Archives par mot-clé : edmond sée

Edmond Sée UN AMI DE JEUNESSE : Une amitié étrangère

Edmond Sée
1875 – 1959




Un Ami de jeunesse




Drame
en un acte
Représenté pour la première fois
A la Comédie-Française

Le 14 décembre 1921

Edmond See Un Ami de jeunesse Artgitato Portrait Raphael

UNE AMITIE

ETRANGERE

Dans un Ami de jeunesse, Edmond Sée parle de l’être. Presque dans un sens philosophique. Des questions sur le temps qui passe, la véritable amitié, l’opportunisme, le mensonge et la sincérité, ce qui lie ensemble les êtres, sommes-nous le même à vingt ans et à quarante ans, ou un autre ?, Qu’est-ce qui fait notre identité ? … Rien que ça, mais un peu de tout ça.



 

 

Edmond See Un Ami de jeunesse Artgitato Roger Monteaux & de Féraudy 2

LE FEU DE L’AMITIE
Notre auteur lie l’amitié à la notion d’opportunité, voire l’opportunisme, et la pense à travers l’usure du temps. Chez Aristote, la philia participe pleinement à notre perfection et à notre satisfaction, en un mot au bonheur. Nos protagonistes ont ces images de bonheur dans les yeux. C’était si bien avant ! Mais l’amitié est moins liée à la personne qu’à ses activités, aux relations humaines. Nous ne sommes pas amis par nature. La vie commune de nos deux amis est constitutive de leur amitié. Aristote distingue ainsi la philia et l’homonia, relative à la vie commune. La philia qui en est issue ne se conjugue pas,  dans le temps, avec une longue absence. Elle ne peut croître que dans le temps présent. Comme un feu à besoin d’être alimenté. Nos deux amis vivaient dans ce que les grecs appelaient la prôtè philia, l’amitié première, et non dans la téleia philia, l’amitié achevée.

UN AGREABLE PARFUM DE PHILOSOPHIE
Une œuvre de réflexion. Les critiques de l’époque en sont convaincus, déjà. Alphonse Brisson remarque aussi que l’œuvre « exhale un agréable parfum de philosophie. Il ne s’agit point d’intrigue sentimentale, de querelle amoureuse…L’auteur trace deux portraits d’hommes, oppose plaisamment des âmes qui, tout d’abord pareilles, mais façonnées différemment par la vie sont arrivées à l’antagonisme complet. » La portée philosophique de cette pièce est aussi relevée par Paul Ginesty dans Le Petit Parisien : « ainsi en est-il pour Un Ami de jeunesse, dont on aimerait pouvoir parler plus longuement. Cet acte est riche en idées et en mots d’une philosophie bien humaine. »Edmond See Un Ami de jeunesse Artgitato Roger Monteaux & de Féraudy



DE L’HUMANITE DANS LA SIMPLICITE
Mais cette œuvre de réflexion n’est pas un bloc insipide et lourd. L’émotion est loin d’être absente. La force de l’œuvre est de nous plonger dans une amitié qui fut sincère. Charles Méré, dans l’Excelsior : «il y a plus d’humanité et de sens dans cette pièce si simple, si vraie, et qui, jamais, ne s’écarte du ton de la vie quotidienne, que dans beaucoup d’œuvres prétentieuses. » Robert Dieudonné, dans l’Œuvre : «rarement les auditeurs eurent l’impression d’entendre un dialogue d’un ton aussi juste, de voir vivre devant eux des personnages aussi humains, d’être touchés aux larmes par des sentiments aussi simples, mais aussi profonds. C’est un miracle de réaliser une situation si ordinaire et d’en tirer une telle émotion. »

LA TAVERNE, RUE SOUFFLOT
Deux êtres, jeunes, étudiants, avec une vie commune fusionnelle, indissociable. Des amis communs, des pensées communes et des projets identiques. Même si l’un faisait du droit et l’autre une licence ès lettres. Rien ne les oppose et la poésie cimente le tout. Des grands désirs et des propos enflammés au fond des tavernes parisiennes, rue Soufflot. Puis, les années passent.

