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THE GHOST WRITER (POLANSKI)

Roman Polanski
THE GHOST WRITER
(2010)

PA010158

 Le Calvaire
d’un fantôme

 

UN EFFROI COMME REPONSE DEFAILLANTE

Le ferry qui s’ouvre, ouvre large ses mâchoires blanches  comme pour nous happer dans The Ghost Writer de Polanski. Le métal, le gris du ciel, la violence qui arrive, l’enfermement, la surveillance incessante nous plonge dans l’attente et rapidement dans l’effroi. «L’effroi que suscite le beau est une faille en notre présence par où lui-même se rend présent.  Cet effroi n’est pas absence de réponse, il est la réponse défaillante…‘Atteignez d’abord et vous approcherez ensuite’ dit fortement Michaux. » (Jean-Louis Chrétien, L’Effroi du beau, proximité de l’insaisissable). C’est ce que fera McGregor à s’en brûler les ailes.

McGREGOR REMPLACE McGOOHAM

A se poser tant de questions et à vouloir remonter le puzzle laissé par son prédécesseur, McGregor n’en sortira pas indemne. Nouveau prisonnier, McGregor remplace McGoohan. Il n’est pas un numéro, mais il est personne, il n’a pas de nom, il n’est rien. Il va errer sur son île et sur la plage, non pas rattrapé par une boule blanche immense mais par Ruth, la femme de Lang, qui le raménera… Il n’est pas encore un être libre. Il ne le sera jamais. 

C’EST LE BOUQUIN QUI L’A TUE

La mort rode autour de Lang. La torture et le lâchage de terroristes présumés, à la télévision, comme dans le début du film avec le corps rapidement entraperçu de l’ancien nègre sur la plage. Dès que le nègre joué par Ewan McGregor accepte la mission d’écrire pour Lang, celui-ci est agressé dans la rue par un motard.
« C’est le bouquin qui l’a tué » dit un des amis dans les bureaux de la Rinehart Inc., « nous publions les mémoires de Lang, ça suffit à faire de nous une cible. » Rien n’est anodin, même une autobiographie apparemment ennuyeuse.
Adam Lang (Pierce Brosnan), l’ancien Premier Ministre anglais, s’est enfermé dans son bunker de béton, dans son île de Martha’s Vineyard, accrochée à la côte de la Nouvelle-Angleterre, comme l’était aussi sa politique pro-américaine. Il s’enferme dans ce qui semble le bien le plus précieux dans ce coffre-fort : ses mémoires, son passé. 

LA SOLITUDE A SAINTE-HELENE

Son intimité dans l’attente du jaillissement, son intériorité, son âme, cachée au fond d’un tiroir lui-même verrouillé dans une pièce blindée  où seule une vue sur la mer nous montre un peu plus encore notre isolement. Ruth (Olivia Williams), sa femme, lance : « c’est comme être mariée avec Napoléon à Sainte-Hélène. »Comme Napoléon dans son île, il n’est plus dans aucun projet d’avenir. Il est son passé, un passé sanglant et sombre qu’aucune vague ne serait rejeter au loin dans l’océan. Lang est l’opposé de McGregor. Il est le Je et lui est l’Autre. Il est l’autre nègre, l’autre qui fait parler Lang. Pourtant ils se retrouveront. D’abord dans le bunker, ensuite dans la mort. Les manifestants, comme les journalistes autour de sa propriété ou dans les airs avec les hélicoptères, l’entourent malgré ses protections. La télévision est là qui pénètre le bunker soi-disant infranchissable. C’est elle encore qui prend le dessus et influe sur sa prise de décision d’aller à Washington plutôt que de se rendre à Londres. On lui reproche sa compromission, sa lâcheté, sa politique de vassal quand il occupait Downing Street, avec les Etats-Unis, avoir été complice pour avoir laissé torturer des terroristes présumés, d’avoir organisé un kidnapping secret…Il semble se protéger, mais se retrouve coincé comme un rat ballotté par les événements qu’il ne contrôle plus. De manipulateur il devient manipulé. Manipulé par sa femme, par les opposants politiques, par la CIA, par les journalistes.

McGREGOR A L’EPREUVE, UN ÊTRE DE L’EPREUVE

Le nègre-McGregor, est une cible à abattre jouant entre l’Intelligence Service et la CIA. Il rejoindra le destin de son prédécesseur sur les trottoirs de Londres laissant s’envoler la pièce à convictions dans les rues, le manuscrit de Lang.  Il a échoué son épreuve…Mais avait-il le choix ? « L’épreuve n’est pas accidentelle, mais tient à la constitution même de l’homme. Si l’homme doit conquérir sans cesse de nouveau sa propre humanité, c’est-à-dire sa vision de la vérité, si cette humanité est sans cesse de l’intérieur même, exposée à la perte, et ne peut pas ne l’être pas, c’est que l’homme est l’être de l’épreuve… » (Jean-Louis Chrétien, L’Effroi du beau, L’épreuve humaine du Beau chez Platon).

Le nègre est devenu fantôme.

 

Jacky Lavauzelle