Denmark– Danemark – Danmark
arbejde Hans Christian Andersen
Œuvre de Hans Christian Andersen
Traduction – Texte Bilingue
Hans Christian Andersen
Poésie Poesi
LITTERATURE DANOISE POESIE DANOISE
dansk litteratur dansk poesi danske digte
Hans Christian Andersen
1805 – 1875
Traduction Jacky Lavauzelle
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Arbejde Hans Christian Andersen
Œuvre de Hans Christian Andersen
Det var så grueligt koldt; det sneede og det begyndte at blive mørk aften;
Il faisait terriblement froid ; il avait neigé toute la journée et la nuit tombait déjà ;
det var også den sidste aften i året, nytårsaften.
c’était la dernière nuit de l’année, le nuit du Nouvel An.
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Moder, jeg er træt, nu vil jeg sove,
Mère, je suis fatigué, maintenant je veux dormir,
Lad mig ved dit Hjerte slumre ind;
Laisse-moi sommeiller sur ton cœur ;
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Hist, hvor Veien slaaer en Bugt,
Là-bas où la route fait un crochet,
Ligger der et Huus saa smukt.
Il y a une maison si belle.
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NOTICE SUR ANDERSEN
Un jour, à Copenhague, je vis entrer dans ma chambre un grand jeune homme dont les manières timides et embarrassées, le maintien un peu lourd, eussent pu déplaire à une petite-maîtresse, mais dont le regard caressant et la physionomie ouverte et candide inspiraient au premier abord la sympathie. C’était Andersen. J’avais un volume de ses œuvres sur ma table. La connaissance entre nous fut bientôt faite. Après avoir passé avec moi plusieurs heures dans une de ces conversations poétiques qui ouvrent le cœur et appellent les épanchements, Andersen me parla des douleurs qu’il avait éprouvées ; et, comme je le priai de me raconter sa vie, il me fit le récit suivant :
« Je suis né, me disait-il, en 1805, à Odensée, en Fionie. Mes aïeux avaient été riches ; mais, par une longue suite de malheurs et de fausses spéculations, ils perdirent tout ce qu’ils possédaient, et il ne leur resta que le douloureux souvenir de leur première condition. J’ai plus d’une fois entendu ma grand’mère me parler de ses parents d’Allemagne et du luxe qui les entourait. C’était une triste chose que de la voir ainsi s’entretenir des joies de la jeunesse dans la pauvre demeure que nous habitions. Mon père, qui, à sa naissance, semblait destiné à jouir d’un bien-être honorable, fut obligé d’entrer en apprentissage et de se faire cordonnier. Quand il se maria, il était si pauvre qu’il ne pouvait acheter un lit. Un riche gentilhomme venait de mourir ; on avait exposé son corps sur un catafalque, et, quelque temps après, ses héritiers vendirent à l’encan tout ce qui avait servi à ses funérailles. Mon père réunit le fruit de ses épargnes et acheta une partie du catafalque pour en faire un lit de noces. Je me rappelle encore avoir vu ces grandes draperies noires, déjà vieilles, déjà usées, et sillonnées par des taches de cire. C’est là que je suis né. Mon père continuait son état, qui allait tantôt bien, tantôt mal, selon le temps et selon les pratiques. Nous vivions dans un état de gêne presque continuel, mais enfin nous vivions ; et le soir, quand l’heure du repas était venue, quand ma mère posait sur la table notre frugal souper, il y avait encore parfois entre nous des heures de gaieté que je ne me rappelle pas sans émotion. Lorsque je fus en âge de travailler, on me mit dans une fabrique. J’y passais la plus grande partie du jour. Le reste du temps j’allais à l’école des pauvres, j’apprenais à lire, à écrire, à compter. Un de nos voisins, qui m’avait pris en amitié, me prêta quelques livres, et je lus avec ardeur toutes les comédies que je pus me procurer et toutes les biographies d’hommes célèbres. Cette lecture éveilla en moi d’étranges sensations. Je levai les yeux au-dessus de l’état de manœuvre auquel j’étais astreint, et il me sembla que je pouvais aussi devenir un homme célèbre. Mon père mourut lorsque j’avais douze ans ; je restai seul avec ma mère, continuant mon travail et mes rêves. J’avais une voix d’une pureté remarquable. Souvent, quand je chantais, le maître d’école m’avait loué, et les passants s’étaient arrêtés pour m’entendre. Je m’étais exercé aussi à réciter quelques-uns des principaux passages que je trouvais dans les comédies ; et les voisins, qui assistaient aux répétitions et qui me voyaient faire de si grands gestes et déclamer si haut, affirmaient que j’avais d’admirables dispositions pour devenir