Archives par mot-clé : Grand Prix du Festival du film de Locarno

A LA RENCONTRE DE PAUL -LOUIS COURIER – UN DES PLUS GRANDS PAMPHLÉTAIRE FRANÇAIS

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est image-1.png.
Paul-Louis Courier par Ary Scheffer

LITTÉRATURE FRANÇAISE

PAUL-LOUIS COURIER

Paul-Louis Courier de Méré
né le  à Paris
Assassiné le 10 avril 1825
______________________________________________

A LA RENCONTRE DE
PAUL -LOUIS COURIER
UN DES PLUS GRANDS PAMPHLÉTAIRE FRANÇAIS

______________________________________________

CITATIONS
de
PAUL-LOUIS COURRIER

Lettre à M. Renouard
Libraire
sur une tache faite à un manuscrit de Florence

Tivoli
le 20 septembre 1810

« Qu’est-ce, s’il vous plaît, monsieur, qu’une notice d’un livre qui ne se vend point, qu’on donne à peu de personnes, et que même on ne peut plus donner ? et qu’importe à qui vous lit que ce livre soit bon ou mauvais, si on ne saurait l’avoir ? Que vous vous défendiez du mal qu’on vous impute en nommant celui qui l’a fait, cela est tout simple ; mais personne ne vous accusait d’avoir fait cette traduction. Je ne veux point trop vous pousser là-dessus, ni paraître plus fâché que je ne le suis en effet. Vous avez cru la chose de peu de conséquence, et pensé fort sagement qu’un tel ouvrage ne me pouvait faire ni grand honneur ni grand tort. Mais enfin vous eussiez pu vous dispenser de me nommer, du moins comme traducteur, et en y pensant mieux, vous n’eussiez pas dit que j’étais ni habile, ni helléniste. »

*

« …cette affaire, dont vous sortez heureusement, prend pour moi une autre tournure, et tandis que vous échappez à nos communs ennemis, je ne sais en vérité ce que je vais devenir. »


*

« On écrit aujourd’hui assez ordinairement sur les choses qu’on entend le moins. Il n’y a si petit écolier qui ne s’érige en docteur. À voir ce qui s’imprime tous les jours, on dirait que chacun se croit obligé de faire preuve d’ignorance. Mais des preuves de cette force ne sont pas communes, et le seigneur Bandini lui-même, maître et prédécesseur du seigneur Furia, fameux par des bévues de ce genre, n’a rien fait qui approche de cela. »

*

 » J’avoue que ce malheur me parut fort petit. Je ne savais pas que ce livre fût le Palladium de Florence, que le destin de cette ville fût attaché aux mots que je venais d’effacer ; j’aurais dû cependant me douter que ces objets étaient sacrés pour les Florentins, car ils n’y touchent jamais. Mais enfin, je ne sentis point mon sang se glacer, ni mes cheveux se hérisser sur mon front ; je ne demeurai pas un instant sans voix, sans pouls et sans haleine. »

« Les habiles en littérature sont ceux qui, comme les jésuites de Pascal, ne lisent point, écrivent peu et intriguent beaucoup.« 

*

« Les gens qui savent le grec sont cinq ou six en Europe; ceux qui savent le français sont en bien plus petit nombre. »

*

 » Qu’on examine donc si le mérite d’avoir complété, corrigé, perfectionné cette version que tout le monde lit avec délices, et donné aux savants un texte qui sera bientôt traduit dans toutes les langues, peut compenser le crime d’avoir effacé involontairement quelques mots dans un bouquin que personne avant moi n’a lu, et que jamais personne ne lira.« 

