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ERNEST RENAN par JULES LEMAÎTRE

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

 

JULES LEMAÎTRE

 né le  à Vennecy et mort le  à Tavers

 

_______________

 

LES CRITIQUES 
DE 
JULES LEMAÎTRE

 

ERNEST RENAN

Les Contemporains
(1886)
Etudes & Portraits Littéraires

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Jules Lemaître
Portrait d’Ernest Renan dans son bureau, par Auguste Renan.

INTRODUCTION

Nul écrivain peut-être n’a tant occupé, hanté, troublé ou ravi les plus
délicats de ses contemporains. Qu’on cède ou qu’on résiste à sa séduction, nul ne s’est mieux emparé de la pensée, ni de façon plus enlaçante. Ce grand sceptique a dans la jeunesse d’aujourd’hui des fervents comme en aurait un apôtre et un homme de doctrine. Et quand on aime les gens, on veut les voir.
Les Parisiens excuseront l’ignorance et la naïveté d’un provincial
fraîchement débarqué de sa province, qui est curieux de voir des hommes illustres et qui va faisant des découvertes. Je suis un peu comme ces deux bons Espagnols venus du fin fond de l’Ibérie pour voir Tite-Live et «cherchant dans Rome autre chose que Rome même». Le sentiment qui les amenait était naturel et touchant, enfantin si l’on veut, c’est-à-dire doublement humain. Je suis donc entré au Collège de France, dans la petite salle des langues sémitiques.

I



À quoi bon pourtant ? N’est-ce point par leurs livres, et par leurs livres
seuls, qu’on connaît les écrivains et surtout les philosophes et les
critiques, ceux qui nous livrent directement leur pensée, leur conception du monde et, par là, tout leur esprit et toute leur âme ? Que peuvent ajouter les traits de leur visage et le son de leur voix à la connaissance que nous avons d’eux ? Qu’importe de savoir comment ils ont le nez fait ? Et s’ils l’avaient mal fait, par hasard ? ou seulement fait comme tout le monde ?
Mais non, nous voulons voir. Combien de pieux jeunes gens ont accompli leur pèlerinage au sanctuaire de l’avenue d’Eylau pour y contempler ne fût-ce que la momie solennelle du dieu qui se survit ! Heureusement on voit ce qu’on veut, quand on regarde avec les yeux de la foi ; et la pauvre humanité a, quoi qu’elle fasse, la bosse irréductible de la vénération.
Au reste, il n’est pas sûr que l’amour soit incompatible avec un petit
reste au moins de sens critique. Avez-vous remarqué ? Quand on est pris, bien pris et touché à fond, on peut néanmoins saisir très nettement les défauts ou les infirmités de ce que nos pères appelaient l’objet aimé et, comme on est peiné de ne le voir point parfait et qu’on s’en irrite (non contre lui), cette pitié et ce dépit redoublent encore notre tendresse. Nous voulons oublier et nous lui cachons (tout en le connaissant bien) ce qui peut se rencontrer chez lui de fâcheux, comme nous nous cachons à nous-mêmes nos propres défauts, et ce soin délicat tient notre amour en haleine et nous le rend plus intime en le faisant plus méritoire et en lui donnant un air de défi. La critique peut donc fournir à la passion de nouveaux aliments, bien loin de l’éteindre.
Conclusion : ce n’est que pour les tièdes que les grands artistes perdent parfois à être vus de près ; mais cette épreuve ne saurait les entamer aux yeux de celui qui est véritablement épris. Et ils y gagnent d’être mieux connus sans être moins aimés.

II


C’est, je crois, le cas pour M. Renan. Une chose me tracassait. Est-il
triste décidément, ou est-il gai, cet homme extraordinaire ? On peut hésiter si l’on s’en tient à ses livres. Car, s’il conclut presque toujours par un optimisme déclaré, il n’en est pas moins vrai que sa conception du monde et de l’histoire, ses idées sur la société contemporaine et sur son avenir prêtent tout aussi aisément à des conclusions désolées. Le vieux mot : «Tout est vanité», tant et si richement commenté par lui, peut avoir aussi bien pour complément : «À quoi bon vivre ?» que: «Buvons, mes frères, et tenons-nous en joie.» Que le but de l’univers nous soit profondément caché ; que ce monde ait tout l’air d’un spectacle que se donne un Dieu qui sans doute n’existe pas, mais qui existera et qui est en train de se faire ; que la vertu soit pour l’individu une duperie, mais qu’il soit pourtant élégant d’être vertueux en se sachant dupé ; que l’art, la poésie et même la vertu soient de jolies choses, mais qui auront bientôt fait leur temps, et que le monde doive être un jour gouverné par l’Académie des sciences, etc., tout
cela est amusant d’un côté et navrant de l’autre. C’est par des arguments funèbres que M. Renan, dans son petit discours de Tréguier, conseillait la joie à ses contemporains. Sa gaîté paraissait bien, ce jour-là, celle d’un croque-mort très distingué et très instruit.
M. Sarcey, qui voit gros et qui n’y va jamais par quatre chemins, se tire
d’affaire en traitant M. Renan de «fumiste», de fumiste supérieur et
transcendant (XIXe Siècle, article du mois d’octobre 1884). Eh ! oui,
M. Renan se moque de nous. Mais se moque-t-il toujours ? et jusqu’à quel point se moque-t-il ? Et d’ailleurs il y a des «fumistes» fort à plaindre. Souvent le railleur souffre et se meurt de sa propre ironie. Encore un coup, est-il gai, ce sage, ou est-il triste ? L’impression que laisse la lecture de ses ouvrages est complexe et ambiguë. On s’est fort amusé ; on se sait bon gré de l’avoir compris ; mais en même temps on se sent troublé, désorienté, détaché de toute croyance positive, dédaigneux de la foule, supérieur à l’ordinaire et banale conception du devoir, et comme redressé dans une attitude ironique à l’égard de la sotte réalité. La superbe du magicien, passant en nous naïfs, s’y fait grossière et s’y assombrit. Et comment serait-il gai, quand nous sommes si tristes un peu après l’avoir lu ?
Allons donc le voir et l’entendre. L’accent de sa voix, l’expression de son visage et de toute son enveloppe mortelle nous renseignera sans doute sur ce que nous cherchons. Que risquons-nous ? Il ne se doutera pas que nous sommes là ; il ne verra en nous que des têtes quelconques de curieux ; il ne nous accablera pas de sa politesse ecclésiastique devant qui les hommes d’esprit et les imbéciles sont égaux ; il ne saura pas que nous sommes des niais et ne nous fera pas sentir que nous sommes des importuns.
J’ai fait l’épreuve. Eh bien, je sais ce que je voulais savoir. M. Renan
est gai, très gai, et, qui plus est, d’une gaîté comique.

