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LE PRESIDENT -Verneuil- L’Europe de la Finance contre l’Europe du Travail

HENRI VERNEUIL
LE PRESIDENT
1961

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L’Europe de la finance
contre l’Europe du travail

Un film sur le politique, la politique, la morale en politique. Sur la montée de la finance et des lobbies de l’argent. Un film aussi sur un destin, celui d’un président du Conseil qui mouille le maillot pour ses idées, et qui persévère jusqu’à l’affrontement brutal du tout contre un homme. On ne vient pas dans ce film pour des artifices. Mais pour la parole. Franche et directe. Jamais simplette. Toujours belle. Celle de Verneuil. Celle d’Audiard.

  • UNE SEULE MAÎTRESSE : LA FRANCE

Un homme solide comme la maison qui trône au milieu du parc, fidèle dans ses idées comme dans ses amitiés. Un homme sans Rolex, bien dans ses baskets contre vents et marées. Une seule passion : la France. C’est le politicien que l’on regarde avec nostalgie, comme un concept.  « Je n’ai eu qu’une maîtresse, la France. Pour le reste, je me suis toujours adressé aux maisons closes et aux théâtres subventionnés…Envoyez donc la photo où je suis au gala des petits lits blancs avec le président Doumer et les Dolly Sisters ». Il se fout de la morale bourgeoise, mais pas de la morale en politique, un anticlérical, « un mélange d’anarchiste et de conservateur ».

  • « DES VOYOUS QUI NE SAVENT PAS FAIRE POUSSER DES RADIS »

Deux politiques s’affrontent, deux hommes les incarnent : l’ancien président du conseil, Jean Gabin et Chalamont, Bernard Blier, politicien, directeur de cabinet, qui monte, qui monte… Chalamont est le rusé, l’intelligent, le diplômé, celui qui fait marcher ses relations, qui a fait un beau mariage avec l’une des plus grosses fortunes, qui a « épousé une banque ». Jean Gabin, c’est l’honnête, le terrien, celui qui a su garder ses racines, être proche de son village, de ses anciens amis, celui qui a une vision. A son vieil ami agriculteur, qu’il croise pendant les labours et qui lui dit que « les lascars, les voyous qui fixent le prix des betteraves ne savent même pas faire pousser des radis », il reconnaît, en souriant, qu’il «  aurait refusé le portefeuille de l’agriculture pour ne pas se brouiller avec lui ».

  • « L’EUPOPE DE LA FORTUNE CONTRE CELLE DU TRAVAIL

La politique que Verneuil dénonce déjà c’est celle de la financiarisation de notre politique. Il dénonce « l’Europe de la fortune contre celle du travail ». Et il passe alors en revue le pédigrée de chaque député, par ordre alphabétique, devant une assemblée hors d’elle. Passent les présidents, les directeurs de groupe financier, passent les administrateurs de société et les fondés de pouvoir. « Les  partis ne sont plus que des syndicats d’intérêt.» En fait, c’est déjà « une constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression qui maintiendront sous leur contrôle non seulement le produit du travail, mais les travailleurs eux-mêmes. On ne vous demandera plus de soutenir un ministère, mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration ».

  • « LA POLITIQUE, AMORTISSABLE EN QUATRE ANS »

Que devrait être la politique ? « Une vocation! Mais pour le plus grand nombre, elle est un métier, un métier qui ne rapporte pas aussi vite que beaucoup le souhaiteraient et qui nécessite de grosses mises de fonds. Une campagne électorale coûte cher, mais pour certaines grosses sociétés, c’est un placement amortissable en quatre ans ; et pour peu que le protégé se hisse à la présidence du conseil, alors là !, le placement devient inespéré… Il vaut mieux régner à Matignon que dans l’Ougandi et que de fabriquer un député coûtait moins cher que de dédommager un roi nègre ! » Il parle de l’intérêt financier des colonies. Nous sommes en 1961 !

La politique deviendra donc exclusivement le langage des chiffres « qui a ceci de commun avec le langage des fleurs qu’on lui fait dire ce qu’on veut ».

Vinrent les stock-options et les paradis fiscaux.

Jacky Lavauzelle

 

SAMSON (Maurice Tourneur) Le Lion et le Miel

Maurice TOURNEUR
SAMSON (1936)
Tourneur Samson Harru Baur Artgitato
LE LION
&
LE MIEL

Dans le monde du business, nous avions la force animale, les lions affamés, deux poids-lourds aux affaires, deux hommes puissants, Raimu, dans Ces Messieurs de la Santé de Pierre Colombier en 1934, et Charles Vanel dans les Affaires sont les affaires de Jean Dréville, en 1942.  Nous avons, en 1936, dans le Samson de Jacques Tourneur, Harry Baur le magnifique (Jacques Brachart). Celui-ci devrait boxer dans la catégorie des super-lourds. Mais nous sommes avec des professionnels où cette catégorie n’existe pas. La question ne se pose donc pas. Ce sont trois magnas de la finance, trois génies des affaires, trois extra-terrestres du business.
Nous sommes cependant plus en empathie immédiate avec le roublard Jules Taffard  (Raimu) qu’avec notre Jacques Brachart (Harry Baur) ou notre Isidore Lechat, le plus intransigeant et cynique des trois.