*

Préface de la Luciade

« On ne trouvera point ces beautés dans ma traduction. Aussi n’était-ce pas mon but, quand même il m’eût été possible de dire mieux que mon auteur, mais de dire les mêmes choses et d’un ton approchant du sien, de représenter enfin, si j’ose ainsi parler, l’Âne de Lucius avec son pas et son allure. Qui ne verrait dans cet ouvrage qu’une narration enjouée, une lecture propre à distraire aux heures de loisir, en jugerait comme ont pu faire les contemporains. Mais pour nous l’éloignement des temps y ajoute un autre intérêt. Comme monument des mœurs antiques, nous avons vraiment peu de livres aussi curieux que celui-ci ; on y trouve des notions sur la vie privée des anciens, que chercheraient vainement ailleurs ceux qui se plaisent à cette étude. Voilà par où de tels écrits se recommandent aux savants. Ce sont des tableaux de pure imagination, où néanmoins chaque trait est d’après nature, des fables vraies dans les détails, qui non seulement divertissent par la grâce de l’invention et la naïveté du langage, mais instruisent en même temps par les remarques qu’on y fait et les réflexions qui en naissent. C’est là qu’on connaît en effet comment vivaient les hommes il y a quinze siècles, et ce que le temps a pu changer à leur condition. Là se voit une vive image du monde tel qu’il était alors ; l’audace des brigands, la fourberie des prêtres, l’insolence des soldats sous un gouvernement violent et despotique, la cruauté des maîtres, la misère des esclaves toujours menacés du supplice pour les moindres fautes : tout est vrai dans des fictions si frivoles en apparence, et ces récits de faits, non seulement faux, mais impossibles, nous représentent les temps et les hommes mieux que nulle chronique, à mon sens. Thucydide fait l’histoire d’Athènes ; Ménandre celle des Athéniens, aussi intéressante, moins suspecte que l’autre. Il y a plus de vérités dans Rabelais que dans Mézerai. »

Réponses aux Anonymes

« Né d’abord dans le peuple, j’ y suis resté par choix. Il n’a tenu
qu’à moi d’en sortir comme tant d’autres qui, pensant s’anoblir, de
fait ont dérogé. Quand il faudra opter suivant la loi de Solon, je
serai du parti du peuple, des paysans comme moi.
»

Lettres Particulières

« Nos métayers sont des fripons qui vendent la poule au renard ; leurs valets me semblent… les plus méchants drôles qu’on ait vus depuis bien du temps. »

Pamphlets

« L’apostrophe, c’est la mitraille de l’éloquence.« 

*

« A voir l’importance que ces messieurs attachent à leurs manuscrits, ne dirait-on pas qu’ils les lisent ? »

*

« Il ne saurait dire tant de mal de ma façon de m’exprimer que je n’en pense davantage, ni maudire plus que je ne fais la faiblesse, l’insuffisance des termes que j’emploie.« 

*

« En matière de religion, ainsi que de langage, le peuple fait loi ; le peuple de tout temps a converti les rois. »
Pamphlets politiques (1816)

*

« Justice, équité, providence ! vains mots dont on nous abuse ! »
Pamphlets politiques (1816)

*

« On juge par ce qu’on voit de ce qu’on ne voit pas; du tout par la partie que l’on a sous les yeux. Faiblesse de nos sens et de l’entendement humain ! »
Pamphlets politiques (1816)

*

Éloge de Buffon

« Ce n’est qu’en suivant l’exemple des hommes célèbres qu’on peut espérer de les atteindre ou même de les surpasser. »

*

« La force du corps dans l’homme se mesure par ce qu’il exécute; celle de l’âme par ce qu’elle entreprend. »

Éloge d’Hélène traduit d’Isocrate

« Hélène adorée vit les peuples et les dieux combattre à qui la posséderait. »

*

Autres Citations

« Le secret est l’âme de toute opération militaire. À minuit, on monte à cheval ; on part ; on arrive sans bruit aux portes de Luynes ; point de sentinelle à égorger, point de poste à surprendre ; on entre, et au moyen de mesures si bien prises, on parvient à saisir une femme, un barbier, un sabotier, quatre ou cinq laboureurs ou vignerons, et la monarchie est sauvée. »

*

« Jésus avait dit : Allez et instruisez. Mais il n’avait pas dit : Allez avec des gendarmes, instruisez de par le préfet. »

*

« Rendons aux grands ce qui leur est dû; mais tenons-nous en le plus loin que nous puissions. »

*

« Parler est bien, écrire est mieux ; imprimer est excellente chose. »

*

Lettres de France et d’Italie 1813

« Les éloges sont à la mode : il faut hurler avec les loups. »

