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MAURICE ROSTAND LA MORT DE MOLIERE – LE FEU DE LA TERRE

MAURICE ROSTAND
26 mai 1891- 21 février 1968

 

 

 La Mort de Molière

Théâtre Sarah-Bernhardt
Ecrit à l’occasion du tricentenaire de Molière
Poème Dramatique
En un acte




Molière d'après Nicolas_Mignard (1658) artgitato La Mort de Molière Maurice RostandLE FEU DE LA TERRE
de Maurice Rostand




Nous sommes avec Molière dans son théâtre, au Palais Royal, « vide après le spectacle. On a enlevé le décor. Le moucheur de chandelles éteint les bougies qui demeurent allumées. Molière, entouré d’Armande et de Baron, est assis dans un grand fauteuil. Les toiles un peu partout, les ouvriers qui circulent autour elle-même, tout est gris ! »

Mitterrand ne disait-il pas que la couleur qui correspondait le mieux à la France était le gris, comme Molière est de ces auteurs qui représente le plus la France. Mais qui toujours la dépasse pour plonger dans les racines et les frondaisons de notre humanité.



Molière est là, après le spectacle, le rideau tiré ; Molière est là, affaibli, « se serrant dans son grand manteau » et pourtant colossal. Il nous donne encore les dernières minutes de sa vie sur cette scène qui représente tout et tant pour lui et beaucoup plus que ça ; ce pour quoi il a tout donné et plus encore.

La mort, qui arrive  à travers ce sang qui sort de sa bouche, enlèvera un corps malade. Mais aussi puissante qu’elle est, elle ne prendra que le corps de souffrance et laissera tout le reste. Ces vers, ces âmes. Ce reste qui grandira. Ce reste qui continuera de grandir pour devenir immortel, comme les dieux de jadis, mieux que les dieux. « Il va mourir. Il meurt » clame le chœur des ouvriers. Et La Douleur de répondre simplement : « il ne mourra jamais ! »



Il ne mourra jamais, et plus encore, il vivra pour toujours. L’ombre de Jacques Richepin a laissé place à La Douleur avec Maurice Rostand. Comme une dernière compagne, une intime. Si proche, au-dedans du corps malade, comme au dehors de cette troupe qui souffre de savoir que Le Maître bientôt s’éteindra. Car, comme le disait Pierre-Auguste Renoir, « la douleur passe, la beauté reste ». Et qu’une telle création ne pouvait s’imaginer sans une douleur quotidienne, « la douleur est l’auxiliaire de la création » (Léon Bloy), la douleur celle de l’écriture, celle des fins de mois difficiles, celle de l’urgence, celle des cachets misérables et des tours de France incessants, celles des maladies et des morts.
Et cette douleur sera jouée au Théâtre Sarah-Bernhardt par Sarah Bernhardt elle-même, un an avant sa mort, à soixante-dix-sept ans. Elle donnera la réplique à Jacques Grétillat dans le rôle de Molière.

Un autre parallèle avec la pièce de Richepin mis en relief par Gaston Sorbets, dans la Petite Illustration du 11 février 1922 ; Maurice Rostand nous montre aussi « en Molière un esprit généreux, un cœur douloureux. Chacun de ces trois écrivains (avec Emmanuel Denarié) a mis à son insu beaucoup, sinon le meilleur de soi, dans cette pieuse évocation. Et c’est ainsi que M. Maurice Rostand a dégagé surtout de Molière à l’agonie, en même temps que le poète et le noble esprit, l’être charitable, pitoyable aux petits, le sociologue qu’il fut, non pas sans le savoir, mais alors que le mot n’était pas employé. »



