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GASTON BERGERET – LES EVENEMENTS DE PONTAX : LA CITE HUMILIEE

Gaston Bergeret
(1840-1921)
Les évènements de Pontax

LA CITE HUMILIEE

Gaston Bergeret Les événements de Pontax Artgitato Le sac de Rome par Genséric en 455 Toile de Karl Briullov 1799 1852

Gaston Bergeret, malheureusement oublié aujourd’hui en France et ailleurs, a produit avec Les Evénements de Pontax une œuvre tragi-comique, originale et surprenante, sérieuse et ironique, d’une remarquable maîtrise. Il nous décrit le sac de la ville de Pontax, et le désordre qui s’ensuivit sur la France toute entière, tétanisée par un ennemi ridiculement faible, mais déterminé et volontaire.

LA CITE DE LA PEUR
Saint-Augustin avait pris le prétexte de l’invasion et de la mise à sac de Rome de 410, dans sa Cité de Dieu. Bergeret ambitionne ici la Cité de la peur, la Cité humiliée, le  sac  de Pontax par des marins-barbares, où il traite avec sobriété et vigueur une situation qui soulève des problèmes moraux et politiques graves d’une actualité toujours pressante.

UNE AIGUILLE DANS UNE BOTTE DE FOIN
Bergeret teinte son histoire d’une couleur fantastique et symbolique. Une histoire grave racontée gaillardement et presque joyeusement. Une aiguille dans une botte de foin. Un bateau contre un pays. La force de l’écriture de Bergeret est de la rendre crédible et contemporaine.

DES PLAISANTERIES DE MAUVAIS GOÛT
Personne, en ce beau printemps de la fin du XIXe, ne veut croire qu’un groupuscule puisse terroriser une petite ville provinciale et maritime, une région, un pays, voire l’Europe. A l’origine, une insignifiance, un rien, une anecdote. Une lettre, puis deux, puis trois. Même pas anonymes, mais tout comme, signées par un étrange Commandant Georges. « Au lieu de rire de cette lettre, le maire en éprouva une sorte d’irritation : il lui apparaissait qu’on se moquait de lui, et, quand on a été choisi par le libre suffrage de ses concitoyens pour administrer une ville importante, on n’aime pas à être pris pour cible de plaisanteries de mauvais goût. »

CE VILLAGE QUI DORT
Deux groupes alors s’opposent, deux hommes, le commandant et le maire, le militaire et le politique, l’ordre et le désordre. « L’appareil d’Etat, qui comprend armée, police et justice, est l’instrument avec lequel une classe en opprime une autre. » (Mao Zedong, De la Dictature démocratique populaire). C’est ce que fera notre commandant. Il sera à la fois le chef d’armée et de police, le juge. Il opprimera ce village qui dort, ce pays qui tergiverse, ces politiques qui s’écharpent. Celui qui prend l’avantage dans le combat va toujours vers celui qui montre le plus de mobilité, le plus d’agilité, vers celui qui pratique l’esquive et la surprise.

LES PRINCIPES DU DROIT DES GENS
La puissance, la vitesse et l’efficacité  du  groupuscule s’organisent autour d’un chef respecté, secondé par un lieutenant fidèle. Une obéissance sans faille, totalitaire, qui s’oppose à une grosse structure étatique  et administrative où personne ne souhaite se mouiller, ou le moindre commandement se perd dans les voies hiérarchiques, puis politiques de la capitale. « Pendant la séance, le ministre de la guerre arriva avec la dépêche du général et la communiqua à ses collègues, qui, pour le coup, commencèrent à prendre peur. Ils se rendirent tous trois chez le président du conseil, malade, et qui, par habitude diplomatique, conseilla de ne rien faire à bon escient. Sans doute il n’y avait rien dans les rapports du gouvernement avec les autres puissances qui pût justifier une agression aussi formellement contraire à tous les principes du droit des gens ; mais le pays traversait une crise intérieure pour la solution de laquelle il avait besoin de toute sa liberté de mouvement, et l’opinion publique verrait certainement avec défaveur tout ce qui pourrait paraître de nature à amener un conflit. On devait donc, avant de s’engager, savoir exactement à qui l’on avait affaire. Il était d’ailleurs bien singulier que le ministre de la marine n’eût reçu aucune communication. Il fallait le mander au plus tôt. Il était au Sénat. »