III

L’auditoire du «grand cours» n’a rien de particulier. Beaucoup de vieux
messieurs qui ressemblent à tous les vieux messieurs, des étudiants,
quelques dames, parfois des Anglaises qui sont venues là parce que M. Renan fait partie des curiosités de Paris.
Il entre, on applaudit. Il remercie d’un petit signe de tête en souriant
d’un air bonhomme. Il est gros, court, gras, rose ; de grands traits, de
longs cheveux gris, un gros nez, une bouche fine ; d’ailleurs tout rond,
se mouvant tout d’une pièce, sa large tête dans les épaules. Il a l’air
content de vivre, et il nous expose avec gaîté la formation de ce Corpus historique qui comprend le Pentateuque et le livre de Josué et qui serait mieux nommé l’Hexateuque.
Il explique comment cette Torah a d’abord été écrite sous deux formes à peu près en même temps, et comment nous saisissons dans la rédaction actuelle les deux rédactions primitives, jéhoviste et élohiste; qu’il y a donc eu deux types de l’histoire sainte comme il y a eu plus tard deux Talmuds, celui de Babylone et celui de Jérusalem ; que la fusion des deux histoires eut lieu probablement sous Ézéchias, c’est-à-dire au temps d’Esaïe, après la destruction du royaume du Nord ; que c’est alors que fut constitué le Pentateuque, moins le Deutéronome et le Lévitique ; que le Deutéronome vint s’y ajouter au temps de Josias, et le Lévitique un peu après.
L’exposition est claire, simple, animée. La voix est un peu enrouée et un peu grasse, la diction très appuyée et très scandée, la mimique familière et presque excessive. Quant à la forme, pas la moindre recherche ni même la moindre élégance ; rien de la grâce ni de la finesse de son style écrit. Il parle pour se faire comprendre, voilà tout ; et va comme je te pousse ! Il ne fait pas les «liaisons». Il s’exprime absolument comme au coin du feu avec des «Oh !», des «Ah !», des «En plein !», des «Pour ça, non !». Il a, comme tous les professeurs, deux ou trois mots ou tournures qui reviennent souvent. Il fait une grande consommation de «en quelque sorte», locution prudente, et dit volontiers : «N’en doutez pas», ce qui est peut-être la plus douce formule d’affirmation, puisqu’elle nous reconnaît implicitement
le droit de douter. Voici d’ailleurs quelques spécimens de sa manière.
J’espère qu’ils amuseront, étant exactement pris sur le vif.
À propos de la rédaction de la Torah, qui n’a fait aucun bruit, qui est
restée anonyme, dont on ne sait même pas la date précise parce que tout ce qui est écrit là était déjà connu, existait déjà dans la tradition orale : Comme ça est différent, n’est-ce pas ? de ce qui se passe de nos jours ! La rédaction d’un code, d’une législation, on discuterait ça
publiquement, les journaux en parleraient, ça serait un événement.
Eh bien, la rédaction définitive du Pentateuque, ç’a pa’été un
événement du tout !… À propos des historiens orientaux comparés à ceux d’Occident :
Chez les Grecs, chez les Romains, l’histoire est une Muse. Oh ! i’ sont
artistes, ces Grecs et ces Romains ! Tite-Live, par exemple, fait une
oeuvre d’art ; il digère ses documents et se les assimile au point
qu’on ne les distingue plus. Aussi on ne peut jamais le critiquer avec
lui-même ; son art efface la trace de ses méprises. Eh bien ! vous n’avez pas ça en Orient, oh ! non, vous n’avez pas ça ! En Orient, rien que des compilateurs ; ils juxtaposent, mêlent, entassent. Ils dévorent les documents antérieurs, ils ne les digèrent pas. Ce qu’ils dévorent
reste tout entier dans leurs estomac: vous pouvez retirer les morceaux.
À propos de la date du Lévitique :
Ah ! je fais bien mes compliments à ceux qui sont sûrs de ces choses-là ! Le mieux est de ne rien affirmer, ou bien de changer d’avis de temps en temps. Comme ça, on a des chances d’avoir été au moins une fois dans le vrai.
À propos des lévites :
Oh ! le lévitisme, ça n’a pas toujours été ce que c’était du temps de
Josias. Dans les premiers temps, comme le culte était très compliqué, il fallait des espèces de sacristains très forts, connaissant très bien leur affaire : c’étaient les lévites. Mais le lévitisme organisé en corps sacerdotal, c’est de l’époque de la reconstruction du temple.
Enfin je recueille au hasard des bouts de phrase : «Bien oui ! c’est
compliqué, mais c’est pas, encore assez compliqué.
»-«Cette rédaction du Lévitique, ça a-t-i’ été fini ? Non, ça a cessé.»-«Ah ! parfait, le
Deutéronome ! Ça forme un tout. Ah ! celui-là a pa’ été coupé !
»
J’ai peur, ici, de trahir M. Renan sous prétexte de reproduire exactement sa parole vivante. Je sens très bien que, détachés de la personne même de l’orateur, de tout ce qui les accompagne, les relève et les sauve, ces fragments un peu heurtés prennent un air quasi grotesque. Cela fait songer à je ne sais quel Labiche exégète, à une critique des Écritures exposée par Lhéritier, devant le trou du souffleur, dans quelque monologue fantastique.
J’ai peur, ici, de trahir M. Renan sous prétexte de reproduire exactement sa parole vivante. Je sens très bien que, détachés de la personne même de l’orateur, de tout ce qui les accompagne, les relève et les sauve, ces fragments un peu heurtés prennent un air quasi grotesque. Cela fait songer à je ne sais quel Labiche exégète, à une critique des Écritures exposée par Lhéritier, devant le trou du souffleur, dans quelque monologue fantastique. Eh bien ! non, ce n’est pas cela, ma loyauté me force d’en avertir le lecteur. Assurément je ne pense pas que Ramus, Vatable ou Budé aient professé sur ce ton ; et c’est un signe des temps que cette absence de tout appareil et cette savoureuse bonhomie dans une des chaires les plus relevées du Collège de France. Mais il n’est que juste d’ajouter que M. Renan s’en tient à la bonhomie. Les familiarités de la phrase ou même de la prononciation sont sauvées par la cordialité du timbre et par la
bonne grâce du sourire. Les «Oh !», les «Ah !», les «Pour ça, non !», les
«J’sais pas» et les «Ça, c’est vrai», peuvent être risibles, ou vulgaires,
ou simplement aimables. Les «négligences» de M. Renan sont dans le dernier cas. Il cause, voilà tout, avec un bon vieil auditoire bien fidèle et devant qui il se sent à l’aise.
Vous saisissez maintenant le ton, l’accent, l’allure de ces conférences.
C’est quelque chose de très vivant. M. Renan paraît prendre un intérêt
prodigieux à ce qu’il explique et s’amuser énormément. Ne croyez pas ce qu’il nous dit quelque part des sciences historiques, de «ces pauvres petites sciences conjecturales». Il les aime, quoi qu’il dise, et les trouve divertissantes. On n’a jamais vu un exégète aussi jovial. Il éprouve un visible plaisir à louer ou à contredire MM. Reuss, Graff, Kuenen, Welhausen, des hommes très forts, mais entêtés ou naïfs. Le Jéhoviste et l’Élohiste, mêlés «comme deux jeux de cartes», c’est cela qui est amusant à débrouiller ! Et lorsque le grand-prêtre Helkia, très malin, vient dire au roi Josias : «Nous avons trouvé dans le temple la loi d’Iaveh», et nous fournit par là la date exacte du Deutéronome, 622, M. Renan ne se sent pas de joie !
Mais c’est surtout quand il rencontre (sans la chercher) quelque bonne drôlerie qu’il faut le voir ! La tête puissante, inclinée sur une épaule et rejetée en arrière, s’illumine et rayonne ; les yeux pétillent, et le contraste est impayable de la bouche très fine qui, entrouverte, laisse voir des dents très petites, avec les joues et les bajoues opulentes, épiscopales, largement et même grassement taillées. Cela fait songer à ces faces succulentes et d’un relief merveilleux que Gustave Doré a semées dans ses illustrations de Rabelais ou des Contes drolatiques et qu’il suffit de regarder pour éclater de rire. Ou plutôt on pressent là tout un poème d’ironie, une âme très fine et très alerte empêtrée dans trop de matière, et qui s’en accommode, et qui même en tire un fort bon parti en faisant rayonner sur tous les points de ce masque large la malice du sourire, comme si c’était se moquer mieux et plus complètement du monde que de s’en moquer avec un plus vaste visage !

