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LES FORBANS DE LA NUIT (Dassin) LA FUITE INFERNALE

Jules DASSIN
LES FORBANS DE LA NUIT
Night and the City
1950

LA FUITE INFERNALE

LES FORBANS DE LA NUIT Night and The City Jules Dassin Artgitato

Les Forbans de la nuit est une œuvre sur la fuite. « Qui fuis-tu ? » demande l’héroïne. Harry pense pourtant fuir pour sortir du pétrin dans lequel il s’enfonce un peu plus. « Tu ne peux pas passer ta vie à fuir » languit-elle. Mais depuis longtemps ils ne font plus de projets à deux. Il est déjà trop loin. Aux confins de la vie, à la frontière des turpitudes et de la mort. Il est là, sorte de Chaplin perdu dans les histoires nauséabondes, entre les deux rives, près du précipice.

Et quand Harry ne fuit plus, c’est qu’il est traqué, c’est qu’il se terre, ou qu’il est mort.

LES TEMPS ONT CHANGE
La fuite comme cette course vers la modernité que regarde Jules Dassin. Dans la ville, le spectacle de lutte en est l’illustration. Le fils Kristo (Herbert Lom) adepte d’une lutte revisitée et grand spectacle, la lutte moderne, celle qui l’oppose à son père, le grand Gregorius (Stanilaus Zbyszko), chantre de la beauté et de la grandeur de l’éternelle lutte classique gréco-romaine, celle que l’on pratique à Athènes.  « Comprends, dit le fils, que les temps ont changé. » A cela son père répond qu’ « on n’oublie pas la noble lutte. »

Harry est un homme mort de s’être brûlé les ailes dans sa courses effrénées. « Un homme mort » comme lui annonce son boss, Phil Nosseross (Francis L. Sullivan), dans le cabaret, dans un dernier coup de cymbales. Mort comme dans la descente de l’escalier qui suit et qui ouvre sur la rue et sur la voiture qui le frôle.

JE NE POUVAIS PAS SUIVRE
Sa compagne l’air hagard le suis des yeux et tente de le comprendre. Mais elle avouera : « je ne pouvais pas suivre. » Harry est l’homme des mauvais choix. Il prend toujours la mauvaise solution. Et il glisse peu à peu dans de terribles sables mouvants.

Les pirates qui opèrent sous nos yeux, roulent sur les vagues londoniennes des tripots et des cloaques interlopes de la banlieue. Tout est bon pour quelques billets, pour quelques pounds. Ils courent, fuient et mentent. La bonne affaire est pour maintenant. Night and the City, le titre original, marque bien la séparation entre les deux planètes, la Nuit, où les forbans fourbissent leurs armes et la City, la lumière et la respectabilité.

L’ENFER AUTOUR DANSE
La nuit est l’acteur principal du film de Jules Dassin. « Mais voici dans l’ombre  Qu’une ronde sombre  Se fait, L’enfer autour danse, Tous dans un silence Parfait. » (La Nuit, Alfred de Musset, Poésies posthumes) C’est l’enfer qui remplit les yeux d’Harry qui court sans voir que la seule pépite qui brille encore dans son quartier, Marie, Gene Tierney, est à ses côtés. Impassible Mary. Quasi biblique. Mary est une sainte, qui, à chaque fois renouvelle son attente. Elle a connu Harry autrefois bien différent. Mais Harry ne change plus. Elle qui a entendu ses plans et ses éclairs de génie « mille fois ».

HOW MUCH ?
Mais Mary espère encore et toujours d’un avenir à l’odeur de passé, Mary espère toujours au mariage. Elle pense pouvoir le sauver, mais, trop lourd de toutes ses fautes, ne pourra l’empêcher de rejoindre les abîmes.

Harry Fabian est un de ces petits forbans à l’imagination féconde et destructrice. Tous les plans sont plus troués que les précédents. La rencontre avec une ancienne légende de la lutte gréco-romaine est l’ultime plan qui devrait le mettre enfin dans la lumière, lui, le petit escroc sans envergure et décrédibilisé aux yeux de tous. How much ? La seule question qui vaille la peine pour Harry.

