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TESNOTA ou la Douleur des enfermements – Critique du Film de Kantemir BALAGOV – 2017

TESNOTA
Теснота

ou
la Douleur des enfermements

Critique du Film
de Kantemir BALAGOV
Кантемир Балагов

2017

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Nous voici enfermés.
Enfermés sans échappatoire.
Comme une série de matriochkas (матрёшка), ces poupées russes encastrées les unes dans les autres, mais sans la couleur et sans les rondeurs.
Diderot dans son Encyclopédie avait donné comme définition à l’enfermement : « Nous disons qu’un corps est enfermé dans un autre, lorsque celui-ci forme en tous sens un obstacle entre le premier & notre toucher ou nos yeux. » Pas étonnant alors que les corps et les âmes ne se blessent et ne saignent. Et que nos yeux n’en soient affectés.
Fernando Pessoa parlait des solavancos da alma, des bosses de l’âme. Mais ici nous sommes au-delà des bosses…
Car ici, en tous sens, les bosses finissent en plaies ouvertes.
Kantemir Balagov, (Кантемир Балагов), kabarde, réalise son premier long métrage dans sa région natale, la république de Kabardino-Balkarie, en Ciscaucasie. République au centre du Caucase du nord, entourée d’Ingouches, de Tchétchènes, d’Ossètes.
Tesnota, en russe Теснота, à une double signification : la presse, la pince et l’étanchéité. Ce qui contraint, sans passage possible. Ce qui étouffe.
Au cœur de ce Caucase en fusion, (nous sommes en 1998), où des Tchétchènes réclament déjà l’instauration d’un Caucase Islamique, Kantemir Balagov va jouer sur toutes les cordes pour asphyxier autant les personnages que le spectateur.
Le format d’abord.
Avec de la pellicule utilisée par le cinéma muet, le 1,33: 1, qui sera aussi l’ancien standard de télévision. Le cadre est serré et contraint. Une partie de l’écran reste noire, écrasant un peu plus une image déjà prisonnière. Kantemir Balagov cerne les personnages par des éclairages improbables et ternes, envahis par les ombres, par des écrans, par des armoires, par des tissus et des toiles.

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Les éclairages dans Tesnota de Kantemir Balagov – Premières scènes dans l’atelier auto du père d’Ila


Les visages sont écrasées et les corps enfermés : le premier plan montre l’héroïne Ila (Ила), jouée par Darya Zhovnar (Дарья Жовнар) sous une fosse à réparer une voiture, la tête contre le bas de caisse, s’essuyant la figure et prenant sa lampe comme un mineur dans sa galerie. Le plan de la scène d’amour du film se retrouve à peine visible écrasé dans un long couloir à peine éclairé au milieu d’armoires enchevêtrées et sur un tabouret bancal. Quand Ila ne se retrouve pas simplement dans le coffre étroit d’une voiture.

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Premier plan de Tesnota – Ila dans la fosse à réparation


Mais Kantemir ne se satisfait pas d’utiliser le seul format de pellicule, il nous place devant un vieil écran de télévision où défilent des images d’humiliation et d’exécution de soldats russes par les résistants Tchétchènes. Sans aucune retenue. Enfermés que nous sommes dans cette réalité lointaine que nous avons déjà archivée dans nos mémoires éphémères.
Aux images, les paroles enferment également aussi sauvagement : les paroles des communautés, les paroles des actualités et de la propagande. « Vous, vous allez comprendre ! Vous comprendrez dans votre cercueil et en en enfer que votre vie est finie ! » martèle un combattant tchétchène. Les rappels des moments tragiques de notre histoire, le traitement réservé aux juifs, les chants ignobles de Timour Moutsouraev (Тимур Муцураев), barde tchétchène, ancien sportif devenu combattant, promettant de conquérir Jérusalem, « Jérusalem sera à nous« , où « des bataillons de Satan nous attendent. Le monde brûlera longtemps dans ce brasierTes troupes entreront dans le temple… ».
La famille juive de Ila est plongée au cœur de cette communauté kabarde dont elle ne connaît pas la langue.
Les corps sont tout autant contraints. Ila reste presque toujours dans sa salopette d’atelier mécanique, comme pour cacher son corps ; quand elle n’est pas recouverte en partie de cambouis.
Car au milieu de ces enfermements se retrouvent la famille d’Ila et cette petite communauté juive assaillie par une haine évidente et palpable, par le kidnapping de son frère David, joué par Veniamin Kac (Вениамин Кац), et la demande de rançon.
Et Kantemir, au milieu de ce capharnaüm de peuples, Kabardes, Russes, Balkares, Ossètes, Ukrainiens, Arméniens, Tcherkesses, Tchétchènes, etc., choisit de plonger son histoire dans une des ses plus petites communautés, ballotées et humiliées tout au long de l’histoire, les juifs des montagnes. Alors que tous les autres cherchent les indépendances, les autonomies, ces derniers ne cherchent qu’à survivre dans ce milieu hostile.
Et Ila ne cherche qu’à respirer un peu. Même si c’est dans les bras de son ami kabarde, à demi étouffée. Même si c’est au cœur de ceux qui veulent son anéantissement. La liberté pour Ila est à ce prix. Elle ne peut plus tomber. Elle est au fond de sa fosse.
Elle se sent délaissée par sa famille elle-même au détriment de David, son frère : « je suis un peu votre fille… »
Viendra le moment du dénouement, Ila retrouvera David, le mariage arrangé d’Ila n’aura pas lieu.
Ce sera le moment du départ vers Voronej.
Mais le départ se fait aussi dans la contrainte, « on doit s’en aller !« , et dans la fracture, avec la communauté et dans la famille, David et Léa, sa fiancée, décide de rester à Naltchik (Нальчик), la panne mécanique, les paysages détruits par des années de communisme….
Que reste-t-il alors ?
Dans un des derniers plans, la mère d’Ila s’accroche à elle comme à une bouée et Ila de lui murmurer :
« Maman.. Tu n’as plus personne à aimer…« 
Ni plus personne à sacrifier non plus.

Ila semble dire, comme dans ce poème de Pétrus Borel (désespoir)
« Baigné de pleurs mon corps est épuisé :
A ce combat tout mon cœur s’est brisé !
« 

Jacky Lavauzelle




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« La porte !
        On me l’ouvrira ben, la porte :
L’jour de l’enterr’ment faudra ben que j’sorte !
        Vous l’ouvrirez, que j’dis, la porte !
 »
La Chanson d’un gas qu’a mal tourné
L’Enfermée
Gaston Couté