acteur. Ma pauvre mère, qui n’avait jamais quitté sa ville natale, qui n’avait jamais rêvé pour moi qu’une honnête profession d’artisan, fondit en larmes en apprenant cette nouvelle : mais je persistai dans ma résolution. J’amassai patiemment schelling par schelling tout ce que je pouvais avoir à ma disposition ; et quand je fis un jour la récapitulation de ma caisse, je n’y trouvai pas moins de treize rixdalers (environ trente-trois francs). C’était une fortune, une fortune qui me semblait inépuisable. Je ne songeai plus qu’à partir. Ma mère essaya en vain de m’arrêter. Elle m’avait procuré, disait-elle, une excellente place d’apprenti chez un tailleur : dans peu de temps je pourrais gagner un salaire suffisant pour me faire vivre ; dans quelques années je pourrais être premier ouvrier ; et qui sait ? par la suite, je pourrais peut-être avoir une maîtrise. Tous ces riants projets, qui avaient plus d’une fois fait tressaillir de joie le cœur de ma bonne mère, ne me séduisaient pas. J’avais quatorze ans, j’étais seul, je ne connaissais personne au monde capable de me protéger ; mais une voix intérieure me disait que je devais partir. Avant de me donner la permission que je sollicitai d’elle, ma mère voulut encore faire une épreuve. Il y avait dans la ville que nous habitions une vieille femme renommée à plusieurs lieues à la ronde pour sa science magique. C’était notre sibylle de Cumes, notre Meg-Merrilies ; et, quoique les bons chrétiens d’Odensée la regardassent comme un peu entachée de sorcellerie, tout le monde pourtant avait recours à elle, et tout le monde parlait d’elle avec une sorte de vénération ; car elle pouvait deviner l’avenir par le moyen des cartes, par des invocations mystérieuses qu’on ne comprenait pas. Elle disait aux jeunes filles quand elles devaient se marier, et aux vieillards combien de temps durerait l’hiver et comment serait la récolte. Ma mère alla prier cette parente des enchanteurs de vouloir bien l’honorer d’une visite ; et quand elle la vit venir, elle la prit par la main, la fit asseoir sur le bord de son lit et lui servit du café dans sa plus belle tasse ; puis elle lui expliqua ma situation et lui demanda conseil. La magicienne mit ses lunettes sur le bout de son nez, prit ma main gauche, la regarda attentivement, puis la regarda encore, et dit, d’une voix solennelle, qu’un jour on illuminerait la ville d’Odensée en mon honneur.
« Ces paroles de la sibylle dissipèrent toutes les craintes de ma mère. Elle me donna sa bénédiction, et je partis. Je saluai avec enthousiasme les plaines fécondes qui se déroulaient à mes regards, la mer qui s’ouvrait devant moi. Mais quand je fus arrivé au delà du second Belt, je me jetai à genoux sur le rivage, je fondis en larmes, et je priai Dieu de ne pas m’abandonner. J’entrai à Copenhague avec mes treize écus dans ma bourse, et tout mon bagage dans un mouchoir de poche. Je m’installai dans la première auberge qui s’offrit à ma vue, et, comme je ne savais rien de la vie pratique, je me fis servir sans hésiter tout ce dont j’avais besoin. Quelques jours après j’étais ruiné : il ne me restait qu’un écu. J’avais été me présenter au directeur du théâtre, qui, me voyant si jeune et si inexpérimenté, ne se donna même pas la peine de m’interroger, et répondit que je ne pouvais entrer au théâtre, parce que j’étais trop maigre. Il était temps d’aviser aux moyens de vivre, et je passai de longues heures à y réfléchir. Un matin, j’appris par hasard qu’un tailleur cherchait un apprenti. J’allai le trouver ; il me prit à l’essai et me mit à l’ouvrage. Mais, hélas ! à peine y eus-je passé quelques heures, que je me sentis horriblement triste et ennuyé. Tous mes rêves d’artiste, assoupis un instant par la nécessité, se ranimèrent l’un après l’autre. Je rendis au tailleur l’aiguille qu’il m’avait confiée, et je descendis dans la rue avec la joie d’un captif qui recouvre sa liberté. Je commençais pourtant à comprendre que toutes mes fantaisies poétiques ne me procureraient pas la plus petite place dans les hôtels de Copenhague et qu’il fallait me chercher un emploi, m’astreindre au travail. Tandis que je m’en allais ainsi cheminant le long de l’Amagertorv, en songeant à ce que je pourrais devenir, je me rappelai qu’on avait souvent, à Odensée, vanté ma voix, et il me sembla que c’était là un don du ciel dont je devais savoir profiter. Je m’en allai du même pas frapper à la porte de notre célèbre professeur de musique, Siboni. Je racontai naïvement, à la domestique qui vint m’ouvrir, toute