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LE TEMPS – Poème de Galaktion TABIDZE – არ არის იგი იმდენად ტკბილი

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POÈME DE GALAKTION TABIDZE
გალაკტიონ ტაბიძე
LITTÉRATURE GÉORGIENNE
ქართული ლიტერატურა
POÉSIE GÉORGIENNE
ქართული პოეზია

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Géorgie
საქართველო

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

 

Poème de Ilia Tchavtchavadze

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GALAKTION TABIDZE
გალაკტიონ ტაბიძე

17 novembre 1891 – 17 mars 1959
17 ნოემბერი 1891 – 17 მარტი 1959

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LE TEMPS
არ არის იგი იმდენად ტკბილი
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არ არის იგი იმდენად ტკბილი
Il ne semble pas si doux
დრო, დაფარული ცეცხლის ენებით,
Le Temps, qui se couvre de langues de feu,…



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LA TOUR DE L’HORLOGE TBILISSI & LE THEÂTRE DE REZO GABRIADZE რევაზ გაბრიაძე

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Sculptures de Tbilissi
თბილისის ქანდაკება
LA TOUR DE L’HORLOGE TBILISSI
&
LE THEÂTRE DE REZO GABRIADZE
რევაზ გაბრიაძე

GEORGIE
საქართველო
Sakartvelo

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LA TOUR DE L'HORLOGE TBILISSI & LE THEÂTRE DE REZO GABRIADZE რევაზ გაბრიაძე
Géorgie
საქართველო

PHOTO JACKY LAVAUZELLE

LA TOUR DE L'HORLOGE TBILISSI & LE THEÂTRE DE REZO GABRIADZE რევაზ გაბრიაძე

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Cette horloge penchée a été créée par Rezo Gabriadze. La tour se dresse tout à côté de son théâtre.
Elle semble être une réminiscence des temps anciens, un vestige abandonné et sauvé des mains du temps. Mais cette horloge date de 2010 et est volontairement penchée, meurtrie, cassée, brisée en tous sens. Les étayages sur le côté renforcent notre méprise. L’horloge marque le temps et rien ne résiste aux ravages du temps. Comme le disait Shakespeare : O, how shall summer’s honey breath hold out  Oh ! comment le souffle de miel de l’été tiendrait-il Against the wrackful siege of batt’ring days,  Contre le siège dévastateur des jours en bataille, When rocks impregnable are not so stout,  Quand les rochers imprenables ne sont jamais assez colossaux, Nor gates of steel so strong, but Time decays?
Ni les portes d’acier si puissantes, désintégrés par les effets du Temps ?
Autant la créer cassée, puisque telle elle finira.

À la fin de chaque heure, l’ange  sort de la porte peinte et appelle… et, deux fois par jour, à midi et à dix-neuf heures, la tour devient le principal monument architectural de Tbilissi à l’instar de la grande horloge de Prague et les passants admirent pendant plus d’une minute, les poupées mécaniques, avec au menu une rencontre, un mariage, des enfants et la mort.

*****

Devant son front chargé de rides
Soudain nos yeux se sont baissés ;
Nous voyons à ses pieds rapides
La poudre des siècles passés.
À l’aspect d’une fleur nouvelle
Qu’il vient de flétrir pour toujours,
Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours !

Je n’épargne rien sur la terre,
Je n’épargne rien même aux cieux,
Répond-il d’une voix austère :
Vous ne m’avez connu que vieux.

Ce que le passé vous révèle
Remonte à peine à quelques jours.
Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours !

Pierre-Jean de Béranger
Le Temps
Œuvres complètes de Béranger
H. Fournier
1839

Le passé n’est plus rien, que la Mort qui se vange,
De ne pouvoir du temps entrerompre le cours,
L’advenir n’a point d’estre, et par mille destours
Va, finet, décevant quiconque à luy se range.

Que si le temps plus long n’est autre qu’un instant,
A quoy vous sert, mortels, de vouloir vivre tant,
Sinon pour d’un instant allonger vostre vie ?

