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CORALINE : LE PUITS ET LE TUNNEL

Henry SELICK
CORALINE
2009

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LE PUITS ET LE TUNNEL
Les rites du passage

 Coraline n’est plus une enfant. Elle est dans ce début d’adolescence où l’on évoque les tensions, les fossés qui se creusent. Des volontés d’émancipation. Des désirs d’ailleurs.  Coraline veut élargir son horizon. D’abord avec le puits, le grand saut, puis par la traversée du tunnel, plus progressif. Sera-t-il moins dangereux ?

LE MOUVEMENT  VERS LE BAS
Dès que Coraline arrive dans sa nouvelle demeure, elle se met à la recherche d’un puits. Le puits est le lieu le plus obscur et le plus terrifiant. La solution est extrême ; elle est à la mesure de l’attente de changement de Coraline.

Elle doit le localiser, savoir où il est, pour enfin développer son imaginaire. Le puits doit se contourner. Il ne se pénètre pas. C’est le mouvement vers le bas. Tomber dans le puits, c’est tomber dans l’oubli, dans le néant. On ne remonte pas du puits. C’est notre dernière expérience. Le lieu où naissent de très nombreux cauchemars. Le puits s’entoure de maléfice. Rien qu’à son approche, Coraline est entourée d’une baguette de sorcier de sumac vénéneux, d’un monstrueux cavalier masqué, en plein orage.

UN CIEL ETOILE AU-DESSUS DE NOS TÊTES

Armée pour trouver le puits, Coraline est à deux doigts de tomber dedans. « Si tu ne fais pas attention, tu vas tomber dedans. Il est si profond que si on tombe dedans et qu’on regarde en haut, on voit un ciel étoilé même en pleine journée » lui raconte Wyborne, son voisin.
Cette scène est reprise de Tarkovski dans l’Enfance d’Ivan où la mère du jeune Ivan, regardant le fond du puits, dit : « – Quand un puits est profond, on peut voir une étoile en plein jour« . « – Quelle étoile ? » demande Ivan. « – N’importe laquelle » lui répond-elle. Le visage d’Ivan s’éclaire : « J’en vois une, maman ! Pourquoi brille-t-elle ?« . Parce que « C’est la nuit, pour elle, en ce moment. Elle brille comme dans la nuit« . Mais alors que le soleil brille dans un ciel sans nuage, le petit Ivan s’étonne : « on n’est pas dans la nuit, on est en plein jour ! » La mère avec un sourire lui répond : « Pour toi, c’est le jour, pour moi aussi. Pour elle, c’est la nuit. »
Ivan essaie de la toucher, touche la surface de l’eau, en douceur. Il se retrouve au fond du puits. Le seau remonte. La mère est seule en haut.

J’AI FAILLI MOURIR ! – C’EST BIEN !

Revenons à Coraline. Elle l’évite et peut rentrer chez elle raconter sa frayeur à sa mère inattentive : « J’ai failli tomber dans un puits hier, j’ai failli mourir ». « C’est bien ! », lui répond sa mère. Sa peur n’est pas celle de sa mère, beaucoup plus ennuyée quand elle lui parle de sortir par une pluie battante et donc de rentrer sale.

Le puits localisé, Coraline pense avoir fait le plus dur et le plus risqué. C’est sans compter sur le tunnel.

Le tunnel ne se cherche pas. Il arrive par hasard lors des fouilles minutieuses de Coraline qui s’ennuie. Le tunnel, à la différence du puits, symbolise le passage, d’un lieu à un autre, d’un temps ou d’une représentation à autres choses. Il se pénètre et laisse toujours la possibilité du retour. Le tunnel ne se contourne pas, on s’engouffre dedans, espérant trouver quelques secrets. L’herbe est toujours plus verte ailleurs.

ON GARDERA UN OEIL SUR CORALINE

Coraline, de l’autre côté, trouve la famille idéale, attentionnée, gaie, cuisinant tout ce qu’elle aime. C’est le lieu du même et de l’autre. Du même en mieux. Les mêmes parents, mais différents. On garde le meilleur et on y met tous ses désirs. « Elle est chouette, adorable, c’est une bonne copine. Elle est mignonne comme un chou. On le répète partout…C’est ce que pensent tous ceux qui ont vu Coraline. Quand elle vient explorer, maman et moi n’allons jamais l’ennuyer. On gardera un œil sur Coraline ».