Brachart est notre Samson. Sa force ne lui vient pas de sa chevelure, mais de son argent. Il est intouchable, craint et donc respecté. Au journal qui veut le faire chanter, il a une solution simple, directe : en devenir le principal actionnaire et virer comme un malpropre son directeur. On ne joue pas avec Brachart. Il n’en a ni le temps ni l’envie.

LE LION ET LE MIEL

Les trois films se ressemblent. Nos personnages un peu  aussi. Au premier abord seulement. La même scène d’introduction dans Samson et dans Ces Messieurs de la Santé : la Bourse de Paris, la ruche financière, où nos abeilles butinent au jour le jour. Au centre, la Reine, le tableau noir où nos chiffres défilent aux cris des boursicoteurs surexcités.  En 1942, le décor change et nous nous retrouvons dans les locaux d’un grand journal où Isidore Lechat règne en maître absolu. La presse vient de prendre son essor et savoure pleinement sa puissance.

Le lion et le miel. Le fort et le doux. Comme notre Samson qui après avoir tué le lion retrouvera les abeilles à son second passage Ce sont elles qui lui donneront l’idée de la célèbre énigme: « de celui qui mange est issu ce qui se mange, et du fort est issu le doux. »

L’AFFOLEMENT, COMME TOUT LE MONDE !

Revenons pour le moment, à nos lions dominants.

Le temps reste à la base de toutes les affaires, les petites comme les grandes. Le jugement doit être éclairé et rapide comme l’éclair. Bref, lumineux. Les deux ennemis du jugement : la mauvaise information et l’affolement. Pour faire baisser intentionnellement une valeur, le conseil de Brachart à la question « Quelle attitude devrais-je prendre ? », la réponse est la suivante : «  l’affolement, comme tout le monde ! »

Mais les rocs ont tous leur fragilité, à l’exception de Lechat. Les montagnes s’affolent aussi. Le tremblement de terre de Brachart s’appelle Anne-Marie d’Andeline (Gaby Morlay), rencontrée devant l’un des premiers photomatons. A ce moment-là, la statue du Commandeur va s’effriter.

Anne-Marie n’aime pas Brachart et réalise un mariage de raison  poussée par sa mère, issue d’une famille noble, désormais désargentée en grande difficulté financière. Le parti de Brachart est donc inespéré ; il n’y a pas à hésiter. Il faut livrer la biche aux dents du lion qui tourne autour de sa proie. Samson a trouvé sa Dalila et il sait que rien ne lui résiste longtemps. Une Dalila qui va aussi le trahir, comme dans le mythe. Le résultat sera le même : il sera rasé symboliquement, complétement ruiné. A la différence que notre Brachart le fera consciemment, incapable de voir sa belle lui échapper. Sa fortune est un obstacle, ruinons-nous en ruinant l’amant bellâtre.  

QUAND LE LION DEVORE SON LIONCEAU

Brachart est conscient en effet, dès le commencement, de faire un mariage de raison. Il compte sur  la durée. Il sait que ce temps de l’amour ne se maîtrise pas. Il est follement amoureux. Il joue alors l’homme distant devant Anne-Marie, franche, elle, sur la profondeur épsilonesque de ses sentiments. L’originalité, vient que dans ce monde des affaires totalement pourri, ou l’argent est roi, moteur de chaque chose, chaque respiration, notre financier va mettre toute sa fortune en jeu pour ruiner Jérôme Le Govain (André Luguet), l’amant à la belle figure, aux cheveux parfaitement huilés, jeune lionceau dans l’arène de la finance qu’il venait d’enrichir précédemment par des conseils avisés sur les cuivres africains.  

ATTENTION AU LION BLESSE !

En se dénudant, se dépouillant, il va faire vaciller, enfin,  le cœur de notre Anne-Marie. L’être, froid, se révèle un être de passion, de feu, fougueux à l’extrême. Comme Samson à Gaza, Brachart n’est pas encore mort. Loin de s’enfuir vers Londres, il retrouve sa dulcinée éplorée et  bras dessus, bras dessous décide de revenir vers Paris. Il ne faut en effet jamais vendre la peau du lion avant de l’avoir tué !

Le vieux lion est devenu abeille. Il a trouvé sa reine. La lune de miel va pouvoir commencer !

 

Jacky Lavauzelle