Antoine Favre
Les entretiens spirituels
Le temps n’est qu’un instant
Centurie I
Sonnet 64

AU TEMPS

Ô toi que le bonheur redoute,
Fatidique vieillard, seul ami du malheur,
Dieu qui portes la faux, éternel moissonneur,
Ô Temps ! — ma voix t’implore, écoute
Ce vœu, — le dernier vœu que doit gémir mon cœur.

           Hâte pour moi ton vol suprême ;
Des espoirs décevants moissonne en moi la fleur ;
Étouffe dans mon sein une implacable ardeur :
Fais que j’oublie autant que j’aime !
Détruis un lâche amour, ô divin destructeur !

Auguste Lacaussade
Au Temps
X
Insania
Alphonse Lemerre éditeur
1896
Poésies d’Auguste Lacaussade, tome 1

LES RAVAGES DU TEMPS

SONNET 65
SHAKESPEARE

Since brass, nor stone, nor earth, nor boundless sea
Ni le bronze, ni la pierre, ni la terre, ni la mer infinie
But sad mortality o’ersways their power,
Ne peuvent combattre contre la puissance de la triste mortalité,
How with this rage shall beauty hold a plea,
Comment, contre cette rage, la beauté pourrait-elle lutter,
Whose action is no stronger than a flower?
Quelle action engager, elle qui n’est pas plus forte qu’une fleur?

*

O, how shall summer’s honey breath hold out
Oh ! comment le souffle de miel de l’été tiendrait-il
Against the wrackful siege of batt’ring days,
Contre le siège dévastateur des jours en bataille,
When rocks impregnable are not so stout,
Quand les rochers imprenables ne sont jamais assez colossaux,
Nor gates of steel so strong, but Time decays?
Ni les portes d’acier si puissantes, désintégrés par les effets du Temps ?

*




*

O fearful meditation! where, alack,
Ô terrible méditation ! Hélas,
Shall Time’s best jewel from Time’s chest lie hid?
Comment voler le plus magnifique bijou de la poitrine du Temps ?
Or what strong hand can hold his swift foot back?
Ou quelle main forte peut retenir son pied agile et rapide ?

*

 Or who his spoil of beauty can forbid?
Comment lui interdire de toucher au butin de la beauté ?
O, none, unless this miracle have might,
Non ! rien n’y peut !  à moins qu’un miracle ne le puisse,
That in black ink my love may still shine bright.
Et fasse briller encore mon amour par l’encre noire !

Trad Jacky Lavauzelle

LES SONNETS SHAKESPEARE THE SONNETS – SOMMAIRE – INDICE

 

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Sculptures de Tbilissi
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LA TOUR DE L’HORLOGE TBILISSI
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LE THEÂTRE DE REZO GABRIADZE
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TIME KHALIL GIBRAN SUR LE TEMPS – The Prophet XXI

time-khalil-gibran-sur-le-temps-artgitato-les-vieilles-francisco-de-goyaTIME Khalil Gibran The Prophet
Sur Le Temps

The Prophet XXI
TIME KHALIL GIBRAN
Littérature Libanaise
Lebanese literature
le-prophete-khalil-gibran-fred-holland-day-1898Photographie de Fred Holland Day
1898



جبران خليل جبران
Gibran Khalil Gibran
1883–1931
le-prophete-khalil-gibran-the-prophete-n

Traduction Jacky Lavauzelle

 

THE PROPHET XXI
 TIME
LE TEMPS

1923


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time-khalil-gibran-sur-le-temps-artgitato-les-vieilles-francisco-de-goya

Les Vieilles – Le Temps
1808-1812
Francisco de Goya
Palais des beaux-arts – Lille

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TIME KHALIL GIBRIL

And an astronomer said, « Master, what of Time? »
Et un astronome demanda : « Maître, que peux-tu nous dire sur le Temps ? »

And he answered:
Et il répondit :

You would measure time the measureless and the immeasurable.
Vous souhaitez mesurer le temps sans mesure et incommensurable.

