cyprian Kamil Norwid

Traduction – Texte Bilingue

Poésie Polonaise – Polish poetry
poezja polska

 

LITTERATURE POLONAISE – literatura polska

Cyprian Norwid

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Ode en mètre antique – Poème Roumain de Mihai Eminescu : Oda în metru antic

România – textul în limba română
Mihai Eminescu

EminescuEminescu

Traduction – Texte Bilingue
Traducerea Text bilingvă


LITTERATURE ROUMAINE
POESIE ROUMAINE

Literatura Română
Romanian Poetry

Mihai Eminescu
1850 – 1889

poet roman
Poète Roumain

Oda în metru antic

 

Poésie de Mihai Eminescu

 Ode en mètre antique

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Oda în metru antic Ode en mètre antique Mihai Eminescu Artgitato Nicolae Tonitza
Nicolae Tonitza
Autoportrait

*

Nu credeam sa-nvat a muri vrodata;
Pour apprendre à mourir, jamais je ne fis d’étude;
Pururi tânar, înfasurat în manta-mi, 
Toujours jeune, enveloppé dans ma toile,
Ochii mei naltam visatori la steaua
Mes yeux rêvaient à cette haute étoile :

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România – textul în limba română
Mihai Eminescu

EminescuEminescu