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L’ŒUVRE DE ANDRE MAUROIS

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LITTERATURE FRANCAISE
ANDRE MAUROIS

André Maurois
Émile Salomon Wilhelm Herzog

26 juillet 1885 Elbeuf – 9 octobre 1967 Neuilly-sur-Seine

 

L’ŒUVRE DE 
ANDRE MAUROIS

par Jacky Lavauzelle

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Claude Monet, La Promenade, La Femme à l’ombrelle, 1875

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LA FRAGMENTATION DU MOI
&
LA DERIVE DU TEMPS et DES ÊTRES

LES THEMES MAJEURS d’André Maurois

DE LA SOUDAINE JEUNESSE AUX SOLEILS DEFUNTS

UNE RECOMPOSITION DES TRAITS
ORIGINAUX DE MON MOI

UN PROUST CHIRURGIEN ET UN MAUROIS ARCHEOLOGUE

UN COMPOSITEUR MYSTERIEUX
QUI ORCHESTRE NOTRE EXISTENCE

NOS EMOTIONS LES PLUS FORTES
SONT-ELLES LES PLUS RESISTANTES ?

ET QUE MEUVENT NOS HUMEURS

UN MOI PRESENT ET UN MOI DISPARU

« NOUS RECONNAISSONS LEUR VERITE
PASSE A LA FORCE PRESENTE
DE LEURS EFFETS« 

CREER UN PASSE QUI NE FUT POINT

AU MOINS UN AIR DE VERITE,
JUSTE UN AIR

TIRER DE CHAQUE MOMENT
CE QU’IL PEUT CONTENIR D’INTENSITE

ANDRE MAUROIS
UNE CERTAINE IDEE DU MONDE

« ON SENT TOUT DE MÊME QU’ILS NE SONT PAS DE NOTRE MONDE« 

LES MALHEURS DE LA NAISSANCE

CE NE SONT PAS DES GENS
COMME NOUS

S’ELEVER DU SENTIMENT DE CASTE
AU SENTIMENT NATIONAL

ANDRE MAUROIS
OU LA MUSIQUE DANS LA NATURE

Le charme d’une musique rode, habille ou se jette sur les protagonistes dans l’œuvre d’André Maurois.

 » De la musique avant toute chose » 
(Verlaine, Art poétique)


« Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! »

 » C’est des beaux yeux derrière des voiles »
(Verlaine, Art poétique)

ANDRE MAUROIS
LA LENTE DERIVE VERS LA MER

C’est le destin, maître de tout qui dirige le mouvement. Sans libération avec lassitude, oubli, parfois résignation attendue et sereine, toujours dans l’abandon de toute volonté : « The weariest river, répétait-elle souvent, la rivière la plus lasse, j’aime bien ça…C’est moi, Dickie, la rivière la plus lasse… Et je m’en vais tout doucement vers la mer. » (Climats)

LA FEMME CAMELEON

Une femme dans l’œuvre d’André Maurois n’a aucune personnalité, ou plutôt les a toutes ; elle a la personnalité de l’homme aimé, totalement. La femme se retrouve véritable caméléon.  Elle n’est, bien entendu, plus avec Maurois déjà ce qu’elle pouvait être du temps de Molière, par exemple. Les temps ont changé.

ANDRE MAUROIS
LE CHEVALIER & LA PRINCESSE

 A l’origine était l’amour parfait, un héros, fort et titanesque, et sa belle, fragile, douce et tendre, voire larmoyante.
Le héros, Cavalier d’or, magnifique, serait le défenseur, armé et bataillant contre tous les ennemis. Comme dans toute l’œuvre de Maurois, la belle serait là, à attendre ou prisonnière, point fixe, dans sa chambre, sa tour ou son château aimantant le cavalier errant et tournoyant, défendant dans des contrées interlopes, lointaines ou non, l’honneur de sa dame.

ANDRE MAUROIS
ET LA MUSIQUE DU SENTIMENT AMOUREUX

Une vie amoureuse et symphonique
où les thèmes s’entremêlent    

L’ŒUVRE
DE
ANDRE MAUROIS

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GERMAINE RICHIER : LE MONDE DE LA METAMORPHOSE – O mundo da metamorfose

LISBOA – LISBONNE

  Germaine Richier

Museu CASLOUSTE-GULBENKIAN
MUSEU BERARDO
Germaine Richier

GERMAINE RICHIER
16 septembre 1902 – 31 juillet 1959
16 de setembro de 1902 – 31 de julho de 1959




Photo Jacky Lavauzelle




GERMAINE RICHIER
LE MONDE DE
LA METAMORPHOSE
O mundo da metamorfose

 

« Les métamorphoses sont fréquentes dans la Mythologie ; il y en a de deux sortes, les unes apparentes, les autres réelles. La métamorphose des dieux telle que celle de Jupiter en taureau, celle de Minerve en vieille, n’est qu’apparente, parce que ces dieux ne conservaient pas la nouvelle forme qu’ils prenaient ; mais les métamorphoses de Coronis en corneille, d’Arachné en araignée, de Lycaon en loup, étaient réelles, c’est-à-dire que les personnes ainsi changées restaient dans la nouvelle forme de leur transformation ; c’est ce que nous apprend Ovide, lui qui nous a donné le recueil le plus complet & le plus agréable des métamorphoses mythologiques. »
Jaucourt
Première Edition de L’Encyclopédie – 1751

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Germaine Richier
Germaine Richier La Mante Museu Berardo

Germaine Richier
Germaine Richier La Mante Museu Berardo

Germaine Richier
Germaine Richier La Grande Sauterelle Museu Calouste-Gulbenkian

Germaine Richier
Germaine Richier La Grande Sauterelle Museu Calouste-Gulbenkian

Germaine Richier
Germaine Richier La Grande Sauterelle Museu Calouste-Gulbenkian

Germaine Richier
Germaine Richier La Grande Sauterelle Museu Calouste-Gulbenkian

«Mes sujets appartiennent au monde de la métamorphose (Orage, Homme dans la forêt) ; à cet animal qui est plus qu’un animal (la Mante) – ce sont les créatures fantastiques d’une époque que nous sommes Incapables de reconnaître, mais qui est la nôtre, le monde des formes intervient sans cesse au moment de la recherche et de l’observation.»




« Meus assuntos pertencem ao mundo da metamorfose (Tempestade, homem na floresta); para este animal que é mais do que um animal (o Mantis) – são as criaturas fantásticas de um tempo que somos Incapazes de reconhecer, mas que é nosso, o mundo das formas intervém constantemente no momento da pesquisa e de observação « .