*

« Auriez-vous cru que la fureur bibliomaniaque pût aller jusque-là. »

*

CORRESPONDANCES

« Tout tient au caprice de deux ou trois bipèdes sans plumes qui se jouent de l’espèce humaine.« 

*

« On demandera peut-être (car on devient curieux) combien de gens en France ont le droit ou le pouvoir d’emprisonner qui bon leur semble, sans être tenus de dire pourquoi. »

*

« Vous verrez des officiers qui passent leur vie à apostiller en marge des lettres à répondre. »

*

« Qui diantre me poussait à vouloir être de l’Académie, moi qui m’étais moqué quarante ans des coteries littéraires ? »

*

« Socrate, qui avait pris une femme acariâtre pour s’exercer à la patience … »
10 septembre 1793

*

« Femme qui prête l’oreille prêtera bientôt autre chose.« 
Lettre a M. le Général Dulauloy,
28 mai 1806

*

« Lorsqu’on a tort avec ses subalternes, on se garde surtout de se dédire. »
13 septembre 1808

Lettre à messieurs de l’Académie des inscriptions et belles-lettres

« La noblesse n’est pas de rigueur pour entrer à l’Académie; l’ignorance, bien prouvée, suffit. »

*

Aux âmes dévotes
Introduction au Procès
de Paul-Louis Courier 

de la paroisse de Véretz
Département d’Indre-et-Loire
(1821)

« On recommande à vos prières le nommé Paul-Louis, vigneron de la Chavonnière, bien connu dans cette paroisse. Le pauvre homme est en grande peine ; ayant eu le malheur d’irriter contre lui tout ce qui s’appelle en France courtisans, serviteurs, flatteurs, adulateurs, complaisants, flagorneurs et autres gens vivant de bassesses et d’intrigues, lesquels sont au nombre, dit-on, de quatre ou cinq cent mille, tous enrégimentés sous diverses enseignes et déterminés à lui faire un mauvais parti ; car ils l’accusent d’avoir dit, en taillant sa vigne :
Qu’eux, gens de cour, sont à nous autres, gens de travail et d’industrie, cause de tous maux ;
Qu’ils nous dépouillent, nous dévorent au nom du roi, qui n’en peut mais ;
Que les sauterelles, la grêle, les chenilles, le charançon ne nous pillent pas tous les ans, au lieu que lesdits courtisans des hautes classes s’abattent sur nous chaque année, au temps du budget, enlèvent du produit de nos champs le plus clair, le plus net, le meilleur et le plus beau, dont bien fâche audit seigneur roi, qui n’y peut apporter remède ;
Que tous ces impôts, qu’on lève sur nous en tant de façons, vont dans leur poche et non pas dans celle du roi ; étant par eux seuls inventés, accrus, multipliés chaque jour à leur profit comme au dommage du roi non moins que des sujets ;
Que lesdits courtisans veulent manger Chambord et le royaume et nous, et le peuple et le roi devant lequel ils se prosternent, se disant dévoués à sa personne ;
Que les princes sont bons, charitables, humains, secourables à tous et bien intentionnés ; mais qu’ils vivent entourés d’une mauvaise valetaille qui les sépare de nous, et travaille sans cesse à corrompre eux et nous …


*

« Voilà, mes chers amis, en quelle extrémité se trouve réduit le bonhomme Paul, que nous avons vu faire tant et de si bons fagots dans son bois de Larçai, tant de beau sainfoin dans son champ de la Chavonnière, sage s’il n’eût fait autre chose ! On l’avait maintes fois averti que sa langue lui attirerait quelque méchante affaire ; mais il n’en a tenu compte, Dieu sans doute le voulant châtier, afin d’instruire ses pareils, qui ne se peuvent empêcher de crier quand on les écorche. Le voilà mis en jugement et condamné. Ou autant vaut. Car vous savez tous comme il est chanceux en procès. Chaque fois qu’on le volait ici, c’était lui qui payait l’amende. Et de fait, se peut-il autrement ? Il ne va pas même voir les juges ! Prions Dieu pour lui, mes amis, et que son exemple nous apprenne à ne jamais dire ce que nous pensons des gens qui vivent a nos dépens. »

