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LE VOILE DU BONHEUR (G. Clemenceau)

GEORGES CLEMENCEAU
LE VOILE DU BONHEUR
1901
Théâtre de la Renaissance

 Le Voile du Bonheur Clémenceau Artgitato-Wanluan_Thatched_Hall_by_Dong_Qichang
 C’EST LE NOIR
QUI ILLUMINE !
« LES CINQ COULEURS FONT QUE LES HOMMES ONT DES YEUX ET NE VOIENT PAS » Lao Tseu

La pièce s’ouvre sur le personnage de Tchang-I, mandarin aveugle. Il n’a jamais été aussi heureux. Il rayonne. Il redécouvre enfin le monde et les sensations fortes. Le monde n’est plus visible, mais son cerveau le conceptualise : « Ah ! Le monde est bien changé depuis que je ne puis plus le voir qu’en idée. Comme il est beau ! Et quelle joie de vivre ! Je suis comme enivré d’un merveilleux parfum de paix heureuse » (scène 1)

 Il est heureux avec tous. Il vénère sa femme, Si-Tchun : « vous êtes, chère Si-Tchun, la joie du ciel et l’orgueil de la terre. Toute la chine admire vos vertus » (scène 2). Il noie son ami Li-Kiang de compliments : « vous êtes les yeux du pauvre aveugle, vous êtes la parole qui le guide, la main qui le soutient » (scène 1). Il est en admiration devant le talent et la réussite de son fils, Wen-Siéou : « un jour je vous verrai la ceinture de jade. Quand vous descendrez du palais de la lune, avec la palme académique du docteur, vous porterez le bonnet à fleurs d’or dont la houppe brillera sur votre front martial comme un jet de flamme » (scène 6). Il héberge le condamné qui a faim : « une cuillérée de riz, lorsqu’on a faim vaut mieux qu’un boisseau de riz, lorsqu’on est rassasié » (scène 7).

Il est la bonté personnifiée, la compréhension bonne du monde. Dans cette nuit physique, Tchang-I « excelle à deviner les parfums », à l’écoute de tout et de tous :« rien ne m’est inconnu du détail charmant ».

  • « LA VIE N’EST QU’UN MENSONGE PLUS GRAND QUE LES AUTRES »

Puis la vue, par le miracle d’une potion, revient. En recouvrant la vue, il croit retrouver la beauté des choses (« Je vais voir mon bonheur …Le ciel ! Le soleil ! Quel éblouissement. Je vais voir ma vie maintenant. Je vais voir mon bonheur » (scène 12)). Il découvre en fait la noirceur du monde. Son meilleur ami couche avec sa bien-aimée (« alors ce n’était pas vrai, ces paroles d’amour, ces caresses douces comme une pluie de fleurs…La vie n’est qu’un mensonge plus grand que les autres » (scène 14) et se fait connaître comme le co-auteur de ses poèmes, son fils s’avère être un rejeton ignoble, et le condamné, délivré par ses soins, vient le voler à son domicile (« le misérable pingre ! Quel besoin de son argent puisqu’il n’y voit pas » (scène 13)).

  • « LA NUIT LUMINEUSE EST REVENUE »

Tchang-I ne fait pas le choix de la vengeance. Il nie l’évidence de ce réel qui n’est qu’un affreux cauchemar : « Assez, assez de souffrance, je ne veux pas voir plus longtemps ce qui n’est pas, ce qui ne peut pas être. L’aveuglement, l’aveuglement, je veux l’aveuglement qui réalise la seule vérité heureuse » (scène 14)

La vie reprendra comme avant. Si-Tchun sera à nouveau magnifique et redeviendra sa muse :  « Venez, Si-Tchun, au visage de jade, je souffre loin de vous »…  « perle d’aurore qui me rend mon sommeil » (scène 15)

Le monde redevient beau : « je veux le chanter encore. Le ciel est bon. La terre est douce »

Et les couleurs enfin reviennent dans cette nuit légère, « le printemps vient, paré de verdure et couronné de fleurs, pour le grand rite de l’amour » (scène 15)

« Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre » (Pierre Soulages)

 

Jacky Lavauzelle