 

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MAMULENGO - MARIONNETTES BRESILIENNES - MUSEE DE LA MARIONNETTE - Museu da Marioneta***************************************
MUSEU CALOUSTE-GULBENKIAN
MUSEE CALOUSTE-GULBENKIAN
Av. de Berna
LISBOA – LISBONNE

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Museu Coleção Berardo
MUSEE BERARDO
Belém – Centre culturel de Belém
Praça do Imperio
LISBOA – LISBONNE

GERMAINE RICHIER

André MAUROIS La Fragmentation du moi

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 André MAUROIS

André Maurois & La fragmentation du moi Artgitato
LA FRAGMENTATION DU MOI
&
LA DERIVE DU TEMPS et DES ÊTRES

1/ LES THEMES MAJEURS d’André Maurois

A l’image de Mme Fontanes qui a « démonté toutes les pièces du mécanisme intellectuel de son mari » (Les Roses de septembre),  nous tenterons de démonter et de remonter une partie des  rouages et des pièces de l’œuvre d’André Maurois.

Les thèmes majeurs dans l’œuvre de Maurois se dessinent évidemment : une fragmentation, une métamorphose, une dérive de l’être dans le temps, une description d’une société monadique, de castes, l’importance des femmes, de la nature ou encore l’importance de la musique, de la simple voix flûtée à la symphonie endiablée, dans de nombreux descriptifs, l’importance apportée aux paysages dans la structuration d’une pensée ou dans la naissance d’une émotion, dans l’amour de certains lieux qui reviennent en boucle : la Normandie, l’Angleterre ou l’Italie.

2/ DE LA SOUDAINE JEUNESSE AUX SOLEILS DEFUNTS

Un des thèmes revenant constamment dans son œuvre : le temps, la durée, la mémoire, en somme, l’être ou l’âme, le moi dans le temps, et sa transformation dans ce passé mystérieux.

Déjà la seule maîtrise de notre être présent semble complexe. Notre être présent, là, que nous voyons à travers le miroir, nous étonne, nous déstabilise et nous questionne. Nous rajeunissons, nous vieillissons parce que ce que nous vivons dans l’instant est gai ou douloureux. En une fulgurance, le temps se joue de nous : « Fontane, dans une glace accrochée au mur, aperçut leurs deux visages et fut frappé par la soudaine jeunesse du sien. Ses yeux brillaient  et un air de sérénité semblait effacer les deux plis profonds de sa bouche. » (Les Roses de septembre)

Pour que, peu de temps après, Fontane retrouve son âge réel, peut-être même encore un peu plus vieux, avachi, cassé, déformé et abattu par la foudre des sentiments qui retombe : « En remontant l’escalier du Granada, Fontane sentit soudain qu’il était de nouveau un vieil homme. Son humeur avait changé brusquement, comme ces places de village qu’a transfigurées, un instant l’éblouissement d’une fête et qui se retrouvent, après les dernières fusées, sombres et pauvres, parmi les carcasses des soleils défunts. Il éprouvait de l’humiliation, de la honte et de la fureur. « La même phrase ! pensait-il, et sur le même ton…Ah ! Comédienne !… » (Les Roses de septembre)

3/ UNE RECOMPOSITION DES TRAITS
ORIGINAUX DE MON MOI

Ce passé, ni imprévisible, ni aléatoire, puisque succession de moments vécus ou d’impressions, s’organise, se restructure et se recombine pour devenir autre, pour finir dans l’oubli, ou devenir obsessionnel. Cette recombinaison en tout cas bouleverse totalement notre moi, voire finalement le change, à devenir à terme un autre moi.

A chaque moment, nous penserons à Proust. Cette dissolution et cette recomposition rapide de l’être, comme dans un Amour de Swann : « il suffisait que…mon sommeil fût profond et détendît entièrement mon esprit ; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m’étais endormi et, quand je m’éveillais au milieu de la nuit, comme j’ignorais où je me trouvais, je ne savais pas au premier instant qui j’étais ; j’avais seulement…le sentiment de mon existence comme il peut frémir au fond d’un animal ; j’étais plus dénué que l’homme des cavernes ; mais alors le souvenir – non encore le lieu où j’étais, mais de quelques-uns de ceux que j’avais habités et où j’aurais pu être- venait à moi comme un secours d’en haut pour me tirer du néant d’où je n’aurais pu sortir tout seul ; je passais en une seconde par-dessus des siècles de civilisation, et l’image confusément entrevue de lampes à pétrole, puis de chemises à col rabattu, recomposaient peu à peu les traits originaux de mon moi»  (A la Recherche du temps perdu, I).

UN PROUST CHIRURGIEN ET UN MAUROIS ARCHEOLOGUE

Dans Proust, le temps du changement est un temps court, celui d’une nuit, de la seconde. Proust opère en chirurgien. Maurois en observateur astronome, loin ; en regardant les grands bouleversements, tel un géologue. L’être, au fil du temps, se niche tout au long de sa vie écoulée, au fil d’un passé qui grandit, comme un arbre, cumulant ses cernes et ses anneaux ou comme une tortue portant  une carapace de plus en plus lourde, il souhaite parfois vouloir s’en débarrasser. Heureux sont les homards…

« Voyez-vous, mon ami, nous sécrétons, en cinquante ou soixante ans, une carapace d’obligations, d’engagements, de contraintes si lourde que nous ne pouvons vraiment plus la porter…Moi, j’en suis accablé…Les homards, eux, se réfugient de temps à autre dans un trou du rocher et font cuirasse neuve. Sans doute est-ce d’une métamorphose, ou d’une mue dont j’aurais besoin… » (Les Roses de septembre)

4/ UN COMPOSITEUR MYSTERIEUX
QUI ORCHESTRE NOTRE EXISTENCE

Les lignes, les cernes et les anneaux du temps ne sont, pour autant, ni linéaires ni égales dans leurs tailles. Les plus vieilles ne sont pas nécessairement les plus vite oubliées. Nos souvenirs et nos êtres sont entre les mains de ce « compositeur mystérieux qui orchestre notre existence »(Climats).

La densité du temps. Certaines secondes valent des années. Des existences se concentrent dans la force d’une émotion. Un temps qui se contracte ou se dilate, se remplit ou se vide comme une outre de tout ce qui l’entoure, comme le décrit Proust : « Une heure n’est pas une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément » (A la Recherche du temps perdu, III) ou encore « les mesures du temps lui-même peuvent être pour certaines personnes accélérées ou ralenties. » (III). Amnésie, hypermnésie, paramnésie,… fausse mémoire, vraie reconnaissance, distraction de l’être, cheminement :

DES JOURS QUI VALENT DES ANNEES

« En ces quelques semaines, j’ai plus vécu là-bas qu’en ma vie toute entière. Comment mesurer la longueur d’un temps aboli sinon par la quantité d’images laissés par lui en notre esprit ? Chacun des jours passés avec Dolorès vaut, dans ma mémoire, une année. » (Les Roses de septembre). Comme si le plaisir se détournait du temps, s’en soustrayait. Ce passage nous rappelle celui de la Recherche : « c’était peut-être bien des fragments d’existence soustraite au temps, mais cette contemplation, quoique d’éternité, était fugitive. Et pourtant, je sentais que le plaisir qu’elle m’avait…donné dans ma vie était le seul qui fût fécond et véritable » (A la Recherche du temps perdu, III)

5/ NOS EMOTIONS LES PLUS FORTES
SONT-ELLES LES PLUS RESISTANTES ?

