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DANCOURT (1687) LE CHEVALIER A LA MODE, TRADER DE L’AMOUR

Florent Carton
DANCOURT

Le Chevalier à la Mode
(1687)

Dancourt Artgitato

Le Trader de
l’amour

Le chevalier est un trader : « je ne suis pas en argent comptant, et je veux que mes deux vieilles m’en fournissent à l’envi l’une de l’autre. »(Acte IV, scène 1) Il nous place hors du champ de la morale, dans la sphère purement financière, dans celle de l’intérêt.

Il est l’homme représentatif de cette fin de XVIIème siècle parcourant les salons et courant la bonne affaire. Le rapporteur de la Baronne, M Nigaud, lui aussi, ne dit rien d’autre en parlant à Madame Patin : « Vous avez l’âme parfaitement belle ; vous êtes la personne du monde la plus magnifique…Votre magnificence est soutenue d’un fort gros bien, que mille gens enragent de vous voir posséder si tranquillement. » (Acte III, scène 2)

SONGEONS AU SOLIDE !

Mais notre Chevalier, lui, est un professionnel. « Songeons au solide, mon ami ; nous donnerons ensuite dans la bagatelle » (Acte I, scène 7). A ce titre, l’occupation unique du Chevalier est d’établir des stratégies financières avec  l’étude de prises de risques et opportunités : « si certain dessein que j’ai dans la tête pouvait servir, je te donnerais à choisir d’elle ou de madame Patin. »(Acte IV, scène 1)

ETUDE DE RATIOS ET D’OPPORTUNITE

 Le ratio Rentes / âge  lui permet de visualiser les potentiels à marier et les actions à privilégier à moyen et long terme. « Si la baronne avait gagné ses procès, je la préférerais à madame Patin ; et quoiqu’elle ait quinze ou vingt années davantage, ses procès gagnés lui donneraient quinze ou vingt mille livres de rente plus que n’a madame Patin. » (Acte I, scène 7) Lorsque la courbe monte, c’est que soit la rente est plus qu’appréciable et l’âge n’est plus alors un problème, soit elle descend et il faut savoir être vigilant sur la durée de la relation en évitant le mariage à tout prix. En tout cas, « Je me déterminerai pour celle qui accommodera le mieux mes affaires »(Acte I, scène 7)

UNE BONNE CONNAISSANCE DU MARCHE AMOUREUX

Il faut donc de la rigueur dans l’analyse et surtout savoir écouter et juger de l’affaire rapidement. Le chevalier a cet œil aiguisé, autant pour la taille d’une rente que celle d’une demoiselle : « elle a de l’esprit au-delà de l’imagination. Une vivacité…la charmante petite créature ! » (Acte I, scène 7)

 La technique pour reconnaitre une femme à marier : d’abord savoir comment éviter les mauvais partis qui représentent 98% du marché et comment reconnaitre les 2% qui méritent de figurer dans votre portefeuille ? L’investissement du bon père de famille restant la veuve bourgeoise. 

Il doit donc visualiser l’ensemble de ses conquêtes. L’état de ses comptes. Connaître leurs évolutions dans son portefeuille d’actif : « Parbleu ! C’est une conquête aussi difficile que j’en connaisse. Je ne suis pourtant pas mal auprès d’elle. » (Acte I, scène 7)

SAVOIR TROUVER LA BONNE AFFAIRE !

Et surtout attendre le bon moment pour acheter ou vendre. Savoir être patient. Savoir laisser passer une affaire pour en attraper une plus grosse. Le Chevalier ne s’en cache pas et présente aussi une partie de ses cartes à l’une de ses affaires, madame Patin : « depuis deux mois entiers, je me refuse à toutes les parties de plaisir qu’on me propose…je renonce à toutes les compagnies ; je romps vingt commerces des plus agréables ; je désespère peut-être les plus aimables personnes de France. » (Acte III, scène 3). Toujours dans l’espoir de trouver LA bonne affaire. Celle qui fait rêver tous nos traders du XVIIème : « Mais, monsieur le fat, taisez-vous, encore une fois ; et ne venez point gâter une affaire qui est peut-être la meilleure qui me puisse arriver. » (Acte I, scène 7)

