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Nuits Blanches (Luchino Visconti) – 1957- Le notti bianche – LE LONG VACILLEMENT DE L’ÊTRE

LUCHINO VISCONTI
Nuits blanches (Le notti bianche)

Nuits Blanches Visconti Long vacillement des êtres Artgitato Nuits blanches (Le notti bianche)
NUITS BLANCHE
Le Notti Bianche
1957

LE LONG VACILLEMENT DE L’ÊTRE

L’attente de l’être dans la tranquille sauvagerie. Tout le monde espère. Natalia espère dans la promesse du locataire (Jean Marais), Mario espère le bonheur simple dans la fraîcheur de Natalia, la prostituée espère un moment de douceur, un plaisir d’un soir. La blancheur de la neige et de l’attente. L’attente tout au long de ces nuits abrutissantes.

Une Livourne approximative entremêlée de ruelles et de ponts, de canaux et de quais, de passants et de clochards. Tout ne semble tenir que par les ponts arcboutés sur les êtres vides, livides et transhumants. Les murs défoncés et les ruines posent. Elles sont le décor et l’âme des personnages, décentrés et perdus.

LES RAYONS DE SUAVES ARDEURS

La lente et profonde désarticulation de l’être. Les êtres se chevauchent, se déhanchent, s’arcboutent aussi, se plient, tombent parfois et se relèvent enfin comme dans le rock endiablé de la taverne.

La blondeur enfantine, juvénile, fraîche de Natalia (Maria Schell). Un visage lumineux qui embarque Mario et le locataire.

La blondeur dans l’amour de la loge à l’écoute du Barbier. Une tête sur une épaule. « Et les fleurs exhalaient de suaves odeurs  Autant que les rayons de suaves ardeurs ; Et l’on eût dit des voix timides et flûtées Qui sortaient à la fois des feuilles veloutées ; Et comme un seul accord d’accents harmonieux, Tout semblait s’élever en chœur jusques aux cieux » (Alfred de Vigny, Les Amants de Montmorency).

LES LAIDEURS PARTICULIERES

Le film se pose. Natalia restera toujours dans l’attente d’un autre bonheur. Elle a trouvé. Elle sait. Pourquoi chercher ailleurs. Il n’y a plus qu’à attendre même dans le bruit des larmes, dans le bruit des soupirs.

La noirceur et la poisse de la prostituée (Clara Calamai) à la recherche d’un peu de lumière. Mario se laisse prendre, désabusé. « L’éclat des yeux peut tromper au premier moment. Mais on rencontre souvent des laideurs particulières, vicieuses, psychiques » (Henri Michaux, Un Barbare en Inde). Elle se perd dans les profondeurs, entraîne Mario sur des quais interlopes. Mario d’un dernier coup de reins remonte à la lumière et quitte la malédiction des profondeurs.

IL ABUSE DE LA NUIT

Mario revit. Il est là et dans ses bras Natalia. Tout est beau, trop beau, jusqu’à cette neige recouvrant toutes les misères, toutes les noirceurs et les bassesses. La neige illumine ces deux êtres seuls dans la ville, seuls mais qui la dépassent et la survolent. Ils crient, jouent et s’embrassent dans de longs projets d’avenir joyeux et soyeux.

Le « C’est lui » final, claquant dans la neige et cassant le rêve monté par Mario.  Le personnage accuse le coup, se courbe. La tête tombe. Le mur seul peut encore le retenir. Le manteau sur l’épaule, Mario (Marcello Mastroianni)  se retourne et part en caressant le chien au fond de la nuit. « Il n’abusera pas trop de la lumière des lampes. Il abusera plutôt de la nuit » (Henri Michaux, Un Barbare en Inde).

 

Jacky Lavauzelle

 

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Nuits blanches (Le notti bianche)

William Somerset Maugham – Le Cyclone : Le grand sacrifice

William Somerset Maugham
1874-1965





Le Cyclone W Somerset Maugham Théâtre des Ambassadeurs Argitato

LE CYCLONE
THE SACRED FLAME – 1928
Pièce en trois actes
Adaptation française d’Horace de Carbuccia
Représentée le 1er octobre 1931
Au Théâtre des Ambassadeurs

LE GRAND SACRIFICE





Depuis 2012, des cantons suisses valident la possibilité d’un recours à une aide au suicide. Une association suisse, Exit A.D.M.D. (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) propose son aide aux malades âgées qui ne sont pas nécessairement en phase terminale.

William Somerset Maugham, l’auteur de la Servitude de l’Homme (1915) aborde ici, au théâtre, ce thème difficile du suicide assisté. Le titre original est The Sacred Flame, la Flamme sacrée, 21ème pièce de l’auteur, écrite à 54 ans, et sortie, en Angleterre, en 1928. C’est avec l’adaptation française d’Horace de Corbuccia que la pièce fut présentée trois ans plus tard au Théâtre des Ambassadeurs.



UNE ACTUALITE TOUJOURS PRESSANTE
Etienne Rey disait dans Comoedia, en 1931 : «  c’est un drame volontairement nu et dépouillé, une sorte de tragédie, dont l’action se déroule en vingt-quatre heures, et qui, après avoir côtoyé l’intrigue policière au sujet du meurtre, ne révèle son véritable dessin qu’au dernier acte : l’étude psychologique d’un cas rare et curieux, d’un cas de conscience mis en relief par M. Somerset Maugham, qui sait si bien écrire des pièces d’atmosphère, est aussi capable d’imaginer et de traiter avec sobriété et vigueur des situations qui relèvent des situations qui soulèvent des problèmes moraux assez graves, et d’une actualité toujours pressante. La pièce est assez sévère, et les gens qui aiment rire au théâtre n’y trouveront pas leur compte. Pour moi, je suis enchanté d’entendre un drame bien fait et d’un intérêt aigu. Le champ du théâtre s’était terriblement rétréci en France depuis une quinzaine d’années. Il est excellent qu’une pièce, même étrangère, vienne élargir le champ et que l’intérêt puisse s’attacher de nouveau à des sujets dramatiques ou même tragiques. »




VOUS EPOUSER OU MOURIR DE FAIM
Maugham raconte l’histoire d’un homme, brave aviateur de la première guerre mondiale, qui, un an après son mariage, se retrouve paralysé suite à un accident d’avion. Nous retrouvons, quelques années plus tard, les protagonistes de l’histoire, la famille des proches et des amis.