BIENTÔT, TU VERRAS LES CHOSES COMME NOUS !

Le tunnel, cet incontournable lieu de passage et d’échange de l’enfant. La perfection qu’on lui promet, « tu pourrais rester ici pour toujours si tu voulais. On chantera et on jouera à des jeux. Maman cuisinera tes plats préférés », n’est rien au regard de sa liberté.

Au « bientôt tu verras les choses comme nous », Coraline crie : « Jamais ! On ne me coudera pas de boutons à la place des yeux ! ».

Du passage dans le tunnel, ce n’est pas l’aller le plus difficile…

Jacky Lavauzelle

Le Dom Juan de Molière – Quand les masques tombent …

MOLIERE

 Dom Juan,
Quand les masques
tombent…

Artgitato Dom Juan - Molière_-_Nicolas_Mignard_(1658)

Sganarelle, qui en appelle d’emblée à Aristote, rien que ça, le premier, présente son maître comme « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable brute, un pourceau d’Epicure». Pourtant Sganarelle n’est qu’un triste sire, ladre et peureux comme pas un. N’ayant aucune parole, jamais capable de dire en face ce qu’il pense de ce maître honni, ou simplement d’en changer, puisqu’à ces yeux c’est le diable personnifié. Lui, se permet de donner des leçons de morale et de séparer le bien du mal et n’hésite pas à une seconde à jeter, non la première pierre, mais la maison toute entière. C’est ce Sganarelle, le lâche devant le danger, qui nous donne, en son temps, sa leçon. Cette seule origine de cette critique, bien vite amenée, devrait dans notre for intérieur  nous alerter. Et si Dom Juan n’était autre qu’un preux révolutionnaire, libéral dans ces mœurs et grands dans ces actions, dans les mouvements de son cœur. Un révolutionnaire animal, il est vrai sans contrôle sur ses pulsions. Mais un révolutionnaire ne contrôle pas tout. Il s’adapte aux événements.

Réhabilitons Dom Juan !

La pièce débute sur un détournement avec l’apologie du tabac. Le mal devient le bien. « Il n’est rien d’égal au tabac », « non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu ». Nous sommes en plein contre-sens. Et le reste est du même tonneau. Dom Juan est présenté comme le mal. Ne serait-il pas le bien, libre et généreux. Courtois et attentionné. D’une audace flamboyante de cette étoffe juste et rugueuse qui n’a pas peur de devoir s’expliquer devant le Ciel dans l’au-delà. « C’est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble. » Sganarelle aujourd’hui semble être resté le bon serviteur comique et Dom Juan, le tombeur diabolique de ces pauvre et innocentes dames. Le désir qui envahit Dom Juan est naturel, il entraîne cette danse, cette séduction que l’on retrouve chez les autres animaux. Etienne Pivert de Senancour soulignait que « tout but d’un désir naturel est légitime ; tous les moyens qu’il inspire sont bons. »

Un homme  d’action projeté dans le futur

Pourtant, lui, ne détourne pas son discours. Il fait, il parle. Il apparaît alors pour ces contemporains comme un cynique. Il s’engage dans ces passions où domine son instinct. Il sacralise ses pulsions en les rendant toutes exceptionnelles et merveilleuses, dignes des contes orientaux les plus fous et débridés : « Une douceur extrême », « les charmes inexplicables », « le réveil de nos désirs »…

 Dom Juan reste fondamentalement un homme libre dans un siècle de conventions, essentiellement libre. Il se projette toujours. Une femme amène une nouvelle femme. Un désir, un nouveau désir. Conquêtes après conquêtes.  S’arrêter, ce serait rester dans le présent. Comme prisonnier du temps. Enfermer dans cet espace contraint de la seconde immédiate. Ce serait manquer d’oxygène ; donc mourir. D’où ce mouvement perpétuel, d’où des envies nouvelles chaque fois. Chaque nouvelle sensation le fait vivre. Dans toute nouvelle émotion, son cœur repart. Il revit. Il bouge, se bouge, reste d’une curiosité démesurée ; « il se plaît à se promener de liens en liens et n’aime guère à demeurer en place. » C’est qu’au-delà de son intelligence et de son raisonnement, il agit. Il est un homme d’action principalement. « Tous ces discours n’avancent point les choses ; il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux que les paroles. »