LE TEMPS C’EST DE L’ARGENT

Patient certes, mais toujours en éveil. Être patient ne veut pas dire être immobile et en attente. C’est aussi regarder, épier, prendre des informations, être à l’endroit idéal, au bon salon, au bal où tout se passe, être à l’écoute des rumeurs. « Bon ! Madame, est-ce que les gens comme monsieur le chevalier sont faits pour attendre ; et peuvent-ils demeurer en  place ? Cela est bon pour des gens raisonnables. » (Lisette à l’acte III, scène 2)

Car en affaire, le temps c’est toujours et encore de l’argent : « en quatre jours ! Voilà une conquête bien difficile, vous avez raison » (Acte I, scène 7)

Il joue, comme un trader jouerait avec de la pure finance. Son être tout entier est concentré dans cette matière. Il ne peut rien faire d’autre. Il ne peut s’empêcher de jouer : « tu vas voir le manège que je vais faire avec celle-ci. Ah ! Palsambleu !  Laisse-moi rire, Crispin, laisse-moi rire ; quand j’en devrais être malade, il m’est impossible de m’en empêcher. » (Acte IV, scène 1)

METTEZ-VOUS A MA PLACE, DE GRÂCE !

Il ne se cache pas. Dans le cinquième acte, celui des mises à nu, des contradictions révélées, du tribunal,  le Chevalier ne panique pas devant l’évidence de son amoralité et de sa duplicité ; il s’explique, simplement. Il explique cette évidence qui s’offre à lui et que tous doivent voir : « mettez-vous à ma place, de grâce, et voyez si j’ai tort. J’ai de la qualité, de l’ambition, et peu de bien. Une veuve des plus aimables, et qui m’aime tendrement, me tend les bras. Irai-je faire le héros de roman, et refuserai-je quarante mille livres de rente qu’elle me jette à la tête. » (Acte V, scène 6)

Au pire est-il une victime de la beauté et de cet argent qui s’offre à lui. Quel homme, saint d’esprit, pourrait ne pas y succomber ? « Je trouve en mon chemin une jeune personne, toute des plus belles et des mieux faites. Je ne le suis pas indifférent. Peut-on être insensible, madame, et se trouve-t-il des cœurs dans le monde qui puissent résister à tant de charmes ? » (Acte V, scène 6)

IL EST BON QUELQUEFOIS DE FAIRE LE FIER AVEC LES DAMES !

Il possède donc une batterie de réponses, une large palette de sentiments et d’émotions, quand il est pris au dépourvu, ou pour faire avancer son affaire. Soit se présenter, comme au-dessus, en victime innocente et trop sensible aux beautés qui hantent les salons, soit crier plus fort et montrer son émoi : « il n’a pas fallu grande habileté pour cela. Elle criait comme une enragée, et j’ai crié cent fois plus haut qu’elle ; car il est bon quelquefois de faire le fier avec  les dames » (Acte IV, scène 1), soit en feignant le mépris : « elle s’est emportée plus fort que jamais, et je n’ai trouvé d’autre moyen de la réduire, que de prendre un air de mépris pour elle, qui l’a piquée jusqu’au vif. » (Acte IV, scène 1)

UN USAGE UNIVERSEL

Le Chevalier est donc un affairiste, un trader, un homme du XVIIème comme d’aujourd’hui. Rien que de l’universel, de l’intemporel. « Faire fortune est une si belle phrase, et qui dit une si bonne chose qu’elle est d’un usage universel : on la reconnaît dans toutes les langues, elle plaît aux étrangers et aux barbares, elle règne à la cour et à la ville, elle a percé les cloîtres et franchi les murs des abbayes de l’un et de l’autre sexe : il n’y a point de lieux sacrés où elle n’ait pénétré, point de désert ni de solitude où elle soit inconnue. » (La Bruyère, Les Caractères, Des biens de fortune, 36)

Jacky Lavauzelle