Le 1er acte présente tous les personnages. Mais comme dans les autres actes, une personne mène la danse. Ici, c’est Maurice, le fils de Madame Tabret, le frère de Fred, le mari de Stella. Il circule en fauteuil suite à son accident d’avion. Il est amoureux fou de Stella, depuis le premier jour : « Nous avions passé la soirée à l’Opéra, puis j’avais proposé à Stella de l’emmener souper ; mais, au lieu de me rendre directement au restaurant, je l’ai conduite autour de Hyde Park, dans une petite voiture à deux places que j’avais alors, et je lui ai juré que je continuerais à tourner en rond jusqu’à ce qu’elle promette de m’épouser. Wagner lui avait donné un tel appétit qu’après un tour et demi elle m’a déclaré : ‘Au diable, s’il me faut choisir entre vous épouser ou mourir de faim, j’aime autant vous épouser ! »

JE VOYAIS A NU SON ÂME TORTUREE
A la fin du premier acte, tous vont se coucher. Maurice ne se réveillera pas. Il sera trouvé mort de bon matin. Le second acte est drivé par Nurse Wayland devenue moins sympathique et avenante qu’à l’acte précédent. Elle est sûre et certaine qu’il s’agit d’un assassinat. Ses propos enflammés révèlent un amour sincère et passionné pour Maurice.  « Je ne lui étais rien. Je n’étais qu’une infirmière qu’il payait. Il ne cherchait pas à me cacher le désespoir qui remplissait son cœur. Avec moi, il n’avait pas à feindre. Il n’avait pas à paraître de bonne humeur, à plaisanter. Il pouvait être triste, car il ne croyait pas me faire de la peine. Il pouvait être désagréable et dire ensuite qu’il le regrettait, car il n’avait pas à me ménager. Sa gaîté n’était qu’un masque qu’il prenait pour vous faire rire. Moi je voyais à nu son âme torturée. »




IL A RÊVE SON RÊVE JUSQU’A LA FIN
Le dernier acte appuie sur la culpabilité de Stella. Madame Tabret avouera qu’elle a commis le meurtre par amour pour son fils. « Il y a des années, quand, pour mes fils, j’ai renoncé à mon grand amour pour ce vieux major ici présent, je croyais qu’on ne pourrait jamais me demander de plus grand sacrifice. Je sais maintenant que ce n’était rien. Car j’aimais mon enfant. Je l’adorais. Je suis si seule maintenant qu’il est mort ! C’est un beau rêve qu’il faisait et je l’aimais trop pour le laisser s’en éveiller. Je lui avais donné la vie. Je lui ai repris la vie. Je suis allée dans la salle de bains, je suis montée sur une chaise et j’ai pris le flacon de chloraline, j’ai pris cinq comprimés, que j’ai fait dissoudre dans un verre d’eau. Je les ai apportés à Maurice et il les a avalés d’un trait. Mais c’était amer. Il m’en a fait la remarque et je suppose que c’est pour cela qu’il en a laissé un peu au fond du verre. Je me suis assise à côté de son lit et j’ai tenu sa main jusqu’à ce qu’il s’endorme et, quand j’ai retiré ma main, je savais qu’il dormait d’un sommeil dont il ne se réveillerait pas. Il a rêvé son rêve jusqu’à la fin. »

LE COUP DE THEÂTRE FINAL
Robert de Beauplan soulignait dans La Petite Illustration n°572 du 9 avril 1932, que « l’intérêt de curiosité est relevé par un cas de conscience pathétique. C’est un problème moral sur lequel on peut discuter longuement que pose le coup de théâtre final. »

Après cette révélation, le polar est terminé. L’accusatrice, la Nurse Wayland, ne souhaite pas continuer dans la voie de l’autopsie et de la justice. Elle propose au docteur Harvester, présent pendant toute la scène, de signer le certificat de décès. Cela signifie qu’aucune enquête judiciaire, ou policière, ne sera diligentée. Madame Tabret est libre, avec le poids de son sacrifice éternellement sur sa conscience.



Laissons le dernier mot à Edmond Sée, qui soulignait dans l’Œuvre :  « ce n’est pas seulement une pièce fertile en surprises, en péripéties, en rebondissements imprévus et quelque chose comme un drame policier ; c’est encore et surtout une « tragédie bourgeoise » aux émouvants, âpres, douloureux prolongements, et qui atteint, à la fin, à une grandeur véritable. »

Jacky Lavauzelle

LA PETITE ILLUSTRATION n°572 du 9 avril 1932
Lors de la première, du 1er octobre 1931, ont joué :

Georges Mauloy (Stevens)
Jean Max (Maurice Tabret)
Pierre de Guingand (Fred Tabret, le frère de Maurice)
Philippe-Richard (le docteur Harvester)
Maurel (Le Maître d’hôtel)
Suzanne Desprès (Madame Tabret, la mère de Maurice et de Fred)
Huguette Ex-Duflos (Stella Tabret, femme de Maurice et amante de Fred)
Sylvie (Nurse Wayland)
Jane Pierville (Une femme de chambre)