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MORTE NATURE de PAUL DELVAUX

PAUL DELVAUX

MORTE NATURE PERDUE
Dans la perspective

 Delvaux eloge de la mélancolie

Dans l’Eloge à la mélancolie (1948), la seule plante de la toile est maîtrisée, contrôlée. Elle reste dans un coin derrière le sofa. Son utilité n’est plus que décorative. Elle prolonge la coiffure de la dame couchée, dans les mêmes tons. Elle atténue encore une fois, comme une ombrelle, la lumière un peu crue de la lampe. Elle ne la regarde pas, elle l’ignore.

Dans la Prière du soir (1966), l’arbre est scellé dans le macadam. Les racines sont maîtrisées. Pas une oncePaul-Delvaux-Pri-re-du-soir de terre ne permettra à l’arbre de grandir. Il est donc condamné à mourir. Il est resté là au même titre que les lampadaires qui donne de la lumière, lui donne de l’ombre. Il en a la même verticalité pour un usage inversé. Jour-Nuit, Ombre-Lumière.  

    • L'Acropole, 1966 1acLe même procédé se retrouve dans l’Acropole (1966) ou dans Promeneuses et Savant (1947).
    • La nature, quand elle apparaît, chez Delvaux est, le plus souvent, ravagée, lunaire, faite de rochers volcaniques au loin. Comme après une grande catastrophe. Tout est le plus souvent à nu comme les corps. Le gris renforce la sensation de froid. Les corps ne sont jamais lascifs. Ils sont couchés comme dans
      La Vénusdelvaux la Venus endormie endormie (1942), ou morts. Dans celle de 1932, Paul Delvaux montre des personnages en deuil autour de la Vénus.
    • delvaux l auroreDans l’Aurore (1937), l’arbre et la femme fusionne, comme un nouvel animal mythologique. Mais ce n’est pas la Terre qui se féminise, c’est la femme, l’homme, qui se fige déjà, qui se mortifie. Les corps ne sont pas libres. Ils sont là déjà dans la terre de ce cimetière. Une partie de leur corps ne leur appartient plus. La mort est dans le corps, envahissante. Le feuillage n’existe plus. Exit le cycle des saisons. Exit les couleurs, les tons. Exit la vie.
    • Dans le Pygmalion (1939), la végétation est là, la fleur aussi. Pour une fois, la nature bouge et vit. Mais cedelvaux pygmalion n’est plus de la nature, c’est de la parure. Le feuillage n’est rien d’autre qu’un chapeau, comme plus haut dans l’Eloge à la mélancolie. La tige de la fleur part des jambes, tourne autour de la cuisse, comme le lierre tourne autour de l’arbre affaibli et malade déjà. La tige ne vient d’aucune terre, d’aucun pot. Elle va donc mourir, se faner, rapidement. Elle vient d’être coupée au service d’un désir superficiel de la femme. La nature est comme le diamant ou l’or. Après l’avoir détruite, la prendre comme parure.  
  • delvaux le miroir Le Miroir (1936), montre de l’autre côté une image différente. A la femme habillée répond la nudité, à l’intérieur délabré à la tapisserie tombante, un paysage. C’est ce que la dame au premier plan veut voir d’elle-même. Non une femme, mais son désir, ses fantasmes ; non un paysage gai et frivole, mais une nature maîtrisée donnant plus de relief à la courbe de ses seins et de tons à sa chevelure blonde. Il n’y a nulle envie de retour vers une phase originelle, bien au contraire. La nature, elle l’imagine mais ne la voit pas, ne la regarde plus. A quoi bon ?
  • L’homme remplace le soleil par sa lumière incandescente. L’homme s’élève au-dessus des arbres, comme dans Le Viaduc (1963). La ligne du train surmontera toujours les derniers arbres encore sauvages qui résistent encore. Les lumières sont partout, celles des hommes, en dessous par le lampadaire, au-dessus par la lampe et l’éclairage du chemin de fer. Dedans par les lumières vives de la maison. La nature est englobée, ne reste plus qu’à l’asphyxier.

Dans Exil, le poème que Paul Eluard dédicace à Paul Delvaux, parle de ces femmes « Loin de l’odeur destructrice des fleurs, Loin de la forme explosive des fruits ». La nature doit être repoussée, oubliée. C’est elle ici qu’il faut tuer. Place à la ligne directrice, à l’ordonnancement des droites et des lignes de fuites…

 … comme dans Trains du soir (1957) ou dans La nuit de Noël : pas de rouge (à l’exception encore de la robe), paspaul-delvaux-train-du-soir de vifs. Non du gris-bleu au gris-vert pour aller vers le gris-gris. Pas un arbre, pas une fleur. Juste une petite fille toujours sur le côté. Si petite dans ce noir ici et au bout de la perspective. Si petite et si impuissante, qu’elle nous tourne le dos.

Jacky Lavauzelle