Nous sommes néanmoins aujourd’hui, la somme, plus ou moins,  des expériences de notre passé. Pour ne plus être, il suffirait d’oublier dans sa totalité ce temps, peut-être en s’enfonçant dans le bleu d’un verger.

« J’ai l’impression que si nous nous enfoncions dans ce verger bleuâtre, vous et moi, nous y oublierions le passé et ne reviendrions jamais sur terre. Le Léthé doit couler tout près d’ici. » (Les Roses de septembre)

D’abord le naître et l’être ; un être puis un autre lié à la défragmentation du précédent, et ensuite un être différent, un plus d’être, jusqu’au plus d’être du tout dans un dernier final. Quel est notre moi fondamental ? Qu’est ce qui fait que nous sommes toujours un peu le même ? Le jeune homme que nous étions et l’homme que nous sommes sont-ils encore un peu les mêmes ?

« Or l’homme que vous rencontrez dix ans, vingt ans plus tard, est celui d’un temps M’, M’’ ; il n’y a plus en commun, avec l’auteur de votre livre bien-aimé, que des souvenirs d’enfance, et encore… » (Les Roses de septembre)

« Nos émotions les plus fortes meurent, ne trouvez-vous pas ? Et on regarde la femme qu’on était il y a trois ans avec la même curiosité et la même indifférence que si elle était une autre. » (Climats)

« Peut-être parce que je suis devenue, pour ma fille, trop différente de la femme que font renaître ces souvenirs… » (L’Instinct du bonheur)

6/ ET QUE MEUVENT NOS HUMEURS

Des êtres morcelés en puzzles irréguliers, donc inconstants et changeants, et infidèles. L’être qui parle qui pense n’est fidèle qu’à cet être là, le temps du présent. Comme le disait Montaigne : « Chaque jour nouvelle fantaisie et se meuvent nos humeurs avec les mouvements du temps »

« Je ne comprends pas du tout qu’elle importance à la fidélité, avait-elle dit avec une diction martelée qui donnait toujours à ces idées un air abstrait et métallique. Il faut vivre dans le présent. Ce qui est important, c’est de tirer de chaque moment ce qu’il peut contenir d’intensité. On y arrive que de trois manières : par le pouvoir, le danger ou par le désir » (Climats)

7/ UN MOI PRESENT ET UN MOI DISPARU

En fait, cette métamorphose engendre des actions qui ne sont, peut-être, plus les nôtres et donc rend possible le pardon de l’autre pour ses actions répréhensibles.
Tout devient possible. « Supposez que demain, je chasse théâtralement de Preyssac Valentine que j’aime et qui m’aime, Valentine qui peut-être, il y a vingt ans, a été coupable et imprudente, mais qui n’est plus la même femme, qui se souvient à peine de ses actions de ce temps-là et de leurs causes réelles… » (L’Instinct du bonheur)

« L’homme qui regrette n’est plus l’homme qui a été coupable. Et ce n’est certes pas moi qui reprocherai à votre Moi présent et purifié les erreurs de votre Moi disparu. » (Ariel ou la vie de Shelley)

Le passé n’est plus. Il n’est déjà plus réel. Sans être encore un rien du tout. Il se réveille, comme dans la madeleine proustienne, où parfois-même se révèle dans une profondeur encore insoupçonné. Il suffit parfois de rencontrer un espace familier, une odeur particulière ; il nous renverra immédiatement dans un autre temps oublié, en rendant présent ce qui est, pour l’heure absent. Comment s’opère ce choix dans notre cerveau entre les images et les impressions qui resteront et les autres. Pourquoi des périodes entières meurent pour renaître et souvent meurent à jamais dans un total oubli. Rappelons-nous l’image proustienne des portes : « si nos souvenirs sont bien à nous, c’est à la façon de ces propriétés qui ont des petites portes cachées que nous-mêmes souvent ne connaissons pas. » (A la Recherche du temps perdu)

« Pourquoi certaines images demeurent-elles pour nous aussi nettes qu’au moment de la vision, alors que d’autres en apparence plus importantes, s’estompent puis s’effacent si vite ?» (Climats).

« Voyez mon cas : oui, il y a eu dans ma vie une affreuse tragédie, mais parce qu’elle est toujours restée muette, elle est maintenant comme étrangère…Et il faudrait la réveiller ? Commencer entre Valentine et moi, un dialogue douloureux qui ne finirait plus qu’avec notre mort ? » (L’Instinct du bonheur)

8/ « NOUS RECONNAISSONS LEUR VERITE
PASSE A LA FORCE PRESENTE
DE LEURS EFFETS« 

Il n’y a pas, nous le savons bien, une chronologie des événements. Un autre ordonnancement s’opère, mystérieux, magique.

« Les souvenirs de l’enfance ne sont pas, comme ceux de l’âge mûr, classés dans le cadre du temps. Ce sont des images isolées, de tous côtés entourées d’oubli, et le personnage qui nous y représente est si différent de nous-mêmes que beaucoup d’entre elles nous paraissent étrangères à notre vie. Mais d’autres ont laissé sur notre caractère des traces à ce point ineffaçables que nous reconnaissons leur vérité passée à la force présente de leurs effets. » (Le Cercle de Famille).

Cette jeunesse nous paraissais interminablement longue et monotone, souvent ennuyeuse ; et pourtant, il ne reste que quelques images, quelques photographies, rochers dans un océan immense informe.

« Quand je relis mon journal de jeune fille, j’ai l’impression de voler dans un avion très lent au-dessus d’un désert d’ennui. Il me semblait que je n’en finirais jamais d’avoir quinze ans, seize ans, dix-sept ans. « (Climats)

9/ CREER UN PASSE QUI NE FUT POINT

L’être du passé n’est plus, n’est pas, l’être présent. Rien n’interdit alors de faire de cet être, un être inventé, changeant, au gré des désirs et de notre volonté, ou d’une cristallisation amoureuse : « – Comme je suis bien ! dit-elle…Il me semble que je t’ai toujours connu…-L’amour, dit-il, créé, comme par magie, les souvenirs d’un passé merveilleux qui ne fut point. »(les Roses de septembre)

 « Je vous ai dit qu’elle vivait surtout dans l’instant présent. Elle inventait le passé et l’avenir au moment où elle en avait besoin puis oubliait ce qu’elle avait inventé. Si elle avait cherché à tromper, elle se serait efforcée de coordonner ses propos, de leur donner au moins un air de vérité ; et je n’ai jamais vu qu’elle s’en donnât la peine. Elle se contredisait dans la même phrase » (Climats)

Invention ou failles dans la mémoire, les failles sont parfois si nombreuses, que l’être sans trouve chamboulé. Qu’est ce qui est vrai ? Quelles sont les images, les sensations que nous possédons vraiment en les ayant vécus totalement. Quelle part pour le rêve ?

