8. September 1804 Ludwigsburg- 4. Juni 1875 Stuttgart 8 septembre 1804 – 4 juin 1875
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Mein Fluß MON FLEUVE __________________
Isaac Levitan, L’Appel du soir, 1892
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O Fluß, mein Fluß im Morgenstrahl! Ô fleuve, mon fleuve dans le rayon du matin ! Empfange nun, empfange Reçois maintenant, reçois Den sehnsuchtsvollen Leib einmal, Mon corps impatient tout entier, Und küsse Brust und Wange! Et baise ma poitrine et baise ma joue ! – Er fühlt mir schon herauf die Brust, – Il monte déjà à ma poitrine, Er kühlt mit Liebesschauerlust Sa fraîcheur déjà m’apporte un frisson d’amour Und jauchzendem Gesange. Et des doux chants…
Der Nordost wehet, Celui du nord-est souffle, Der liebste unter den Winden Le plus aimé des vents Mir, weil er feurigen Geist Pour moi, car c’est le plus fougueux, Und gute Fahrt verheißet den Schiffern. Celui qui promet une bonne navigation aux marins. Geh aber nun und grüße Mais, va maintenant et salue Die schöne Garonne, La belle Garonne, Und die Gärten von Bourdeaux Et les jardins de Bordeaux Dort, wo am scharfen Ufer Là-bas, où sur la rive pointue Hingehet der Steg und in den Strom S’étire le chemin et où le ruisseau Tief fällt der Bach, darüber aber Chute profondément, mais au-dessus Hinschauet ein edel Paar Regarde ce noble couple Von Eichen und Silberpappeln; De chênes et de peupliers argentés ;
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Noch denket das mir wohl und wie. J’y repense toujours. Die breiten Gipfel neiget Le large sommet plonge Der Ulmwald, über die Mühl, Ses ormes sur le moulin, Im Hofe aber wächset ein Feigenbaum. Mais un figuier pousse dans la cour. An Feiertagen gehn Les jours de fêtes, vont Die braunen Frauen daselbst Les femmes brunes, là-bas Auf seidnen Boden, Sur le plancher soyeux, Zur Märzenzeit, Au temps de mars, Wenn gleich ist Nacht und Tag, Quand la nuit et le jour sont identiques, Und über langsamen Stegen, Et sur des lentes nervures, Von goldenen Träumen schwer, Pleines de rêves dorés, Einwiegende Lüfte ziehen. Glisse l’air.
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Es reiche aber, Mais c’est assez, Des dunkeln Lichtes voll, De cette lumière sombre, Mir einer den duftenden Becher, Que l’on me porte la tasse parfumée, Damit ich ruhen möge; denn süß Afin que le repos je trouve ; quelle douceur Wär unter Schatten der Schlummer. Ce serait sous les ombres du sommeil. Nicht ist es gut, Ce n’est pas bon Seellos von sterblichen De ne point avoir dans l’âme de mortelles Gedanken zu sein. Doch gut Pensées. Comme il est bon pourtant Ist ein Gespräch und zu sagen De converser et de dire Des Herzens Meinung, zu hören viel L’opinion du cœur, d’entendre longuement Von Tagen der Lieb, Des jours de l’amour, Und Taten, welche geschehen. Et des grandes actions qui se produisent.
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Wo aber sind die Freunde? Bellarmin Mais où sont mes amis ? Bellarmin Mit dem Gefährten? Mancher Avec son compagnon ? Certains Trägt Scheue, an die Quelle zu gehn; Sont timides en remontant à la source ; Es beginnet nämlich der Reichtum C’est que la richesse commence Im Meere. Sie, Dans la mer. Eux, Wie Maler, bringen zusammen Comme des peintres, rassemblent Das Schöne der Erd und verschmähn La beauté de la terre et ne méprisent Den geflügelten Krieg nicht, und Point la guerre ailée, ni Zu wohnen einsam, jahrlang, unter De vivre seul, pendant des années, sous Dem entlaubten Mast, wo nicht die Nacht durchglänzen Le mât défolié, où la nuit ne brille plus Die Feiertage der Stadt, Des fêtes de la ville, Und Saitenspiel und eingeborener Tanz nicht. Avec ses musiques et ses danses.
