Archives par mot-clé : Ernst Ludwig Kirchner

DEVISE – POEME DE RAINER MARIA RILKE – MOTTO – 1897

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Rainer Maria Rilke
Traduction Jacky Lavauzelle

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LITTERATURE ALLEMANDE
Deutsch Literatur

Gedichte – Poèmes

 

RAINER MARIA RILKE
1875-1926

 Rainer Maria Rilke Portrait de Paula Modersohn-Becker 1906
Portrait de Rainer Maria Rilke
1906
Par Paula Modersohn-Becker

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DEVISE
MOTTO
1897
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Ernst Ludwig Kirchner, Baigneuses entre pierres, 1912, musée Städel, Francfort-sur-le-Main

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Das ist die Sehnsucht: wohnen im Gewoge
Le désir est ainsi : vivre dans la vague
und keine Heimat haben in der Zeit.
et sans patrie dans le temps qui passe.
Und das sind Wünsche: leise Dialoge
Et les vœux sont ceux-ci : de doux dialogues
täglicher Stunden mit der Ewigkeit.
des heures quotidiennes avec l’éternité.

*


Und das ist Leben. Bis aus einem Gestern
Et la vie est ainsi. Jusqu’à une veille
die einsamste Stunde steigt,
l’heure la plus solitaire se lève,
die, anders lächelnd als die andern Schwestern,
qui, souriant différemment des autres sœurs,
dem Ewigen entgegenschweigt.
silencieusement, rencontre l’Éternel.


*
November 1897
Novembre 1897

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AU PUBLIC – Poème de Kurt TUCHOLSKY – An das Publikum – 1931

LITTERATURE ALLEMANDE

Poèmes Heine Poésie Gedichte Buch der Lieder

KURT TUCHOLSKY

9. Januar 1890 Berlin – 21. Dezember 1935 Göteborg
9 janvier 1890 – 21 décembre 1935

 

Traduction Jacky LAVAUZELLE 

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KURT TUCHOLSKY GEDICHTE

AU PUBLIC
An das Publikum

1931

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Ernst Ludwig Kirchner, Berliner Straßenszene,Scène de rue à Berlin, 1913, Neue Galerie, New York

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O hochverehrtes Publikum,
Ô cher public,
sag mal: bist du wirklich so dumm,
dis : es-tu aussi stupide,
wie uns das an allen Tagen
comme tous les jours nous le disent
alle Unternehmer sagen?
tous les régisseurs ?
Jeder Direktor mit dickem Popo
Chaque réalisateur avec un gros popotin
spricht: »Das Publikum will es so!«
dit : « Le public le veut comme ça !« 
Jeder Filmfritze sagt: »Was soll ich machen?
Chaque producteur de film dit : « Que dois-je faire ?
Das Publikum wünscht diese zuckrigen Sachen!«
Le public veut ces choses acidulées !« 
Jeder Verleger zuckt die Achseln und spricht:
Chaque éditeur hausse les épaules et dit :
»Gute Bücher gehn eben nicht!«
« Les bons livres ne fonctionnent tout simplement pas !« 
Sag mal, verehrtes Publikum:
Dis, cher public :
bist du wirklich so dumm?
es-tu vraiment si stupide ?

*

So dumm, dass in Zeitungen, früh und spät,
Si stupide que dans les journaux, tôt et tard,
immer weniger zu lesen steht?
il y aura de moins en moins à lire ?
Aus lauter Furcht, du könntest verletzt sein;
De peur que tu ne sois blessé ;
aus lauter Angst, es soll niemand verhetzt sein;
par pure crainte que personne ne soit écarté ;
aus lauter Besorgnis, Müller und Cohn
par pure inquiétude, Müller et Cohn
könnten mit Abbestellung drohn?
pourraient menacer d’une annulation ?
Aus Bangigkeit, es käme am Ende
Par anxiété, qu’au final
einer der zahllosen Reichsverbände
l’une des innombrables associations impériales
und protestierte und denunzierte
ne proteste, ne dénonce
und demonstrierte und prozessierte…
ne se manifeste, ne s’effraie…
Sag mal, verehrtes Publikum:
Dis, cher public :
bist du wirklich so dumm?
es-tu vraiment si stupide ?