La douleur en effet est sans cesse accompagnée par ce rire qui la rend plus supportable. « Oui…j’ai craché du sang, peut-être, mais j’ai ri…Oui, j’ai craché du sang…Mais j’ai su rire jusqu’à la fin. Quelle trouvaille !…Quel martyre ! On disait, chez les Grecs, que le rire était Dieu. » Et le rire se gagne au quotidien, à chaque représentation, à chaque réplique et à chaque mot. Et de ce rire dépend la recette du jour, « mes cinquante ouvriers, qu’auraient-ils fait sans moi ? …J’ai gagné leur journée. », de ce rire dépend la satisfaction et la récompense de tout le travail accompli de création et par la troupe toute entière. Qu’est-ce que la mort par rapport à tout ça ? Qu’est-ce que ce léger dérèglement des sens dans cette féérie de musique et de joie. A Broadway on dit  : « the show must go on ! », Molière, lui, dit : « c’était beau d’être encor nécessaire au moment du tombeau. Ma dernière imprudence est pour eux, je l’espère. Les ouvriers c’était mon public ordinaire ! »



Un public peut-être ordinaire, mais comme le disait Pierre Pérès, le directeur du théâtre des Funambules, dans les Enfants du Paradis : « Oui, mais quel public ! »

Jacky Lavauzelle

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La Mort de Molière de Maurice Rostand

JEAN-MARIE (André THEURIET) : LE NAUFRAGE DES ÂMES SOLITAIRES

André THEURIET
8 octobre 1833 – 23 avril 1907




 

JEAN-MARIE

Drame en un acte

LE NAUFRAGE
DES ÂMES SOLITAIRES

André Theuriet - Jean-Marie - Théâtre ArtgitatoLa pièce Jean-Marie représentée en 1872 au théâtre de l’Odéon fait partie des premières œuvres d’André Theuriet. Les années 70 ont été riches en évènements militaires, surtout 1870, « l’Année terrible » pour Hugo entre la guerre civile et la guerre avec la Prusse, et intimes, avec son mariage avec Hélène Narat. Nous ressentons, bien entendu, dans ce drame, le poète des premières œuvres publiées avant que celui-ci ne se lance dans son importante production romanesque jusqu’à sa mort en 1907.  Nous sentons aussi l’importance de Victor Hugo, que Theuriet appréciait, notamment les Travailleurs de la mer, le roman qui est sorti en 1866, six ans avant la sortie de Jean-Marie.



LA NUIT NOIRE DES GRANDES CATASTROPHES
L’enfant de Ker-laz n’est plus. Le Roi-Gralon l’a emporté. En partance vers les mers du Japon, le matelot et le navire ont sombré. Jean-Marie est l’absent. La plainte des mouettes qui embarque Thérèse dans son monologue n’est autre que la sienne. Longue et nocturne, à mi-voix. Comme pour ne pas déranger les vagues et les flots. La chanson qu’elle chante, dans sa ferme bretonne du Pays Glazik, située sur la côte du Finistère, parle d’un brick ayant sombré « avec ses grands mâts et ses voiles ». Nous sommes dans cette fin de terre où l’homme s’éventre sur des rochers dans la nuit noire des grandes catastrophes. Dans cette roche que la mer vient lécher comme appâtée, gourmande et affamée de chair jeune et tendre des marins.

AGIR EN HOMME BRAVE
La présente, Thérèse, est absente, aussi. Et elle chante, bien entendu, une chanson de marin. Une chanson qui raconte le malheur de sa vie. La perte de son bonheur a pour nom Jean-Marie. Résignée, elle s’est mariée à Joël, un brave homme du pays. Joël se considère lui-même ainsi, « comme le mois dernier, tu m’avais reproché de m’attarder avec les buveurs du marché, sitôt mes blés vendus j’ai rempli ma sacoche ; en dépit des écus qui tintaient dans ma poche, j’ai scellé la jument et j’ai tourné le dos à l’auberge où le cidre écumait à pleins pots… Voilà ce qui s’appelle agir en homme brave ! » A l’écoute des souhaits de sa belle. Il la couvre de cadeaux et d’attentions. Il ne trouve que le vide dans son regard, « toujours distraite et toujours l’œil perdu dans un rêve ou dans un nuage !…A quoi  peux-tu penser ? »