L’horreur et la peur du présent

Simone Weil positionnait ce désir dans l’attente, et dans l’impossibilité de trouver une réponse à cette fuite continue : « Quand on est déçu par un plaisir qu’on attendait et qui vient, la cause de la déception, c’est qu’on attendait de l’avenir. Et qu’une fois qu’il est là, c’est du présent. Il faudrait que l’avenir fût là sans cesser d’être l’avenir. Absurdité dont seule l’éternité guérit. » (La pesanteur et la grâce) Oui, car le plaisir qu’on attend n’est simplement pas du plaisir, ça ne peut être que du désir. C’est ce que disait déjà Voltaire dans son Dictionnaire philosophique : « le présent est plaisir, le futur désir« . Et Dom Juan s’en moque du plaisir, c’est un être de désirs qui donc ne ne peut jamais s’arrêter. Il court donc, il court jusqu’à sa fin, jusqu’à sa damnation. Il ne pourrait en être autrement.

La constance n’est bonne que pour les ridicules !

Dom Juan a le mouvement de la bête, du cynique, du chien qui verrait passer la chienne, dès qu’une belle et jeune femme approche. Il court, il enrage.  Il se jette dessus comme le ferait un chien affamé sur son os. La fin et la faim ne sont plus guidées par la raison. Il cultive les dispositions brutes de sa nature, en les analysant (tirade de la scène 2 du premier acte). Son devoir absolu : l’inconstance. « La constance n’est bonne que pour des ridicules. » Mais c’est un animal logique dans toutes les autres circonstances.

Le courage personnifié

Et ce mouvement ne se fait pas sans panache. Et il est vrai que Dom Juan est courageux. Il fonce, n’a peur de rien. « Mais que vois-je là ? Un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté. » …« Oui, je suis Dom Juan moi-même, et l’avantage du nombre ne m’obligera pas à vouloir déguiser mon nom. »  Devant le danger, il ne calcule pas, ne tergiverse pas. Il va aider et se jette dans la bataille. C’est un sanguin notre Dom Juan. Avec les dames comme dans l’adversité.

Mais vous faites que l’on vous croit !

Il suffit d’écouter Dom Juan, pour savoir qu’il a raison, ou, tout du moins, qu’il a des arguments Il est d’une intelligence basée sur la logique et le bon sens. « Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle et que quatre et quatre sont huit. » Cette logique, totalement maîtrisée, trouble et déstabilise le plus souvent ces contradicteurs. « Vous parlez comme dans un livre…Vous tournez les choses d’une manière, qu’il semble que vous avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l’avez pas. »  « Mon Dieu ! Je ne sais si vous sites vrai, ou non ; mais vous faites que l’on vous croit. »

Il est toujours le plus clair et le plus ouvert possible, à l’exception de la période de conquête amoureuse et de ses créanciers, où il faut aime à jouer de stratagèmes et de ruses. « Vous vous expliquez clairement ; c’est ce qu’il y a de bon en vous, que vous n’allez point chercher de détours : vous dites les choses avec une netteté admirable. »

Songeons à ce qui peut nous donner du plaisir

C’est un esthète, sensible à la beauté et aux charmes. Sa vie est gouvernée par la notion de plaisir. Sans plaisirs, pas de vie, pas d’envie. « Songeons seulement à ce qui peut nous donner du plaisir. » Pas seulement pour les femmes. « Tout le monde m’a dit des merveilles de cette ouvrage, aussi bien que de la statue du Commandeur, et j’ai envie de l’aller voir. ».

En tant qu’esthète, il aime la vie et refuse la mort qu’entraînerait le mariage. C’est un profond libéral, opposé à ce conservatisme castrateur du mariage. Être fidèle, c’est « vouloir se piquer d’un faux honneur, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux. »

L’ambition des conquérants

Son cœur dans la relation amoureuse domine sa raison.  Le ton est d’abord à la raison et aux arguments. La voix se trouve posée et parle loin et claire. « Quelle réponse as-tu faite ?…Quelle est ta pensée là-dessus ? »  Passe un jupon, et le souffle devient court, haletant. La pensée se retrouve embuée, inondée, lessivée. La nappe monte et le phrasé s’accélère. Nous voguons sur une passion qui toujours change d’objet. Qui emporte tout. Le maître devient l’esclave de sa passion. Il suit son désir.  Et il n’y a que là qu’il est dominé. Alors, il résiste. Ne rend pas les armes. Il devient désormais conquérant, guerrier de l’amour. Il élabore des stratégies, « l’ambition des conquérants ». Le voilà prêt « à réduire…à combattre…à forcer pied à pied toutes les petites résistances… » Comme son esprit est généreux, son cœur peut « aimer toute la terre, et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. »

Que lui reprochent les femmes ?