*

Ja, dann…
Oui, alors …
Es lastet auf dieser Zeit
Pèse cette fois
der Fluch der Mittelmäßigkeit.
la malédiction de la médiocrité.
Hast du so einen schwachen Magen?
As-tu donc un estomac si fragile ?
Kannst du keine Wahrheit vertragen?
Ne peux-tu entendre la vérité ?
Bist also nur ein Grießbrei-Fresser –?
N’es-tu donc qu’un mangeur de semoule ?
Ja, dann…
Oui, alors …
Ja, dann verdienst dus nicht besser.
Oui, alors c’est que tu ne mérites pas mieux !




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Unter dem Pseudonym Theobald Tiger im Jahr 1931
Sous le pseudonyme de Théobald Tiger
1931

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LES POTINS – Poème de Kurt TUCHOLSKY – Das Persönliche – 1931

Ernst Ludwig Kirchner, Variété, 1909, musée Städel, Francfort-sur-le-Main

LITTERATURE ALLEMANDE

Poèmes Heine Poésie Gedichte Buch der Lieder

KURT TUCHOLSKY

9. Januar 1890 Berlin – 21. Dezember 1935 Göteborg
9 janvier 1890 – 21 décembre 1935

 

Traduction Jacky LAVAUZELLE 

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KURT TUCHOLSKY GEDICHTE

 

Das Persönliche
LES POTINS

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Schreib, schreib …
Écrivez, écrivez …
Schreib von der Unsterblichkeit der Seele,
Écrivez sur l’immortalité de l’âme,
vom Liebesleben der Nordsee-Makrele;
de la vie amoureuse du maquereau de la mer du Nord ;
schreib von der neuen Hauszinssteuer,
écrivez sur la nouvelle taxe d’habitation,
vom letzten großen Schadenfeuer;
les dégâts du dernier grand incendie ;
gib dir Mühe, arbeite alles gut aus,
faîtes un effort, tout fonctionne bien,
schreib von dem alten Fuggerhaus;
écrivez sur l’ancienne Fuggerhaus ;
von der Differenz zwischen Mann und Weib …
sur la différence entre les hommes et les femmes …
Schreib … schreib …
Écrivez … écrivez…
Schreib sachlich und schreib dir die Finger krumm:
Écrivez factuellement et écrivez à l’aide de vos doigts tordus :
kein Aas kümmert sich darum.
aucune charogne ne s’en soucie.

Aber:
Mais :
schreibst du einmal zwanzig Zeilen mit Klatsch – die brauchst du gar nicht zu feilen.
une fois que vous avez écrit vingt lignes avec des ragots – vous n’avez pas besoin de les classer.
Nenn nur zwei Namen, und es kommen in Haufen Leser und
Nommez-en deux,
Leserinnen gelaufen.
et vous aurez beaucoup de lecteurs.
« Wie ist das mit Fräulein Meier gewesen? »
« Comment c’était avec Madame Meier ?« 
Das haben dann alle Leute gelesen.
Voilà, tout le monde lira ça.
« Hat Herr Streuselkuchen mit Emma geschlafen? »
« M. Streuselkuchen a-t-il couché avec Emma ?« 
Das lesen Portiers, und das lesen Grafen.
Les portiers lisent et les comtes lisent.
« Woher bezieht Stadtrat Mulps seine Gelder? »
« D’où le conseil municipal Mulps tire-t-il son argent ?« 
Das schreib – und dein Ruhm hallt durch Felder und Wälder.
Écrivez cela – et votre renommée se répercute à travers les champs et les forêts !

*

Die Sache? Interessiert in Paris und in Bentschen keinen Menschen.
La chose ? Personne n’est intéressé par Paris et Zbąszyń.
Dieweil, lieber Freund, zu jeder Frist
Oui, cher ami, à tout moment
die Hauptsache das Persönliche ist.
l’essentiel se résume à l’individuel.


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Sous le pseudonyme de Theobald Tiger
1931


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LES YEUX DANS LA VILLE – Poème de Kurt TUCHOLSKY – Augen in der Großstadt – 1930

Montage à partir de l’oeuvre d’Ernst Ludwig Kirchner, Nollendorfplatz, 1912, huile sur toile, Stiftung Stadtmuseum Berlin