« Oublier le passé…Que cela paraît difficile, impossible, et que c’est facile si le décor de la vie change entièrement !…A partir de 1919, nous sommes venus vivre dans ce pays, où notre histoire était ignorée. Je vous assure que souvent, au cours de ces dernières années, je mes suis demandé si cette histoire était vraie. Qu’étais Martin-Buissière ? Un fantôme, le souvenir d’un rêve. » (L’Instinct du bonheur)

10/ AU MOINS UN AIR DE VERITE,
JUSTE UN AIR

Cette lecture de notre mémoire n’est, bien entendu, pas nécessairement mytho-maniaque, mais en tout cas elle permet aussi d’éviter le vulgaire, le commun  donc l’ennui :

« Elle disait : « Qu’est-ce que c’est que la vie ? Quarante années que nous passons sur une goutte de boue. Et vous voudriez qu’on perdît une seule minute à s’ennuyer inutilement » (Climats)

« Je vous ai dit qu’elle vivait surtout dans l’instant présent. Elle inventait le passé et l’avenir au moment où elle en avait besoin puis oubliait ce qu’elle avait inventé. Si elle avait cherché à tromper, elle se serait efforcée de coordonner ses propos, de leur donner au moins un air de vérité ; et je n’ai jamais vu qu’elle s’en donnât la peine. Elle se contredisait dans la même phrase » (Climats)

Tout s’opère, se mélange, le vrai, l’avoué, le passé décoré, les images qui s’imposent, et partent aussi rapidement, dans des rythmes différents. Mais au final, tout va si vite.  

«En marchant, je vois passer ma vie, comme les personnages des films. Elle me semble une toute petite chose. Je pense que ma vraie jeunesse, celle où l’on croit encore à la réalité d’un univers féérique, est finie. Comme cela a été vite. » (Le Cercle de Famille).

« -Ah ! Monsieur Schmitt, vous autres incrédules, vous êtes comme les éphémères qui dansent au soleil et ne pensent pas qu’ils seront morts le soir ». (Le Cercle de Famille)

11/TIRER DE CHAQUE MOMENT
CE QU’IL PEUT CONTENIR D’INTENSITE

Une  possibilité pour stopper ces mouvements virevoltants du temps c’est s’ancrer très fort dans l’immédiateté du présent, sans imagination, ni création, presque dans une vie animale. 

« Ce jour-là, pour Odile, la vie c’était une tasse de thé, des toasts bien beurrés, de la crème fraîche, c’est peut-être que les uns vivent surtout dans le passé et les autres seulement dans la minute présente » (Climats)

 « Je ne comprends pas du tout qu’elle importance à la fidélité, avait-elle dit avec une diction martelée qui donnait toujours à ces idées un air abstrait et métallique. Il faut vivre dans le présent. Ce qui est important, c’est de tirer de chaque moment ce qu’il peut contenir d’intensité. On y arrive que de trois manières : par le pouvoir, le danger ou par le désir » (Climats)

L’être dans cette dérive du temps, de fait tout en se défaisant. Comme une petite pièce de notre présent qui pourrait à elle-seule transformer radicalement l’ensemble de notre être sur lequel elle se pose. Nous voguons dans le mystère des choses et,

O mysterio das cousas, onde esta elle ?
Onde esta elle que nao aparece
Pelo menos a mostrar-nos que é misterio?
(Fernando Pessoa, Poèmes de Alberto Caeiro, XXXIX)

Jacky Lavauzelle

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FOERSTER : L’EFFROI DE LA BANDE-DESSINEE – du malheur à la terreur

BD
FOERSTER

Foerster La petite maison dans la clairière FG260_Insectes détailDu Malheur…
…A la Terreur

Foerster Momie G225 détail avec la mort

 

 

 

 

 

 

 

 

La métamorphose
d’une vengeance

Foerster la planque FG130 Saturne dévorant son fils (2)

LE CYCLE DES MALEDICTIONS

Les métamorphoses de Foerster ne sont pas des camouflages. Pas de volonté de tromper
a
utrui. Ils peuvent comme les dieux se faire passer pour un autre en substituant les formes et les apparences. Les Dieux se transformaient pour séduire et tromper les êtres à conquérir. Dans Foerster, la séduction n’existe pas ! Dans La Planque, Saturne prend la place du Christ en croix, non pour séduire mais pour se cacher et dévorer sa progéniture. Il ne se métamorphose pas, il se planque. Il est là, Saturne dans sa nature divine déchue. L’histoire reste monstrueuse. Mais souvent dans Foerster, la vie n’est qu’une lutte atroce, à l’écart des autres, prise dans un cycle de malédictions.

Foerster La forteresse volante FG292 L'ogre
Par contre, Foerster n’aurait rien contre placer ses personnages dans une des cercles de l’Enfer. Car tous ces faussaires qui singeaient le monde (‘com’io fui di natura buona scimia’ (« Comme je fus bon singe de la nature »

– Dante, l’Enfer, XXIX, 139, trad. Jacqueline Risset)), la ‘Mira scellerata’, ‘l’anima trista de Guido’, ‘falso Sinon greco di Troia’, se retrouvent ‘par febbre aguta gittan tanto leppo’ (« par fièvre aiguë, ils fument en puant » XXX, 98), dans ce lieu où ils s’entredéchirent : ‘e in sul nodo del collo l’assanno, si che, tirando, grattar li fece il ventre al fondo sodo’ (« Et lui planta ses crocs au nœud du cou, si fort qu’elle lui fit gratter le sol avec le ventre » (XXX, 28-30). Cette anthropophagie a tout d’une description foersterienne.

UN DELUGE D’ATROCITES

Ces personnages sont déjà déformés dès le commencement de l’histoire : les yeux, les dents, le haut du crâne sont amplifiés, exorbitants. La métamorphose n’a pourtant pas commencé. Elle n’en sera que plus marquante. Le challenge est de faire d’une situation glauque et malheureuse un véritable enfer avec un déluge d’atrocités.

Pourtant dans autant de laideurs, la beauté existe. Dans La Planque (Fluide Glacial 130), la mère dans son ravissement devant tant de créatures merveilleusement laides, les compare : « Ah !…Mon petit Eugène ! Que tu es dodu ! Que tu es beau !…Potelé à souhait ! Une vraie merveille ! Papa

Foerster La Planque FG130 personnages

sera ravi !! Vous deux aussi !…Mais c’est Eugène le plus beau !! Et le plus laid, c’est toujours toi, Alphonse…Toujours aussi maigre ! ». Bien sûr les enfants sont élevés comme des cochons pour être mangés, mais par le Père, un Saturne qui prend les pauses du Christ afin de ne pas être découvert par les humains, comme Jupiter « qui se cache dans une centrale électrique…Quant à Vénus, je ne te dis pas ce qu’elle fait ce serait indécent…Neptune a trouvé une cachette au Musée de la Marine…Il y est déguisé en figure de proue… »

BIENVENUE AU MUSEE DES HORREURS

Les personnages de Foerster sont, avant la métamorphose, dans le sommeil, possédant une imagination forte, délirante et débridée, dans un cadre sordide et répugnant, carcéral. Souvent une rencontre inquiétante, un endroit isolé, un sorcier rencontré, une magie ancestrale, une histoire de famille mal cicatrisée, des rapports haineux…. Ces univers nous plongent dans des vengeances, toujours plus terribles chez Foerster, implacables, multiplicatrices, exponentielles. La haine et la rancœur  se nourrissant elles-mêmes des fureurs engendrées.
Le pouvoir magique ou maléfique est à peine sous contrôle au départ. Puis tout déraille, laissant le mouvement s’accélérer et arriver une absence de contrôle, tel un train partant de la gare et accélérant toujours plus pour enfin exploser et se désintégrer.