HUMBLES ET DEVOUES
Edmond Sée nous installe confortablement, socialement, dans le bureau d’un sous-secrétaire d’Etat dans un des nombreux ministères de l’époque. C’est Le Blumel, joué lors de la première par Roger Monteaux, qui occupe les lieux. Une santé fragile toutefois. On ne peut pas tout avoir. Conscient d’une responsabilité importante, même si elle reste critiquée : « Enfin, par bonheur, nous sommes là, nous autres, humbles et dévoués sous-secrétaires d’Etat. Parce qu’on a beau médire de nous à chaque occasion et même contester souvent notre utilité… » Le Blumel est dans l’amour de soi. Il est son modèle, sa vitrine. Il est désormais son meilleur ami. Il n’a plus d’amis.

Une vingtaine d’années ont passé. Le Blumel est dans l’antichambre des Ministères que tous les sous-secrétaires attendent. Il a quarante ans. Il est fier d’un parcours aussi rapide et fulgurant.




DEUX INSEPARABLES, DEUX FRERES
Quand Le Blumel se rappelle de son amitié, il en a la larme à l’œil. L’espace d’un instant, le voici redevenu l’étudiant rêveur et idéaliste : «Tous les soirs, après les cours, on se retrouvait à l’heure des repas dans un petit café…Rue Soufflot…Je le revois encore…Oh ! Un petit café bien modeste, parce que, dans ce temps-là, on ne roulait pas sur l’or…ça ne fait rien, on vivait, gais, jeunes, insouciants !…On s’amusait…Et puis on travaillait, et pas seulement en vue des examens, non, pour soi-même… On écrivait, on faisait des vers !… Moi aussi… Je crois même qu’à ce moment-là j’ai publié un volume…Vous ne saviez pas ?…Parfaitement ! …Les Ondes sonores, ça s’appelait…Hein ! Quels titres ! Croyez-vous qu’il faut être jeune pour trouver un titre comme celui-là…Ah ! si mes collègues de la Chambre le savaient, et les journaux, qu’est-ce que je prendrais !…Enfin…Lambruche et moi, nous vivions comme deux inséparables, deux frères ; et ça a duré jusqu’au jour où le destin nous a forcés à suivre une route différente. » Puis, la descente en Haute-Garonne, le cabinet d’avocat de papa, le mariage, la politique, les élections réussies, la montée vers Paris, les premiers postes au cabinet d’un ministre.

SAISI, COURBE ET BROYE
Pour son ancien ami Lambruche, une vie différente l’attendait : le manque d’argent, une infirmité auditive, des enfants tyrans, un mariage avec la Lulu, et tout qui part en queue de poisson, « malheureusement, il y a la vie, et quand celle-là commence à vous saisir, à vous courber, à vous broyer sous elle ! », les petits boulots, la naissance de l’enfant, suivie de sa maladie, puis de sa mort, le piano-bar, les cafés concerts, la boisson, l’alcoolisme, les soirées à écrire des poèmes qui ne seront jamais lus, « je m’asseyais devant ma table et j’écrivais…sans arrêt…jusqu’au matin ! ».

LA DELIVRANCE DE L’ÂME
Mais malgré tous les maux de la terre qui s’abattent sur lui, Lambruche est resté le même, presque le même. Une âme d’écrivain bohème. Une espérance dans la beauté des vers. Une émotion. Une vie à fleur de peau. « C’est pendant cette période-là que j’ai fait mes plus beaux vers…tout mon poème : la Délivrance de l’âme ! »

UN BONHOMME A DRÔLE DE MINE
Lambruche n’a pas changé. Physiquement, il est détruit. Mais dans ses rêves, dans ses envies, il est toujours le même. Mais les autres voient cette masse informe et sans âge. Ainsi l’accueil par le domestique est sans appel : « quelqu’un de pas très…enfin…un drôle de bonhomme…avec un chapeau…et puis un cache-nez…l’air bizarre, autant dire… », il rejoint celui de Mme Le Blumel, « il n’est même pas très poli, entre parenthèses, c’est à peine s’il a touché le bord de son chapeau quand je suis passée…Et je suis de l’avis de Pierre, il a une drôle de mine…moi, il m’a presque fait peur. »