LITTERATURE ALLEMANDE

Poèmes Heine Poésie Gedichte Buch der Lieder

KURT TUCHOLSKY

9. Januar 1890 Berlin – 21. Dezember 1935 Göteborg
9 janvier 1890 – 21 décembre 1935

Traduction Jacky LAVAUZELLE 

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KURT TUCHOLSKY GEDICHTE

LES YEUX DANS LA VILLE
Augen in der Großstadt

1930
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Wenn du zur Arbeit gehst
Quand vous partez au travail
am frühen Morgen,
tôt le matin,
wenn du am Bahnhof stehst
quand vous vous êtes à la gare
mit deinen Sorgen:
avec vos soucis,
da zeigt die Stadt
la ville vous montre
dir asphaltglatt
un lisse asphalte
im Menschentrichter
dans un entonnoir humain
Millionen Gesichter:
Des millions de visages :
Zwei fremde Augen, ein kurzer Blick,
Deux yeux étranges, un rapide regard,
die Braue, Pupillen, die Lider –
le front, les pupilles, les paupières –
Was war das? vielleicht dein Lebensglück…
Qu’était-ce ? peut-être votre bonheur…
vorbei, verweht, nie wieder.
un bonheur fini, disparu, plus jamais.


*

Du gehst dein Leben lang
Vous allez toute votre vie
auf tausend Straßen;
dans mille rues ;
du siehst auf deinem Gang, die
vous voyez dans votre couloir
dich vergaßen.
Ceux qui vous ont oublié.
Ein Auge winkt,
Un œil cligne,
die Seele klingt;
sonne l’âme ;
du hast’s gefunden,
vous l’avez trouvé,
nur für Sekunden…
seulement quelques secondes …
Zwei fremde Augen, ein kurzer Blick,
Deux yeux étranges, un rapide regard,
die Braue, Pupillen, die Lider –
le front, les pupilles, les paupières –
Was war das? Kein Mensch dreht die Zeit zurück…
Qu’était-ce ? Personne ne remonte le temps …
Vorbei, verweht, nie wieder.
Parti, disparu, plus jamais.

*

Du mußt auf deinem Gang
Vous devez sur vos chemins
durch Städte wandern;
vous promener dans les villes ;
siehst einen Pulsschlag lang
vous voyez en une fraction
den fremden Andern.
cet étrange autre.
Es kann ein Feind sein,
Ça peut être un ennemi,
es kann ein Freund sein,
ça peut être un ami,
es kann im Kampfe dein
il peut être au combat
Genosse sein.
votre camarade.
Er sieht hinüber
Il regarde par-dessus
und zieht vorüber …
et passe …
Zwei fremde Augen, ein kurzer Blick,
Deux yeux étranges, un regard rapide,
die Braue, Pupillen, die Lider –
le front, les pupilles, les paupières –
Was war das?
Qu’était-ce ?
Von der großen Menschheit ein Stück!
Un morceau de grande humanité !
Vorbei, verweht, nie wieder.
Parti, disparu, plus jamais.



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1930

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LA POESIE de RAINER MARIA RILKE – Werk des Dichters Rainer Maria Rilke

signature 2Rainer Maria Rilke

LITTERATURE ALLEMANDE
Deutsch Literatur

Gedichte – Poèmes
Texte

 

RAINER MARIA RILKE
1875-1926

 Rainer Maria Rilke Portrait de Paula Modersohn-Becker 1906
Portrait de Rainer Maria Rilke
1906
Par Paula Modersohn-Becker

*

 

La Poésie
de Rainer Maria Rilke
Werk des Dichters
Rainer Maria Rilke

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

*

DIE ARMEN WORTE
Les Pauvres Mots
1897

 Die armen Worte, die im Alltag darben,
Les pauvres mots, aux teintes du quotidien,
die unscheinbaren Worte, lieb ich so.
ô ces mots discrets, comme je les aime.

*

MOTTO
DEVISE
1897

Das ist die Sehnsucht: wohnen im Gewoge
Le désir est ainsi : vivre dans la vague
und keine Heimat haben in der Zeit.
et sans patrie dans le temps qui passe.

Ernst Ludwig Kirchner, Baigneuses entre pierres, 1912, musée Städel, Francfort-sur-le-Main

*

Das Buch vom mönchischen Leben 
Le livre de la vie monastique
 1899

Da neigt sich die Stunde und rührt mich an
Comme se pose l’heure et me touche
mit klarem, metallenem Schlag:
par son clair impact métallique :

Le Livre de la vie monastique Das Buch vom mönchischen Leben Artgitato Rainer Maria Rilke Jean II Restout Moine en Prière





*

EINSAMKEIT
SOLITUDE
1902

 Die Einsamkeit ist wie ein Regen.
La solitude est comme la pluie.
Sie steigt vom Meer den Abenden entgegen;
Elle monte de la mer vers les soirées ;

*

LES VAGUES DU CŒUR 
Einmal nahm ich zwischen meine Hände

Einmal nahm ich zwischen meine Hände
Une fois, je pris dans mes mains
dein Gesicht. Der Mond fiel darauf ein.
ton visage. La lune alors tomba sur lui.