Foerster La Maladie de la Mouche Folle FG253 (2)

La transformation subie immédiate comme celle de Grégoire Samsa en bousier un matin dans sa chambre arrive dans La Maladie de la Mouche Folle (Fluide Glacial 253). Une transformation sans raison apparente. L’homme s’est couché comme tous les soirs. Ce matin là tout a changé sans raisons ni causes. Grégoire est là avec sa transformation achevée, grotesque dans ce lieu inapproprié. C’est cette métamorphose qui ouvre le roman.

 « Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine…les pattes de Grégoire, pitoyablement minces pour son gros corps, papillotaient devant ses yeux…Ce n’était pourtant pas un rêve … Il avait beau essayer de se jeter violemment sur le flanc, il revenait toujours sur le dos avec un petit mouvement de balançoire. Il essaya bien cent fois, en fermant les yeux pour ne pas voir les vibrations de ses jambes, et n’abandonna la partie qu’en ressentant au côté une sorte de douleur sourde qu’il n’avait jamais éprouvée. » (Franz Kafka, La Métarmophose). Kafka nous place dans ce comique de situation qui dédramatise d’emblée l’histoire. Les mouvements répétés de cette balançoire disproportionnée et déplacée dans cette chambre précède le traumatisme de la douleur et la découverte des sensations intimes de Grégoire. Chez Foerster, une identique dérision de l’horreur devant le cri strident de sa femme : « Oh, ça va, on le sait que j’ai mauvaise haleine au réveil ! »

 

Foerster Le Jour où Charlotte plut FG211, le retour des limaces

Foerster Le Jour où Charlotte plut FG211, transformationEXTRAIT PUANT DE
FLATULENCE DE CAFARD !

Dans Le jour où Charlotte plut (Fluide Glacial n°211), Charlotte a ingurgité « une potion qui, d’après lui (un sorcier indien), lui garantissait que la mort n’aurait de prise sur elle ». D’abord, l’enfant qu’il a avec Charlotte, Josiane. Elle finit par ressembler tellement à sa mère que Maurice s’aperçoit que Josiane et Charlotte sont une seule et même personne .
Maurice, le mari en est certain : « Josiane n’était pas ma fille. C’était Charlotte elle-même !! Cette idée m’était insupportable…J’en arrivai à la seule solution envisageable… ». Après avoir été découpée, trempée dans l’acide, son squelette suspendu dans le placard,  Charlotte se remet à vivre.
N
ouvelle apparition, nouveau découpage, acide double dose.
A nouveau Maurice « reprend sa besogne de boucher. »
Rien n’y fait, elle revient de plus en plus déformée, effrayante, vengeresse sous forme de milliers de limaces gorgées de l’acide ingéré, qui finiront par tuer Maurice qui laissera son squelette dans l’armoire.
« Sacré Charlotte toujours le dernier mot !!! »

Jojo, le petit enfant d’Œil pour Œil (Fluide Glacial n°213) est terrorisé dans son lit. Pour ses parents, bien entendu, il ne peut s’agir que d’un cauchemar, « Jojo ! Sois sage ! Si on te dit qu’il n’y a rien, c’est qu’il n’y a rien ! Un point c’est tout !!…Fais de beaux rêves ! ».Jojo terrorisé voit apparaître un œil avec un lambeau de peau.

Foerster Oeil pour Oeil FG 213 le départ de l'oeil


C’est certain, il est en plein mauvais rêve!

Sa mère nous confie alors le terrible secret de famille que le père semble avoir confiné dans un coin sombre de sa mémoire :
« tu sais bien…que son jumeau a encore survécu quelques heures après leur naissance…parce qu’il était doté d’un 
minuscule résidu d’organisme qui le lui permettait…S’il avait survécu !? »
C’est certain, nous sommes dans une nouvelle réalité.
L’œil vient se venger sur Jojo qui l’a

Foerster Oeil pour Oeil FG 213 Final

abandonné. Jojo et l’œil : « Mais j’y peux rien, moi ! J’étais un bébé !!…J’ai besoin de compagnie. Frérot ! Faudra m’excuser si ça fait un peu mal !! ».

Jojo meurt.
Le bruit réveille les parents. Les deux yeux font la révérence devant les deux parents médusés :

« Fallait pas vous déranger pour moi ! Je fais que passer ! J’avais juste un truc à prendre !… Que la nuit vous apporte de beaux rêves !»

TU SOUFFRIRAS MILLE MORTS !

La femme, battue par un mari qui « voulait voir personne… (et) vivre dans l’ancien temps », de Mille Morts (Fluide Glacial 217) a aussi eu un carnet par une sorcière, sa mère elle-même, « J’étudie chaque jour en cachette…Et un d’ces quat’, tu verras que je saurai m’y prendre, moi aussi ! Alors, ton père, il verra ce que je peux faire…Il n’osera plus m’ toucher…’Encore un peu de patience’ elle disait…Mais en attendant, elle prenait dérouillée sur dérouillée…Et, un jour, se réserve de patience se trouva épuisée… »…elle se pendit.Elle laisse une lettre de vengeance

Foerster Mille Morts FG 217 les pendus P'pas (2)

ferme et terrible : « Jeannot, t’as jamais été qu’un immonde salopard ingrat…Mais tu paieras…Tu souffriras mille morts. On te le promet, moi, la mémé et ses amis de derrière les choses !! » et c’est maintenant au tour du fils de prendre les fortes trempées du père… « en attendant, c’est sûr que les rossées, maintenant c’est pour moi… » Puis plein de petits arbustes se mettent à pousser dans la clairière autour de la maison… « En quelques jours, ils sont devenus très grands…de vrais arbres c’est dev’nu…avec des sortes de lianes…C’est au bout d’la semaine qu’on a pigé… » Les lianes tendent des pièges au pépé qui est maintenant le chassé. Un jour arriva… « Avec P’pa qui s’balançait…Puis les p’tits oiseaux sont arrivés… » Du pendu au squelette. Le petit, seul, l’enterre avec une croix fabriqué avec des vieilles branches pourries. Mais la croix se transforme en un arbre puissant et fort qui portera bientôt des fruits qui seront autant de papis par centaines… « Bientôt, tous ces P’pas se sont mis à gigoter et à faire toutes sortes de bruits pour que je les détache…Nan ! j’vous touch’rai pas, saletés ! ». Ces fruits se feront becqueter par les oiseaux…jusqu’à l’année prochaine…indéfiniment…la vengeance sera éternelle.

LA REALITE TE RATTRAPERA TOUJOURS !