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Nun aber sind zu Indiern Mais maintenant vers les Indes, Die Männer gegangen, Les hommes sont partis, Dort an der luftigen Spitz Là sur la pointe aérienne An Traubenbergen, wo herab Des montagnes de raisin, d’où Die Dordogne kommt, La Dordogne vient, Und zusammen mit der prächtgen Et, ensemble, avec la magnifique Garonne meerbreit Garonne, si large, Ausgehet der Strom. Es nehmet aber Unissent les courants. Mais elle prend Und gibt Gedächtnis die See, Et donne la mémoire, la mer, Und die Lieb auch heftet fleißig die Augen, Et l’amour y plonge ses yeux avec diligence, Was bleibet aber, stiften die Dichter. Mais ce qui reste nourrit les poètes.
né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette
GIBOULÉES
Paru dans le magazine LISEZ-MOI N°15- 10 avril 1906
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Isaac Levitan , Исаак Ильич Левитан , Nénuphars, 1895
Pluie et soleil. Des nuages courent, légers, d’une blancheur de ouate ; ils s’épaississent peu à peu, se gonflent, alentis, lourds de chaleur. Puis, ils crèvent.
Une averse pour rire, un coup d’arrosoir à fines gouttelettes sur les feuilles, sur les fleurs nouvellement nées. Trois gouttes, et c’est fini ; aussi prompte que l’éclaboussure de l’hirondelle ricochant de l’aile au fil de l’eau, l’averse a disparu.
La pluie s’en est allée, les diamants restent.
Dans l’allée de la vigne, sous les voûtes des pêchers et des pruniers en fleurs, c’est, semé en l’air, jeté au fin bout des branches, tout le joli scintillement des rivières adamantines, la flambée des grenats et des rubis tressés en guirlandes sur la robe blanche du printemps.
Les joailleries s’éteignent brusquement. Sur le rire étincelant du soleil, c’est, de nouveau, le rideau tiré d’un nuage. L’air franchit, le vent souffle. Autre giboulée. De la neige, cette fois. Oh ! pas bien méchante ! des flocons espacés qui, dans la bouffée de la bise, se mêlent aux pétales tombés des amandiers en fleurs.
Et, déjà, la neige ne coule plus. C’est, maintenant, une pincée de grésil, une averse blanche qui tambourine à roulements légers ; telle une musique pour un ballet de fées.
Tout est blanc une minute. Comme une jonchée de perles dans le jardin des légendes, le givre se tasse aux plis de l’herbe, aux creux des sillons.
Une minute. Et le décor a changé. C’est le soleil, c’est la chaleur, un bien-être où les plantes se dilatent, où les papillons éclosent. Neigeux comme la fleur des pruniers, soufrés comme la fleur du saule, les papillons festonnent, hésitent en l’air, naïfs et frileux, étonnés de vivre…
Les papillons festonnent ; les lézards, en des fuites brusques ; une couleuvre glisse dans l’herbe sèche, le long d’un talus ; des ébats de grenouilles troublent l’eau épaisse, irisée qui tiédit au bord de la source.
La chaleur monte.
Une odeur fade de pourriture végétale se lève des fossés vaseux, des ruisseaux obstrués de feuilles et de branches.
La chaleur monte ; l’orage menace ; le ciel encore une fois s’obscurcit. C’est, d’abord, une buée grise, laiteuse, comme de la sève en suspension ; puis, la tache s’épaissit, tourne au noir bleuté, livide, les fleurs paraissent encore plus blanches.
Près de moi, à l’entrée d’un champ de blé, un prunier s’étale, vêtu de blanc jusqu’au bout des branches. Fragile et paisible en ses habits de triomphe, il sourit sous la menace.
Le vent se lève. Brutal, il couche devant lui les jeunes blés, balance l’éventail fleuri des ormeaux. Il approche, et, tout à coup, arrachées ensemble, les fleurs trop mûres du prunier s’envolent, effrayées, s’éparpillent à terre.
L’arbre est tout noir, maintenant.