You would adjust your conduct and even direct the course of your spirit according to hours and seasons.
Vous souhaitez adapter votre conduite et même diriger le cours de votre esprit selon les heures et les saisons.

Of time you would make a stream upon whose bank you would sit and watch its flowing.
Du temps, vous souhaitez qu’il soit un ruisseau sur la rive de laquelle vous vous asseyez et regardez son écoulement.

Yet the timeless in you is aware of life’s timelessness,
Pourtant, l’intemporel qui se trouve en vous est conscient de l’intemporalité de la vie,

And knows that yesterday is but today’s memory and tomorrow is today’s dream.
Et il sait qu’hier est la mémoire d’aujourd’hui et demain est le rêve d’aujourd’hui.

And that that which sings and contemplates in you is still dwelling within the bounds of that first moment which scattered the stars into space.
Et que ce qui chante et contemple en vous, demeure dans les limites de ce premier moment qui dispersera les étoiles dans l’espace.

Who among you does not feel that his power to love is boundless?
Qui parmi vous ne sent pas que son pouvoir d’aimer est illimité?

And yet who does not feel that very love, though boundless, encompassed within the centre of his being, and moving not from love thought to love thought, nor from love deeds to other love deeds?
Et pourtant, qui ne sent pas que l’amour même, quoique sans bornes, englobe le centre de son être, et ne passe pas de pensée d’amour en pensée d’amour, ni d’actions d’amour à d’autres actions d’amour?

And is not time even as love is, undivided and spaceless?
Et le temps n’est-il pas comme l’amour : indivisible et sans espace ?

But if in your thought you must measure time into seasons, let each season encircle all the other seasons,
Mais si dans votre pensée vous souhaitez mesurer le temps en saisons, que chaque saison englobe toutes les autres saisons,

And let today embrace the past with remembrance and the future with longing.
Et laissez le présent embrasser le passé avec le souvenir et laissez le présent embrasser l’avenir avec le désir.

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TIME KHALIL GIBRIL

Karen BRAMSON – Le Professeur Klenow : LA LAIDEUR DE L’AMOUR

Karen BRAMSON
 Le Professeur Klenow
(1923)

Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (1)

 

 

 

 


L
A LAIDEUR DE L’AMOUR 

 Dans le Temps du 31 août 1917, en pleine guerre, entre des articles sur Verdun, la situation militaire, un Hommage à l’armée de Verdun, la colonne centrale est occupée par un écrivain danois. Alors que la bataille de Verdun vient de s’engager menée par Général Guillaumat depuis une dizaine de jours focalisant l’attention des lecteurs, un critique s’intéresse à la sortie de la traduction d’Une Femme libre, le livre d’une femme, Karen Bramson.

Pour qu’un tel livre fasse la Une dans de telles conditions, il faut vraiment qu’il s’agisse d’une femme d’exception. « Mme Karen Bramson est une femme de lettres danoise, qui a donné des témoignages publics de sympathie à la cause de la France et des alliés. Elle ne fait nul mystère de ses sentiments dans son roman : Une femme libre, qui a eu grand succès dans les pays scandinaves, et qui vient d’être traduit en français ? A de bien rares exceptions près, et qui ont fait scandale, les représentants de l’intelligence, en quelque pays que ce soit, n’en ont point avec l’ennemi. Mme Karen Bramson est aussi une féministe ardente, ce qui n’est nullement incompatible avec la faculté de juger sainement la grande guerre européenne. »  

 La pièce, Le Professeur Klenow, en trois actes, est présentée le 18 avril 1923 au Théâtre de l’Odéon. Un autre journaliste du Temps, André Rivoire, accueille cette nouvelle production de Karen Bramson : « Ce drame poignant met en scène avec une rare puissance une sorte de Quasimodo intellectuel…Sobrement et fortement exposé, puis conduit par l’auteur jusqu’au dénouement avec une sûreté aussi impitoyable que celle du principal personnage. » Le personnage principal, le Professeur, est joué spécialement par Paul Reumert, un acteur du Théâtre Royal à Copenhague, « le plus réputé parmi les acteurs actuels du Danemark » (Robert de Beauplan, la Pte Illustration n°148).

