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LOPE DE VEGA
Лопе де Вега
诺普德维加
1562-1635

BNE Biblioteca Nacional de España Biblitothèque Nationale d'Espagne Artgitato Madrid Lope de Vega

LE THEÂTRE DE LOPE DE VEGA
par Louis Viardot en 1833

« Enfin, parut Lope de Vega. Devant lui, comme devant ces puissants génies qui paissent au milieu des dissensions publiques et les apaisent par leur ascendant, la guerre cessa. Il monta, suivant l’expression de Cervantès, sur le trône de la comédie, et régna sans partage, sans rivaux, sans contradicteurs. Il faut, au milieu de ce tableau rapide, s’arrêter un moment à cet homme extraordinaire, qui eut une si prodigieuse influence sur le théâtre moderne.

Lope de Vega, né en 1562, montra, dès la première enfance, un goût très vif pour les lettres et surtout pour la scène. A l’âge de onze ans, il composait déjà de petites pièces. Les événements dont sa jeunesse aventureuse fut agitée, ses malheurs, ses voyages, le détournèrent d’abord de ce premier penchant ; mais de retour dans son pays natal, il s’y abandonna sans réserve, et fit succéder sans interruption, jusqu’à sa mort, cette foule incroyable d’ouvrages de tous genres qu’à lui seul, entre tous les hommes, il a été donné de produire. Dans la préface d’un livre imprimé en 1604, lorsqu’il avait quarante-deux ans, il porte à plus de vingt-trois mille feuilles le nombre de vers qu’il avait déjà écrits pour le théâtre. En 1618, il assure que le nombre des comédies qu’il a composées s’élève à huit cents ; en 1620, à neuf cents. « J’ai eu assez de vie, dit-il en 1629, lorsqu’il publiait la vingtième partie de ses œuvres dramatiques, pour en écrire dix-sept cents. » Enfin, en 1635, année de sa mort, il avait achevé les dix-huit cents comédies que lui attribuent son ami Perez de Montalban et le savant Nicolas Antonio. Toutes furent représentées, la moitié au moins imprimées. Dans ce nombre, il en est plus de cent dont chacune ne lui coûta qu’un jour de travail, et, comme il le dit lui-même, «en vingt-quatre heures passa des Muses au théâtre. » Pour compléter la liste immense des œuvres de Lope de Vega, il faut ajouter à ces dix-huit cents comédies environ quatre cents autos sacramentales, un grand nombre d’intermèdes, des poèmes épiques, didactiques et burlesques (la Jerusalem conquistada, la Gatomaquia, etc.), des épîtres, des satires, des dissertations, des pièces fugitives et une foule innombrable de sonnets. On a fait sur les œuvres de Lope cet effrayant calcul, que, pendant les soixante-treize ans qu’il a vécu, c’est-à-dire depuis l’heure de sa naissance jusqu’à celle de sa mort, et bien que sa jeunesse eût été perdue pour les lettres, il a dû écrire chaque jour huit pages entières, presque toutes de poésie. Le nombre total de ses écrits est évalué à cent trente-trois mille pages et à vingt-un millions de vers. L’histoire littéraire n’offre certes rien qui approche de cette fécondité vraiment fabuleuse ; et quand même aucun autre mérite ne s’attacherait au nom de Lope de Vega, il devrait vivre toutefois dans la mémoire des hommes comme un de ces prodiges que la nature ne produit pas une seconde fois.

