CINEMA FRANCAIS
Thriller
Eric Valette
LE SERPENT AUX MILLE COUPURES
(2017)
L’HARMONIE DES SPHERES DU MAL
Un homme s’affaire dans une vigne. Non loin de lui, un cyclomoteur. La nuit est là qui cache. Les gendarmes chassent. La mafia fait ses affaires. Un couple inquiet veille.
Éric Valette pose le décor de son dernier thriller un Sud-Ouest endormi aux portes de Toulouse. Il adapte ici le roman policier de DOA, Dean On Arrival, paru en 2009, aux Editions Gallimard.
Tomer Sisley roule, marche et tire. C’est le solitaire qui, tel un aimant, attire les misères du monde et augmente en intensité la violence sournoise qui couve. Les groupes sociaux qui s’organisent dans le Serpent aux mille coupures ne glissent pas les uns à côté des autres. Ils ne s’entremêlent pas. Les rencontres se font dans la douleur, la peur, la crainte, la soumission. Tomer Sisley se glisse jusqu’à se nicher au cœur d’une ferme martyrisée par une partie de la population locale. Il se glisse dirait Baudelaire comme « un serpent qui danse Au bout d’un bâton. » Un serpent qui ne mord que si on l’attaque. C’est un homme poursuivi, dangereux, mais nous ne saurons pas ce qu’il nous cache. Éric Valette retrace la route de ce cavalier motorisé sur sa route dans sa chevauchée destructrice.
« La balle cède devant le mot, parce que le mot s’élève dans l’harmonie des forces en présence et fait surgir une énergie que les puissances matérielles ne peuvent contenir… » (José Rizal). L’énergie est désormais celle du mal et des armes. Silence. Plus un mot. Aux armes !
Même avant son arrivée sur ces terres toulousaines, les hommes se battent et se font peur. Sa venue amènera un déchainement de violence. « Ce que le mal viole, ce n’est pas le bien, car le bien est inviolable ; on ne viole qu’un bien dégradé. » (Simone Weil – La Pesanteur et la Grâce). Et il y a bien longtemps que le bien n’est pas venu trainer ces guêtres dans nos contrées vinicoles et ailleurs.
Les groupes ne communiquent plus entre eux. Chacun observe ce que l’autre peut lui prendre. Le couple se voit dépossédé de son bétail, de sa tranquillité, les paysans sont dépossédés de leurs terres, la mafia de sa livraison, les gendarmes (avec Pascal Greggory livide, Stéphane Henon abasourdi) perdus dans la complexité du monde et effarés devant le pouvoir du mal…Cette survie n’est possible que par une solidarité, une loyauté. Il n’y a plus de contrat social. Le monde est KO.
Notre solitaire n’est ni bon ni mauvais. C’est un homme poursuivi qui se terre. Que le « soleil brille pour tout le monde » comme le souhaitait John Ford, restera un vœu pieu bien longtemps encore. Le bien se niche bien quelque part, mais si peu que sa lueur n’éclaire plus rien. Il n’y a plus de promesses, il ne reste que des doutes et des crises existentielles.
Dans ce premier Far Sud-Ouest, le monde vit dans la boue. Eric Valette filme la misère du monde. De ces groupes qui se fixent leurs règles et n’en font qu’à leur loyauté. Le reste ne vaut rien. Les paysans du sud-ouest ne se sont ni plus mauvais, ni plus bêtes que les autres, ils sont dépossédés de leurs traditions, de leurs terres et regardent arriver les nouveaux arrivants, les exotiques règlements de compte des mafias colombiennes, espagnoles, italiennes (Stéphane Debac, Terence Yin aux yeux bleus… ) Le monde n’est pas poétique. Ils ne comprennent plus rien et se défendent contre un pauvre agriculteur noir qui ne cherche qu’à survivre. Tomer Sisley erre tout autant et essaie de survivre comme les autres, comme les gendarmes, les paysans (Guillaume Destrem, Jean-Jacques Lelté), le barman (Gérald Laroche), le couple d’agriculteurs (Cédric Ido et Erika Sainte).
Le monde du Serpent aux mille coupures montrent ce monde libéralisé où les marchandises et les trafics, les mafias et les affaires gangrènent l’ensemble de la société jusqu’aux paysans reculés qui semblaient encore protégés. C’est un monde en crise, déstructurant où se qui se passait à Bogota, à Palerme où à Naples, se retrouve dans les vignes de Moissac ou de Fronton. Le monde ancien a disparu recouvert d’une poussière de cocaïne et d’adrénaline. Où les narcotrafiquants ont tous les codes pour naviguer dans cette nouvelle société où les autochtones, eux, se retrouvent totalement déboussolés au milieu des corps mutilés, puzzlisés, celui de Clémence Bretécher ou celui de Guillaume Destrem, au milieu du corps social pulvérisé, façon puzzle aussi.
L’achèvement est à la mort et à la totale destruction. Notre homme seul renaît des cendres. Et nous le retrouvons au port de Sète, devant la mer et le large. Ce n’est qu’un retour au milieu du chaos du monde qui s’est perdu un instant au cœur des vignes et des ceps. Dans le silence, au cœur d’une harmonie des sphères du mal qui grossissent et flottent juste au-dessus de nos têtes. Comme nous retrouvons notre état de Nature, après avoir perdu notre état social et notre moralité. Les lois sont celles du milieu et du plus fort. Retour au droit divin du parrain et du clan qui n’est plus soumis à aucune contestation devant un Etat déboussolé et impuissant.
Dans cette nouvelle société primitive, la liberté commence là où commence la liberté et le corps des autres. Et s’il « faut accepter le mal qu’on nous fait comme un remède à celui que nous avons fait » (Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce)…nous avons dû en faire de belles !
Jacky Lavauzelle
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