JE NE SUIS PAS MECHANT !
Mais il a quelque chose en lui qui fait encore plus peur : il dit ce qu’il pense. La vérité sort de sa bouche. Elle ne lui attire pas que des sympathies, loin de là ! Cette spontanéité est la source de ses malheurs. « Mais, moi…je suis comme ça ! …Je ne sais pas dissimuler, mentir…J’ai horreur des courbettes, de l’aplatissement. Tant pis, tant pis si ça me fait du tort ! (avec mélancolie) Oh ! ça m’en a déjà fait…et aux mieux aussi ! Je devrais me surveiller mieux, me dominer davantage. Ma pauvre petite femme me le répète assez souvent…Elle sait bien, elle, que je ne suis pas méchant…mais elle prétend que je le parais…et puis aigri ! …Et il y a peut-être aussi un peu de tout ça, tout de même ! C’est vrai, à force d’avoir lutté, souffert…on finit par rendre les autres responsables de ce qui vous arrive…et ils s’en aperçoivent…ils  vous en veulent…Et, alors…quelquefois, ça les décourage de vous faire du bien…(un long silence) Enfin ! si je t’ai dit des choses qui t’ont offusqué…ou blessé…il ne faut pas trop m’en garder rancune. »

QUAND TU CHERCHERAS UNE TRIBUNE PLUS NOBLE
Lambruche, l’exclu, veut, lui, pouvoir aider Le Blumel, mais autrement que par l’argent, bien sûr. C’est lui, le plus déshérité de la vie qui propose son aide au sous-secrétaire, il y a toujours quelque chose à donner afin d’aider l’autre, avec de réelles bonnes intentions :  « quand tu deviendras un homme comme les autres…un homme libre de penser, d’exprimer ses idées et que tu chercheras une autre tribune plus noble…Eh bien, ce jour-là, viens me trouver, viens nous trouver à la Revue…Nous y sommes au complet, et entre nous : mais ça ne fait rien, pour toi, on se serrera les coudes…on te fera une petite place, ou une grande…Celui qui a écrit les Ondes sonores ne sera jamais un étranger pour nous…On l’accueillera comme un enfant prodigue. »

QUELQUE CHOSE DE SOURNOIS
Avec la vérité, Lambruche sait que cette entrevue sera la dernière. Il observe les réactions de Le Blumel et il comprend. Il lui dit adieu. « Au commencement, oui, au début de notre rencontre, j’ai eu l’impression que tu m’accueillais sans déplaisir…avec sympathie…Et puis après…au fur et à mesure qu’on causait, peu à peu, il m’a semblé que quelque chose de sournois…de mauvais, d’hostile s’élevait entre nous, t’éloignait, te détachais de moi…que tu ressentais comme un malaise…une déception à m’écouter. » Le Blumel reste fourbe jusqu’à la fin. Il est trop différent de cet hurluberlu. Plus que cela, il peut lui nuire dans la progression fulgurante de sa carrière. Le « je vais tâcher de trouver quelque chose… » n’est fait que pour se donner une contenance. Le Blumel en fait son parti : il ne verra plus. Il n’a pas le cran d’en parler à Lambruche, mais à Dautier son collaborateur : « s’il revient…vous le recevrez…Mais après, sans me déranger. Vous entendez, sous aucun prétexte…Ah ! vous aviez raison, tout à l’heure, oui, les amis de jeunesse ! Dites que le ministre reçoit !… »

Edmond See Un Ami de jeunesse Artgitato Roger Monteaux & Fresnay

IL FAUT SORTIR LES ENFANTS DES MAINS DES FEMMES
Même la venue de Lambruche était intéressée pour notre sous-secrétaire. Le Blumel voulait faire de son fils un homme. « Il est bien jeune ! Pour elle il le sera toujours ! N’empêche que quand un gamin va sur ses sept ans ! …Sans compter que rien n’est mauvais pour lui comme l’oisiveté ; or, depuis quinze jours que son institutrice est malade et qu’il est livré à lui-même, la vie devient intenable. Heureusement que tout ça va changer…Parce qu’à un moment donné il faut sortir les enfants des mains des femmes, si l’on veut qu’ils deviennent des hommes à leur tour… » Et dans cette idée, afin d’élever son fils, de le rendre autonome, masculin, de n’être pas dérangé par les cris de son fils, il en arrive à penser à Lambruche en précepteur ! Pas pour faire un brin de discussion et parler du bon vieux temps …

Mais la pièce se lit sur le regard de Le Blumel qui se décompose au fil des révélations de Lambruche sur le cours de sa vie – « nerveusement », « gêné », « protestant », « très ennuyé », « contraint », « crispé », « vaincu ».

Les deux hommes se sont séparés. A jamais. Les amis ne se sont pas retrouvés. Même les souvenirs partagés ont volé en fumée. Il est loin le temps de la rue Soufflot. Il reste un livre de Le Blumel dans la bibliothèque de Lambruche. Les ondes sonores se sont perdues dans un recoin temporel.

