____________________ Poème de Jacky Lavauzelle ____________________
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Ni tempérant, ni modéré Un vent innocent sans nuance se balançait et s’engouffrait Jusqu’aux deux parties de l’âme Renonçant Immense Nostalgique Dans les longs cheveux défaits de Phyllis Dans de longues lignes intenses Humides et douces Voluptueuses Triomphantes en un dernier long souffle Ondulaient les dunes sous la tente Le jour égalait la nuit Désormais L’heure les secondes Se valaient Dans les longues interstices des âmes Babylone se désolait Les Diadoques se réjouissaient Babylone s’effondrait dans le long silence du monde Oubliant jusqu’à la bataille de Gaugamèles Bucéphale avait quitté l’écurie Sans inquiéter personne Aristote déclamait que la sagesse est la forme la plus achevée du savoir Sans que personne ne l’écoute Justin et Quinte-Curce ne savaient plus quoi écrire Il ne se passait plus rien Le temps aurait pu se pendre Tout le monde s’en moquait Pseudo-Callisthène, Julius Valerius Tout comme Callisthène aussi Bucéphale s’est perdu dans le ciel de Perse Pris dans les raies de lumière Affolé par les abstractions de vie Alexandre s’en moquait Comme de sa première antilope Et les hennissements ne faisaient plus désormais que frémir les nuages La forêt aux pucelles s’est perdue dans les nimbes Ses chemins aux espoirs se sont envolés Alexandre s’en moquait Comme de son dernier tigre Les bêtes féroces se sont pendues dans des gueules Où les crocs aux crocs répondaient Plus féroces que les défenses des éléphants Les plus tranchantes Les lames de l’ennui ont décimé les lourds pachydermes Les femmes aquatiques ont fini par se noyer Ignorées Alexandre s’en moquait Les formes et les langueurs viennent et reviennent Se lient et se délient
Toutes choses tendent vers le bien Disait le Philosophe en recherche de rigueur Que nul ne trouvait Le bien je veux dire Les colonnes d’Hercule semblait se toucher Lassées d’attendre les bras et les armes Que nul ne trouvait Perdu dans les bras de Phyllis qui se perdaient dans ceux d’Alexandre Qui se perdaient ensuite dans les yeux de Phyllis A l’infini
Plus aucune chevauchée éclatée sur les merveilles de l’Inde Plus d’étalements débridés Plus aucune trace de ces merveilles, Les biens et les futurs se résumaient à Phyllis Qui s’attardait alanguie Les aventures et les gloires n’avaient plus cours Toutes les rigueurs s’effacent vers les cœurs Dans un cœur rassemblé et de Darius et de l’Inde Tu ne rêves plus, Alexandre, tu ne désires plus Plus les mêmes rêves, ni les mêmes désirs Porus semble si loin, les marécages aussi Sur des boucles couché, tes montagnes sont là Mais le grain des sables est devenu le grain de peau Sur des boucles enroulé, tes vagues sont là Plus flou que le sein qui t’aveugle. Plus fou que ces mains qui te parlent Tout seul tu penches vers ce bien Que personne ne peut plus t’enlever Que personne n’ose te confisquer Le Philosophe pèse le juste et l’injuste Et il reste encore le seul que le grand homme peut écouter Les arbres du soleil se sont couchés sous les feuilles perdues Le Philosophe se souvient de l’enchanteur Nectanebus Comme la belle Olympias Comme les rochers Comme les vagues Qui nettoient la mousse de ses écumes funestes Et le seul qu’Alexandre peut écouter se fait entendre Qui vient de coucher son cœur sur les langueurs des ombres Comme des vagues La lanterne se balançait au rythme des deux corps Les rochers abrupts de Phyllis Les vagues régulières d’Alexandre Mais Aristote le lendemain aborda L’homme le plus célèbre de toute cette célèbre Antiquité Son esprit n’était plus là Les affaires en sommeil Les invasions à l’arrêt Les possessions en péril Et Alexandre regardait le Philosophe Comme l’on regarde l’évidence Comme l’on écoute la vérité Le monde ne se résumait pas à Phyllis Que lui Surtout lui ne pouvait Ne devait S’abaisser dans cette volupté Même d’une épaisseur et d’une grandeur Plus grande que le grand océan
Alexandre acquiesça
Le soir suivant Phyllis a fait taire les airs Les lumières Et les ondes Quand de la tente elle est sortie La nuit s’est éclaircie Le jour s’est assombrie Et Aristote ne pensait plus Pendant qu’Alexandre sommeillait Il admirait cette lumière insolente Cette énergie inassouvie sur une crinière d’étoiles Se sentait amoureux par sa seule présence Son esprit oublié dans une terrible absence Phyllis s’est retournée et avec elle un long parfum Une lumière Et sur une ronde Dans sa tente elle est rentrée La nuit est redevenue la nuit Le jour a retrouvé ses rayons Mais Aristote ne pensait toujours pas Une étoile manquait dans le ciel Sans grâce désormais Mais Aristote est restait là Mais ne regardait plus le ciel Le jour suivant et tous les autres jours Alexandre passait devant le Philosophe absent Et se demandait quelle foudre s’était abattue sur lui Le touchait Le regardait Attendait Puis s’en alla à ses affaires qui recommençait