D’OU VENAIT LE FORBAN ?
Le secret est plus fort que la transparence. Nous ne savons rien de ce fameux bateau. Qui est ce drôle de commandant ? Pour qui preste-t-il ? S’agit-il d’une attaque en règle annonciatrice d’un nouveau conflit ? «On lui dit qu’il n’était pas arrivé de réponse du ministère de la marine, qu’il avait été impossible de savoir d’où venait le Forban, que les hommes de l’équipage semblait appartenir à toutes les races de la terre, qu’on avait lieu de croire le commandant Georges Autrichien à cause de la pureté avec lequel il parlait le français…et que rien n’avait transpiré des projets du commandant pour la soirée. »

L’HONNEUR DE LA NATION EST EN JEU
L’Etat en face ne sait plus quelle réponse proportionnée apporter. Il est désarmé et impuissant. « Tous deux retournèrent ensemble chez le président du conseil, où il y eut une scène violente, le ministère de la guerre persistant à revendiquer son droit d’agir dans un cas où l’honneur de la nation était en jeu, et le ministre de la marine se refusant absolument à ce que  l’autorité militaire intervînt dans une affaire dont il était impossible de contester le caractère essentiellement maritime… »

LA PORTE VOLA EN ECLAT
David  contre Goliath. C’est le plus petit qui dévorera le mastodonte. L’autre est un géant au pied d’argile. L’un sait ce qu’il veut : profiter, effrayer, se gaver. La foi plus forte que le doute. « Il frappa trois fois : la porte ne s’ouvrit pas. Un grand silence régnait sur la place. Le commandant fit un signe : un coup de canon retentit ; la porte vola en éclat. »  Le commandant est toujours dans la précision, jamais dans la demi-mesure. Le commandant : « si les heures de monsieur le maire sont comptées, ajouta le commandant avec bonhomie, c’est une raison de plus pour souhaiter qu’il les passe en bonne santé. » Le maire, lui, « la voix mal assurée » tombe dans la consternation.

DES EXPLICATIONS SUPERFLUES
La force de ce David vient de cette impérieuse nécessité, de cette vie intérieure, indépendante d’une action et d’une autorité extérieure, avec ses propres lois. « Je n’ai pas le temps d’écouter des explications superflues. Votre absence à mon arrivée n’est qu’un manque d’égards et vous n’êtes pas un assez grand personnage pour que je prenne la peine de m’en fâcher. C’est un détail insignifiant … C’est bien. Où allons-nous le pendre ? »

DES HYPOTHESES & DES STRATEGIES
Il n’y a pas de discussions, de compromissions ou de tergiversations, juste des accommodements raisonnables : « au lieu de faire pendre monsieur le maire, je consentirai à le faire fusiller…Voilà un arrangement très acceptable. » Le Maire, lui, ne fait que des hypothèses et des stratégies pour sauver sa peau : « le maire pensa en ce moment que tout valait mieux que d’être pendu et que, dans la détresse où le laissaient l’inaction de la population et le retard des autorités militaires, il lui appartenait de pourvoir lui-même à sa sécurité personnelle. »

L’UN & LE MULTIPLE
Pontax, un  petit port de 40 000 âmes, ouvert sur la mer, ouvert sur le monde, sans autre protection que son assurance d’être intouchable, inatteignable. « L’homme ne peut découvrir de nouveaux océans tant qu’il n’a pas le courage de perdre de vue la côte. » (André Gide). Pontax va vivre une étrange aventure en ce mois de mai 188.. Le récit s’ouvre sur trois lettres mystérieuses d’un curieux Commandant Georges, « à bord du Forban, croiseur cuirassé, armé de douze canons » Ce Commandant utilise le point de vue de la fin. Le bateau représente l’un, le commandement, le bateau, l’ordre. Pontax, le multiple, les ordres contradictoires, les ministères qui sautent, les palabres et les peurs. Les habitants de Pontax, soumis à une équipe pusillanime va bientôt se soumettre âmes et corps à la volonté du tout puissant Georges. Les premiers serviront sous la contrainte de la mise à mort, les seconds de manière enjouée et volontaires. La Boétie dans son Discours sur la servitude volontaire soulignait qu’ « au commencement on sert contraint, et vaincu par la force ; mais ceux qui viennent après, n’ayant jamais vu la liberté et ne sachant ce que c’est, servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. »