Que lui reproche-t-on ? Peut-être de pouvoir aimer sans limite. De faire de sa vie toute entière une recherche d’amour, alors que ces dames ne recherchent qu’une situation confortable et sécurisée. Il aime le danger, c’est certain. Elles attendent de la sécurité. Elles font du mariage une prison quand lui ne propose que des leurres.            

Je vous ai aimé avec une tendresse extrême

Il les aime profondément dès ce premier moment quand son cœur alors bat encore la chamade. Il est tout entier dans sa passion, ce qui ravit, bien entendu, les courtisées. Elles sont désormais les plus belles, les plus fraîches, les plus désirables. Mais subitement la passion s’estompe. Et ces contemporains qui s’en satisfont par le lien du mariage sont plus hypocrites que Dom Juan, en prenant par la suite des maîtresses. La passion se dissout, part inéluctablement. « Mais ma passion est usée pour Done Elvire, et l’engagement ne compatit point avec mon humeur. » Il donne du plaisir aux femmes. Il sait se faire aimer. « Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m’a été si cher que vous. » souligne Done Elvire.

L’hypocrisie, la voilà la vraie imposture !

C’est dans sa longue deuxième scène du dernier acte, que Dom Juan dénonce « ce qui se servent de masques pour abuser le monde » et qui joue les moralistes et les gens biens sous tous rapports. Cette hypocrisie est ce qui est le mieux partagé de par ce monde. « L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoi qu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. »

Il lui faut du nouveau pour enflammer son cœur et raviver sa flamme. « Sais-tu que j’ai encore senti quelque peu d’émotion pour elle, que j’ai trouvé de l’agrément dans cette nouveauté bizarre, et que son habit négligé, son air languissant et ses larmes ont réveillé en moi quelque petit reste d’un feu éteint ? »

Mon coeur à toutes les belles, à celles qui savent le prendre

Lui, Dom Juan, donne son cœur et son corps aux femmes. Totalement. Ce sont elles qui sont en mesure de le garder plus ou moins longtemps. « Mon cœur est  à toutes les belles, et c’est à elles à le prendre tour à tour, et à le garder tant qu’elles le pourront. » Il se jette en pâture à ces fauves et quand il ne reste plus rien, même plus l’os, elles se retournent les unes contre les autres ou, mieux encore, crient au vol et au déshonneur !

Attendez que je soyons mariés !

A cette époque, une seule possibilité d’assouvir son plaisir : la demande en mariage. Elles attendent toutes ce moment, comme la sainte option pour finir leur vie paisiblement. Elles cherchent à mettre la main sur la meilleure option, le meilleur parti. « C’est moi qu’il épousera » répond Mathurine à Charlotte, quand celle-ci assure qu’elle est « celle qu’il aime. » Elles promettent des merveilles après cette acceptation. Tout sera possible. Ce sera merveilleux. « Oh ! Monsieur, attendez que je soyons mariés, je vous prie ; après ça, je vous baiserai tant que vous voudrez. »

Un amant aimanté

Dom Juan joue avec ce saint sacrement. Il s’en amuse. Il devient « l’épouseur du genre humain » pour Sganarelle. C’est son arme. « Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains. » Il est révolutionnaire. Au diable les conventions. A nous les plaisirs. Il est pour le mariage pour toutes. Elles aiment tant ça ! Mais juste pour le rêve. Pourquoi s’emprisonner, s’emmurer : « j’aime la liberté en amour, tu le sais, je ne saurais me résoudre à renfermer mon cœur entre quatre murailles. Je te l’ai dit vingt fois, j’ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m’attire. » C’est un véritable aimant magnétique !

Dom Juan n’est pas une victime des femmes, il n’est seulement qu’une victime du désir qu’il a des femmes et de ce trop-plein d’envies, de désirs et de liberté. Pour l’époque, c’est beaucoup trop ! ; ça fait de lui un monstre, une « véritable brute, un pourceau d’Epicure« .

