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La Tempête de Giorgione : LES 5 PARADOXES

La Tempête – La Tempesta
(entre 1500 et 1510)

Les cinq paradoxes
de Giorgione

 

Giorgione Autoportrait en David

Il ne sert à rien ici d’élaborer des scénarii abracadabrantesques, du genre Moïse, Pâris, le repos de Saint Joseph, Aphrodite, la colère de Zeus, etc. et toutes les tentatives d’explication pour comprendre ce tableau.

 DES INVERSIONS DES VALEURS
Il suffit de voir et de lire l’évidence première, incontestable. Notre lecture se base sur d’évidentes contradictions. La tempête serait à la peinture ce qu’un des sonnets de Louise Labé est à la poésie : une totale et complète inversion des valeurs et des sens : « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie. J’ai chaud extrême en endurant froidure : La vie m’est et trop molle et trop dure. J’ai grands ennuis entremêlés de joie. Tout à coup je rie et je larmoie, Et en plaisir maint grief tourment j’endure… » (Sonnet VII)
 Voyons d’un peu plus près.

 1/Le premier paradoxe : Giorgione appelle une tempête une scène qui représente un orage. La tempête est tumultueuse et large alors que notre orage est claquant, bref et localisé. La tempête assombrit alors que l’orage illumine de ses éclairs les bâtiments blancs qui longent la rivière. Nous attendons du noir et nous avons du blanc irradiant. Quand Tacite dans le Livre II des Annales parle d’une tempête par « un sombre amas nuages d’où s’échappe une effroyable grêle. Au même moment les vagues tumultueuses…ôtent la vue des objets » (XXIII). Le tableau de Giorgione est si clair que tous les détails sont visibles. Tout est transparent, limpide.

 

Giorgione la tempête

2/ Le second paradoxe : la tempête (ou l’orage) apporte de l’inquiétude et  de la peur. Les personnages de la scène sont sereins et tranquilles, comme absents. Pour eux, il ne se passe absolument rien. Nous ne sommes pas pendant l’orage, mais avant ou après. Nous ne sommes donc pas dans le temps présent. Le décalage est là.

 3/ le troisième paradoxe : le pont et les êtres. Le pont reste l’élément central du tableau ; en plein milieu. Le pont relie les deux rives, et plus généralement les êtres en permettant de communiquer, de se voir, de se parler. Dans notre tableau et malgré le pont, les êtres ne communiquent pas. Le promeneur regarde la dame qui nous regarde en donnant le sein à un bébé absorbé dans sa tâche.

 4/ le quatrième paradoxe : l’homme à gauche est en tenue de l’époque de son temps dans une partie composée d’un paysage antique en décomposition et en ruine. Alors que la dame dans la partie droite est quasiment nue dans une partie moderne d’un début XVIème siècle. Giorgione inverse les personnages en les positionnant dans des lieux devenus, par cette simple translation, étranges.

 5/ Gustav Friedrich Hartlaub parle d’une illustration des quatre éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air. C’est exact, tous les éléments sont présents et c’est le cinquième paradoxe, ils se mélangent et s’interpénètrent. Dans le ciel, l’air avec ce feu qui déchire l’atmosphère en reliant les remparts aux frondaisons. Le bas du tableau où l’on suit le cours d’eau en le perdant, en retrouvant une motte de terre qui ne semble plus rien séparer, croyant même que la rivière a été déviée et retrouver notre eau dans le bas du tableau, par on ne sait quel chemin ou nappe secrète.

 En fait nous sommes là, au XVIème sans y être, dans ce lieu sans y être. Comme le souligne le paradoxe du lieu de Zénon, « Si tout ce qui est, est dans un lieu, ce lieu même doit être dans un autre lieu, et ainsi indéfiniment. »               

Jacky Lavauzelle