IV

C’est égal, on éprouve un mécompte, sinon une déception. M. Renan n’a pas tout à fait la figure que ses livres et sa vie auraient dû lui faire.
Ce visage qu’on rêvait pétri par le scepticisme transcendantal, on y
discernerait plutôt le coup de pouce de la Théologie de Béranger, qu’il a si délicieusement raillée. J’imagine qu’un artiste en mouvements oratoires aurait ici une belle occasion d’exercer son talent.
-Cet homme, dirait-il, a passé par la plus terrible crise morale qu’une
âme puisse traverser. Il a dû, à vingt ans, et dans des conditions qui
rendaient le choix particulièrement douloureux et dramatique, opter entre la foi et la science, rompre les liens les plus forts et les plus doux et, comme il était plus engagé qu’un autre, la déchirure a sans doute été d’autant plus profonde. Et il est gai !
Pour une déchirure moins intime (car il n’était peut-être qu’un rhéteur),
Lamennais est mort dans la désespérance finale. Pour beaucoup moins que cela, le candide Jouffroy est resté incurablement triste. Pour moins encore, pour avoir non pas douté, mais seulement craint de douter, Pascal est devenu fou. Et M. Renan est gai !
Passe encore s’il avait changé de foi : il pourrait avoir la sérénité que
donnent souvent les convictions fortes. Mais ce philosophe a gardé
l’imagination d’un catholique. Il aime toujours ce qu’il a renié. Il est
resté prêtre; il donne à la négation même le tour du mysticisme chrétien. Son cerveau est une cathédrale désaffectée. On y met du foin; on y fait des conférences: c’est toujours une église. Et il rit! et il se dilate ! et il est gai !
Cet homme a passé vingt ans de sa vie à étudier l’événement le plus
considérable et le plus mystérieux de l’histoire. Il a vu comment naissent les religions ; il est descendu jusqu’au fond de la conscience des simples et des illuminés ; il a vu comme il faut que les hommes soient malheureux pour faire de tels rêves, comme il faut qu’ils soient naïfs pour se consoler avec cela. Et il est gai !
Cet homme a, dans sa Lettre à M. Berthelot, magnifiquement tracé le
programme formidable et établi en regard le bilan modeste de la science.
Il a eu, ce jour-là, et nous a communiqué la sensation de l’infini. Il a
éprouvé mieux que personne combien nos efforts sont vains et notre destinée indéchiffrable. Et il est gai !
Cet homme, ayant à parler dernièrement de ce pauvre Amiel qui a tant pâti de sa pensée, qui est mort lentement du mal métaphysique, s’amusait à soutenir, avec une insolence de page, une logique fuyante de femme et de jolies pichenettes à l’adresse de Dieu, que ce monde n’est point, après tout, si triste pour qui ne le prend pas trop au sérieux, qu’il y a mille façons d’être heureux et que ceux à qui il n’a pas été donné de «faire leur salut» par la vertu ou par la science peuvent le faire par les voyages, les femmes, le sport ou l’ivrognerie. (Je trahis peut-être sa pensée en la traduisant; tant pis ! Pourquoi a-t-il des finesses qui ne tiennent qu’à l’arrangement des mots ?) Je sais bien que le pessimisme n’est point, malgré ses airs, une philosophie, n’est qu’un sentiment déraisonnable né d’une vue incomplète des choses ; mais on rencontre tout de même des optimismes bien impertinents ! Quoi ! ce sage reconnaissait lui-même un peu auparavant qu’il y a, quoi qu’on fasse, des souffrances inutiles et inexplicables ; le grand
cri de l’universelle douleur montait malgré lui jusqu’à ses oreilles :
et tout de suite après il est gai ! Malheur à ceux qui rient ! comme dit
l’Écriture. Ce rire, je l’ai déjà entendu dans l’Odyssée : c’est le rire
involontaire et lugubre des prétendants qui vont mourir.
Non, non, M. Renan n’a pas le droit d’être gai. Il ne peut l’être que par
l’inconséquence la plus audacieuse ou la plus aveugle. Comme Macbeth avait tué le sommeil, M. Renan, vingt fois, cent fois dans chacun de ses livres, a tué la joie, a tué l’action, a tué la paix de l’âme et la sécurité de la vie morale. Pratiquer la vertu avec cette arrière-pensée que l’homme vertueux est peut-être un sot ; se faire «une sagesse à deux tranchants»; se dire que «nous devons la vertu à l’Éternel, mais que nous avons droit d’y joindre, comme reprise personnelle, l’ironie ; que nous rendons par là à qui de droit plaisanterie pour plaisanterie», etc., cela est joli, très joli ; c’est, un raisonnement délicieux et absurde, et ce «bon Dieu», conçu comme un grec émérite qui pipe les dés, est une invention tout à fait réjouissante. Mais ne jamais faire le bien bonnement, ne le faire que par élégance et avec ce luxe de malices, mettre tant d’esprit à être bon quand il vous arrive de l’être, apporter toujours à la pratique de la vertu la méfiance et la sagacité d’un monsieur qu’on ne prend pas sans vert et qui n’est dupe que parce qu’il le veut bien,-est-ce que cela, à supposer que ce soit possible, ne vous paraît pas lamentable ? Dire que Dieu n’existe pas, mais qu’il existera peut-être un jour et qu’il sera la conscience de l’univers quand l’univers sera devenu conscient ; dire ailleurs que «Dieu est déjà bon, qu’il n’est pas encore tout-puissant, mais qu’il le sera sans doute un jour» ; que «l’immortalité n’est pas un don inhérent à l’homme, une conséquence de sa nature, mais sans doute un don réservé par l’Être, devenu absolu, parfait, omniscient, tout-puissant, à ceux qui auront contribué à son développement» ; «qu’il y a du reste presque autant de chances pour que le contraire de tout cela soit vrai» et «qu’une complète obscurité nous cache les fins de l’univers» : ne sont-ce pas là, à qui va au fond, de belles et bonnes négations enveloppées de railleries subtiles ? Ne craignons point de passer pour un esprit grossier, absolu, ignorant des nuances. Il n’y a pas de nuances qui tiennent. Douter et railler ainsi, c’est simplement nier ; et ce nihilisme, si élégant qu’il soit, ne saurait être qu’un abîme de mélancolie noire et de désespérance. Notez que je ne conteste point la vérité de cette philosophie (ce n’est pas mon affaire) : j’en constate la profonde tristesse. Rien, rien, il n’y a rien que des phénomènes. M. Renan ne recule d’ailleurs devant aucune des conséquences de sa pensée. Il a une phrase surprenante où «faire son salut» devient exactement synonyme de «prendre son plaisir où on le trouve», et où il admet des saints de la luxure, de la morphine et de l’alcool. Et avec cela il est gai ! Comment fait-il donc ?
Quelqu’un pourrait répondre :
-Vous avez l’étonnement facile, monsieur l’ingénu. C’est comme si vous disiez : «Cet homme est un homme, et il a l’audace d’être gai !». Et ne vous récriez point que sa gaieté est sinistre, car je vous montrerais qu’elle est héroïque. Ce sage a eu une jeunesse austère ; il reconnaît, après trente ans d’études, que cette austérité même fut une vanité, qu’il a été sa propre dupe, que ce sont les simples et les frivoles qui ont raison, mais qu’il n’est plus temps aujourd’hui de manger sa part du gâteau. Il le sait, il l’a dit cent fois, il est gai pourtant. C’est admirable !