 Ce critique émet alors une critique de fond sur l’œuvre : «  L’œuvre de Mme Karen Bramson s’élève fort au-dessus des productions courantes de notre théâtre. Elle ferait honneur à nos meilleurs dramaturges. Il semble, d’ailleurs, qu’elle se rattache par certains côtés, à notre tradition romantique. Ce n’est pas sans raison qu’elle a évoqué un rapprochement avec Quasimodo. Nous retrouvons en Klenow l’antithèse de la hideur physique et de la passion. Au dénouement, Klenow cesse presque d’être horrible pour atteindre à une certaine sublimité. Son amour exclusif jusqu’à la plus atroce cruauté a vaincu tous les obstacles, il a triomphé même de la Beauté. Le monstre peut provoquer son absolution tragique : « Créateur, je te pardonne ! » Mais aussi, une influence nietzschéenne se fait sentir dans la pensée de Mme Karen Bramson. Si la douce et tendre Elise est condamnée à mourir, c’est qu’elle a eu pitié. La pitié est une faiblesse qui entre en conflit avec les lois inéluctables de la nature. Klenow, dont l’égoïsme « surhumain » ignore ma pitié, reste vainqueur. Est-ce à dire que Mme Karen Bramson condamne la bonté ? Non. Mais elle ne se fait pas d’illusion sur le sort qui l’attend. Et c’est précisément ce sacrifice volontaire qui fait la grandeur d’Elise. »

Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (2)

 

D’autres critiques relèvent le rapprochement évident au premier abord avec Quasimodo. C’est le cas d’André Antoine (L’Information) : « Ce qui fait la valeur de ce drame, ce que nous avons admiré, c’est la force, la profondeur et l’analyse des sentiments de Klenow, sa progressive descente vers une odieuse cruauté, l’infernale ingéniosité de la torture imposée à sa victime. Ce moderne Quasimodo apparaît aussi pitoyable et magnifique que l’autre.»

 L’œuvre présente deux personnages attachants, car mouvants : le Professeur Klenow et Forsberg, le père d’Elise (Mlle Clervanne), joué par Firmin Gémier. Elise, la fille protégée par le Professeur et le sculpteur Eric Wedel, joué par Jacquin, sont les éléments stables de la pièce, donc prévisibles. Ces deux derniers sont beaux et jeunes ; ils s’aiment. Elise et Eric sont mis en relief par les deux personnalités fortes que sont le Professeur et Forsberg. Par exemple, la description de la belle et tendre Elise se transforme dans la bouche du père en un personnage beaucoup plus complexe : « Et puis elle ressemble à sa mère, la misérable. Ce n’est pas cela qui pouvait améliorer les choses ! La même bouche vicieuse…Les mêmes yeux de colombe innocente…La mère est morte, mais elle revit dans la fille, qui doit expier. » 

Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (3)

La pièce s’articule sur l’opposition des deux hommes et sur l’ascendant du Professeur sur Eric, son meilleur ami, au moins au début de la pièce, et Elise, qu’il a sauvé des mains et de la maltraitance de son père.