*

PROCÈS DE PAUL-LOUIS COURIER

« Il n’y a, pour les nobles, qu’un moyen de fortune, et de même pour tous ceux qui ne veulent rien faire: ce moyen, c’est la prostitution. La Cour l’appelle galanterie. »

*

LES AVENTURES D’UN ÉCRIVAIN

« Le but d’un chef doit être moins de montrer du courage que d’en inspirer. »

*

Lettre première
au rédacteur du
Censeur

« Vous nous plaignez beaucoup, nous autres paysans, et vous avez raison, en ce sens que notre sort pourrait être meilleur. Nous dépendons d’un maire et d’un garde-champêtre qui se fâchent aisément. L’amende et la prison ne sont pas des bagatelles. Mais songez donc, Monsieur, qu’autrefois on nous tuait pour cinq sous parisis. C’était la loi. Tout noble ayant tué un vilain devait jeter cinq sous sur la fosse du mort. Mais les lois libérales ne s’exécutent guère, et la plupart du temps on nous tuait pour rien. Maintenant il en coûte à un maire sept sous et demi de papier marqué pour seulement mettre en prison l’homme qui travaille, et les juges s’en mêlent. On prend des conclusions, puis on rend un arrêté conforme au bon plaisir du maire et du préfet. Vous paraît-il, Monsieur, que nous ayons peu gagné en cinq ou six cents ans ? Nous étions la gent corvéable, taillable et tuable à volonté ; nous ne sommes plus qu’incarcérables. Est-ce assez, direz-vous ? Patience ; laissez faire ; encore cinq ou six siècles, et nous parlerons au maire tout comme je vous parle, nous pourrons lui demander de l’argent, s’il nous en doit, et nous plaindre, s’il nous en prend, sans encourir peine de prison.
Toutes choses ont leurs progrès. Du temps de Montaigne, un vilain, son seigneur le voulant tuer, s’avisa de se défendre. Chacun en fut surpris, et le seigneur surtout, qui ne s’y attendait pas, et Montaigne qui le raconte. Ce manant devinait les droits de l’homme. Il fut pendu, cela devait être. Il ne faut pas devancer son siècle.
« 

*

Lettre II
au rédacteur du
Censeur

Projet d’amélioration de l’agriculture,
par J. Bujault, avocat à Melle

« Chacun maintenant cherche à se placer, ou, s’il est placé, à se pousser. On veut être quelque chose. Dès qu’un jeune homme sait faire la révérence, riche ou non, peu importe, il se met sur les rangs ; il demande des gages, en tirant un pied derrière l’autre : cela s’appelle se présenter ; tout le monde se présente pour être quelque chose. On est quelque chose en raison du mal qu’on peut faire. Un laboureur n’est rien ; un homme qui cultive, qui bâtit, qui travaille utilement, n’est rien ; un gendarme est quelque chose ; un préfet est beaucoup ; Bonaparte était tout. Voici les gradations de l’estime publique, l’échelle de la considération suivant laquelle chacun veut être Bonaparte, sinon préfet, ou bien gendarme. Telle est la direction générale des esprits, la même depuis longtemps, et non prête à changer. Sans cela, qui peut dire jusqu’où s’élancerait le génie de l’invention ? où atteindrait avec le temps l’industrie humaine, à laquelle Dieu sans doute voulut mettre des bornes, en la détournant vers cet art de se faire petit pour complaire, de s’abaisser, de s’effacer devant un supérieur, de s’ôter à soi-même tout mérite, toute vertu, de s’anéantir, seul moyen d’être quelque chose ? »

*

Lettre IV
au rédacteur du
Censeur

« Le hasard m’a fait tomber entre les mains une lettre d’un procureur du roi à un commandant de gendarmes. Et voici la copie, sauf les noms que je supprime.
Monsieur le commandant, veuillez faire arrêter et conduire en prison un tel de tel endroit.
Voilà toute la lettre. Je crois, si vous l’imprimez, qu’on vous en saura gré. Le public est intéressé dans une pareille correspondance ; mais il n’en connaît d’ordinaire que les résultats. Ceci est bref, concis ; c’est le style impérial, ennemi des longueurs et des explications. Veuillez mettre en prison, cela dit tout. On n’ajoute pas : car tel est notre plaisir. Ce serait rendre raison, alléguer un motif ; et, en style de l’Empire, on ne rend raison de rien. Pour moi, je suis charmé de ce petit morceau. »