mon histoire et toutes mes espérances. Elle rapporta fidèlement mon récit à son maître, et j’entendis de grands éclats de rire. Siboni avait ce jour-là plusieurs personnes à dîner chez lui, entre autres Weyse, le compositeur, et Baggesen, le poëte. Tout le monde voulut voir cet étrange voyageur qui s’en venait ainsi chercher fortune, et l’on me fit entrer. Weyse me prit par la main, Baggesen me frappa sur la joue en riant et en m’appelant petit aventurier. Siboni, après m’avoir entendu chanter, résolut de m’enseigner la musique et de me faire entrer à l’Opéra. Je sortis de cette maison avec l’ivresse dans l’âme. Tous mes songes d’artiste allaient donc se réaliser, la vie s’ouvrait devant moi avec des couronnes de fleurs et de chants harmonieux ; et le lendemain, Weyse, qui avait fait une collecte chez ses amis, m’apporta soixante-dix écus. Il m’engagea à me mettre sérieusement au travail, à me chercher une demeure au sein d’une famille honnête ; et je tombai dans un mauvais gîte. Mais je n’y restai pas longtemps. Je perdis un jour ma voix et toutes mes espérances. Siboni voulait que je m’en retournasse à Odensée ; moi je voulais rester et devenir acteur. J’entrai à l’école de danse du théâtre ; je figurai dans quelques ballets. Je remplissais gauchement mon rôle, hélas ! et j’étais malheureux. Je ne gagnais pas plus de six francs par mois, et, dans les jours rigoureux d’hiver, je n’avais qu’un pantalon de toile. Mais j’espérais toujours que la voix me reviendrait. Je voulais être acteur à tout prix, et, quand je rentrais dans ma chétive mansarde, je m’enveloppais dans la couverture de mon lit pour me réchauffer ; je lisais et je répétais des rôles de comédie. À cette époque, j’avais encore toute la candeur, toute l’ignorance et toutes les naïves superstitions d’un enfant. J’avais entendu dire que ce qu’on faisait le 1er janvier, on le faisait ordinairement toute l’année. Je me dis que, si je pouvais entrer le 1er janvier sur le théâtre, ce serait d’un bon augure. Ce jour-là, tandis que toutes les voitures circulaient dans les rues, tandis que les parents allaient voir leurs parents et les amis leurs amis, je me glissai par une porte dérobée dans la coulisse, je m’avançai sur la scène. Mais alors le sentiment de ma misère me saisit tellement, qu’au lieu de prononcer le discours que j’avais préparé, je tombai à genoux et je récitai en pleurant mon Pater noster.
« Cependant mon sort allait changer ; le vieux poëte Guldberg m’avait pris en affection. Il me donna les honoraires d’un livre qu’il venait de publier ; il me fit venir chez lui, et m’engagea à lire des ouvrages instructifs, puis à écrire. Mon éducation élémentaire n’était pas encore faite ; j’ignorais jusqu’aux règles grammaticales de ma langue, et quand je voulus m’exercer à écrire, j’écrivis une tragédie. Guldberg la lut, et la condamna d’un trait de plume. Je me remis aussitôt à l’œuvre, et dans l’espace de huit jours j’en écrivis une autre que j’adressai à la commission théâtrale. Quelque temps après, M. Collin, directeur du théâtre, m’engagea à passer chez lui. Il me dit que ma tragédie ne pouvait être jouée, mais qu’elle annonçait des dispositions, et qu’il avait obtenu pour moi une bourse dans un gymnase de petite ville.
« Dès ce moment, j’entrai dans la vie sérieuse. J’allais chercher l’instruction dont j’avais besoin, j’allais poser les bases de mon avenir. Jusque-là je n’avais eu qu’une existence incertaine et hasardée : je devais marcher désormais par un sentier plus ferme. Je le compris, et je remerciai M. Collin avec toute l’effusion d’un cœur reconnaissant. Mais le temps que j’ai passé à cette école, où j’entrai par une faveur, spéciale, est celui qui me pèse encore le plus sur le cœur : jamais je n’ai tant souffert, jamais je n’ai tant pleuré. J’avais dix-neuf ans ; je commençais mes études avec des écoliers de dix ans, parmi lesquels je ne pouvais trouver ni un camarade ni un ami. J’étais seul dans la maison du recteur, et cet homme semblait avoir pris à tâche de m’humilier, de me faire sentir à toute heure le poids de ma pauvreté et de mon isolement. Que Dieu lui pardonne d’avoir traité avec tant de barbarie l’orphelin sans défense qui lui était confié ! Pour moi, je lui ai pardonné depuis longtemps, et je me souviens sans colère et sans haine qu’il a fait pour moi ce qui me semblait impossible : il m’a fait regretter les jours d’hiver où je gagnais six francs par mois, où je n’avais pas de feu pour me réchauffer et point de vêtements pour me couvrir.