LA MER NE REND PLUS LES MARINS QU’ELLE A PRIS
Ce seront les uniques personnages de la pièce. Jean-Marie n’est plus, « car la mer ne rend plus les marins qu’elle a pris. » Il faut en faire son parti, il en est ainsi des femmes de marins. L’attente et parfois le drame qui délie les couples et qui lient ceux qui sur terre restent. Le Joël qui est là, n’existe pas. Il n’est qu’un paravent. Une ombre. Un ersatz de son marin tant aimé. Elle ne parle que lorsqu’il évoque, au détour d’une phrase,  l’image de « pauvre matelots maigres et demi-nus ! » Elle revit, enfin, « des matelots !… Ceux-là du moins, sont revenus ! » Joël recherche un peu d’attention qu’il n’aura jamais ; cette attention qu’auront toujours les infinis hurlants et démontés.

PLUS JE ME SENS COUPABLE, PLUS VOUS ME COMBLEZ
Thérèse sait qu’elle ne le mérite pas. Que, malgré tout ce qu’il réalise, ce qu’il offre, il n’aura jamais rien en retour, ni reconnaissance, ni amour, « c’est trop beau ! …Vous êtes bon, Joël, trop bon pour moi !Par tous vos bienfaits mes remords sont doublés ! Plus je me sens coupable et plus vous me comblez… » Elle est ce vide que rien ne pourra remplir. Le temps ne fait rien à l’affaire, « je me disais : le temps les séchera…Chimère ! Le deuil des autres cède au temps, mais ton chagrin pousse en dépit de tout, pareil au mauvais grain ! »

LE CIEL EST RESTE SOURD
Le silence n’est plus de mise. Elle doit parler, tout dire, quitte à écraser un peu plus Joël, à l’accabler, quitte à le terrasser, « j’ai sur le cœur un secret qui me pèse, et bien souvent déjà je me suis reproché, comme un péché mortel, de vous l’avoir caché… » Sans penser que de le dire serait peut-être un aveu mortel. Mais en voulant tout dire, elle ment. Les mots qui s’offrent à sa bouche ne sont pas ceux du cœur. « Tout est fini ! » lance-t-elle. Mais rien n’est fini. Puisque le souvenir est plus fort qu’au premier jour. « J’ai tout entrepris pour connaitre son sort…J’ai prié, j’ai fait faire enquête sur enquête ; le ciel est resté sourd et la terre muette…Jusqu’au bord du cercueil je l’aurais attendu, si je n’avais compris qu’il était bien perdu…Pour toujours ! » Mais même dans la tombe, elle espérerait encore. Et le définitif qu’elle crie si fort c’est pour s’en convaincre et pour conjurer le sort. Le vent de la mer semble porter la voix de Jean-Marie. La discussion avec Joël est terminée, « elle s’arrête…puis elle reprend comme si elle se parlait à elle-même» ; elle reprend le monologue du début, sans même s’apercevoir que Joël s’effondre en voyant à quel point cet amour est sacré et  vivace.



LA SEVE ET LE SOLEIL QU’ON LAISSE EN ARRIERE
Joël ne lui en veut pas, « je ne puis lutter avec ton souvenir ». Il pense qu’il n’est pas arrivé au bon moment et que son âge ne lui permettra plus de la conquérir, « Ah ! maudits cheveux blancs ! Si j’avais la jeunesse seulement ; si la sève et le soleil qu’on laisse en arrière, on pouvait les retrouver un jour ! J’essaierais de chasser ce fantôme d’amour et de prendre en ton cœur sa place encore tiède…Mais à l’âge que j’ai, le mal est sans remède ; je suis laid, je suis triste et vieux ! O mes vingt ans ! »

UNE EPOUSE BONNE ET FIDELE
Thérèse enfin ayant repris ses esprits, s’aperçoit du mal qu’elle a commis sur un homme aussi brave et généreux. Elle s’engage à ne plus le faire souffrir et veut lui apporter plus que de la loyauté : « Je vous ai fait longtemps souffrir de ma douleur offensante et cruelle, désormais je veux être une épouse fidèle et bonne… » Et même souhaite s’expatrier pour ne plus voir les lieux qui lui rappellent autant de souvenirs et de désirs refoulés.