Jacky Lavauzelle

 

Edmond Sée reste d’abord reconnu pour les critiques théâtrales qu’il a réalisées pendant une vingtaine d’années, de 1920 à 1940. L’Ami de jeunesse qui a été représenté en 1921 à la Comédie-Française n’est pas une première pour cet auteur habitué dans les pièces ramassées et courtes. Nous lui devons son excellent Théâtre français contemporain, paru en 1928.

 

Texte paru dans la Petite Illustration n°57
du 31 décembre 1921
Photos de Clair-Guyot pour la représentation à la Comédie-Française
Photo d’Edmond Sée par Harlingue
Composition affiche Artgitato

Pour la première les personnages étaient joués par :
M. de Féraudy (Lambruche)
Roger Monteaux (Le Blumel)
Madame de Chauveron (Mme Le Blumel)
M. Fresnay (Secrétaire de Le Blumel)
M. Chaize (un domestique)

William Somerset Maugham – Le Cyclone : Le grand sacrifice

William Somerset Maugham
1874-1965





Le Cyclone W Somerset Maugham Théâtre des Ambassadeurs Argitato

LE CYCLONE
THE SACRED FLAME – 1928
Pièce en trois actes
Adaptation française d’Horace de Carbuccia
Représentée le 1er octobre 1931
Au Théâtre des Ambassadeurs

LE GRAND SACRIFICE





Depuis 2012, des cantons suisses valident la possibilité d’un recours à une aide au suicide. Une association suisse, Exit A.D.M.D. (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) propose son aide aux malades âgées qui ne sont pas nécessairement en phase terminale.

William Somerset Maugham, l’auteur de la Servitude de l’Homme (1915) aborde ici, au théâtre, ce thème difficile du suicide assisté. Le titre original est The Sacred Flame, la Flamme sacrée, 21ème pièce de l’auteur, écrite à 54 ans, et sortie, en Angleterre, en 1928. C’est avec l’adaptation française d’Horace de Corbuccia que la pièce fut présentée trois ans plus tard au Théâtre des Ambassadeurs.



UNE ACTUALITE TOUJOURS PRESSANTE
Etienne Rey disait dans Comoedia, en 1931 : «  c’est un drame volontairement nu et dépouillé, une sorte de tragédie, dont l’action se déroule en vingt-quatre heures, et qui, après avoir côtoyé l’intrigue policière au sujet du meurtre, ne révèle son véritable dessin qu’au dernier acte : l’étude psychologique d’un cas rare et curieux, d’un cas de conscience mis en relief par M. Somerset Maugham, qui sait si bien écrire des pièces d’atmosphère, est aussi capable d’imaginer et de traiter avec sobriété et vigueur des situations qui relèvent des situations qui soulèvent des problèmes moraux assez graves, et d’une actualité toujours pressante. La pièce est assez sévère, et les gens qui aiment rire au théâtre n’y trouveront pas leur compte. Pour moi, je suis enchanté d’entendre un drame bien fait et d’un intérêt aigu. Le champ du théâtre s’était terriblement rétréci en France depuis une quinzaine d’années. Il est excellent qu’une pièce, même étrangère, vienne élargir le champ et que l’intérêt puisse s’attacher de nouveau à des sujets dramatiques ou même tragiques. »




VOUS EPOUSER OU MOURIR DE FAIM
Maugham raconte l’histoire d’un homme, brave aviateur de la première guerre mondiale, qui, un an après son mariage, se retrouve paralysé suite à un accident d’avion. Nous retrouvons, quelques années plus tard, les protagonistes de l’histoire, la famille des proches et des amis.

Le 1er acte présente tous les personnages. Mais comme dans les autres actes, une personne mène la danse. Ici, c’est Maurice, le fils de Madame Tabret, le frère de Fred, le mari de Stella. Il circule en fauteuil suite à son accident d’avion. Il est amoureux fou de Stella, depuis le premier jour : « Nous avions passé la soirée à l’Opéra, puis j’avais proposé à Stella de l’emmener souper ; mais, au lieu de me rendre directement au restaurant, je l’ai conduite autour de Hyde Park, dans une petite voiture à deux places que j’avais alors, et je lui ai juré que je continuerais à tourner en rond jusqu’à ce qu’elle promette de m’épouser. Wagner lui avait donné un tel appétit qu’après un tour et demi elle m’a déclaré : ‘Au diable, s’il me faut choisir entre vous épouser ou mourir de faim, j’aime autant vous épouser ! »