Quand Phyllis ressortie Elle prit la main de cette statue vivante En l’apportant sous sa tente A force de caresses le grand penseur Ses esprits retrouva Son instinct récupéra Il recommençait à parler Comme parle les jeunes enfants Quand Pyllis sourit Aristote babillait Il regarda la tente et mit un genou à terre Et Aristote sourit Phyllis caressa ses longues mèches Et Aristote souriait encore
Les jours suivants Aristote prenait les devants Devenait gai et entreprenant Comme si tous ces ans En un instant Avaient plongé dans un grand néant
Phyllis alors établit un accord Pour qu’il se livre corps et corps Sans aucun remord Pour un sublime rapport Que de cette union il deviendrait plus fort Jusqu’à ce que vienne la mort
Or
Il fallait pour cela devenir son Bucéphale Parcourir des contrées glaciales Caresser les aurores boréales Et venir se réchauffer à son sein pâle Et qu’elle deviendrait sa cavalière fatale Jusqu’à ce que se termine de plaisir le dernier râle
Aristote acquiesça
Et devient la risée de la cavalerie des Compagnons De la phalange et des porte-boucliers Et devint un Milésien Agissant comme un fieffé crétin Tant et si bien Qu’Alexandre lui donne à son tour la leçon En l’apercevant dans sa conduite indigne De son âge vénérable L’amour n’est-il pas l’arme la plus dangereuse au monde ?
Antonio Vivaldi Andromeda Liberata Serenata Veneziana Sérénade de Venise Acte II – Scène 5 Sovvente il sole Souvent le soleil (Philippe Jaroussky)
Souvent le soleil resplendit dans le ciel, Plus beau et agréable si un sombre nuage l’a d’abord assombri. Et la mer calme, presque sans vagues, On ne peut l’apercevoir que si une rude tempête l’a d’abord troublée.
Karol Szymanowski Król Roger La chanson de Roxana (Georgia Jarman , Mariusz Kwiecień)
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Richard Wagner Der Ring des Nibelungen L’Anneau du Nibelung Siegfried, Acte 1 Nothung! (Direction Daniel Barenboim)
* Zacharia Paliashvili აბესალომ და ეთერი Abesalom da Eteri აბესალომის და მურმანის დუეტი Duo d’Absalom et Murman (Zacharia Paliashvili Tbilissi Opera and Ballet State Symphony Orchestra dirigé par Irakli Cholokashvil)
Pierre-Alexandre Monsigny Le roi et le fermier Acte I – final + entracte Ah ! Richard. Ah ! Mon cher ami ! (William Sharp, Dominique Labelle , Yulia Van Doren)
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Georg Friedrich Haendel Serse Ombra mai fu (Sara Mingardo, Accademia degli Astrusi)
Peter Eötvös Trois sœurs Three sisters Second Sequence Andrei – No.20 Monológ Andreya O, gde onó, kudá (Albert Schagidullin,Orchestre de l’Opéra de Lyon, Kent Nagano)
Daniel-François-Esprit Auber La Muette de Portici Act IV (Finale) Honneur et gloire ! Célébrons ce héros (Thomas Fulton, Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, Monte-Carlo, 1996)
LA DANSEUSE & LES OMBRES The Dancer and the Shadows
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J’étais tant désireux de voir le bord des ombres I was so eager to see the edge of the shadows La ligne ouverte de la nuit The open line of the night Porteuse des mauvaises nouvelles et des tendres ébats Bearer of bad news and tender lovemaking Le cœur des rêves et des chevelures épaisses de l’ennui The heart of dreams and thick hair of boredom Un ennui si grand A boredom so wide
Pardonnez-moi ! Excuse me ! Vous aviez raison ! You were right ! Le passé ne ressuscite jamais The past never resurrects M’a dit l’ange qui passait Told me the passing angel Avec flexion, flexion latérale With flexion, lateral flexion et hyper extension and hyperextension
J’ai tant prié pour voir I prayed so much to see Derrière le voile Behind the veil Derrière la porte Behind the door Devant les âmes et les morts qui se sont perdus In front of the lost souls and dead Un jour One day
Une suite de phrases et une suite de mots A series of sentences and a series of words Passent Pass J’entends le pas qui vole I hear the step that steals Et ne retombe jamais And never falls Un long pas sur l’éternité de neiges invisibles A long step on the eternity of invisible snow Sur des pointes en fuite On pointe on the run
Il est paraît-il une ombre qui chante There’s, it seems, a shadow that sings Des futurs éclatés dans des poches ouvertes Future exploded in open pockets