Maître absolu, arbitre souverain du théâtre et de la littérature de son pays, Lope, comme tant d’autres dictateurs, manqua à sa haute vocation. Cet homme prodigieux, que Cervantès appelait monstruo de naturaleza, pouvait réformer et diriger le goût du public, il trouva plus commode d’y sacrifier ; et les applaudissements de la multitude le précipitèrent dans des défauts qu’il connaissait, mais qu’il ne voulut pas éviter, et auxquels il donna sciemment l’autorité de son exemple et de sa renommée. « Il faut, disait-il dans une de ses préfaces, que les étrangers remarquent bien qu’en Espagne les comédies ne suivent pas les règles de l’art. Je les ai faites telles que je les ai trouvées ; autrement on ne les aurait point entendues. » « Ce n’est pas, dit-il encore dans son Arte nuevo de hacer comedias, que j’ignore les préceptes de l’art. Dieu merci. Mais quelqu’un qui les suivrait en écrivant serait sûr de mourir sans gloire et sans profit….. Aussi, quand je dois écrire une comédie, j’enferme les règles sous six clefs, et je mets dehors Plaute et Terence pour que leur voix ne s’élève pas contre moi….. Je fais des pièces pour le public ; et puisqu’il les paie, il est juste de les faire à son goût. » Lope termine ce traité poétique en convenant qu’il est plus barbare que ceux auxquels il donne des leçons, et que toutes ses comédies, hors six qu’il ne nomme point, pèchent gravement contre les véritables règles de l’art. Lope de Vega, rassasié d’honneurs et de richesses, objet de gloire pour sa patrie et d’envie pour les étrangers, dont la renommée enfin fut telle que son nom servait à personnifier l’excellence en toutes choses, Lope de Vega doit sembler bien sévère envers lui-même, lorsqu’au milieu de cette multitude il n’excepte que six comédies de sa propre réprobation ; et cependant la postérité, plus sévère encore, n’a pas même ratifié cet arrêt. Aucun de ses innombrables ouvrages n’a mérité d’être donné pour modèle. On les a plutôt cités comme une preuve de l’abus des facultés naturelles, et comme un guide contre les fautes où il entraîne. Cette intarissable imagination, cette prodigieuse facilité d’écrire, ce talent de peindre les caractères et de faire agir les passions, tant d’habileté à manier le dialogue, tant d’esprit, tant de finesse, toutes ces qualités qu’il répandit à pleines mains dans ses œuvres, et qu’il réunissait au plus haut degré, sont comme étouffées par leur propre excès. On dirait d’un arbre vigoureux que n’émonde point la main du jardinier, et qui use sa sève en jets désordonnés et stériles. Partout on sent l’absence du travail consciencieux, du goût épuré ; partout, l’oubli de cette crainte salutaire du public, et de cette rigueur pour soi-même sans laquelle il n’est point de perfection.




Toutefois, pour juger avec équité Lope de Vega, il faut se reporter à son époque. Si la certitude et l’enivrement du succès lui firent préférer des triomphes faciles à une gloire plus noble et plus durable, quel modèle, quel rival avait-il pour guider ou pour exciter son talent ? En Espagne, personne n’entra dans la carrière qu’il parcourait avec tant d’éclat, sinon à sa suite, et pour l’imiter servilement jusqu’en ses extravagances. Rien, dans le reste de l’Europe, ne pouvait lui donner plus de lumières ou plus d’émulation. En France, la scène était encore abandonnée aux Jodelle, aux Hardy, et l’Italie s’était arrêtée à la Mandragore. Avec Lope de Vega parut un seul autre grand génie, créateur aussi du théâtre de sa nation, unissant des qualités et des défauts à peu près semblables, et qu’il serait aussi facile qu’intéressant de mettre en parallèle. Mais la barrière qui séparait alors les langues du nord et celles du midi sépara les deux illustres rivaux. Shakespeare et Lope de Vega vécurent en même temps sans se connaître, et ne purent s’emprunter ni cette noble jalousie de gloire, ni ces leçons réciproques que donnent les luttes du génie. Chacun d’eux régna seul, unique, dans un empire incontesté. Comme Shakespeare et avec lui, Lope conservera toujours l’honneur d’avoir fondé le théâtre moderne ; mais par des raisons de politique et de langage, plus que Shakespeare, il porta son influence chez les nations étrangères, et nous, Français, auxquels il a le plus prêté, nous devons répéter ce juste éloge de son illustre éditeur, lord Holland : « Si Lope de Vega n’eût point écrit, les chefs-d’œuvre de Corneille et de Molière n’auraient peut-être jamais existé ; et si nous ne connaissions pas leurs ouvrages, Lope passerait encore pour un des grands auteurs dramatiques de l’Europe. »