Et une tristesse me vient à penser que c’est fini, que la plus jeune saison de l’année, la plus charmante, est déjà close.
8. September 1804 Ludwigsburg- 4. Juni 1875 Stuttgart 8 septembre 1804 – 4 juin 1875
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AUF EINER WANDERUNG EN RANDONNÉE __________________
Isaac Levitan, Исаак Ильич Левитан, Printemps en Italie
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In ein freundliches Städtchen tret ich ein, Je pénètre dans une ville agréable, In den Straßen liegt roter Abendschein. Une lueur rouge du soir plonge dans les rues. Aus einem offnen Fenster eben, D’une fenêtre ouverte Über den reichsten Blumenflor Au-dessus d’un riche parterre de fleurs Hinweg, hört man Goldglockentöne schweben, On peut entendre des clochettes,…
18 avril 1842 – Ponta Delgada (Les Açores)- 11 septembre 1891 Ponta Delgada 18 de abril de 1842 – Ponta Delgada, 11 de setembro de 1891
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Traduction Jacky Lavauzelle
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AD AMICOS AUX AMIS _______________________________________
Isaac Levitan, Исаак Ильич Левитан, Grandes eaux du printemps
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Em vão lutamos. Como névoa baça, Nous luttons en vain. Comme un brouillard terne, A incerteza das coisas nos envolve. L’incertitude des choses nous entoure. Nossa alma, em quanto cria, em quanto volve, Notre âme, dès qu’elle est créée, dès qu’elle se meut, Nas suas próprias redes se embaraça. Dans ses propres réseaux s’emmêle. * O pensamento, que mil planos traça, La pensée, qui trace tant de plans, É vapor que se esvae e se dissolve; Est une vapeur qui s’estompe et se dissout ; E a vontade ambiciosa, que resolve, Et la volonté ambitieuse, celle qui résout, Como onda entre rochedos se espedaça. Comme une vague entre les rochers se brise. * Filhos do Amor, nossa alma é como um hino Enfants de l’Amour, notre âme est comme un hymne À luz, à liberdade, ao bem fecundo, À la lumière, à la liberté, au bien fécond, Prece e clamor d’um presentir divino; Prière et clameur pour ce don divin ; * Mas n’um deserto só, árido e fundo, Mais dans un désert unique, aride et profond, Ecoam nossas vozes, que o Destino Nos voix font écho, que le Destin Paira mudo e impassível sobre o mundo. Plane muet et impassible sur le monde.
Isaac Levitan, Исаак Левитан, Silence, Тишина, 1898
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Как лилея глядится в нагорный ручей, Comme un lis regardant dans un ruisseau de montagne, Ты стояла над первою песней моей, Tu étais comme ma première chanson, И была ли при этом победа, и чья, Sans savoir qui l’a emporté, qui a gagné, У ручья ль от цветка, у цветка ль от ручья? Le ruisseau à côté de la fleur, la fleur à côté du ruisseau ?
Ты душою младенческой всё поняла, Tu as tout compris avec ton âme d’enfant, Что́ мне высказать тайная сила дала, Quel pouvoir secret cela m’a donné, И хоть жизнь без тебя суждено мне влачить, Et même si désormais je devais vivre sans toi… Но мы вместе с тобой, нас нельзя разлучить. Mais toi et moi ne pouvons être séparés.
Та трава, что вдали на могиле твоей, L’herbe qui s’étale sur ta tombe Здесь на сердце, чем старе оно, тем свежей, Ici s’étale sur mon cœur, plus vieux, plus frais, И я знаю, взглянувши на звёзды порой, Et je sais, quand je regarde parfois les étoiles, Что взирали на них мы как боги с тобой. Que nous les avons regardés ensemble comme des dieux.
У любви есть слова, те слова не умрут. L’amour a ses mots, et ces mots ne mourront pas. Нас с тобой ожидает особенный суд; Toi et moi attendons notre tribunal particulier ; Он сумеет нас сразу в толпе различить, Ils pourront nous reconnaître immédiatement dans la foule, И мы вместе придём, нас нельзя разлучить! Et nous arriverons ensemble, car nous ne pouvons être séparés !