« Celui-ci peut-être oublie dans sa lettre quelque chose, comme de faire mention d’un jugement, mais il n’oublie pas le très humble serviteur, l’honneur d’être, et le reste, bien plus important que le jugement ; et tout, pour monsieur le gendarme. Au bourreau, sans doute, il écrit : Monsieur le bourreau, veuillez tuer, et je suis votre serviteur. Les procureurs du roi ne sont pas seulement d’honnêtes gens ; ce sont encore des gens fort honnêtes. Leur correspondance est civile comme les parties de monsieur Fleurant. Mais on pourrait leur dire aussi comme le malade imaginaire ; ce n’est pas tout d’être civil, ce n’est pas tout pour un magistrat d’être serviteur des gendarmes ; il faudrait être bon, et ami de l’équité. »

*

Lettre V
au rédacteur du
Censeur

 

[Contre les Bandes Noires
Association de spéculateurs]

« Dans ces provinces, nous avons nos bandes noires, comme vous à Paris, à ce que j’entends dire. Ce sont des gens qui n’assassinent point, mais ils détruisent tout. Ils achètent de gros biens pour les revendre en détail, et de profession décomposent les grandes propriétés. C’est pitié de voir quand une terre tombe dans les mains de ces gens-là ; elle se perd, disparaît. Château, chapelle, donjon, tout s’en va, tout s’abîme. Les avenues rasées, labourées de çà, de là, il n’en reste pas trace. Où était l’orangerie s’élève une métairie, des granges, des étables pleines de vaches et de cochons. Adieu bosquets, parterres, gazons, allées d’arbrisseaux et de fleurs ; tout cela morcelé entre dix paysans : l’un y va fouir des haricots, l’autre de la vesce. Le château, s’il est vieux, se fond en une douzaine de maisons qui ont des portes et des fenêtres ; mais ni tours, ni créneaux, ni ponts-levis, ni cachots, ni antiques souvenirs. Le parc seul demeure entier, défendu par de vieilles lois, qui tiennent bon contre l’industrie ; car on ne permet pas de défricher les bois, dans les cantons les mieux cultivés de la France, de peur d’être obligé d’ouvrir ailleurs des routes et de creuser des canaux pour l’exploitation des forêts. Enfin, les gens dont je vous parle se peuvent nommer les fléaux de la propriété. Ils la brisent, la pulvérisent, l’éparpillent encore après la révolution, mal voulus pour celle d’un chacun. On leur prête, parce qu’ils rendent, et passent pour exacts ; mais d’ailleurs on les hait, parce qu’ils s’enrichissent de ces spéculations ; eux-mêmes paraissent en avoir honte, et n’osent quasi se montrer. De tous côtés on leur crie : Hepp ! hepp ! Il n’est si mince autorité qui ne triomphe de les surveiller. Leurs procès ne sont jamais douteux ; les juges se font parties contre eux. Ces gens me semblent bien à plaindre, quelque succès qu’aient, dit-on, leurs opérations, quelques profits qu’ils puissent faire.
Un de mes voisins, homme bizarre, qui se mêle de raisonner, parlant d’eux l’autre jour, disait : Ils ne font de mal à personne, et font du bien à tout le monde ; car ils donnent à l’un de l’argent pour sa terre, à l’autre de la terre pour son argent ; chacun a ce qu’il lui faut, et le public y gagne. On travaille mieux et plus. Or, avec plus de travail, il y a plus de produits, c’est-à-dire plus de richesse, plus d’aisance commune, et, notez ceci, plus de mœurs, plus d’ordre dans l’état comme dans les familles. Tout vice vient d’oisiveté, tout désordre public vient du manque de travail. Ces gens donc, chaque fois que simplement ils achètent une terre et la revendent, font bien, font une chose utile ; très utile et très bonne, quand ils achètent d’un pour revendre à plusieurs ; car accommodant plus de gens, ils augmentent d’autant plus le travail, les produits, la richesse, le bon ordre, le bien de tous et de chacun. Mais lorsqu’ils revendent et partagent cette terre à des hommes qui n’avaient point de terre, alors le bien qu’ils font est grand, car ils font des propriétaires, c’est-à-dire d’honnêtes gens, selon Côme de Médicis. Avec trois aunes de drap fin, disait-il, je fais un homme de bien ; avec trois quartiers de terre il aurait fait un saint. En effet, tout propriétaire veut l’ordre, la paix, la justice, hors qu’il ne soit fonctionnaire ou pense à la devenir. Faire propriétaire, sans dépouiller personne, l’homme qui n’est que mercenaire, donner la terre au laboureur, c’est le plus grand bien qui se puisse faire en France, depuis qu’il n’y a plus de serfs à affranchir. C’est ce que font ces gens. »