Jacky Lavauzelle

LA MARIEE (NIKI DE ST PHALLE) LA ROBE DE LA SOUFFRANCE ET DU SACRIFICE

Niki de Saint Phalle

La Mariée
1963  

Niki de Saint Phalle La Mariée 1963 Museu Berardo Lisboa Lisbonne

Museu Berardo (Lisboa – Lisbonne)

LA ROBE DE LA SOUFFRANCE

ET DU SACRIFICE
Le mariage est souvent lié à la contrainte et à la privation de liberté que l’on retrouve dans de nombreuses citations : c’est « la mort morale de toute indépendance » (Dostoïevski), ou ce « miracle qui transforme le baiser d’un plaisir à un devoir » ou ce «moment où un homme cesse de porter un toast à une femme et où elle commence à lui porter sur les nerfs »  (Helen Rowland), par lui « la femme devient libre ; par lui, l’homme perd sa liberté » (Emmanuel Kant), « Il y a deux sortes de mariages : le mariage blanc et le mariage multicolore parce que chacun des deux conjoints en voit de toutes les couleurs » (Courteline), « C’est la cause principale du divorce » (Oscar Wilde)…

Niki de Saint Phalle La Mariée Lisbonne Museu Berardo

UN DUO OU UN DUEL
…Et nous pourrions continuer longtemps dans les mêmes veines noires et catégoriques. Il est difficile de trouver des textes qui encensent cette institution, voire ce sacrement.  Emile Augier tente le compromis, c’est «un duo ou un duel ». Les proverbes que l’on se lance pour éloigner les tristes présages sont à chercher dans la culture populaire, comme pour se donner du courage : « mariage pluvieux, mariage heureux »

Si tout cela n’est guère réjouissant, l’œuvre qui se pose au Museu Berardo dans le quartier de Belem de Lisbonne va finir par achever cette vieille institution. Mais nous sommes en 1963. Et la mariage ressortira de ces cendres…

LA MARIEE Niki de Saint Phalle Museu Berardo Lisboa Belem 1963

UNE CHARGE VIRULENTE
Cette idée du mariage-prison-rituel-obligation-souffrance-devoirs s’est déclamée depuis plusieurs siècles dans le théâtre, voire la peinture. Pour la sculpture, Niki de Saint Phalle s’y colle avec une charge virulente et violente contre cette institution.

De loin, l’œuvre participe à la pensée qui accompagne le décorum. Nous reconnaissons d’emblée le personnage. La robe est grande et majestueuse. Le blanc dentelé à souhait. Le blanc de la virginité, de l’absence de fautes.

La Mariée 1963 Niki de Saint-Phalle Museu Berardo Lisboa Détail retouché

LA VERITE TELLE QU’ELLE EST
En s’approchant nous découvrons un champ de guerre où des soldats miniatures se déchirent, avec des chevaux couchés, éventrés, des roues sans essieux. La vision de près fait plus penser à Guernica, qu’à un mannequin portant sa robe du grand jour. Nous participons à la logique inversée au pointillisme. La vérité de l’œuvre se fait en zoomant et non pas dans sa globalité. Le tout représente le réel tel qu’il se montre ; le détail tel qu’il est.

LA MERE GOUVERNE LE MONDE
Une étape intermédiaire s’impose au regard. Celle de l’armure. La robe semble beaucoup trop lourde avec des épaulettes surdimensionnées. C’est la cavalière à la blanche armure qui part en attendant son blanc destrier. On penserait presqu’à la chanson de Cabrel, «  elle a dû faire toutes les guerres, pour être si forte aujourd’hui… » Avec cette robe, la femme porte d’emblée les tenues de mère, d’éducatrice : « L’éducation morale est ‘la tâche la plus haute’ (Chambon, Le Livre des mères) de la mère, sa ‘mission providentielle’ (Paul Combes), ‘son chef d’œuvre absolu’ (J. Van Agt, Les Grands Hommes et leurs mères). Elle fait d’elle, la créatrice par excellence ‘à côté de laquelle l’artiste le plus consommé n’est qu’un apprenti’ (Père Didon, Le Rôle de la mère dans l’éducation de ses fils). Mieux encore, en gouvernant l’enfant, la mère gouverne le monde. Son influence s’étend de la famille à la société, et tous répètent que les hommes sont ce que les femmes les font. » (Elisabeth Badinder, L’Amour en plus, L’Amour forcé, P254-255, Editions Flammarion, 1980)