V

Eh bien ! non. Je soupçonne cette gaieté de n’être ni sinistre ni héroïque. Il reste donc qu’elle soit naturelle et que M. Renan se contente de l’entretenir par tout ce qu’il sait des hommes et des choses. Et cela certes est bien permis ; car, si ce monde est affligeant comme énigme, il est encore assez divertissant comme spectacle.
On peut pousser plus loin l’explication. Il n’y a pas de raison pour que le pyrrhonien ou le négateur le plus hardi ne soit pas un homme gai, et cela même en supposant que la négation ou le doute universel comporte une vue du monde et de la vie humaine nécessairement et irrémédiablement triste, ce qui n’est point démontré. Dans tous les cas, cela ne serait vrai que pour les hommes de culture raffinée et de coeur tendre, car les gredins ne sont point gênés d’être à la fois de parfaits négateurs et de joyeux compagnons. Mais en réalité il n’est point nécessaire d’être un coquin pour être gai avec une philosophie triste. Sceptique, pessimiste, nihiliste, on l’est quand on y pense : le reste du temps (et ce reste est presque toute la vie), eh bien ! on vit, on va, on vient, on cause, on voyage, on a ses travaux, ses plaisirs, ses petites occupations de toute sorte.-Vous vous rappelez ce que dit Pascal des «preuves de Dieu métaphysiques»: ces démonstrations
ne frappent que pendant l’instant qu’on les saisit; une heure après, elles sont oubliées. Il peut donc fort bien y avoir contraste entre les idées et le caractère d’un homme, surtout s’il est très cultivé. «Le jugement, dit Montaigne, tient chez moi un siège magistral… Il laisse mes appétits aller leur train… Il fait son jeu à part.» Pourquoi ne ferait-il pas aussi son jeu à part chez le décevant écrivain des Dialogues
philosophiques? Essayons donc de voir par où et comment il peut être
heureux.
D’abord son optimisme est un parti pris hautement affiché, à tout propos et même hors de propos et aux moments les plus imprévus. Il est heureux parce qu’il veut être heureux : ce qui est encore la meilleure façon qu’on ait trouvé de l’être. Il donne là un exemple que beaucoup de ses contemporains devraient suivre. À force de nous plaindre, nous deviendrons vraiment malheureux. Le meilleur remède contre la douleur est peut-être de la nier tant qu’on peut. Une sensibilité nous envahit, très humaine, très généreuse même, mais très dangereuse aussi. Il faut agir sans se lamenter, et aider
le prochain sans le baigner de larmes. Je ne sais, mais peut-être le
«pauvre peuple» est-il moins heureux encore depuis qu’on le plaint
davantage. Sa misère était plus grande autrefois, et cependant je crois qu’il était peut-être moins à plaindre, précisément parce qu’on le
plaignait moins.
Je veux bien, du reste, accorder aux âmes faibles qu’il ne suffit pas
toujours de vouloir pour être heureux. La vie, en somme, n’a pas trop mal servi M. Renan, l’a passablement aidé à soutenir sa gageure; et il en remercie gracieusement l’obscure «cause première» à la fin de ses
Souvenirs. Tous ses rêves se sont réalisés. Il est de deux Académies;
il est administrateur du Collège de France; il a été aimé, nous dit-il,
des trois femmes dont l’affection lui importait: sa soeur, sa femme et sa fille ; il a enfin une honnête aisance, non en biens-fonds, qui sont chose trop matérielle et trop attachante, mais en actions et obligations, choses légères et qui lui agréent mieux, étant des espèces de fictions, et même de jolies fictions.-Il a des rhumatismes. Mais il met sa coquetterie à ce qu’on ne s’en aperçoive point; et puis il ne les a pas toujours.-Sa plus grande douleur a été la mort de sa soeur Henriette; mais le spectacle au moins lui en a été épargné et la longue et terrible angoisse, puisqu’il était lui-même fort malade à ce moment-là. Elle s’en est allée son oeuvre faite et quand son frère n’avait presque plus besoin d’elle. Et qui sait si la mémoire de cette personne accomplie ne lui est pas aussi douce que le serait aujourd’hui sa présence? Et puis cette mort lui a inspiré de si belles pages, si tendres, si harmonieuses! Au reste, s’il est vrai que le bonheur est souvent la récompense des cœurs simples, il me paraît qu’une intelligence supérieure et tout ce qu’elle apporte avec soi n’est point pour empêcher d’être heureux. Elle est aux hommes ce que la grande beauté est aux femmes. Une femme vraiment belle jouit continuellement de sa beauté, elle ne saurait l’oublier un moment, elle la lit dans tous les yeux. Avec cela la vie est supportable ou le redevient vite, à moins d’être une passionnée, une enragée, une gâcheuse de bonheur comme il s’en trouve. M. Renan se sent souverainement intelligent comme Cléopâtre se sentait souverainement belle. Il a les plaisirs de l’extrême célébrité, qui sont de presque tous les instants et qui ne sont point tant à dédaigner, du moins je l’imagine. Sa gloire lui rit dans tous les regards. Il se sent supérieur à presque tous ses contemporains par la quantité de choses qu’il comprend, par l’interprétation qu’il en donne, par les finesses de cette interprétation. Il se sent l’inventeur d’une certaine philosophie très raffinée, d’une certaine façon de concevoir le monde et de prendre la vie, et il surprend tout autour de lui l’influence exercée sur beaucoup d’âmes
par ses aristocratiques théories. (Et je ne parle pas des joies régulières et assurées du travail quotidien, des plaisirs de la recherche et, parfois, de la découverte.)-M. Renan jouit de son génie et de son esprit. M. Renan jouit le premier du renanisme.
Il serait intéressant-et assez inutile d’ailleurs-de dresser la liste des
contradictions de M. Renan. Son Dieu tour à tour existe ou n’existe pas, est personnel ou impersonnel. L’immortalité dont il rêve quelquefois est tour à tour individuelle et collective. Il croit et ne croit pas au progrès. Il a la pensée triste et l’esprit plaisant. Il aime les sciences historiques et les dédaigne. Il est pieusement impie. Il est très chaste et il éveille assez souvent des images sensuelles. C’est un mystique et un pince-sans-rire. Il a des naïvetés et d’inextricables malices. Il est Breton et Gascon. Il est artiste, et son style est pourtant le moins plastique qui se puisse voir. Ce style paraît précis et en réalité fuit comme l’eau entre les doigts. Souvent la pensée est claire et l’expression obscure, à moins que ce ne soit le contraire. Sous une apparence de liaison, il a des sautes d’idées incroyables, et ce sont continuellement des abus de mots, des équivoques imperceptibles, parfois un ravissant galimatias. Il nie dans le même temps qu’il affirme. Il est si préoccupé de n’être point dupe de sa pensée qu’il ne saurait rien avancer d’un peu sérieux sans sourire et railler tout de suite après. Il a des affirmations auxquelles, au bout d’un instant, il n’a plus l’air de croire, ou, par une marche opposée, des paradoxes ironiques auxquels on dirait qu’il se laisse prendre. Mais sait-il exactement lui-même où commence et où finit son ironie ? Ses opinions exotériques s’embrouillent si bien avec ses «pensées de derrière la tête» que lui-même, je pense, ne s’y retrouve plus et se perd avant nous dans le mystère de ces «nuances».
Toutes les fées avaient richement doté le petit Armoricain. Elles lui
avaient donné le génie, l’imagination, la finesse, la persévérance, la
gaieté, la bonté. La fée Ironie est venue à son tour et lui a dit: «Je
t’apporte un don charmant ; mais je te l’apporte en si grande abondance qu’il envahira et altérera tous les autres. On t’aimera ; mais, comme on aura toujours peur de passer à tes yeux pour un sot, on n’osera pas te le dire. Tu te moqueras des hommes, de l’univers et de Dieu, tu te moqueras de toi-même, et tu finiras par perdre le souci et le goût de la vérité. Tu mêleras l’ironie aux pensers les plus graves, aux actions les plus naturelles et les meilleures, et l’ironie rendra toutes les écritures infiniment séduisantes, mais inconsistantes et fragiles. En revanche, jamais personne ne se sera diverti autant que toi d’être au monde.
» Ainsi parla la fée et, tout compte fait, elle fut assez bonne personne. Si M. Renan est une énigme, M. Renan en jouit tout le premier et s’étudie peut-être à la compliquer encore.
Il écrivait, il y a quatorze ans : «Cet univers est un spectacle que Dieu
se donne à lui-même ; servons les intentions du grand chorège en contribuant à rendre le spectacle aussi brillant, aussi varié que possible.
» Il faut rendre cette justice à l’auteur de la Vie de Jésus qu’il les sert joliment, «les intentions du grand chorège» ! Il est certainement un des «compères» les plus originaux et les plus fins de l’éternelle féerie. Lui reprocherons-nous de s’amuser pour son compte tout en divertissant le divin imprésario ? Ce serait de l’ingratitude, car nous jouissons aussi de la comédie selon notre petite mesure ; et vraiment le monde serait plus ennuyeux si M. Renan n’y était pas.