Douze ans avant la mort de Lope de Vega (1621), arriva celle de Philippe III, et à ce monarque triste et dévot succéda un jeune prince ami des plaisirs et passionné pour le théâtre. Philippe IV aimait le commerce des gens de lettres, les recevait à la cour, et s’amusait à jouer avec eux ces comédies improvisées, alors fort à la mode en Italie. On lui attribue même plusieurs ouvrages dramatiques qui furent représentés sous le nom d’un esprit de cette cour (por un ingenio de esta corte), entre autres la passable comédie intitulée Donner la vie pour sa dame. Cette circonstance accrut encore le mouvement imprimé par Lope de Vega, et amena la plus brillante époque du théâtre espagnol. Une foule d’auteurs s’étaient, de son vivant, jetés sur les traces du maître, tels que les docteurs Ramon et Mira de Mescua, le licencié Miguel Sanchez, le chanoine Tarraga, don Guillen de Castro, Aguilar, Luis Vêlez de Guevara, et cent autres ; mais tous l’imitaient et restaient loin de lui. Ce ne fut qu’à la fin de son règne que parut le rival qui devait le détrôner : Calderon de la Barca.

Louis Viardot
Revue des Deux Mondes – 1833 – tome 2
Essai sur l’histoire du théâtre espagnol

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POESIE DE LOPE DE VEGA

LES VOYANTS

Quand vers les vains trésors d’autres tendaient la main,
Poursuivant le plaisir comme on chasse une proie,
Eux portaient les fardeaux sous lesquels l’âme ploie
De l’aurore à la nuit, du soir au lendemain.

S’immolant chaque jour, ils ont pris le chemin
De la mort héroïque et sans gloire, la voie
Du sacrifice obscur ; ils ont cherché la joie
Au-delà de la vie et de l’amour humain.




Ils ont passé… Déjà, sans doute, on les oublie,
Mais vous que fit pleurer leur divine folie,
Vous qui savez que rien ne s’achève ici-bas,

Qui dans l’ombre entendez souvent frémir une aile,
En vous penchant sur ces martyrs, n’avez-vous pas
Vu dans leurs yeux mourans poindre l’aube éternelle !

Poésies
Vega
Revue des Deux Mondes tome 28, 1915

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LE TOMBEAU VIDE

I
LES PORTEUSES DE PARFUMS

L’aube luit, fraîche et claire, après l’horreur des jours
Où, le Juste expirant sous les cieux noirs et sourds,
Notre espérance fut brisée ;
Nous suivons de nouveau le chemin de douleurs ;
En tremblant, en pleurant, nous moissonnons des fleurs
Dans la printanière rosée.

Avant que parût le matin,
J’ai coupé la menthe et le thym,
L’hysope, la rouge anémone ;
J’ai cueilli près de ma maison
Les violettes du gazon
Et l’odorante cinnamome.

Voici les lys pourprés que le Seigneur trouvait
Plus beaux dans la splendeur dont le ciel les revêt
Que le plus grand de nos monarques ;
Sur le front du Martyr, leurs calices soyeux
Et leurs baumes, mêlés aux larmes de nos yeux,
Laveront les sanglantes marques.

Dans l’albâtre et l’argent, j’ai pris
Les aromates de grand prix,
Le nard pur, l’aloès, la myrrhe,
Pour en oindre ces pieds troués,
Qui sur la croix furent cloués,
Ce corps plus pâle que la cire.

Nous voulons, ce matin, l’embaumer de nouveau,
Mais le roc est si lourd qui ferme le caveau,
Si faibles sont nos mains de femme !
Qui roulera pour nous cette pierre aujourd’hui ?
Reverrons-nous Jésus et pourrons-nous sur lui
Répandre le dernier dictame ?

Sans force, dans l’ombre, à présent,
Le Christ immobile est gisant.
Qui roulera pour nous la pierre,
La lourde pierre du tombeau,
Et dans la grotte quel flambeau
Nous guidera de sa lumière ?

II
L’APPARITION DES ANGES

 La tombe ouverte est vide ; avec l’air du matin,
Le jour librement y pénètre ;
Ce n’est pas un mirage, un reflet incertain,
Rien ne nous reste plus du Maître.

C’en est donc fait, ô Christ ! Nous ne les verrons
Vos mains dont le geste délivre,
Vos yeux dont le regard guérit, Seigneur Jésus,
Vous sans qui nous ne saurions vivre !

Heureux les affligés qui pleurent sur un corps !
Nous n’avons qu’une pierre nue ;
Le Seigneur est perdu dans la foule des morts,
Englouti par l’ombre inconnue.

