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CORALINE : LE PUITS ET LE TUNNEL

Henry SELICK
CORALINE
2009

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LE PUITS ET LE TUNNEL
Les rites du passage

 Coraline n’est plus une enfant. Elle est dans ce début d’adolescence où l’on évoque les tensions, les fossés qui se creusent. Des volontés d’émancipation. Des désirs d’ailleurs.  Coraline veut élargir son horizon. D’abord avec le puits, le grand saut, puis par la traversée du tunnel, plus progressif. Sera-t-il moins dangereux ?

LE MOUVEMENT  VERS LE BAS
Dès que Coraline arrive dans sa nouvelle demeure, elle se met à la recherche d’un puits. Le puits est le lieu le plus obscur et le plus terrifiant. La solution est extrême ; elle est à la mesure de l’attente de changement de Coraline.

Elle doit le localiser, savoir où il est, pour enfin développer son imaginaire. Le puits doit se contourner. Il ne se pénètre pas. C’est le mouvement vers le bas. Tomber dans le puits, c’est tomber dans l’oubli, dans le néant. On ne remonte pas du puits. C’est notre dernière expérience. Le lieu où naissent de très nombreux cauchemars. Le puits s’entoure de maléfice. Rien qu’à son approche, Coraline est entourée d’une baguette de sorcier de sumac vénéneux, d’un monstrueux cavalier masqué, en plein orage.

UN CIEL ETOILE AU-DESSUS DE NOS TÊTES

Armée pour trouver le puits, Coraline est à deux doigts de tomber dedans. « Si tu ne fais pas attention, tu vas tomber dedans. Il est si profond que si on tombe dedans et qu’on regarde en haut, on voit un ciel étoilé même en pleine journée » lui raconte Wyborne, son voisin.
Cette scène est reprise de Tarkovski dans l’Enfance d’Ivan où la mère du jeune Ivan, regardant le fond du puits, dit : « – Quand un puits est profond, on peut voir une étoile en plein jour« . « – Quelle étoile ? » demande Ivan. « – N’importe laquelle » lui répond-elle. Le visage d’Ivan s’éclaire : « J’en vois une, maman ! Pourquoi brille-t-elle ?« . Parce que « C’est la nuit, pour elle, en ce moment. Elle brille comme dans la nuit« . Mais alors que le soleil brille dans un ciel sans nuage, le petit Ivan s’étonne : « on n’est pas dans la nuit, on est en plein jour ! » La mère avec un sourire lui répond : « Pour toi, c’est le jour, pour moi aussi. Pour elle, c’est la nuit. »
Ivan essaie de la toucher, touche la surface de l’eau, en douceur. Il se retrouve au fond du puits. Le seau remonte. La mère est seule en haut.

J’AI FAILLI MOURIR ! – C’EST BIEN !

Revenons à Coraline. Elle l’évite et peut rentrer chez elle raconter sa frayeur à sa mère inattentive : « J’ai failli tomber dans un puits hier, j’ai failli mourir ». « C’est bien ! », lui répond sa mère. Sa peur n’est pas celle de sa mère, beaucoup plus ennuyée quand elle lui parle de sortir par une pluie battante et donc de rentrer sale.

Le puits localisé, Coraline pense avoir fait le plus dur et le plus risqué. C’est sans compter sur le tunnel.

Le tunnel ne se cherche pas. Il arrive par hasard lors des fouilles minutieuses de Coraline qui s’ennuie. Le tunnel, à la différence du puits, symbolise le passage, d’un lieu à un autre, d’un temps ou d’une représentation à autres choses. Il se pénètre et laisse toujours la possibilité du retour. Le tunnel ne se contourne pas, on s’engouffre dedans, espérant trouver quelques secrets. L’herbe est toujours plus verte ailleurs.

ON GARDERA UN OEIL SUR CORALINE

Coraline, de l’autre côté, trouve la famille idéale, attentionnée, gaie, cuisinant tout ce qu’elle aime. C’est le lieu du même et de l’autre. Du même en mieux. Les mêmes parents, mais différents. On garde le meilleur et on y met tous ses désirs. « Elle est chouette, adorable, c’est une bonne copine. Elle est mignonne comme un chou. On le répète partout…C’est ce que pensent tous ceux qui ont vu Coraline. Quand elle vient explorer, maman et moi n’allons jamais l’ennuyer. On gardera un œil sur Coraline ».

BIENTÔT, TU VERRAS LES CHOSES COMME NOUS !

Le tunnel, cet incontournable lieu de passage et d’échange de l’enfant. La perfection qu’on lui promet, « tu pourrais rester ici pour toujours si tu voulais. On chantera et on jouera à des jeux. Maman cuisinera tes plats préférés », n’est rien au regard de sa liberté.

Au « bientôt tu verras les choses comme nous », Coraline crie : « Jamais ! On ne me coudera pas de boutons à la place des yeux ! ».

Du passage dans le tunnel, ce n’est pas l’aller le plus difficile…

Jacky Lavauzelle