La cravate était bleue The tie was blue Comme une affreuse histoire Like a horrible story Sur un très vieux bacon On a very old bacon Ballottée par un vent pestilentiel Balloted by a pestilential wind Ballottée par le secret des vies Balloted by the secret of lives
Et And
Deux pas piqués, deux pas cadencés et un coup de vent Two steps pricked, two steps cadenced and a gust of wind avec un accompagnement des bras with an accompanying port de bras Et le voile se perd dans la nuit And the veil is lost in the night Que je regarde à pas de chat That I look with steps of the cat
Et And
Le dernier oiseau venait de s’effondrer The last bird had just collapsed Trop lourd Too heavy Trop rempli des restes du monde Too crowded with the remains of the world La dernière rose n’inspirait plus personne The last rose did not inspire anybody Ni rouge ni jaune Neither red nor yellow Ni grise ou blanche Neither gray or white Plus personne ne s’approchait de la mer No one was approaching the sea Plus personne ne s’approchait du sable, ni ne tentait de caresse No one approached the sand, nor attempted a caress La mer s’éloignait des côtes The sea was moving away from the coast
Comme si As if
Plus personne ne s’approchait de personne No one was approaching anyone La peur avait peur de sortir Fear was afraid to go out La vie vivait cachée Life was hidden
Quand When
Une plume A feather Une poussière de nuage A cloud dust Une trace A trace
La cravate encore bleue raya mon cœur The still blue tie has scratched my heart De souvenirs d’azur Azure souvenirs Chassés dans les confins de l’espace Hunted in the confines of space
Fragile restait la masse sur son pieu Fragile was the mass on his stake Encore Again Une main derrière le cou de l’ours A hand behind the neck of the bear promenait nus les derniers hommes sur les sommets des montagnes walked naked the last men on the tops of the mountains Ces derniers hommes portant des poubelles enflammés These last men carrying litter bins Sous des cris de guitares Under cries of guitars Désaccordées Detuned Une forme tangible et intelligible A tangible and intelligible form Présentait mon cœur serré Presented my tight heart A la face de ce qui restait du monde In the face of what was left of the world
Et puis quoi ? And then what ?
Le pied des statues restait léger The foot of the statues was light sur le perron de la mairie on the steps of the town hall Pleurant des larmes d’alcools Crying tears of alcohol et pleurant le joli mois de mai and crying the pretty month of May
Un fil entre dans le cadre A thread comes into the frame
A peine tendu barely tense
La danseuse a rejoint les deux bouts du monde The dancer has joined the two ends of the world Sans ailes et sans vent Without wings and without wind La danseuse s’est recouverte d’une longue cape The dancer covered herself with a long cloak mythologique ou non mythological or not Et sans toucher une seule planète And without touching a single planet A touché le toit du ciel Touched the roof of the sky En jetant aux dieux enivrés aux yeux étonnés Throwing to the gods intoxicated with astonished eyes Plus de miracles More miracles encore que ses yeux ne pouvaient donner Than his eyes could not give
Elle She
Enfin Finally
La danseuse a recousu les derniers fils de la dernière âme The dancer sewed the last sons of the last soul Sur des restes de toiles et des débris de corps On remains of canvases and body debris D’une grande jambe rapide From a big swift leg
La cravate dans ses mains The tie in his hands Qui évoquera la gloutonnerie des mains Which will evoke the gluttony of the hands Elle, la danseuse She, the dancer
Elle She
a jeté les mondes contre les mondes threw the worlds against the worlds Les ombres contre les ombres Shadows against shadows Moi contre toi Me against you Inondé des sombres lumières des ténèbres Flooded dark lights of darkness
Elle m’a jeté She threw me Et la peau de l’ours avec And the skin of the bear with
Depuis je plane Since I fly Sur quelques couples de mots On a couple of words Parfois un bout de phrase Sometimes a phrase Et sur de courtes respirations de si courtes intonations And on short breaths of such short intonations
Depuis je plane Since I fly Et je vois l’air que tu repousses And I see the air that you push back Et celui que tu attires And the one you attract
Depuis je plane Since I fly Dans les ombres en pirouettes infinies In the shadows in infinite whirls Je plane mais je vois I’m flying but I see L’ombre de tes pas The shadow of your steps