Popol, (Fluide Glacial n°220) est un petit garçon « d’un naturel rêveur mais aussi craintif que peu énergique », est le souffre-douleur des

Foerster Popol FG 220 les dents

autres garçons bagarreurs. Une petite fille lui propose une sucette magique « suce-là deux fois en pensant très fort à deux dents …et à ce que te dit ton papa !!! » Arrivé à la maison, son papa lui dit : « je vais devoir te répéter le même refrain : c’est de toi et de toi seul que peut venir la réaction…la réalité te rattrapera toujours… » Les dents de Popol se mirent à pousser, devenant de vraies défenses d’éléphants. Les autres enfants, bien entendu, se moquent de ce bébé-éléphant. Il se rebiffe en fonçant tête-bêche…et tuant l’un d’entre eux… Il revient dans la maison où l’avait emmené la petite fille. Il rencontre son père, devant le porche d’une maison abandonnée en ruine :  « Popol, voyons. Il n’y a jamais eu de Jocelyne ici…t’as toujours eu beaucoup trop d’imagination, fiston ! Tu prends tes désirs pour des réalités !! » Popol se cache dans cette maison avec sens dents qui ne cessent de pousser, de pousser. « Notre joie fut de courte durée…les dents continuaient de pousser…toujours et toujours…Popol se mettait dans l’incapacité de nuire…Il s’incarcérait lui-même…Popol un petit garçon qui avait une dent contre lui-même… »

Foerster Histoire Belge FG236 arbre

 

Foerster Histoire Belge FG236 maison

Foerster La forteresse volante FG292 L'ogre et la lune (2)

Foerster La petite maison dans la clairière FG260_Insectes le phasme

Foerster Pub! FG318 _lapin

VERS L’ETERNELLE MALEDICTION DANS D’ATROCES SOUFFRANCES

Le personnage foerstien dans sa métamorphose, et cela est vrai de toutes les métamorphoses, un autre avec la même identité, révèle sa véritable entité par la révélation de l’atrocité qui l’empêche d’être réellement.
La différence dans la continuité.
Mais la vengeance entraînera tout. Et le malheur qui ouvre l’histoire finira  dans la terreur et la désolation.

Notre métamorphose est une dégradation de l’individu qui en appelle à ses instincts les plus profonds et refoulés.
L’homme devient insecte, œil, lambeau, vers, limace.

Le filtre qui aidera le personnage dans sa vengeance, le poison, la dent, etc. le possédera à son tour.

TANT BIEN QUE MAL

Il y aura souvent la mort, mais une mort renouvelée et incessante au bout du bout. Ta dernière seconde sera sans cesse vécue, encore et encore.

Foerster utilisera le monde végétal et encore plus souvent le monde animal, les insectes notamment. Foerster 13 002

Périr, souffrir, manger, être manger. Un cadre de violence et d’instinct de la famille ou de l’intime, par nature sécurisant…

 Les personnages tentent de faire, de se faire, justice, avec les moyens du bord, tant bien que mal.  

« Ca paraît un peu bébête si on ne se donne pas la peine d’approfondir. Ca veut dire la justice mais c’est plutôt que tous se mangent les uns les autres. Et en fin de compte c’est la vie ni plus ni moins. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Il a des yeux au bout des doigts. » (James Joyce, Ulysse, trad. Auguste Morel)

Jacky Lavauzelle

L’ENFER de Henri BARBUSSE : ET LE CHEF D’ŒUVRE A FAILLI…

Henri BARBUSSE

1873-1935
L’Enfer

Henri BARBUSSE L'ENFER (2)

 

 

 

 

 

 

Et le CHEF D’ŒUVRE a failli …

L’Enfer reste une œuvre amputée. Amputée d’un trop plein. Amputée d’une trop grande ambition. Quand Barbusse nous embarque en Enfer, il nous prend, totalement, carrément, dans le premier chapitre, à nous donner l’ivresse, la saoulerie de cette nouveauté artistique, à nous faire oublier le beau et nous faire découvrir le désir, à nous dissimuler les corps pour inventer le corps.

LA PLUME GONFLEE DE DESIR

Nous ne nous y attendons pas, nous partons dans un marathon sprinté de bout en bout, d’une plume qui gonfle et enfle. L’idée, c’est la faille, l’ouverture vaginale, le mur qui ne sépare plus. Le narrateur devient voyeur, tout puissant, divin. Le vide du néant se remplit. Et ce plein envahit la chambre, puis la ville et le monde. Il encercle nos cœurs de lecteurs dans le battement des rideaux et fait battre nos cils par les éclats de lumière de cette chambre d’à côté.

J’AI LE CERVEAU MALADE

Certains ont écrit des chefs d’œuvre inachevés, Barbusse a achevé, dans le sens de tuer, le sien. Partir aussi léger et arriver aussi pataud, presque crotté. Il est passé à côté des œuvres comme celles de Kafka ou de Céline, avec une même puissance, une même envie. Mais c’est un roman de jeunesse, écrit à trente-cinq ans, son premier roman et Barbusse a voulu tout mettre, de la poésie, de la littérature, de la philosophie, des sciences. Et à vouloir composer une œuvre unique, englobant le savoir, ce qu’il a failli faire, il a écrit une œuvre désormais quasiment oubliée. Une volonté de réaliser la somme que réalisera Céline en 1932 avec son Voyage. Il aurait pu créer ce voyage immobile au cœur de la faille. Un style novateur aussi, en cette année 1908, sept ans avant la parution de la Métamorphose de Kafka, avec un style descriptif très similaire. « Je reprends mon équilibre par un effort de volonté…Alors, j’entends un chant murmuré tout près de mon oreille. Il me semble que quelqu’un, penché sur mon épaule, chante pour moi, pour moi seul, confidentiellement. Ah ! une hallucination…Voilà que j’ai le cerveau malade… C’est la punition d’avoir pensé tout à l’heure. Je suis debout, la main crispée sur le bord de la table, étreint par une impression de surnaturel ; je flaire au hasard, la paupière  battante, attentif et soupçonneux. Le chantonnement est là, toujours ; je ne m’en débarrasse pas. Ma tête se tourne…Il vient de la chambre d’à côté…Pourquoi est-il si pur, si étrangement proche… » A la nuance près que Kafka a su donner de la normalité à l’impossible et que Barbusse va donner de l’extraordinaire à la banalité.

Dans le rythme effréné, de ces rencontres visuelles et olfactives du début, nous nous heurtons, au tiers du roman, à une montagne, le chapitre VIII. Une montagne de discours, une suite de raisonnements grandiloquents dans un couple. Le roman continue de plus belle, verbeux et lourd, pesant, indigeste. Notre souffle est coupé. Désarçonnés, nous ne comprenons plus. Nous attendons la suite, grisés par le rythme précédent.

Nous nous pencherons donc sur la première partie du roman, époustouflante, généreuse et novatrice. Un roman à redécouper, à reprendre de fond en comble. Garder les sept premiers chapitres, le dernier, le dix-septième, et des dix chapitres intermédiaires en recomposer un ou deux. Un peu comme certains ont recomposé le Capital de Marx avec un sens de lecture, en précisant les articles les plus indigestes.