J’ESSAIERAI DE SOURIRE ET DE CHANTER
Sort Joël. Et Thérèse continue à se rassurer, « je serai meilleure…Je veux chasser ce chagrin…je veux t’oublier…Joël est si bon…Ce serait pécher contre le ciel que lui donner ma main et lui fermer mon âme. Je veux être à l’avenir être vraiment sa femme…J’entourerai d’amis sa vieillesse sereine…J’essaierai de sourire et de chanter… » Un véritable programme politique qui n’est fondé que sur des promesses et des vœux pieux.

JE NE SAIS QUE DES AIRS TRISTES
La chanson du début, sa saudade, sa nostalgie, s’ouvrait sur des pensées tristes liées à la disparition. Elle-même le dit, « je ne sais que des airs tristes comme des glas… », et, effectivement, encore, sa chanson noire évoque une tragédie maritime, «  la sainte pris dans l’algue verte le capitaine à demi-mort et sur son aile large ouverte le conduisit droit jusqu’au port… » Mais ce n’est plus un mort qui se présente mais une ombre qui se parfait en homme de chair et d’os. Ce n’est plus la mer qui porte la voix, mais la voix qui se porte à ses oreilles est si connue qu’elle vacille comme chavirée par les embruns de sa présence.

LE MALHEUR EST TOMBE SUR NOUS
Bien entendu, Jean-Marie pense que Thérèse s’est tournée vers Joël par inconstance et frivolité, lasse de l’attendre « je ne me dirais pas que pour une parure ma Thérèse a vendu son âme avec son corps. » C’en est trop pour elle qui va tout raconter. Il ne partira pas ainsi, « Ah ! non pas sans m’entendre. Reste !…Si du passé la voix lointaine et tendre ne sois point sans pitié ! Tu ne sais pas combien avant d’en venir là, j’ai subi de tortures, ni comment j’ai souffert, ni de quelles blessures !…Le malheur est tombé sur nous… » Thérèse énumère tous les coups du sort qui l’ont conduite à accepter Joël comme époux. Ce Joël qui n’espère bien entendu pas l’amour de cette belle jeune fille éplorée : « donne-moi ton cœur pour l’amour d’elle (sa mère) »

TU NE ME VERRAIS PAS !
Thérèse se force à mentir. Jean-Marie est prêt à tout pour rester et vivre, sinon près d’elle, du moins dans les parages de sa cabane, « je vivrais dans un coin, à l’écart…Ignoré…Ma tendresse discrète se cacherait au fond de quelque maisonnette…Tu ne me verrais pas ! » Mais Joël reste fidèle…à son engagement, « je n’ai plus qu’un seul maître, et c’est Joël… » Jean-Marie insiste. Il pressent que c’est ici et maintenant ou jamais, « le temps presse et le jour fuit…Que sert d’attendre ? …Hâtons-nous… ».

LE SUPRÊME BAISER
Le remords la tuerait, ainsi que la honte. Elle préfère vivre sans amour et le cœur brisé. Le « trois-mâts hollandais part demain ? » La relation est terminée, sans un dernier baiser, « un suprême baiser » qui pourrait, comme le Ker-laz, la faire chavirer.