DES ALIMENTS FRAIS et DU VIN GENEREUX
Les lettres, qui sont écrites à partir du 25 avril, ne sont pas prises au sérieux. Le Commandant et ses soixante marins posent ses conditions afin de visiter la cité, « et d’y goûter quelques instants de repos et de distraction. »

A chaque lettre, de nouvelles conditions. Fermes et non négociables. La première stipule que l’accueil doit être « convenable », autrement dit : « vous voudrez bien nous aménager sous le même toit des logements simples, mais soigneusement pourvus de literie et de toilettes qu’on est bien aise de rencontrer après une longue traversée…la table abondamment pourvue d’aliments frais et de vins généreux…que le service soit excellent. »

LA FLEUR DE VOTRE JEUNESSE
La seconde, précise d’autres attentions à apporter à des vaillants marins néanmoins fatigués. Le repos du guerrier : « je vous prie de mettre à ma disposition, le soir de mon arrivée, soixante jeunes filles d’une grande beauté. Il est indispensable qu’il y en ait soixante : pour la beauté, je comprends qu’il faille tenir compte des ressources de la localité : je me contenterai donc de ce que vous aurez, pourvu que ce soit la fleur de votre jeunesse. Afin de ne pas vous créer de difficultés excessives, j’admettrai des assimilations. Seront considérées comme jeunes filles, jusqu’à concurrence de trente, les femmes qui n’ayant jamais eu d’enfants, réuniront les trois conditions suivantes : la fraîcheur du teint, la pureté des formes et un caractère enjoué. »

LES SENTIMENTS DE RESPECTUEUSE DEFERENCE
La dernière lettre avant le débarquement. Le commandant sollicite un accueil digne de son rang, une fanfare « qui devra nous accompagner aux logements que vous nous aurez fait préparer. Elle pourra jouer votre air national et quelques morceaux de circonstance. Le dîner sera prêt pour sept heures. Veuillez inviter à la réception qui suivra les personnes les plus distinguées de la société. On dansera. Les soixante jeunes filles ou assimilées porteront à la ceinture une fleur uniforme qui leur tiendra lieu de présentation. Vous ne m’adresserez pas de discours et vous tiendrez la main à ce qu’il ne m’en soit adressé aucun. Je veux espérer que l’exécution de ces diverses mesures ne vous attirera que des éloges et je vous prie de croire aux sentiments de respectueuse déférence avec lesquels j’ai j’honneur d’être, monsieur le maire, votre très humble et très obéissant serviteur. »

VIVE LE COMMANDANT !
La population collabore d’une manière excessivement positive. Les commerçants profitent de l’occasion et passent des commandes sur le dos de la mairie. « Les habitants de Pontax ne dissimulaient pas leur satisfaction de retrouver ces bals officiels dont ils étaient privés depuis trop longtemps. » Les filles se jettent dans le bras des marins. A la peur succède la joie et les situations excessives. « Pendant que les uns continuaient à s’alarmer et annonçaient qu’à la nuit les maisons particulières seraient pillées, les maisons mises à mal et tous ceux qui résisteraient massacrés, les autres, déjà familiarisés avec les nouveaux venus, trouvaient que c’était, en somme, une manifestation inoffensive et qu’après tout l’équipage du Forban n’avait encore fait de mal à personne. Il y eût même, à la sortie de l’hôpital, quelques cris de « Vive le commandant ! »

UNE SALVE DE DOUZE CANONS
L’Etat ne répond toujours pas à l’attaque des marins. Il est bien temps. Le canon ne frappe qu’au départ du Forban. L’équipage prend ces coups pour une dernière salutation. « Les projectiles n’atteignirent pas le Forban qui venait de franchir la passe et s’éloignait vers l’ouest. Mais le commandant Georges, prenant cette décharge pour un salut, y répondit par une salve de ses douze canons. »

Suivent les affichages, les enquêtes parlementaires, les résolutions, les « rapports contradictoires ». Pontax ressort assommé, avec une dette phénoménale qu’elle mettra bien longtemps à remettre. «  En exécution de cette loi, la ville de Pontax fut autorisée à contracter un emprunt amortissable en quinze ans au moyen d’une surtaxe à l’octroi des vins, cidres, poirés et hydromels. »

A la résistance héroïque du village, le pays reconnaissant.

 Jacky Lavauzelle