*

HERBST
AUTOMNE
1902

Die Blätter fallen, fallen wie von weit,
Les feuilles tombent, elles tombent venant de loin,
als welkten in den Himmeln ferne Gärten;
comme venant des jardins desséchés lointains du ciel ;

*

LE PARFUM
DER DUFT

Wer bist du, Unbegreiflicher: du Geist,
Qui es-tu, élément incompréhensible : ô toi, esprit,
wie weißt du mich von wo und wann zu finden,
comment sais-tu où et quand me trouver,

*

LES FENÊTRES

Il suffit que, sur un balcon
ou dans l’encadrement d’une fenêtre
celle que nous perdons
en l’ayant vue apparaître.

Les Fenêtres Rainer Maria Rilke Artgitato Van Gogh La Charcuterie 1888

*
BLANCHES ÂMES
Weiße Seelen

Weiße Seelen mit den Silberschwingen,
Âmes blanches aux ailes d’argent,
Kinderseelen, die noch niemals sangen,-
Âmes d’enfants qui jamais encore n’ont chanté,

*

AVENTE
L’AVENT

Es treibt der Wind im Winterwalde
Le vent souffle dans la forêt d’hiver
die Flockenherde wie ein Hirt
Un blanc troupeau de flocons tel un berger


Maslenitsa, Boris Koustodiev, 1916
*

EINGANG
L’ARBRE NOIR DANS LE CIEL
1906

Wer du auch seist: am Abend tritt hinaus
Qui que tu sois : sors le soir
aus deiner Stube, drin du alles weißt;
de ta chambre, dans laquelle tu sais tout ;

*

PROMENADE
Spaziergang
1924

Schon ist mein Blick am Hügel, dem besonnten,
Mon regard est déjà sur la colline, le soleil en face,
dem Wege, den ich kaum begann, voran.
Sur ce chemin, qu’à peine je commence.

*

LES QUATRAINS VALAISANS
36 poèmes
36 Gedichte
1926

Les Quatrains Valaisans Rainer Maria Rilke Blumenfamilie 1922 Paul Klee

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LES ROSES
RECUEIL DE 24 POEMES

LES ROSES RAINER MARIA RILKE artgitato Vase avec des tulipes, roses et d'autres fleurs avec des insectes 1669 de Maria van Oosterwijk

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Sonette aus dem Portugiesischen (Rilke)
Sonnets from the Portuguese  (Elizabeth Barrett Browning)
Sonnets Portugais (trad. Jacky Lavauzelle)

Elizabeth-Barrett-Browning Sonnets from the Portuguese Elizabeth Barrett Browning Sonette aus dem Portugiesischen RILKE

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Les SONNETS de Louise Labé
Die Sonette von Louise Labé 
Louise Labé Les Sonnets Giovanni Bellini Jeune Femme à sa toilette 1515 Musée d'histoire de l'Art de Vienne

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TENDRES IMPÔTS A LA FRANCE
RECUEIL DE 15 POEMES

Tendres impôts à la France Rainer Maria Rilke Artgitato Le Cirque ambulant 1940 Musée d'Art de São Paulo

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VERGERS
RECUEIL DE POEMES
1924 – 1925

Vergers Rainer Maria Rilke 1924 1925 Artgitato Paul Klee Mythe de Fleur 1918

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signature 2

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RAINER MARIA RILKE
LE REDEMPTEUR DES PAUVRES MOTS

Disons maintenant quelques mots des moyens employés par Verhaeren pour atteindre la vision, pour traduire la passion dans les phénomènes intérieurs et pour éveiller l’enthousiasme. Examinons d’abord s’il est vrai de dire que Verhaeren soit un artiste au point de vue de la langue. Ses moyens verbaux ne sont nullement restreints. Si, dans ses termes ou dans ses rimes, on peut constater des retours fréquents qui confinent parfois à la monotonie, on remarque chez lui dans l’emploi du mot une étrangeté, une nouveauté, un inattendu qui sont presque sans exemple dans la lyrique poésie française. Une langue ne s’enrichit pas uniquement de néologismes. Un mot peut acquérir une vie nouvelle en prenant une place et un sens qu’il n’avait pas, par une transvaluation de sa signification, comme fit Rainer Maria Rilke dans la poésie allemande. « Être le rédempteur par la vie poétique des pauvres mots qui se meurent d’indigence dans la vie journalière », voilà peut-être qui est supérieur à la création de nouveaux vocables.