 Regardons de plus près ce Professeur et Forsberg. Le professeur Klenow est un homme réputé dans son Université ; philosophe, il écrit sur les femmes.   Son livre, la Philosophie de la femme, élabore une théorie sur la femme : «Le mensonge est l’élément le plus puissant de tout ce qui constitue l’être féminin. Il en est le parfum, la couleur, la splendeur et l’essence même. C’est l’étincelle qui enflamme le désir du mâle. » (Cité par Forsber à l’acte I). Cette philosophie est appliquée dans la vie et dans son raisonnement : « –Vous pensez que j’ai menti ? » (Elise)  « –Tu es femme, mon enfant. » (Klenow, Acte I)

Le reste de ses théories sont basiques comme par exemple : « C’est la loi de l’univers même. Tout est lutte entre le plus fort et le moins fort. Les faibles ont la petite consolation de croire, quand ils sont vaincus, qu’ils s’inclinent par générosité ou par pitié. » (Acte III)

 Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (4)

C’est justement le mensonge, qu’il attribue à la femme dans son être-même, qui constitue le personnage de Klenow. Sa parole change du premier au troisième acte, et dans les actes eux-mêmes. Il manie l’ironie et il est très difficile de savoir ce qu’il pense. Présenté comme l’être aimant par excellence au début de la pièce, il deviendra un tortionnaire, jouant sur sa force de persuasion. La seule à lui garder de l’admiration sera sa bonne, Marie, jouée par Madame Theray. « Heureusement, monsieur ne pense pas un mot de ce qu’il dit ! » (Marie, Acte I). Il ne prend pas de gants avec elle, elle s’en offusque souvent : « C’est un peu fort, tout de même, de me dire ça à moi, qui ne pense que du bien de monsieur et à l’honneur de monsieur … Jamais personne ne m’a parlé ainsi. Trahir ! C’est beau de tenir de tels propos après tout mon dévouement…» (Acte III) Elle lui trouvera toujours des excuses, même le jour où elle se retrouve mise à la porte par le Professeur. En fait, c’est la seule qui l’aime réellement, éperdument : « Alors, c’est sérieux ? Monsieur me donne congé…après tant d’années…et tant de…affections ? » (Acte III) Cet amour de Marie pour Klenow, Elise, seule le verra : « Est-ce que j’ai détruit pour vous …un espoir ? » Cette Marie, la bonne, femme de ménage, et la bonne et honnête femme du premier acte, changera de comportements et d’attitudes dans le second acte pour accompagner Klenow, pour ne pas le perdre, jusque dans sa méchanceté : « il y a longtemps que je me suis jurée de ne jamais abandonner monsieur…le pauvre homme ! J’ai bien vu son frère qui était aveugle, lui aussi…J’ai été sûre que ce malheur épouvantable arriverait aussi un jour à monsieur. C’était la même sorte d’yeux, tout rouge…et la même façon de regarder et de clignoter. J’ai fait semblant de ne pas le croire, mais je m’y attendais tout le temps. Le pauvre cher homme. »  Et Elise de réponde : « il aurait été moins malheureux avec vous, Marie. » (Acte III)

 Klenow a une obsession : la beauté, posséder la beauté. Il est la laideur personnifiée. Il est capable de tout pour l’accaparer, payer, mentir, mourir. La beauté, dit-il est éternelle, y compris celle des corps. Lui est le corps qui se décompose, il est la finitude du réel « Une jolie femme ne devrait jamais mourir. Toute beauté devrait être éternelle, c’est la création sublime…Regarde-toi ! Tourne-toi de tous les côtés…et dis-moi si ton cœur ne va pas éclater de joie en comprenant que tu es un chef-d’œuvre de la nature, le modèle parfait du corps féminin. » (Klenow, Acte I)

 Cette beauté peut faire exploser l’ordre qui entoure si bien le professeur. Il se veut un grand théoricien et logicien de la vie. Il travaille dans une pièce « meublée avec un goût sévère, des livres et des papiers partout. » (I)… « Vous savez combien j’aime avoir tout en ordre. J’achète toujours deux parapluies à la fois, pour le cas où j’en oublierais un dans le tramway… » (Acte I) « Je veux qu’on exécute mes ordres. Si cela ne te convient pas, tu peux t’en aller. » (Klenow à Elise, Acte I). Il a ses habitudes : « Je lui ai dit cent fois qu’elle devait être là quand je rentre. » (Klenow, Acte I)