Jules Dassin joue sur le contraste de la ville où les gens vont à leurs occupations et de sa banlieue où les truands règlent leurs derniers comptes, de ses lumières et de ses ombres, de cette course effrénée à la mort pour une histoire de quelques billets. Et ce contraste entraîne le mouvement infini. Les pauses n’existent pas.

UNE NUIT DANS LA VILLE
La musique du générique de langoureuse devient calme. La nuit est là qui s’est faite avec quelques lumières éparses qui se mirent dans la Tamise. La musique se bloque sur une note pour devenir tranquillement inquiétante. Une voix claire, calme annonce : « une nuit dans une ville. Cette nuit, l’autre nuit, n’importe quelle nuit. La ville, Londres. » La musique devient stridente et extrêmement rapide comme une course poursuite. Un homme est seul dans la nuit, dans la ville, sur une place immense…

TU POUVAIS TOUT REUSSIR
…C’est Harry. La course qu’il commence finira par sa mort. Les rues se font plus étroites. Harry prend le temps, toutefois, de ramasser la fleur tombée de sa boutonnière. C’est un professionnel. La manière de remettre son costume avant de rentrer chez Marie le confirme.

Le sac à main qui s’offre sur la table de chevet devient une évidence. Surpris par Marie, Harry ne se dégonfle pas ; « je cherchais une cigarette. » Marie n’est pas dupe. Elle passe l’éponge. Elle seule voit quelque chose en lui. « Tu pouvais tout réussir. » Mais Harry s’est perdu.

UNE OCCASION UNIQUE !
Pour Harry, tout est « une occasion unique ! » Harry pense toujours à la dernière affaire. Après les bons paris, l’association juteuse dans un cynodrome. La dernière et tout redeviendra comma avant. Il s’occupera de Marie. Il sera dans le droit chemin. Enfin. C’est sans oublier ce qu’Aristote disait déjà dans l’Ethique à Nicomaque : « Les hommes s’imaginent qu’il est en leur pouvoir d’agir injustement, et que par suite il est facile d’être juste. Mais cela n’est pas exact …Il y a des êtres qui sont incapables de tirer profit d’aucune portion de ces biens, ce sont ceux qui sont irrémédiablement vicieux et à qui tout est nuisible. » (Trad. J. Tricot, V-13, Ed. J. Vrin) Harry est un de ceux-là. Tout ce qu’il touche se transforme en rien. Mais il y croit. Toujours.

JE VEUX ÊTRE QUELQU’UN
Il veut réellement réussir. Il le répète à l’envi : « je veux être quelqu’un. » Il veut montrer à tous que lui aussi peut être reconnu, apprécié, respecté.

« La ronde contente, En ris éclatante, Le prend ; Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. » (La Nuit, Alfred de Musset, Poésies posthumes)

Harry est pris dans sa ronde. Son rire éclatant d’hyène s’est éteint dans la nuit. Là, sur les quais de la Tamise. Lui aussi a retrouvé son rang. Celui du forban malheureux pour avoir trop voulu la lune et avoir trop cru en sa chance.

POUR LA PREMIERE FOIS, J’AI UN PLAN SANS FAILLE
Jusqu’à la fin, Harry croira à son étoile. « Harry Fabian n’a pas dit son dernier mot. » Il veut se donner afin que Mary puisse récupérer la rançon de 1000 livres. Il jouera jusqu’à la fin avec son âme et les sentiments de Mary. « Dis-lui où je suis, tu auras 1000 livres. Il faut bien que quelqu’un les touche. Pour la première fois, j’ai un plan sans faille

Mary sait alors qu’Harry est définitivement perdu. A jamais. Harry est mort Déjà !

Le « Reviens » de Mary n’y fera rien. L’aube se lève. Le jour enfin. La ville a perdu Harry qui désormais flotte dans la Tamise.

« Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. »

Jacky Lavauzelle

Les personnages
Harry Fabian (Richard Widmark) Mary Bristol (Gene Tierney) Helen Mosseross (Googie Withers)  Adam Dunne (Hugh Marlowe)  Phil Nosseross (Francis L. Sullivan) Kristo (Herbert Lom) Gregorius (Stanilaus Zbyszko) L’étrangleur (Mike Mazurki) Molly (Ada Reeve)