Stefan Zweig
Émile Verhaeren : sa vie, son œuvre
Traduction par Paul Morisse et Henri Chervet.
 Mercure de France, 1910
pp. –360

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LES CAHIERS DE MALTE LAURIDS BRIGGE

 A vouloir commenter ce livre, on risque de prouver surtout que pour l’avoir trop compris on l’a mal deviné, tant on sent qu’il se veut irréductible à l’entendement. Ce serait là sans doute un truisme s’il s’agissait d’une pure œuvre d’art. Mais précisément chez cet authentique poète qu’est Rilke, le plus original peut-être et l’un des plus richement doués parmi les Allemands de sa génération, la pente de l’esprit, l’inclinaison morale est si forte qu’elle détermine la vision, de telle sorte qu’on lui ferait tort d’une part essentielle en ne se préoccupant point de la signification de ses écrits.

Les deux petits volumes de prose dont il est question révèlent pleinement une richesse secrète, un sens d’intimité que les œuvres précédentes ne décelaient encore que par affleurements. Dans ce recueil de souvenirs et d’impressions, qui tient autant d’un traité de la vie intérieure que d’une étude de psychologie, nous sommes d’abord frappés par la prédominance d’une sensualité attentive et déliée, d’où se dégage par une sorte d’intuition immédiate, une image étendue de la vie. Rilke ose les déductions les plus lointaines et les plus compliquées sans prendre le détour de la combinaison intellectuelle ; il ne quitte pas sa sensation et, si son cœur est tourmenté d’une soif d’absolu toute pascalienne, il ne souhaite pas  » trouver Dieu ailleurs que partout.  »  Il l’y cherche avec une ferveur exaltée, avec un soin méticuleux, avec une inquiétude qui n’est pas sans péril. Il est comme un chien sur la piste du divin.

Il nous introduit dans une atmosphère moite et enfiévrée où un monde à venir semble en éclosion continuelle. La vie s’y tient inachevée et trop serrée comme à l’intérieur d’un bourgeon.

Un jeune homme de ces temps-ci, le dernier descendant d’une vieille famille aristocratique du Danemark, fait à Paris, dans la misère et l’isolement, l’expérience d’un déracinement bien autre- ment grave que s’il se détachait, simplement, de sa terre et de ses morts. Déracinant son cœur, il passe d’une époque à une autre, il entreprend de se quitter lui-même pour parcourir dans la solitude l’espace très long qui sépare de la sympathie l’amour. Il ne continue pas sa lignée. Les temps nouveaux sont entrés en lui, il a élargi son cadre, il a laissé là sa maison et ce qu’il possédait.


C’est là ce qui donne au lyrisme de Rilke son accent unique, sa force, son importance. Peut-être faut-il rapporter ce trait si particulier à ses influences ou à ses origines slaves. Il fait fréquemment penser à Dostoïevski dont il est loin pourtant par la nature de son talent comme par sa volonté d’artiste. Il a, à un haut degré, la faculté de contact avec la matérialité des choses qui manque au grand romancier russe. C’est au point qu’il donne l’impression de posséder quelque sens supplémentaire lui permettant des relations plus variées et plus intimes avec le monde des phénomènes. Son style très imagé prend presque toutes ses expressions dans des termes de mouvement. Les choses chez lui ne sont pas, elles deviennent et l’on pourrait dire qu’il a l’adjectif dynamique. Il obtient par là une adhérence si intime entre la pensée et la forme que celle-ci suggère l’idée d’une peau bien plus que d’un vêtement. Son invention verbale est sans bornes, mais il lui arrive parfois d’outrepasser les limites du possible, et son goût qui est fin, à certaines fâcheuses défaillances… Il est juste cependant de dire que quand il se contorsionne en d’invraisemblables acrobaties, ce n’est jamais que par nécessité, et comme pour atteindre un objet hors de sa portée.

Ce lyrique qu’on dirait tout absorbé par ses grands événements à ses moments perdus se révèle observateur remarquable, psychologue subtil et narquois. Il a la vision impeccablement concrète, le trait original, sûr et concentré, un don amusant de la charge et peut-être l’étoffe d’un romancier.

Les notes de M. L. Brigge ne sont pas un livre beau, bien fait, réussi. Elles ont quelque chose de trop vert, de trop foisonnant, de trop jeune, un tremblement trop peu dominé ; elles ne sont que délicieuses et importantes, et lourdes du mystère des œuvres vivantes.

La Nouvelle Revue Française
NRF, 1911
Tome V