L’ANEANTISSEMENT DE LA LEGERETE INITIALE

Le roman entame une introspection qui dénature la volatilité et la légèreté du roman lui-même. « J’irai dans la terre », « je me plonge dans le détail », « je revois des faces dans le de profundis du soir, émerger comme des victoires suprêmes », Les questions aussi légères que : « la science…Qu’est-ce que la science ? Pure, c’est une organisation de la raison par elle-même ; appliquée, c’est une organisation de l’apparence » ; Des propos à base philosophique comme : «  la méditation était la même chose que moi ; elle prouvait la grandeur de la pensée qui la pensait, et pourtant elle disait que l’être pensant n’est rien. Elle m’anéantissait, moi qui la créais ! »

UNE CHUTE INFINIE

L’ensemble dans un moment de chute qui n’en finit pas : « j’ai l’air de marcher ; mais il semble que je tombe. » Et toujours avec de nombreuses discussions interminables : « la conversation des invités se centralise en un petit clan où l’on baisse légèrement la voix ; on parle du maître de maison. » Des discussions irréelles, tellement lourdes  dans le quotidien d’une conversation.

Mais les sept premiers chapitres sont d’une grâce et d’une majesté voluptueusement érotique. Quand nous prenons la barque de l’Enfer, Barbusse ne nous livre rien d’emblée. « L’hôtesse, Madame Mercier, me laissa seul dans ma chambre, après m’avoir rappelé en quelques mots tous les avantages matériels et moraux de la pension de famille Lemercier. » Nous sommes encore dans un roman réaliste du siècle passé. Quand arrive la chambre, la fameuse chambre, théâtre des observations, et nous montons dans notre cage.

LA CHAMBRE EST USEE

Le lieu ordinaire que constitue cette chambre n’a aucun charme, « la chambre est usée, il semble qu’on y soit indéfiniment venu. Depuis la porte jusqu’à la fenêtre, le tapis laisse voir la corde ; il a été piétiné, de jour en jour, par une foule…Cette chambre, on la retrouve à chaque pas. C’est la chambre de tout le monde. On croit qu’elle est fermée, non : elle est ouverte aux quatre vents de l’espace. Elle est perdue au milieu des chambres semblables, comme de la lumière dans le ciel, comme un jour dans les jours, comme moi partout. » Le narrateur va donner de ce lieu presque public une nouvelle dimension, il va découvrir le pouvoir de cet endroit, de sa magie, de sa spiritualité. Un lieu qui va transformer notre narrateur, personnage quelconque, « si chacun était comme moi, tout irait bien»,  en le divinisant. La nouvelle naissance aura lieu prochainement.

AU CONTACT DE L’HOMME, LES CHOSES S’EFFACENT

Le premier chapitre décrit le vide, le néant. Le néant des lieux comme du personnage.  De l’ordinaire au rien. « Tout cela m’était inconnu ; comme je connaissais tout cela, pourtant : ce lit de faux acajou, cette table de toilette, froide, cette disposition inévitable des meubles et ce vide entre ces quatre murs… »

Le lieu s’est effacé, «  au contact des hommes, les choses s’effacent, avec une lenteur désespérante. Elles s’obscurcissent aussi. » Le narrateur, aussi, semble être resté trop souvent, trop longtemps, au contact des hommes, passant du trop-plein de sa jeunesse, qui submerge de son être, au vide du temps présent. « Je me souviens que, du temps où  j’étais enfant, j’avais des illuminations de sentiments, des attendrissements mystiques, un amour maladif à m’enfermer en tête-à-tête avec mon passé. Je m’accordais à moi-même une importance exceptionnelle ; j’en arrivais à penser que j’étais plus qu’un autre ! Mais tout cela s’est peu à peu noyé dans le néant positif des jours. Me voici maintenant… J’aperçois, dans le décor que la pénombre commence à envahir, le modelé de mon front, l’ovale de mon visage et, sous ma paupière clignante, mon regard par lequel j’entre en moi comme dans un tombeau. La fatigue, le temps morne (j’entends de la pluie dans le soir), l’ombre qui augmente ma solitude et m’agrandit malgré tous mes efforts, et puis quelque chose d’autre, je ne sais quoi, m’attristent. Cela m’ennuie d’être triste. Je me secoue. Qu’y a-t-il donc ? Il n’y a rien. Il n’y a que moi.»

REGARDER EN FACE LA DESTINEE

Dans cet effacement, cet appel du vide, la mort règne. La vie s’est enfuie par tous les espaces possibles, entre les lattes du parquet, comme dans les jointures des fenêtres, à chacun des carreaux. «Mourir ! L’idée de la mort est décidément la plus importante de toutes les idées. » Pourtant, le narrateur ne semble pas tenté par le suicide : « Je mourrai un jour. Y ai-je jamais pensé ? Je cherche. Non, je n’y ai jamais pensé. Je ne peux pas. On ne peut plus regarder face à face la destinée que le soleil, et pourtant, elle est grise. »

ME JETER ET ME MULTIPLIER

Ce qui fait résistance, ce qui freine le narrateur dans l’accomplissement d’un acte ultime, c’est l’attente, le désir d’un quelque chose, le rêve d’un amour passionné. Ce quelque chose qui pourrait illuminer la noirceur des lieux, de la vie et du monde. « Je n’ai pas de génie, pas de mission à remplir, de grand cœur à donner. Je n’ai rien et je ne mérite rien. Mais je voudrais, malgré tout, une sorte de récompense…De l’amour ; je rêve d’une idylle inouïe, unique, avec une femme loin de laquelle j’ai jusqu’ici perdu tout mon temps, dont je ne vois pas les traits, mais dont je me figure l’ombre, à côté de la mienne, sur la route. De l’infini, du nouveau ! Un voyage extraordinaire, où me jeter, où me multiplier.»

LA CHAMBRE VOISINE S’OFFRE A MOI, NUE

Le second chapitre sera celui de la découverte, celle de la faille, de la vie, d’un autre monde. Mais celle-ci vient à lui sous la forme d’une voix qui lui caresse l’oreille. Est-ce un rêve ? Est-ce les rêves de l’agitation nocturne ? A l’étonnement, « j’étouffe un cri de surprise », suivra la contemplation de ce nouveau monde. Le narrateur se découvre Christophe Colomb devant la première terre, roi mage rentrant dans la grotte de Bethléem. « En haut, près du plafond, au-dessus de la porte condamnée, il y a une lumière scintillante. Le chant tombe de cette étoile. La cloison est trouée là, et par ce trou, la lumière de la chambre voisine vient dans la nuit de la mienne…Je regarde…je vois…La chambre voisine s’offre à moi, toute nue…Elle s’étend devant moi, cette chambre qui n’est pas à moi…Dans le lointain, la table semble une île. Les meubles bleuâtres, rougeâtres, m’apparaissent de vagues organes, obscurément vivants, disposés là. »

LA DECOUVERTE DE LA TELE-REALITE

Cette simple et banale découverte va transformer sa vie, lui donner un but, un sens. Enfin, il possède quelque chose, il maîtrise. Il peut voir sans être vu. Il peut observer les autres dans leur banalité. Le narrateur vient de découvrir la téléréalité. Et comme la téléréalité, les personnages inintéressants vont prendre une autre dimension, une autre envergure.