 Il manie donc le double discours et l’ironie, et, en bon philosophe détestant la laideur qu’il incarne, surtout sur lui-même. Il se moque de son corps, de ses yeux malades et apprécie les caricatures sur son personnage : « Regardez ! C’est drôle…hein. Je n’ai jamais vu une chose plus ressemblante. Voyez ces jambes tordues, ce dos de travers et cette tête en boule…Quel magnifique bouffon je fais ! Ah ! la la ! (riant amèrement.) C’est tout à fait ma délicieuse silhouette quand je descends l’escalier de l’Université, le cou dans les épaules et les doigts de pied en l’air… Le brûler ! Vous êtes folle ! C’est une œuvre d’art de tout premier ordre ! Quelques traits de crayon démontrent que je suis la créature la plus ridicule sur terre. C’est le grand art ! Je n’arrive pas dans mon plus gros livre à ridiculiser mes semblables avec une telle force.» (Acte I)  …. « Du reste, pour admirer passionnément la beauté humaine, tu n’as qu’à me regarder, moi ! » (Klenow, Acte I). Son ironie va jusqu’à la pensée de sa mort : «je m’achétera à l’avance un confortable et coquet cercueil capitonné de soie, et je me composerai une épitaphe pleine de tendres éloges…pour que tout soit prêt à temps. » (Acte I). Il sait qu’il n’est pas bon mais intéressé. En fait, les autres pensent qu’il en rajoute : « Je ne suis pas bon. Je fais ce qui me plaît, voilà tout. Si quelqu’un en bénéficie du même coup, tant mieux. » (Klenow, Acte I)

 Cette laideur met donc en relief la beauté du corps d’Elise. Il réunit les contraires. Il se joue des oppositions. Comme dans son discours qu’il aime voir affronter par d’autres esprits. Et c’est avec Forsberg qu’il s’en donnera à cœur joie.

 Leur rencontre s’opère dans le premier acte. Intéressé fondamentalement par l’argent, la présentation qui en est faite ne trompe pas : «C’est un homme de cinquante ans, pauvrement habillé ; son attitude révèle une certaine éducation, mais on lit sur son visage les traces de toutes les bassesses qu’engendre la poursuite incessante de l’argent. Il s’incline profondément devant Klenow », Forsberg se présentera comme détaché des choses si matérielles : «Je déteste l’argent, cette idoles des canailles, qui nous piétinent, nous autres grandes âmes ! … «Je comprends votre étonnement. Sous ce veston misérable vous ne pouvez deviner la chrysalide qui enveloppe un penseur mille fois supérieur à ceux qui se font habiller chez un penseur à la mode…Je sais l’impression que je fais. »  (Acte I) « Mon idole à moi, c’est la Sagesse ! » (Acte I) « Je m’incline, quoique je me sente votre égal. » (Acte I)

Voilà comment il se présenterait s’il avait une carte de visite : « ‘Théodore de Forsberg, âme noble râtée, génie philosophique avorté.’ Et en dessous…deux points…  ‘Par suite des lamentables nécessités terrestres, petit marchand de vins, mais, grâce à son sens pratique de grande envergure, fraudeur en gros…’ Car, en vertu des lois de l’instinct de conservation, je me permets de bien baptiser mon vin avec de l’eau de source. » (Acte I)

« Je veux donner à mon fils une situation importante et enviable dans la société maudite qui m’a exclu du festin. Je veux lui préparer le magnifique spectacle des dos obséquieux, courbés, tremblants devant son pouvoir de faire du mal…Ah ! Quel doux rêve ! Voilà mon secret, monsieur le professeur…voilà ce que vaut ma cupidité, mon avarice et tout le reste. » (Acte I)