« Enfin ce temps d’épreuves passa. Je subis mes examens d’une manière satisfaisante. J’entrai à l’université de Copenhague, et je fus noté comme un bon élève. J’avais publié quelques poésies dont on parla dans le monde. Plusieurs hommes distingués me prirent sous leur patronage ; plusieurs maisons me furent ouvertes. Je continuai mes études avec calme, avec joie. Je ne savais encore où elles me mèneraient, mais je sentais le besoin de m’instruire. Quand elles furent terminées, Œhlenschlœger, Œrstedt, Ingemann, me recommandèrent au roi. J’obtins par leur entremise ce que nous appelons un stipende de voyage (reise stipendium). Je visitai, en 1833 et 1834, l’Allemagne, la Suisse, la France, l’Italie, étudiant la langue, les mœurs, la poésie des lieux où je passais. Maintenant me voilà bourgeois de Copenhague. Je n’ai ni place ni pension, j’écris dans une langue peu répandue et pour un public peu nombreux ; mais tôt ou tard les romans que j’écris s’écoulent, et Reitzel, le libraire, me paye exactement. Souvent, quand je regarde les jolis rideaux qui décorent ma chambre de Nyhavn et les livres qui m’entourent, je me crois plus riche qu’un prince. Je bénis la Providence des voies par lesquelles elle m’a conduit et du sort qu’elle m’a fait. »
Dans l’espace de quelques années, Andersen a publié plusieurs ouvrages qui lui ont assuré une place honorable parmi les écrivains du Danemark. Il est jeune encore ; il a compris le besoin d’étudier pour écrire, et ses dernières poésies, ses derniers romans, annoncent un progrès. Comme romancier, il ne manque pas d’une certaine facilité d’invention. Il a tracé avec bonheur des caractères originaux, des situations vraies et dramatiques. Il sait observer, il sait peindre et jeter sur toutes ses peintures un coloris poétique. Il a surtout le grand talent de pénétrer dans la vie du peuple, de la sentir et de la représenter sous ses différentes faces. Son Improvisateur est un tableau vif et animé d’une existence aventureuse d’artiste au milieu de la nature italienne, au milieu d’une populace ignorante et passionnée, au milieu des ruines antiques, des magnifiques scènes de la campagne de Rome et des environs de Naples. Son roman qui a pour titre O. T. est une peinture un peu moins animée, mais non moins attrayantes, des sites de la Fionie, des mœurs danoises. Ces deux romans représentent très-bien le contraste des deux natures du Midi et du Nord. Le premier a toutes les teintes chaudes d’un paysage napolitain ; le second a plus de repos et des nuances plus tendres. Il ressemble à une de ces plaines du Danemark qu’on voit en automne éclairées par un beau soleil et ombragées ça et là par quelques rameaux d’arbres qui commencent à jaunir. Le style d’Andersen a de la souplesse et de l’abandon, mais il pourrait être plus ferme et plus concis.
Comme poëte, Andersen appartient à cette école mélancolique et rêveuse qui préfère aux grands poëmes les vers plaintifs sortis du cœur comme un soupir et les élégies d’amour composées dans une heure d’isolement. Il a essayé d’écrire quelques pièces humoristiques ; mais il nous semble que sa muse ne sait pas rire et qu’elle s’accommode mal de ce masque d’emprunt qu’il a voulu lui donner. Sa vraie nature est de s’associer aux scènes champêtres qu’il observe. Il est poëte quand il chante les forêts éclairées par un dernier rayon du crépuscule, les oiseaux endormis sous la feuillée et la douce et vague tristesse qui nous vient à l’esprit dans les ombres du soir. Il est poëte quand il représente la vie comme une terre étrangère, où l’homme se sent mal à l’aise et aspire à retourner dans sa lointaine patrie. Il est poëte, surtout, quand il chante, comme les lakistes, la grâce, l’amour et le bonheur des enfants ; car sa poésie est élégiaque, tendre, religieuse, mais parfois un peu trop molle, trop négligée et trop enfantine.
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Xavier Marmier
Contes d’Andersen
Traduction par David Soldi.
Librairie Hachette et Cie
1876 pp. 1-12