QUAND LA MALEDICTION DEVIENT BENEDICTION

La première personne qu’il épie sera la bonne venant s’occuper de son ménage. Il vient de la croiser  dans l’escalier. Plus qu’ordinaire, il la trouvait laide et crasseuse. La fente va changer sa vision. « Tout à l’heure, sur le palier, j’ai entrevu cette fille qui, pliée, frottait la rampe, sa figure enflammée proche de ses grosses mains. Je l’ai trouvée repoussante, à cause de ses mains noires, et des besognes poussiéreuses où elle se penche et s’accroupit…Je l’ai aperçue aussi dans un couloir. Elle allait devant moi, balourde, des cheveux traînants, laissant siller une odeur fade de toute sa personne qu’on sentait grise et empaquetée dans du linge sale. Et maintenant, je la regarde. Le soir écarte doucement la laideur, efface la misère, l’horreur ; change, malgré moi, la poussière en ombre, comme une malédiction en bénédiction. Il ne reste d’elle qu’une couleur, une brume, une forme ; pas même : un frisson et le battement de son cœur. D’elle, il ne reste plus qu’elle. C’est qu’elle est seule. Chose inouïe, un peu divine, elle est vraiment seule. Elle est dans cette innocence, dans cette pureté parfaite : la solitude. Je viole sa solitude, des yeux, mais elle n’en sait rien, et elle n’est pas violée. »

REGARDER SANS VOIR ET AVOIR CE QU’ON N’A PAS

Le pouvoir de la faille s’est d’embellir, de sublimer les choses. Barbusse utilisera donc les contradictions et les oppositions, l’union des contraires, l’inversion des valeurs et des codes dans la description afin de mieux rendre compte du bouleversement qui s’opère. « Cette lettre est dans le crépuscule, la plus blanche des choses qui existent…la lettre blanche pliée dans sa main grise…ils craignent la brusque apparition de quelque divinité, ils sont malheureux et heureux…Il semblait un de ces êtres doux, qui pensent trop, et qui font le mal…Et tout ce qui m’attire m’empêche de m’approcher…Il faut que je sois à la fois un voleur et une victime…leur union apparut plus brisée que s’ils ne s’étaient pas connus…Je passais deux jours vides, à regarder sans voir…Avoir ce qu’on n’a pas…Je comprends que beaucoup de choses que nous situons en dehors de nous, sont en nous, et que c’est là le secret… »

L’ODEUR DE L’AMOUR

Mais la découverte visuelle n’est rien, absolument rien sans la présence olfactive. Les fragrances qui viennent de la chambre amplifie et change la nature des choses observées. Et inversement, les situations ont des correspondances avec des parfums. « D’elle exhalait un parfum qui m’emplissait, non plus le parfum artificiel dont sa toilette est imprégnée, le parfum dont elle s’habille, mais l’odeur profonde d’elle, sauvage, vaste, comparable à celle de la mer – l’odeur de sa solitude, de sa chaleur, de son amour, et le secret de ses entrailles…Demi close, attentive, un peu voluptueuse de ce qui, d’elle, émane déjà de volupté, elle semble une rose qui se respire. On voit jusqu’aux genoux ses jambes fines, aux bas de fil jaune, sous la robe qui enveloppe son corps en le présentant bouquet…La chambre, tout en chaos, est pleine d’un mélange d’odeurs : savon, poudre de riz, senteur aiguë de l’eau de Cologne, dans la lourdeur du matin enfermé… »

RIEN

Mais à l’heure où nous découvrons la faille, le chaos semble reculer, le néant s’anéantir, et la nuit s’effacer. Mais le vide est et restera le plus fort, au bout du bout il sera le vainqueur. « Je crois qu’en face du cœur humain et de la raison humaines, faits d’impérissables appels, il n’y a que le mirage de ce qu’ils appellent. Je crois qu’autour de nous, il n’y a de toutes parts qu’un mot, ce mot immense qui dégage notre solitude et dénude notre rayonnement : Rien. »

Mais juste après ce RIEN, Barbusse termine par une dernière phrase qui illumine, qui ouvre. Mais une  phrase où s’amasse notre existence, notre libre-arbitre, notre liberté et tout le poids de nos responsabilités : « je crois que cela ne signifie pas notre néant ni notre malheur, mais au contraire, notre réalisation et notre divinisation, puisque tout est en nous. »

CE QU’EST UNE FEMME

Revenons donc à notre émerveillement du début et reprenons notre odyssée. La naissance du sublime, la découverte de l’autre, mais surtout de la femme. Car après la bonne, déjà entourée d’un nouvel halo chargé d’étonnement et de merveilleux, arrive une jeune et belle femme. Viens la découverte, le dépouillement de ce corps, sa nudité. « Je reste là, tout enveloppé de sa lumière, tout palpitant d’elle, tout bouleversé par sa présence nue, comme si j’avais ignoré jusque-là ce que c’est qu’une femme. »

Mais avant la découverte de cette nudité, Barbusse décrit l’accouplement des ombres, « c’était plutôt mon ombre qui s’accouplait à la sienne », la découverte lente et enivrante de chacune des parties du corps, la tension sensuelle, sexuelle de l’observateur.

LE VENTRE COMME CRI

Dans le corps, Barbusse se focalise sur le ventre de la femme. « Un cri m’occupait tout entier : Son ventre ! Son ventre ! Que m’importaient son sein, ses jambes ! Je m’en souciais aussi peu que de sa pensée et de sa figure, déjà abandonnées. C’est son ventre que je voulais et que j’essayais d’atteindre comme le salut. »

Mais du ventre au sexe de cette femme, le chemin n’est pas loin et Barbusse, véritable serpent, s’y glisse sournoisement. « Mes regards, que mes mains convulsives chargeaient de leur force, mes regards lourds comme de la chair, avaient besoin de son ventre. Toujours, malgré les lois et les robes, le regard mâle se pousse et rampe vers le sexe des femmes comme un reptile dans son trou. Elle n’était plus, pour moi, que son sexe. Elle n’était plus pour moi que la blessure mystérieuse qui s’ouvre comme une bouche, saigne comme un cœur, et vibre comme une lyre. »

A travers cette faille, Barbusse nous amène dans la sexualité, mais aussi nous ouvre les portes de l’humanité toute entière, sur la piste qui part loin, tout là-bas, vers l’infini et au-delà. Comme cette pluie devenue immobile à force de trop tomber, comme ces êtres qui se regardent dos-à-dos et se comprennent. Mais de l’infini à la divinité, la route n’a pas besoin de raccourci. Nous partons loin, et comme nous l’avons vu, nous reviendrons à nous-mêmes, au cœur du Moi.

 Jacky Lavauzelle