*

Lettre VI
au rédacteur du
Censeur

 

[sur nos prêtres « au retour de l’émigration« ]

« Au reste, il est bien vrai, Monsieur, et vous avez raison de le dire, que nous sommes un peuple religieux, et plus que jamais aujourd’hui. Nous gardons les commandements de Dieu bien mieux depuis qu’on nous prêche moins. Ne point voler, ne point tuer, ne convoiter la femme ni l’âne, honorer père et mère, nous pratiquons tout cela mieux que n’ont fait nos pères, et mieux que ne font actuellement, non pas tous nos prêtres, mais quelques-uns revenus de lointain pays. Rarement à courir le monde devient-on plus homme de bien, mais un ecclésiastique, dans la vie vagabonde, prend d’étranges habitudes. Messire Jean Chouart était bonhomme, tout à son bréviaire, à ses ouailles ; il était doux et humble de cœur, secourait l’indigent, confortait le dolent, assistait le mourant, il apaisait les querelles, pacifiait les familles : le voilà revenu d’Allemagne ou d’Angleterre, espèce de hussard en soutane, dont le hardi regard fait rougir nos jeunes filles, et dont la langue sème le trouble et la discorde ; hardi, querelleur, cherchant noise ; c’est un drôle qui n’a pas peur, tout prêt à faire feu sur les bleus au premier signe de son évêque. Tels sont nos prêtres au retour de l’émigration. Ils ont besoin de bons exemples et en trouveront parmi nous. Mais si nous sommes plus forts qu’eux sur les commandements de Dieu, ils nous en remontreront à leur tour sur les commandements de l’Eglise qu’ils se rappellent mieux que nous et dont le principal est, je crois, donner tout son bien pour le ciel. Vous me demandez, disait ce bon prédicateur Barlette, comment on va en paradis ? Les cloches du couvent vous le disent ; donnez, donnez, donnez. Le latin du moine est joli. Vos quœritis a me, fratres carissimi, quomodo itur ad paradisum ? Hoc dicunt vobis campanœ monasterii, dando, dando, dando. »

Lettre VII
au rédacteur du
Censeur

 

[Le mal du siècle : l’indifférence]

 « …l’abbé de La Mennais a dit une vérité : le mal de notre siècle, en fait de religion, ce n’est pas l’hérésie, l’erreur, les fausses doctrines ; c’est bien pis, c’est l’indifférence. La froide indifférence a gagné toutes les classes, tous les individus, sans même en accepter l’abbé de La Mennais et d’autres orateurs de la cause sacrée, qui ne s’en soucient pas plus, et le font assez voir. Ces amis de l’autel ne s’en approchent guère : Je ne remarque point qu’ils hantent les églises. Quel est le confesseur de M. de Chateaubriand ? Certes ceux qui nous prêchent ne sont pas des Tartufes, ce ne sont pas des gens qui veuillent en imposer. A leurs œuvres on voit qu’ils seraient bien fâchés de passer pour dévots, d’abuser qui que ce soit : ils ont le masque à la main. « 

*

Lettre VIII
au rédacteur du
Censeur

« Voilà certainement ce qu’il veut qu’on croie pour lui ; mais de là à ce qu’il pense, vous ne pouvez rien conclure, ni même former de conjectures, fussiez-vous son intime ami, son confident, ou, mieux, son valet de chambre. Car il n’est pas donné à l’homme de savoir ce que pense un courtisan, ni s’il pense... »