APPENDICE
Fragment d’un discours prononcé par
M. Renan à Quimper
Le 17 Août 1885

… Moi aussi, j’ai détruit quelques bêtes souterraines assez malfaisantes. J’ai été un bon torpilleur à ma manière ; j’ai donné quelques secousses électriques à des gens qui auraient mieux aimé dormir. Je n’ai pas manqué à la tradition des bonnes gens de Goëlo.
Voilà pourquoi, bien que fatigué de corps avant l’âge, j’ai gardé jusqu’à
la vieillesse une gaieté d’enfant, comme les marins, une facilité étrange à me contenter.
Un critique me soutenait dernièrement que ma philosophie m’obligeait à être toujours éploré. Il me reprochait comme une hypocrisie ma bonne humeur, dont il ne voyait pas les vraies causes.
Eh bien ! je vais vous les dire.
Je suis très gai, d’abord parce que, m’étant très peu amusé quand j’étais jeune, j’ai gardé, à cet égard, toute ma fraîcheur d’illusions ; puis, voici qui est plus sérieux : je suis gai, parce que je suis sûr d’avoir fait en ma vie une bonne action ; j’en suis sûr. Je ne demanderais pour récompense que de recommencer. Je me plains d’une seule chose, c’est d’être vieux dix ans trop tôt.
Je ne suis pas un homme de lettres, je suis un homme du peuple ; je suis l’aboutissant de longues files obscures de paysans et de marins. Je jouis de leurs économies de pensée ; je suis reconnaissant à ces pauvres gens qui m’ont procuré, par leur sobriété intellectuelle, de si vives jouissances.
Là est le secret de notre jeunesse.
Nous sommes prêts à vivre quand tout le monde ne parle plus que de mourir.
Le groupe humain auquel nous ressemblons le plus, et qui nous comprend le mieux, ce sont les Slaves ; car ils sont dans une position analogue à la nôtre, neufs dans la vie et antiques à la fois…



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RETABLO MAYOR BURGOS – Escena del abrazo de San Joaquín y Santa Ana – Scène du Baiser de saint Joachim et sainte Anne

Retablo mayor Burgos
Retable
Capilla de Santa Ana
Chapelle de Sainte Anne
La Concepción
Escena del abrazo de San Joaquín y Santa Ana
Scène du baiser de saint Joachim et sainte Anne

CATEDRAL DE BURGOS

CATHEDRALE DE BURGOS

BURGOS
布尔戈斯
ブルゴス
Бургос
Capilla de santa ana Catedral de Burgos
La Concepción

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Photos Jacky Lavauzelle
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 LA CATHEDRALE  de BURGOS
Cathédrale Sainte-Marie de Burgos
Catedral de Santa María de Burgos
布尔戈斯圣玛丽大教堂
ブルゴス大聖堂の聖マリア
Собор Святой Марии Бургос


 Capilla de Santa Ana
Chapelle de Sainte Anna
Retablo mayor Burgos
Retable
Escena del abrazo de San Joaquín y Santa Ana
Scène du baiser de saint Joachim et sainte Anne

Catedral de Burgos
 Cathédrale de Burgos

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Retablo mayor Burgos
Retable
Escena del abrazo de San Joaquín y Santa Ana
Scène du baiser de saint Joachim et sainte Anne
Le baiser de la Porte Dorée
Obra de Gil de Siloé
Œuvre de Gil de Siloé

retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-1 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-2 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-3 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-4 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-5 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-6 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-7 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-8 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-9 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-10 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-11 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-12 retablo-mayor-burgos-escena-del-abrazo-de-san-joaquin-y-santa-ana-scene-du-baiser-de-saint-joachim-et-sainte-anne-artgitato-13

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Estilo: gótico-florido
Style Gothique fleuri
antes 1477 – 1483
avant 1477 – 1483

Autor : Juan y Simón de Colonia
Auteurs : Juan et Simon de Cologne
Simón de Colonia – Simon de Cologne
Hijo del arquitecto Juan de Colonia y de la burgalesa María Fernández
Fils de l’architecte Jean de Cologne
(Burgos 1451 – Burgos 1511)
Juan de Colonia – Jean de Cologne
(Colonia, ca. 1410 – Burgos, 1481)

Fundador -Fondateur
el obispo Luis de Acuña y Osorio
L’évêque Luis de Acuña y Osorio

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LES ÉVANGILES APOCRYPHES
d’Ernest Renan

On croyait que la puissance divine éclatait mieux en l’absence des moyens humains. Fruit d’une longue attente et de prières assidues, le futur grand homme était annoncé par un ange, à quelque moment solennel. Il en fut ainsi pour Samson, pour Samuel. Selon Luc, Jean-Baptiste naquit dans des conditions analogues. On supposa qu’il en avait été de même pour Marie. Sa naissance, comme celle de Jean et de Jésus, fut précédée d’une Annonciation, avec accompagnement de prières, de cantiques. Anne et Joachim sont le pendant exact d’Élisabeth et Zacharie. On remonta même au delà, et on broda sur l’enfance d’Anne. Cette application rétrospective des procédés de la légende évangélique devint une source féconde de fables, répondant aux besoins sans cesse renaissants de la piété chrétienne. On ne pouvait plus se figurer Marie, Joseph et leurs ascendants comme des personnages ordinaires. Le culte de la Vierge, qui devait prendre plus tard des proportions si énormes, faisait déjà invasion de tous les côtés.

Ernest Renan
CHAPITRE XXVI
LES ÉVANGILES APOCRYPHES
L’Église chrétienne
Calmann Lévy, 1879
pp. 495-519

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RETABLO MAYOR BURGOS

Karl Ulrich NUSS- der römische Soldat LADENBURG

Allemagne
Deutschland
Германия – 德国 – ドイツ

LADENBURG
Altstadt
 Domhofplatz
Karl Ulrich Nuss

—-
Sculptures Allemandes
Deutsch Bildhauer
Karl Ulrich Nuss

né en 1943

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Photo Jacky Lavauzelle

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der römische Soldat
Le Soldat Romain
Karl Ulrich Nuss

Karl Ulrich Nuss

Karl Ulrich NUSS- Ladenburg der römische Soldat - Le Soldat Romain Artgitato (2)

Karl Ulrich Nuss Karl Ulrich NUSS- Ladenburg der römische Soldat - Le Soldat Romain Artgitato (3)

Karl Ulrich Nuss Karl Ulrich NUSS- Ladenburg der römische Soldat - Le Soldat Romain Artgitato (4)

Karl Ulrich Nuss Karl Ulrich NUSS- Ladenburg der römische Soldat - Le Soldat Romain Artgitato (5)

Karl Ulrich Nuss

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MARC-AURÈLE CHEZ LES QUADES
LE LIVRE DES PENSÉES.

L’expédition mal concertée de Varus (an 10 de J.-C.) et le vide éternel qu’elle laissa dans les numéros des légions furent comme un épouvantail qui détourna la pensée romaine de la grande Germanie. Tacite, seul, vit l’importance de cette région pour l’équilibre du monde. Mais l’état de division où étaient les tribus germaniques endormait les inquiétudes que les esprits sagaces auraient dû concevoir. Tandis que ces peuplades, en effet, plus portées vers l’indépendance locale que vers la centralisation, ne formaient pas d’agrégat militaire, elles donnaient peu à craindre. Mais leurs confédérations étaient redoutables. On sait quelles conséquences eut celle qui se forma, au iiie siècle, sur la rive droite du Rhin, sous le nom de Francs. Vers l’an 166, une ligue puissante se forma en Bohême, en Moravie et dans le nord de la Hongrie actuelle. Les noms d’une foule de peuplades, qui devaient plus tard remplir le monde, furent entendus pour la première fois. La grande poussée des barbares commençait ; les Germains, jusque-là inattaquables, attaquaient. La digue crevait sur le Danube, dans la région de l’Autriche et de la Hongrie, vers Presbourg, Comorn et Gran. Tous les peuples germains et slaves, depuis la Gaule jusqu’au Don, Marcomans, Quades, Narisques, Hermundures, Suèves, Sarmates, Victovales, Roxolans, Bastarnes, Costoboques, Alains, Peucins, Vandales, Jazyges, semblèrent d’accord pour forcer la frontière et inonder l’empire. La pression venait de plus loin. Refoulés par les barbares septentrionaux, probablement par les Goths, toute la masse slave et germanique semblait en mouvement ; ces barbares avec leurs femmes et leurs enfants, voulaient qu’on les reçût dans l’empire, qu’on leur donnât des terres ou de l’argent, offrant en retour leurs bras pour n’importe quel service militaire. Ce fut un véritable cataclysme humain. La ligne du Danube fut enfoncée. Les Vandales et les Marcomans s’établirent en Pannonie ; la Dacie fut piétinée par vingt peuples ; les Costoboques coururent jusqu’en Grèce ; la Rhétie et le Norique se virent envahis ; les Marcomans passèrent les Alpes Juliennes, mirent le siège devant Aquilée, saccagèrent tout jusqu’à la Piave. Devant ce choc épouvantable, l’armée romaine plia ; le nombre des captifs emmenés par les barbares fut énorme ; l’alarme fut vive en Italie ; on déclara que, depuis le temps des guerres puniques, Rome n’avait pas eu à soutenir une attaque aussi furieuse.