Hommes vêtus de blanc, redoutables et beaux,
Dont l’épée au jour étincelle,
Ayez pitié de nous, ô gardiens des tombeaux !
Voyez notre angoisse mortelle.

Puisque le Christ n’est plus, une dernière fois
Laissez-nous adorer ses restes,
Et demander encore à sa bouche sans voix
L’écho des paroles célestes.

Par pitié, rendez-nous son corps martyrisé,
Afin que notre amour l’embaume,
Et qu’à genoux autour de lui, le cœur brisé,
Nous chantions le funèbre psaume !

En contemplant ses traits apaisés par la mort,
Nous oublierons enfin peut-être
Les affres du supplice et nous dirons : Il dort,
Il ne souffrira plus, le Maître.

Au soleil levant,
La tombe est ouverte,
La crypte est déserte :
Le Christ est vivant !

Il n’est pas resté
Dans le noir mystère ;
Il n’est plus sous terre,
Le Ressuscité.

Triomphant il sort
Du funèbre abîme :
La sainte victime
A vaincu la mort.

Ne le cherchez plus
Parmi la poussière :
C’est dans la lumière
Qu’habite Jésus.

Poésies
Vega
Revue des Deux Mondes tome 28, 1915

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EN SILENCE

 Vous pleurez un héros, une sainte au cœur tendre :
Ne pleurez pas trop fort ceux que le ciel vous prit !
Peut-être qu’ils sont là, qu’ils peuvent vous entendre,
Que sur vous plane leur esprit.

Si vous les chérissiez vraiment plus que vous-même,
Ayez pitié ! N’affligez pas de vos sanglots,
De vos pleurs déchirans, leur âme qui vous aime
Dans la lumière et le repos.

Songez qu’ils ont souffert, que leur lutte est finie ;
O vous qui respectiez leur sommeil ici-bas,
Par votre angoisse aveugle et vos cris d’agonie,
A présent ne les troublez pas !

Que leur regard, s’il vous contemple, en vous ne lise
Point de révolte impie ou d’âpre désespoir ;
Que leur paix se reflète en votre âme soumise
Ainsi que dans un pur miroir.

Vous entendrez leur voix, si vous savez vous taire,
Vous suivrez leur élan dans l’espace étoile,
Et vous ne serez plus triste ni solitaire
A votre foyer désolé.

Poésies
Vega
Revue des Deux Mondes tome 28, 1915

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L’UNION SUPRÊME

Dieu ne veut pas que pour toujours notre espoir meure,
Que les liens les plus puissans et les plus doux
Soient rompus sans pitié par un destin jaloux ;
Vous l’avez appris, vous dont la flamme demeure.

Vous fûtes à ce monde arrachés avant l’heure,
Ou condamnés au deuil solitaire… Sur vous,
Mère ou sœur délaissée, infortunés époux,
Plus d’une âme attendrie et pitoyable pleure.

Mais ces riches d’un jour qui plaignent votre sort,
Ceux qui n’ont point passé par l’ombre de la mort,
Ni gravi comme vous la douloureuse voie,

Que peuvent-ils savoir de votre amour si beau,
De votre surhumaine et triomphante joie,
Cœurs à jamais unis par-delà le tombeau !

Poésies
Vega
Revue des Deux Mondes tome 28, 1915

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LA RÉVÉLATION

Sur la route que j’ai péniblement suivie,
Tu marchais devant moi d’un pas vif et léger,
Tu chantais, tu riais à l’heure du danger,
Et tu rouvrais le ciel à mon âme asservie.

Combien de fois à la douleur tu m’as ravie !
Contre moi-même tu savais me protéger ;
Tu me semblais souvent un divin messager ;
Je t’appelais tout bas ma lumière et ma vie.

Et cependant, ô mon trésor, je t’ignorais,
Je ne pressentais pas mon deuil et mes regrets ;
Mais aujourd’hui mon cœur est clairvoyant et sage,

Il fut illuminé par l’ange au glaive ardent :
Amour, je te connais et j’ai vu ton visage,
Car on ne t’aperçoit jamais qu’en te perdant.

Poésies
Vega
Revue des Deux Mondes tome 28, 1915

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