 Et Klenow n’est pas mieux. L’argent pour lui, c’est Elise. Son désir, la posséder. Non pas dans sa chair, mais dans son âme. Qu’elle soit là, à côté de lui. « J’ai réussi à déchirer le voile qui enveloppait ton esprit. Je t’ai fait entrevoir ce qu’il y a de plus puissant au monde : la grande passion, celle qui ne craint rien, qui ne s’arrête devant rien, qui suit sa voie jusqu’à la mort. Prouve que ton amour est plus puissant que le mien…et tu auras le droit de me quitter. Mais tu es encore là, devant moi…Aujourd’hui, encore tu n’oses pas suivre ton désir. » (Acte III)

Karen Bramson (6)

 Mais Elise ne veut pas mourir. Elle veut vivre avec son Erik Wedel. Mais elle est prisonnière. Prisonnière physiquement, dans le même appartement. Prisonnière dans la pensée d’absolu de Kleenow. Si elle part, il se tuera. Elle aura sa mort sur la conscience éternellement. « Tant que je serai vivant, il ne t’aura pas ! » (Acte III) Elle aura tué l’homme qui l’a sortie des griffes de son père. Si elle reste, elle devra attendre les derniers jours de ce professeur qui se dit mourant. Mais l’amour possessif de Klenow le garde en vie, le stimule : « je reste encore attaché à cette existence lamentable, je supporte encore de vivre comme une misérable épave humaine, pour être près de toi, pour entendre le son de ta voix. » (Acte III)

 Mais le choix de Klenow enferme Elise, qui n’accepte ni l’un ni l’autre. Son amour pour Erik ne se sera pas rendu possible dans la mort d’un homme. Vivre avec Klenow, montre d’égoïsme, n’est pas possible non plus. « Je comprends votre force, égoïste cruel. Vous appelez cela amour, de me voler mon bonheur…de me menacer…me torturer…Il avait raison…une telle vie …est pire que la mort. » (Acte III)

 C’est donc la mort qu’Elise choisit, sa mort. Klenow regarde ce corps sans vie et murmure : « Elle est à moi…je l’ai prise…La beauté m’a été sacrifiée…Créateur…je te pardonne. »

 Sa folie des grandeurs va jusqu’à ce pardon qu’il donne au Créateur lui-même. Ce n’est plus le Pardonnez-moi ! Il prend la place du divin qui vient de recevoir sa victime en offrande. « C’est trop fou pour ne pas être vrai. » disait Klenow dans le premier acte, mais si « la Raison c’est la folie du plus fort. La raison du moins fort c’est de la folie.» (Eugène Ionesco, Journal en miettes)

 Klenow n’était ni le plus doué, ni le plus intelligent, mais le plus acharné et le plus impitoyable. Il croyait aimer. Mais à trop étreindre, il a étouffé et enchaîné l’amour pur qui naissait dans son nid. Il est désormais seul, aveugle et fou. Il n’aura plus « la petite pression amicale des doigts » mais la « main inerte ». Il ne lui reste plus, dans sa folie, que son imagination. Il faudra qu’elle soit puissante et forte pour l’emmener loin, comme dans ce début du troisième acte où il disait à Elise : « Je savoure des imaginations magnifiques ! La laideur des réalités n’a plus de prise sur moi. Je suis devenu poète, Elise. J’aborde avec avidité les impressions extérieures…je les devine…et j’en tire secrètement de superbes images. Toi, je te vois partout. Et partout tu m’accompagnes avec un tendre sourire. N’est-ce pas, je suis heureux ? Je vois tes cheveux de soie…tes yeux, ces deux saphirs…ta peau pâle comme une fleur de pommier, les lignes de ton corps sculpté comme un marbre. Tu es la dernière chose vivante que j’ai vue. Je voulais que tu fusses la dernière. L’avare veut garder ses richesses dans la tombe !… »

 Ce tendre sourire a disparu. S’il est encore là, sur ses lèvres mortes, il est pour un autre. Lui, l’avare de l’amour, n’emportera dans le tombeau que son corps mutilé, sa folie et son âme malade.

Jacky Lavauzelle

 

La Petite illustration n°148 du 9 juin 1923

Pièce représentée pour la première fois au Théâtre de l’Odéon le 18 avril 1923