JE VOYAIS A NU SON ÂME TORTUREE
A la fin du premier acte, tous vont se coucher. Maurice ne se réveillera pas. Il sera trouvé mort de bon matin. Le second acte est drivé par Nurse Wayland devenue moins sympathique et avenante qu’à l’acte précédent. Elle est sûre et certaine qu’il s’agit d’un assassinat. Ses propos enflammés révèlent un amour sincère et passionné pour Maurice.  « Je ne lui étais rien. Je n’étais qu’une infirmière qu’il payait. Il ne cherchait pas à me cacher le désespoir qui remplissait son cœur. Avec moi, il n’avait pas à feindre. Il n’avait pas à paraître de bonne humeur, à plaisanter. Il pouvait être triste, car il ne croyait pas me faire de la peine. Il pouvait être désagréable et dire ensuite qu’il le regrettait, car il n’avait pas à me ménager. Sa gaîté n’était qu’un masque qu’il prenait pour vous faire rire. Moi je voyais à nu son âme torturée. »




IL A RÊVE SON RÊVE JUSQU’A LA FIN
Le dernier acte appuie sur la culpabilité de Stella. Madame Tabret avouera qu’elle a commis le meurtre par amour pour son fils. « Il y a des années, quand, pour mes fils, j’ai renoncé à mon grand amour pour ce vieux major ici présent, je croyais qu’on ne pourrait jamais me demander de plus grand sacrifice. Je sais maintenant que ce n’était rien. Car j’aimais mon enfant. Je l’adorais. Je suis si seule maintenant qu’il est mort ! C’est un beau rêve qu’il faisait et je l’aimais trop pour le laisser s’en éveiller. Je lui avais donné la vie. Je lui ai repris la vie. Je suis allée dans la salle de bains, je suis montée sur une chaise et j’ai pris le flacon de chloraline, j’ai pris cinq comprimés, que j’ai fait dissoudre dans un verre d’eau. Je les ai apportés à Maurice et il les a avalés d’un trait. Mais c’était amer. Il m’en a fait la remarque et je suppose que c’est pour cela qu’il en a laissé un peu au fond du verre. Je me suis assise à côté de son lit et j’ai tenu sa main jusqu’à ce qu’il s’endorme et, quand j’ai retiré ma main, je savais qu’il dormait d’un sommeil dont il ne se réveillerait pas. Il a rêvé son rêve jusqu’à la fin. »

LE COUP DE THEÂTRE FINAL
Robert de Beauplan soulignait dans La Petite Illustration n°572 du 9 avril 1932, que « l’intérêt de curiosité est relevé par un cas de conscience pathétique. C’est un problème moral sur lequel on peut discuter longuement que pose le coup de théâtre final. »

Après cette révélation, le polar est terminé. L’accusatrice, la Nurse Wayland, ne souhaite pas continuer dans la voie de l’autopsie et de la justice. Elle propose au docteur Harvester, présent pendant toute la scène, de signer le certificat de décès. Cela signifie qu’aucune enquête judiciaire, ou policière, ne sera diligentée. Madame Tabret est libre, avec le poids de son sacrifice éternellement sur sa conscience.



Laissons le dernier mot à Edmond Sée, qui soulignait dans l’Œuvre :  « ce n’est pas seulement une pièce fertile en surprises, en péripéties, en rebondissements imprévus et quelque chose comme un drame policier ; c’est encore et surtout une « tragédie bourgeoise » aux émouvants, âpres, douloureux prolongements, et qui atteint, à la fin, à une grandeur véritable. »

Jacky Lavauzelle

LA PETITE ILLUSTRATION n°572 du 9 avril 1932
Lors de la première, du 1er octobre 1931, ont joué :

Georges Mauloy (Stevens)
Jean Max (Maurice Tabret)
Pierre de Guingand (Fred Tabret, le frère de Maurice)
Philippe-Richard (le docteur Harvester)
Maurel (Le Maître d’hôtel)
Suzanne Desprès (Madame Tabret, la mère de Maurice et de Fred)
Huguette Ex-Duflos (Stella Tabret, femme de Maurice et amante de Fred)
Sylvie (Nurse Wayland)
Jane Pierville (Une femme de chambre)