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LE SOLEIL SE LEVE AUSSI – Henry KING : LA BLESSURE INVISIBLE (The Sun also rises 1957)

  Henry KING

LE SOLEIL SE LEVE AUSSI
The Sun also rises – 1957

Henry King The Sun also rises 1957

LA BLESSURE

INVISIBLE

 Il y a les gueules cassées de la Grande Guerre, cette « période difficile pour tout le monde » (Jack), ceux qui sont arrivés physiquement marqués, détruits, décomposés. Jack Barnes, Tyrone Power, journaliste au Herald Tribune, en sort impuissant. Sa blessure ne se voit pas. Il semble en pleine forme, rayonnant, dans la force de l’âge. Il sort et fréquente les endroits sélects de Paris, les plages de Biarritz et les Hôtels de Pampelune.

JE POURRAIS ÊTRE MORT

Mais c’est une victime touchée dans son intimité. Le médecin a beau tenter de le rassurer, « vous pourrez bouger et marcher tout à fait normalement…cependant…vous serez impuissant. », il sait que plus rien ne sera comme avant.

 Jack, de son vrai nom Jacob, « un nom terriblement biblique » lui dira plus tard Ava Gardner, est devenu avec le temps, philosophe, il relativise son accident, « je pourrais être mort. » Il reste simple dans un monde devenu bien compliqué, « Tout ce cinéma me rend malade ! » Et dans ce monde, il souffre de ne pouvoir vivre pleinement le grand amour de sa vie.

JE VOUS RAMENE AU SOLEIL !

Jack malgré la ville, malgré le monde et tous ses amis, se retrouve seul devant sa glace, seul dans sa chambre, alors que nous entendons encore le jazz-band de la taverne, seul dans son pyjama rayé. Il revoit son infirmière juste avant son opération, il revoit cette main qui le caresse « tout va bien, je suis avec vous », il ressent à nouveau cet apaisement. Puis viendra le temps du réveil avec cette même infirmière, dans la pleine lumière du jour. « –Où m’emmenez-vous ? – Je vous ramène au soleil ! » Déjà l’amour naît. Il ne connaît pas encore son infirmité. Dans quelques instants, tout s’effondrera.

TU SEMBLES ALLER BIEN

En 1922, Jack retrouve son ami Robert Cohn, Mel Ferrer, un écrivain malheureux qui n’arrive pas à écrire et cherche à partir, une autre forme d’impuissance, l’impuissance créatrice, et l’infirmière qui l’avait soigné en Italie, Brett Ashley, Ava Gardner, qui revient de Vienne, « où il pleuvait tous les jours », dans un Paris de couleurs et de joies. Les images sont belles et le film s’ouvre sur un soleil couchant radieux. Si tout pouvait être aussi simple et limpide.

La caméra glisse de la Place de l’Opéra jusqu’aux locaux où travaillent Jack. « Nous vivions dans une atmosphère de bohème, Rive Gauche, avec ses peintres, ses poètes et ses écrivains. » La caméra effleure le doux fleuve de la vie facile et insouciante. Un soldat boiteux, que rencontre Jack, lui glisse : « tu sembles aller bien ! ». Il lui demande encore inquiet : « tu vas bien, vraiment ? » en le regardant. Jack préfère passer à autre chose et le salue. Il ne peut partager son manque avec les autres hommes, il préfère donc l’esquive.

FILLETTE VOUS-MÊME !

Georgette Aubin,  Juliette Gréco, dans un rencard avec Jack, lui demande un pernod ; Jack lui répond que ce « n’est une boisson pour les petites filles » ; « fillette, vous-même» lui répondra-t-elle. Les rôles sont inversés. L’homme prend la place de la femme et inversement. Et Georgette avale cul-sec le verre plein de Pernod devant un Jack pantois. Georgette, après un bon repas et un mauvais café, s’inquiète devant le peu d’empressement et le peu de démonstration affective de Jack: « Que se passe-t-il ? Je ne vous plais pas ? » Jack se livre : « j’ai une blessure de guerre. » Georgette comprend et se penche vers lui affectueusement, « désolée pour votre blessure …Je vous aime bien. Vous êtes un chic type.» Il sera le gars bien, l’accompagnateur, le confident des dames habituées à être moins bien traitées par des hommes absents des bals et des bars depuis plusieurs années. Jack se cantonne au rôle de gentleman parfait, un ami très présentable et une oreille toujours à l’écoute. « Ça ne sert à rien de partir loin ! » dira-t-il à son ami Robert. Il ne fuit pas, lui. Il sait qu’il porte et portera sa croix, toujours, où qu’il aille.  

TU VEUX LES ADDITIONNER ?

Brett est la femme idéale, « elle a un certain style, elle semble si belle et honnête » dira Robert, courtisée par tous les hommes. « Tu veux les additionner ? » lui demandera gentillement Jack. Elle ne laisse en effet personne indifférent, à commencer par Robert, qui en tombe éperdument amoureux. Mais c’est à Jack qu’elle avoue et qu’elle voue son amour, « je ne peux pas m’en empêcher ! Je sais que je ne devrais pas !…Tu m’as tellement manquée ! » L’amour platonique entre Jack et Brett rayonne, illumine. Mais Brett ne peut s’empêcher de séduire, de danser, de boire et de sortir avec d’autres hommes.

ÊTRE LOIN DE TOI, C’EST PIRE QUE D’ÊTRE ICI !

Mais malgré son succès, Brett souffre d’une autre sorte d’impuissance. Avec les hommes, ça ne marche pas. Elle est toujours terriblement déçue et affectée. Chaque rencontre l’affaiblit alors que la seule présence de Jack la renforce. Son impuissance à aimer se retrouve trouve des affinités avec celle, différente, de Jack. Ce sont deux amputés de la vie amoureuse, deux âmes dérivantes qui se secourent l’une, l’autre. « Être loin de toi, c’est pire que d’être ici ! » Ils ne peuvent marcher qu’ensemble. 

JE CONNAIS TROP DE MONDE PARTOUT

Elle ne sera bien ni loin de Jack ni à ses côtés, car elle sait déjà qu’elle le fera souffrir. Elle amène le mouvement, « quand je pense dans quoi j’ai entraîné les autres ! », mais un mouvement inutile qui n’amène rien, « je connais trop de monde à Biarritz…je connais trop de monde à Nice…je connais trop de monde partout », sinon se retrouver au point initial. « Je paie pour tout cela maintenant ! »

Ces êtres à la dérive, un impuissant et une alcoolique à la dérive, boivent et reboivent, se noient dans un océan de bière et de pernod, afin d’oublier, afin  d’avoir cette sensation éphémère de marcher droit. Mais le bateau tangue. Incapables de s’aimer ou de se haïr, ils partiront à Pampelune, pendant les Sanfermines, les Fêtes de San Fermin, retrouvant Michael Campbell, Errol Flynn, qu’elle doit épouser, et un ami, Bill Corton, Eddie Albert. La fournaise et l’excitation de la corrida et de l’encierro, l’odeur des bêtes, la sueur virile des taureaux, la jeunesse fougueuse du matador vedette,  Pedro Romero, Robert Evans, donneront un relief encore plus saisissant à l’impuissance de tous ces êtres…

Jacky Lavauzelle