1La Mariée 1963 Niki de Saint-Phalle Museu Berardo Lisboa

 

LA SOURCE LA PLUS SÛRE DU BONHEUR
Cette armure a du poids. Un poids moral. Un poids sociétal. Le poids du monde sur ces frêles épaules. Si nous continuons la lecture d’Elisabeth Badinter dans l’ouvrage cité ci-dessus, nous abordons le dévouement et le sacrifice. «Au fur et à mesure que la fonction maternelle se chargeait de nouvelles responsabilités, on répétait toujours plus haut que le dévouement était partie intégrante de la ‘nature’ féminine, et que là était la source la plus sûre du bonheur. » (L’idéologie du dévouement et du sacrifice, p264)

Cette robe de mariée est bien plus qu’une armure qui ne la protège de rien. Le malheur ne vient pas de l’extérieur, mais de la robe elle-même. C’est elle qui est la douleur. Elle est une longue narration sur des siècles de souffrance qui s’affiche comme autant de plaintes et de désespoir. La douleur de tous ces corps. Tous ces corps sont comme carbonisés et recouverts de cendres. Ces corps miniaturisés mais qui sont autant de sommes du désespoir et de la souffrance. 

LE MARIAGE POUR TOUS OU POUR PERSONNE
C’est tout le poids des malheurs du monde qu’elle porte sur son corps. Et la simple couronne, semble elle aussi se transformer en une couronne christique de ronces.

Niki de Saint Phalle fait porter à cette robe tout ce que la société peut enfanter d’enfermement et de scandale. La condition de la mariée ne la libère pas, bien au contraire. Niki la plaint. L’époque n’était pas la même non plus. Nous n’étions pas sur le slogan du mariage pour tous d’aujourd’hui, mais du mariage pour personne. C’était une autre époque.

Jacky Lavauzelle

D'après Niki de Saint Phalle La Mariée

PUBLILIUS SYRUS – SENTENCES SUR L’AVARICE, L’AVIDITE et L’ARGENT

PUBLILIUS SYRUS
SENTENCES – SENTENTIAE
Sur l’avarice, l’avidité et l’argent

Publilius Syrus Sentences Sententiae Sur l'argent l'avidité l'avarice Artgitato

Avarus ipse miseriae causa est suae.
L’avare est lui-même la cause de sa misère.

Avarus, nisi quum moritur, nil recte facit.

L’avare, sauf quand il meurt, ne fait rien de bien.

Avidum esse oportet neminem, minime senem.

Personne ne devrait être avide, pas même un vieil homme.

Auro suadente nil potest oratio.

L’or persuade, là où le discours est impuissant.

Avaro quid mali optes, ni ut vivat diu ?

Que souhaiter à l’homme cupide, si ce n’est qu’il vive longtemps ?

Avarum facile capias, ubi non sis idem.

L’avare peut être une proie facile, si vous n’en n’êtes pas un vous-même.

Avarum irritat, non satiat pecunia.

L’argent ne satisfait pas l’avare, il l’irrite.

Avarus damno potius quam sapiens dolet.

L’avare pleure les pertes, pas le sage.

Auferri et illud, quod dari potuit, potest.

Ce qui a été accordé peut être repris.

An dives, omnes quaerimus : nemo, an bonus.

Est-il riche, demandent-ils tous ; personne ne demande : est-il bon ?

Amissum quod nescitur, non amittitur.

Ce qui est perdu sans qu’on le sache, n’est pas perdu.

Alterius damnum, gaudium haud facias tuum.

Ne fais pas ton bonheur sur le malheur des autres.

Alienum aes homini ingenuo acerba servitus.

Une dette pour l’homme libre est un amer esclavage.

Alienum est omne, quicquid optando evenit.

Le bien que nous obtenons par la volonté ne nous appartient pas en propre.

Alienum nobis, nostrum plus aliis placet.

Le bien des autres nous plaît, le nôtre plaît aux autres.

Aes debitorem leve, grave inimicum facit.

Un petit débiteur fait un obligé, un grand débiteur fait un ennemi sérieux.

 

Traduction Jacky Lavauzelle