C’est une vérité bien constatée que le progrès philosophique des lois ne répond pas toujours à un progrès dans la force de l’État. La guerre est chose brutale ; elle veut des brutaux ; souvent il arrive ainsi que les améliorations morales et sociales entraînent un affaiblissement militaire. L’armée est un reste de barbarie, que l’homme de progrès conserve comme un mal nécessaire ; or, il est rare qu’on fasse avec succès ce qu’on fait comme un pis aller. Antonin avait déjà une forte aversion pour l’emploi des armes ; sous son règne, les mœurs des camps s’amollirent beaucoup]. On ne peut nier que l’armée romaine n’eût perdu sous Marc-Aurèle une partie de sa discipline et de sa vigueur]. Le recrutement se faisait difficilement ; le remplacement et l’enrôlement des barbares avaient entièrement changé le caractère de la légion ; sans doute le christianisme soutirait déjà le meilleur des forces de l’État. Quand on songe qu’à côté de cette décrépitude s’agitaient des bandes sans patrie, paresseuses au travail de la terre, n’aimant qu’à tuer, ne cherchant que bataille, fût-ce contre leurs congénères, il était clair qu’une grande substitution de races aurait lieu. L’humanité civilisée n’avait pas encore assez dompté le mal pour pouvoir s’abandonner au rêve du progrès par la paix et la moralité.

Marc-Aurèle, devant cet assaut colossal de toute la barbarie, fut vraiment admirable. Il n’aimait pas la guerre et ne la faisait que malgré lui ; mais, quand il fallut, il la fit bien ; il fut grand capitaine par devoir. Une effroyable peste se joignait à la guerre. Ainsi éprouvée, la société romaine fit appel à toutes ses traditions, à tous les rites ; il y eut, comme d’ordinaire à la suite des fléaux, une réaction en faveur de la religion nationale. Marc-Aurèle s’y prêta. On vit le bon empereur présider lui-même en qualité de grand pontife aux sacrifices, prendre un fer de javelot dans le temple de Mars, le plonger dans le sang, le lancer vers le point du ciel où était l’ennemi. On arma tout, esclaves, gladiateurs, bandits, diogmites (agents de police) ; on soudoya des bandes germaniques contre les Germains ; on fit argent des objets précieux du garde-meuble impérial, pour éviter d’établir de nouveaux impôts.

La vie de Marc-Aurèle presque entière se passa désormais dans la région du Danube, à Carnonte près de Vienne, ou à Vienne même, sur les bords du Gran, en Hongrie, parfois à Sirmium. Son ennui était immense ; mais il savait vaincre son ennui. Ces insipides campagnes contre les Quades et les Marcomans furent très bien conduites ; le dégoût qu’il en éprouvait ne l’empêchait pas d’y mettre l’application la plus consciencieuse. L’armée l’aimait et fit parfaitement son devoir. Modéré même envers les ennemis, il préféra un plan de campagne long, mais sûr, à des coups foudroyants ; il délivra complètement la Pannonie, repoussa tous les barbares sur la rive gauche du Danube, fit même de grandes pointes au-delà de ce fleuve, et pratiqua prudemment la tactique, dont on abusa plus tard, d’opposer les barbares aux barbares.

Paternel et philosophe avec ces hordes à demi sauvages, il s’obstinait, par respect pour lui-même, à conserver envers elles des égards qu’elles ne comprenaient pas, à la façon d’un gentilhomme qui, par gageure de dignité personnelle, traiterait des Peaux-Rouges comme des gens bien élevés. Il leur prêchait naïvement la raison et la justice, et il finit par leur inspirer du respect. Peut-être, sans la révolte d’Avidius Cassius, eût-il réussi à faire une province de Marcomannie (Bohême), une autre de Sarmatie (Galicie) et à sauver l’avenir. Il admit sur une large échelle le soldat germain dans les légions ; il accorda des terres en Dacie, en Pannonie, en Mésie, dans la Germanie romaine, à ceux qui voulaient travailler, mais maintint très ferme la limite militaire, établit une rigoureuse police sur le Danube et ne laissa pas une seule fois le prestige de l’empire souffrir des concessions que lui arrachaient la politique et l’humanité.

Ce fut dans le cours d’une de ces expéditions que, campé sur les bords du Gran, au milieu des plaines monotones de la Hongrie, il écrivit les plus belles pages du livre exquis qui nous a révélé son âme tout entière. Ce qui coûtait le plus à Marc-Aurèle dans ces lointaines guerres, c’était d’être privé de sa compagnie ordinaire de savants et de philosophes. Presque tous avaient reculé devant les fatigues et étaient restés à Rome. Occupé tout le jour aux exercices militaires, il passait les soirées dans sa tente, seul avec lui-même. Là, il se débarrassait de la contrainte que ses devoirs lui imposaient ; il faisait son examen de conscience et songeait à l’inutilité de la lutte qu’il soutenait vaillamment. Sceptique sur la guerre, même en la faisant, il se détachait de tout, et, se plongeant dans la contemplation de l’universelle vanité, il doutait de la légitimité de ses propres victoires : « L’araignée est fière de prendre une mouche, écrivait-il ; tel est fier de prendre un levraut ; tel, de prendre une sardine ; tel, de prendre des sangliers ; tel, des Sarmates. Au point de vue des principes, tous brigands. » Les Entretiens d’Épictète, par Arrien, étaient le livre préféré de l’empereur ; il les lisait avec délices et, sans le vouloir, il était amené à les imiter. Telle fut l’origine de ces pensées détachées, formant douze cahiers, qu’on réunit après sa mort sous ce titre : Au sujet de lui-même.

Il est probable que, de bonne heure, Marc tint un journal intime de son état intérieur. Il y inscrivait, en grec, les maximes auxquelles il recourait pour se fortifier, les réminiscences de ses auteurs favoris, les passages des moralistes qui lui parlaient le plus, les principes qui, dans la journée, l’avaient soutenu, parfois les reproches que sa conscience scrupuleuse croyait avoir à s’adresser.

On se cherche des retraites solitaires, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes ; comme les autres, tu aimes à rêver tout cela. Quelle naïveté, puisqu’il t’est permis, à chaque heure, de te retirer en ton âme ? Nulle part l’homme n’a de retraite plus tranquille, surtout s’il possède en lui-même de ces choses dont la contemplation suffit pour rendre le calme. Sache donc jouir de cette retraite, et là renouvelle tes forces. Qu’il y ait là de ces maximes courtes, fondamentales, qui tout d’abord rendront la sérénité à ton âme et te remettront en état de supporter avec résignation le monde où tu dois revenir.

Pendant les tristes hivers du Nord, cette consolation lui devint encore plus nécessaire. Il avait passé cinquante ans ; la vieillesse était chez lui prématurée. Un soir, toutes les images de sa pieuse jeunesse remontèrent en son souvenir, et il passa quelques heures délicieuses à supputer ce qu’il devait à chacun des êtres bons qui l’avaient entouré.

Ernest Renan
Marc-Aurèle et la Fin du monde antique
Calmann-Lévy, 1882 pp. 249-272

NERO-NERON-NERONE -尼禄- GALLERIA BORGHESE- GALERIE BORGHESE – 博吉斯画廊- ROME – ROMA- 罗马

ROME – ROMA – 罗马
NERON – NERONE – NERO – 尼禄
Bustes Romains – Busti Romani
LA VILLA BORGHESE
博吉斯画廊

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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NERONE
NERON
NERO
尼禄
37-68
dernier empereur de la dynastie
Julio-Claudienne
Règne de 54 à 68 après J.-C.