*

Lettre IX
au rédacteur du
Censeur

[« C’est l’imprimerie qui met le monde à mal« ]

« C’est l’imprimerie qui met le monde à mal. C’est la lettre moulée qui fait qu’on assassine depuis la création ; et Caïn lisait les journaux dans le paradis terrestre. Il n’en faut point douter, les ministres le disent ; les ministres ne mentent pas, à la tribune surtout.
Que maudit soit l’auteur de cette damnable invention, et avec lui ceux qui en ont perpétué l’usage, ou qui jamais apprirent aux hommes à se communiquer leurs pensées ! pour telles gens l’enfer n’a point de chaudières assez bouillantes. Mais remarquez, Monsieur, le progrès toujours croissant de perversité. Dans l’état de nature célébré par Jean-Jacques avec tant de raison, l’homme, exempt de tout vice et de la corruption des temps où nous vivons, ne parlait point, mais criait, murmurait ou grognait, selon ses affections du moment. Il y avait plaisir alors à gouverner. Point de pamphlets, points de journaux, point de pétitions pour la Charte, point de réclamations sur l’impôt. Heureux âge qui dura trop peu !


*

Lettre X
au rédacteur du
Censeur

[Sur la liberté de la presse]

« Je trouve comme vous, Monsieur, que nos orateurs ont fait merveille pour la liberté de la presse. Rien ne se peut imaginer de plus fort ni de mieux pensé que ce qu’ils ont dit à ce sujet, et leur éloquence me ravit, en même temps que sur bien des choses j’admire leur peu de finesse. L’un, aux ministres qui se plaignent de la licence des écrits, répond que la famille royale ne fut jamais si respectée, qu’on n’imprime rien contre le roi. En bonne foi, il faut être un peu de son département pour croire qu’il s’agit du roi, lorsqu’on crie vengez le roi. Ainsi ce bonhomme, au théâtre, voyant représenter le Tartufe, disait : Pourquoi donc les dévots haïssent-ils tant cette pièce ? il n’y a rien contre la religion. L’autre, non moins naïf, s’étonne, trouve que partout tout est tranquille, et demande de quoi on s’inquiète. Celui-là certes n’a point de place, et ne va pas chez les ministres ; car il y verrait que le monde (le monde, comme vous savez, ce sont les gens à place), bien loin d’être tranquille, est au contraire fort troublé par l’appréhension du plus grand de tous les désastres, la diminution du budget, dont le monde en effet est menacé, si le gouvernement n’y apporte remède. C’est à éloigner ce fléau que tendent ses soins paternels, bénis de Dieu jusqu’à ce jour. Car, depuis cinq ou six cents ans, le budget, si ce n’est à quelques époques de Louis XII et de Henri IV, a continuellement augmenté, en raison composée, disent les géomètres, de l’avidité des gens de cour et de la patience des peuples. »

**********************************

CINÉMA
Sur Paul-Louis Courier

La Ferme des sept péchés
1949
de Jean Devaivre

« Voile d’or »
Grand prix du Festival international du film de Locarno en 1949

Film sur l’assassinat de Paul-Louis Courier 
le 10 avril 1825

Jacques Dumesnil dans le rôle de Paul-Louis Courier
(photo à gauche : Jacques Dumesnil en 1943 des studios Harcourt)
Claude Génia dans le rôle d’Herminie Courier, née Herminie Clavier

« Tu es toujours toi, toujours ange. Il faut se prosterner et baiser
la terre où tu passe. Mon bonheur est de croire que sans moi
on ne t’aurait jamais appréciée ; toi-même tu ne te serais pas
connue
».
Lettre à Herminie du 29 mars 1820

Pierre Renoir dans le rôle du Procureur
Marcel Pérès dans le rôle de Coupeau
Jacques Dufilho dans le rôle de François Sovignant
Héléna Manson dans le rôle de Michèle Frémont
Jean Vilar dans le rôle de l’homme gris
Aimé Clariond dans le rôle du Marquis de Siblas