LA GALERIE BORGHESE
GALLERIA BORGHESE
博吉斯画廊

Buste de Néron
Busto di Nerone

Collin de Plancy
Dictionnaire infernal
Henri Plon, 1863
6e édition –  p. 491

Néron, empereur romain, dont le nom odieux est devenu la plus cruelle injure pour les mauvais princes. Il portait avec lui une petite statue ou mandragore qui lui prédisait l’avenir. On rapporte qu’en ordonnant aux magiciens de quitter l’Italie, il comprit sous le nom de magiciens les philosophes, parce que, disait-il, la philosophie favorisait l’art magique. Cependant il est certain, disent les démonomanes, qu’il évoqua lui-même les mânes de sa mère Agrippine.

Gallerie Borghese Galleria Borghese la salle des bustes la sala dei busti romani artgitato Nerone Neron Galleria Borghese Galerie Borghese artgitato

SUETONE
 Caius Suetonius Tranquillus
Vers 70 – Vers 122

VII

De vita duodecim Caesarum         libri VIII

CALIGULA

CHAPITRE VII

Vita Gai

Le mariage et les enfants de Germanicus

 Habuit in matrimonio Agrippinam, M. Agrippae et Iuliae filiam, et ex ea nouem liberos tulit:
Il avait pour femme Agrippine l’Aînée, fille de Marcus Vipsanius Agrippa et de Julia Caesaris filia, qui lui donna neuf enfants,
quorum duo infantes adhuc rapti, unus iam puerascens insigni festiuitate,
dont deux moururent très tôt, et un pendant son adolescence,
cuius effigiem habitu Cupidinis in aede Capitolinae Veneris Liuia dedicauit,
Livia mit son effigie sous la protection de Cupidon, et la consacra dans le temple de Vénus au Capitole,
Augustus in cubiculo suo positam, quotiensque introiret, exosculabatur;
 Auguste dans sa chambre la plaça, et, aussi souvent qu’il le pouvait, entrait lui témoigner son affection ;
 ceteri superstites patri fuerunt,
les autres enfants survécurent à leur père,
tres sexus feminini, Agrippina Drusilla Liuilla, continuo triennio natae;
trois filles, Julia Agrippina (Agrippine la Jeune) , Julia Drusilla et Julia Livilla, nées successivement tous les ans ;
totidem mares, Nero et Drusus et C. Caesar.
et trois garçons, Néron (Nero Iulius Caesar), Drusus (Drusus Iulius Caesar), et Caius César (Caligula).
 Neronem et Drusum senatus Tiberio criminante hostes iudicauit.
L‘accusation de Tibère poussa le sénat à déclarer Néron et Drusus ennemis publics.

Traduction Jacky Lavauzelle

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Ernest RENAN
L’ANTECHRIST
Michel Lévy, 1873 pp. 301-320

CHAPITRE XIII
MORT DE NÉRON

Dès la première apparition du printemps de l’an 68, Vespasien reprit la campagne. Son plan, nous l’avons déjà dit, était d’écraser le judaïsme pas à pas, en procédant du nord et de l’ouest vers le sud et l’est, de forcer les fugitifs à se renfermer à Jérusalem, et là d’égorger sans merci cet amas de séditieux. Il s’avança ainsi jusqu’à Emmaüs à sept lieues de Jérusalem, au pied de la grande montée qui mène de la plaine de Lydda à la ville sainte. Il ne jugea pas que le temps fût encore venu d’attaquer cette dernière ; il ravagea l’Idumée, puis la Samarie, et, le 3 juin, établit son quartier général à Jéricho, d’où il envoya massacrer les Juifs de la Pérée. Jérusalem était serrée de toutes parts ; un cercle d’extermination l’entourait. Vespasien revint à Césarée pour rassembler toutes ses forces. Là il apprit une nouvelle qui l’arrêta court, et dont l’effet fut de prolonger de deux ans la résistance et la révolution à Jérusalem.

Néron était mort le 9 juin. Pendant les grandes luttes de Judée que nous venons de raconter, il avait continué en Grèce sa vie d’artiste ; il ne rentra dans Rome que vers la fin de 67. Il n’avait jamais tant joui ; on fit coïncider pour lui tous les jeux, en une seule année ; toutes les villes lui envoyèrent les prix de leurs concours ; à chaque instant, des députations venaient le trouver pour le prier d’aller chanter chez elles. Le grand enfant, badaud (ou peut-être moqueur) comme on ne le fut jamais, était ravi de joie : « Les Grecs seuls savent écouter, disait-il ; les Grecs seuls sont dignes de moi et de mes efforts. » Il les combla de privilèges, proclama la liberté de la Grèce aux jeux Isthmiques, paya largement les oracles qui prophétisèrent à son gré, supprima ceux dont il ne fut pas content, fit, dit-on, étrangler un chanteur qui ne rabaissa pas sa voix comme il fallait pour faire valoir la sienne. Hélius, un des misérables à qui, lors de son départ, il avait laissé les pleins pouvoirs sur Rome et le sénat, le pressait de revenir ; les symptômes politiques les plus graves commençaient à se manifester ; Néron répondit qu’il se devait avant tout à sa réputation, obligé qu’il était de se ménager des ressources pour le temps où il n’aurait plus l’empire. Sa constante préoccupation était, en effet, que, si la fortune le réduisait jamais à l’état de particulier, il pourrait très-bien se suffire avec son art ; et quand on lui faisait remarquer qu’il se fatiguait trop, il disait que l’exercice qui n’était maintenant pour lui qu’un délassement de prince serait peut-être un jour son gagne-pain. Une des choses qui flattent le plus la vanité des gens du monde qui s’occupent un peu d’art ou de littérature est de s’imaginer que, s’ils étaient pauvres, ils vivraient de leur talent. Avec cela, il avait la voix faible et sourde, quoiqu’il observât pour la conserver les ridicules prescriptions de la médecine d’alors ; son phonasque ne le quittait pas, et lui commandait à chaque instant les précautions les plus puériles. On rougit de songer que la Grèce fut souillée par cette ignoble mascarade. Quelques villes cependant se tinrent assez bien ; le scélérat n’osa pas entrer dans Athènes ; il n’y fut pas invité.

Les nouvelles les plus alarmantes cependant lui arrivaient ; il y avait près d’un an qu’il avait quitté Rome ; il donna l’ordre de revenir. Ce retour fut à l’avenant du voyage. Dans chaque ville, on lui rendit les honneurs du triomphe ; on démolissait les murs pour le laisser entrer. À Rome, ce fut un carnaval inouï. Il montait le char sur lequel Auguste avait triomphé ; à côté de lui était assis le musicien Diodore ; sur la tête, il avait la couronne olympique ; dans sa droite, la couronne pythique ; devant lui, on portait les autres couronnes et, sur des écriteaux, l’indication de ses victoires, les noms de ceux qu’il avait vaincus, les titres des pièces où il avait joué ; les claqueurs, disciplinés aux trois genres de claque qu’il avait inventés, et les chevaliers d’Auguste suivaient ; on abattit l’arc du Grand Cirque pour le laisser entrer. On n’entendait que les cris ; « Vive l’olympionice ! le pythionice ! Auguste ! Auguste ! À Néron-Hercule ! À Néron-Apollon ! Seul périodonice ! seul qui l’ait jamais été ! Auguste ! Auguste ! O voix sacrée ! heureux qui peut t’entendre ! » Les mille huit cent huit couronnes qu’il avait remportées furent étalées dans le Grand Cirque et attachées à l’obélisque égyptien qu’Auguste y avait placé pour servir de meta.

Enfin la conscience des parties nobles du genre humain se souleva. L’Orient, à l’exception de la Judée, supportait sans rougir cette honteuse tyrannie, et s’en trouvait même assez bien ; mais le sentiment de l’honneur vivait encore dans l’Occident. C’est une des gloires de la Gaule que le renversement d’un pareil tyran ait été son ouvrage. Pendant que les soldats germains, pleins de haine contre les républicains et esclaves de leur principe de fidélité, jouaient auprès de Néron, comme auprès de tous les empereurs, le rôle de bons suisses et de gardes du corps, le cri de révolte fut poussé par un Aquitain, descendant des anciens rois du pays. Le mouvement fut vraiment gaulois ; sans en calculer les conséquences, les légions gallicanes se jetèrent dans la révolution avec entraînement. Le signal fut donné par Vindex aux environs du 15 mars 68. La nouvelle en arriva vite à Rome. Les murs furent bientôt charbonnés d’inscriptions injurieuses : « À force de chanter, dirent les mauvais plaisants, il a réveillé les coqs (gallos). » Néron ne fit d’abord qu’en rire ; il témoigna même être bien aise qu’on lui fournît l’occasion de s’enrichir du pillage des Gaules. Il continua de chanter et de se divertir jusqu’au moment où Vindex fit afficher des proclamations où on le traitait d’artiste pitoyable. L’histrion écrivit alors, de Naples, où il était, au sénat pour demander justice, et se mit en route pour Rome. Il affectait cependant de ne s’occuper que de certains instruments de musique, nouvellement inventés, et en particulier d’une espèce d’orgue hydraulique sur lequel il consulta sérieusement le sénat et les chevaliers.

La nouvelle de la défection de Galba (3 avril) et de la jonction de l’Espagne à la Gaule, qu’il reçut pendant son dîner, fut pour lui un coup de foudre. Il renversa la table où il mangeait, déchira la lettre, brisa de colère deux vases ciselés d’un grand prix, où il avait accoutumé de boire. Dans les préparatifs ridicules qu’il commença, son principal souci fut pour ses instruments, pour son bagage de théâtre, pour ses femmes, qu’il fit habiller en amazones, avec des peltes, des haches et des cheveux coupés ras. C’étaient des alternatives étranges d’abattement et de bouffonnerie lugubre, qu’on hésite également à, prendre au sérieux et à traiter de folie, tous les actes de Néron flottant entre la noire méchanceté d’un nigaud cruel et l’ironie d’un blasé. Il n’avait pas une idée qui ne fût puérile. Le prétendu monde d’art où il vivait l’avait rendu complètement niais. Parfois, il songeait moins à combattre qu’à aller pleurer sans armes devant ses ennemis, s’imaginant les toucher ; il composait déjà l’epinicium qu’il devait chanter avec eux le lendemain de la réconciliation ; d’autres fois, il voulait faire massacrer tout le sénat, brûler Rome une seconde fois, et pendant l’incendie lâcher les bêtes de l’amphithéâtre sur la ville. Les Gaulois surtout étaient l’objet de sa rage ; il parlait de faire égorger ceux qui étaient à Rome, comme fauteurs de leurs compatriotes et comme suspects de vouloir se joindre à eux. Par intervalles, il avait la pensée de changer le siège de son empire, de se retirer à Alexandrie ; il se rappelait que des prophètes lui avaient promis l’empire de l’Orient et en particulier le royaume de Jérusalem ; il songeait que son talent musical le ferait vivre, et cette possibilité, qui serait la meilleure preuve de son mérite, lui causait une secrète joie. Puis il se consolait par la littérature ; il faisait remarquer ce que sa situation avait de particulier : tout ce qui lui arrivait était inouï ; jamais prince n’avait perdu vivant un si grand empire. Même aux jours de la plus vive angoisse, il ne changea rien à ses habitudes ; il parlait plus de littérature que de l’affaire des Gaules ; il chantait, faisait de l’esprit, allait au théâtre incognito, écrivait sous main à un acteur qui lui plaisait : « Retenir un homme si occupé ! C’est mal. »

LES BUSTES DE LA VILLA BORGHESE – I busti della villa Borghese – 贝佳斯别墅

ROME – ROMA – 罗马
LA VILLA BORGHESE
贝佳斯别墅

Armoirie de Rome

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Les Bustes de la Villa Borghèse
贝佳斯别墅
I busti della villa Borghèse

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PIAZZALE DEI MARTIRI ROMA
LE CARRE DES MARTYRS ROME

PIAZZALE DEI MARTIRI ROMA - LE CARRE DES MARTYRS ROME artgitato

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BALDASSARRE PERUZZI
BALDASSARE PERUZZI
Baldassarre Peruzzi Villa Borghese Rome Roma artgitato

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CESARE BATTISTI
切萨雷巴提斯蒂

PIAZZALE DEI MARTIRI ROMA - LE CARRE DES MARTYRS ROME artgitato Cesare Battisti

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DAMIANO CHIESA
达米亚诺基耶萨

PIAZZALE DEI MARTIRI ROMA - LE CARRE DES MARTYRS ROME artgitato Damiano Chiesa artgitato

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CHRISTOPHE COLOMB
CRISTOFORO COLOMBO
克里斯托弗·哥伦布

Christophe Colomb Cristoforo Colombo artgitato Villa Borghese Rome Roma

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DANTE ALIGHIERI
但丁·阿利吉耶里

Codice miniato raffigurante Brunetto Latini, Biblioteca Medicea-Laurenziana, Plut. 42.19, Brunetto Latino, Il Tesoro, fol. 72, secoli XIII-XIV

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DE MARCHI

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FABIO FILZI

PIAZZALE DEI MARTIRI ROMA - LE CARRE DES MARTYRS ROME artgitato Fabio Filzi

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LORENZO DE MEDICI
LAURENT DE MEDICIS
LORENZO IL MAGNIFICO
LAURENT LE MAGNIFIQUE
洛伦佐·德·美第奇

LORENZO DE MEDICI Laurent de Medicis Laurent le magnifique Lorenzo il magnifico artgitato villa borghese rome roma

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 VITTORIO MONTI
Victor Monti
维托里奥·蒙蒂

Vittorio Monti Villa Borghese artgitato

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MARCO POLO
 马可波罗

Marco Polo Villa Borghese Artgitato Rome Roma

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GIOVANNI PRATI
乔瓦尼·普拉蒂

Giovanni_Prati 1815 1884 Villa Borghese Rome Roma artgitato

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FRANCESCO RISMONDO

PIAZZALE DEI MARTIRI ROMA - LE CARRE DES MARTYRS ROME artgitato Franceso Rismondo

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NAZARIO SAURO

PIAZZALE DEI MARTIRI ROMA - LE CARRE DES MARTYRS ROME artgitato Nazario Sauro

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SAVONAROLE
沃纳罗拉

Savonarola Girolama Jérôme Savonarole Villa Borghese Artgitato Rome Roma

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LA VILLA BORGHESE VUE PAR ERNEST RENAN

ERNEST RENAN
Nouvelles lettres intimes
1846-1850
Calmann Lévy, 1896
pp. 429-432
A MONSIEUR RENAN

« Mon bon Ernest, quand il te sera temps de retourner on France, je reviendrai encore à mes terreurs de la mer. C’est peu sage, me diras-tu, de la part de quelqu’un qui a fait les mêmes traversées. Eh ! mon Dieu, oui ; mais ai-je jamais accordé à ma vie les sollicitudes anxieuses dont j’entoure la tienne ? — je te conjure de ne pas rester à Rome après le mois de juin, de ne pas braver cette terrible mal’ aria qui y fait tant de ravages à partir, je crois, du mois de juillet. Ma vie se passe à deviner ce qui peut être pour toi danger quelconque, mon Ernest bien-aimé. Les journaux parlent de fréquents assassinats dans Rome ; juge des idées qui s’emparent de mon esprit quand je lis de pareilles choses, quoique je sache bien que tu ne portes pas d’uniforme et que c’est surtout nos pauvres soldats qu’on attaque. Ne te fatigue pas à m’écrire longuement, cher ami ; mais fais-le souvent, je t’en supplie, Le seul mouvement de joie qu’il y ait dans ma vie, c’est la réception de tes lettres. J’espère que l’Italie se fait bien riante au printemps, pour te dédommager du rude hiver qu’elle t’a donné. Ah ! que j’y ai vu de beaux jours dans cette saison ! que la villa Borghèse et la villa Pamphili, aujourd’hui détruites, étaient jolies dès le mois de février et de mars !… Ici nous grelottons toujours : à l’heure où je t’écris la neige tombe encore, et voilé six mois entiers que cela dure. »