IL NE REVIENDRA PLUS
Le retour de Joël fait tressaillir Thérèse. Jean-Marie est parti. A jamais. Joël a peut-être tout entendu. Nous n’en saurons rien. Il est arrivé à point nommé, malgré son « geste de surprise ». Il insiste un peu, « ce qu’il te contait paraissait t’émouvoir. Car vous parliez très haut… » Un marin de passage, celui du Roi-Gralon, qui ne connaissait pas Jean-Marie. Un dernier mensonge et une vérité douloureuse, « il ne reviendra plus. »

Jacky Lavauzelle

 

 

PUBLILIUS SYRUS : IN LUXURIAM – CONTRE LE LUXE

Publilius Syrus

IN LUXURIAM
Contre le luxe

Publilius Syrus Contre la luxure In Luxuriam Argitato

Traduction Jacky Lavauzelle – artgitato.com

Luxurie victa Martis marcent moenia.

Rome est affaiblie par le luxe.

Tuo palato clausus pavo pascitur,

Pour ton palais, le paon est mis en cage,

Plumato amictus aureo, Babylonico ;

Cet oiseau aux plumes dorées, de Babylone ;

Gallina tibi Numidica, tibi gallus spado ;

Pour vous la pintade de Numidie, pour vous le chapon ;

Ciconia etiam grata, peregrina hospita,

La cigogne est la bienvenue aussi, cet étranger dans ta maison,

Pietaticultrix, gracilipes, crotalistria,

Qui a de la piété filiale, grêle, joueuse de castagnettes,

Avis exsul hiemis, titulus tepidi temporis,

Cette exilée de l’hiver, qui annonce la saison chaude,

Nequitiae nidum in cacabo fecit meo.

La  dépravation le niche maintenant dans ton chaudron.

Quo margarita cara, tribacca, et Indica ?

Pourquoi  vendre si chères les perles, les pendants d’oreilles ?

Au ut matrona ornata phaleris pelagiis

La matrone ornée de coquillages s’encanaille

Tollat pedes indomita in strato extraneo ?

Prenant son pied avec un étranger dans son lit ?

Smaragdum ad quam rem viridem, pretiosum vitrum ?

La verte émeraude, ce verre précieux, la posséder, mais dans quel but ?

Quo Carchedonios optas ignes lapideos,

Nous voulons des agates, ces pierres au feu ressemblantes,

Nisi ut scintillent ? Probitas est carbunculus.

N’est-ce pas pour qu’elles nous fassent scintiller? L’honnêteté est la plus belle des pierres.

Aequum est induere nuptam ventum textilem ?

Est-il juste que la tenue de la mariée  laisse ainsi passer le vent ?

Palam prostare nudam in nebula linea ?

Et elle, manifestement exposée nue dans un nuage de lin ?

 

Affiche à partir du tableau de Thomas Couture, Les Romains de la décadence, Musée Orsay 1847

FAUST (GOETHE) : Der Tragödie erster Teil – La Tragédie Première Partie

Johann Wofgang von Goethe

FAUST

 Faust Goethe Eine Tragödie Argitato Théâtre la Nuit La Tragédie Der Tragödie

Der Tragödie erster Teil
La tragédie Première partie

(jusqu’à « Die ird’sche Brust im Morgenrot ! » )

Traduction Jacky Lavauzelle – artgitato.com

 

Nacht – La nuit

 

  In einem hochgewölbten, engen gotischen Zimmer Faust, unruhig auf seinem Sessel am Pulte.
Dans une étroite chambre gothique où apparaît une voûte élevée, Faust, inquiet, est assis devant son pupitre.

FAUST
seul.

Habe nun, ach! Philosophie,

Qu’ai-je maintenant ?  hélas! La philosophie,

Juristerei und Medizin,

Le droit et la médecine,

Und leider auch Theologie

Et malheureusement aussi la théologie

Durchaus studiert, mit heißem Bemühn.

Certes, j’ai étudié avec une ardeur torride.

Da steh ich nun, ich armer Tor!

Me voici maintenant, moi, pauvre fou!

Und bin so klug als wie zuvor ;

Et je ne suis pas plus sage que naguère ;

Heiße Magister, heiße Doktor gar,

On m’appelle Maître, on me nomme même Docteur volontiers,

Und ziehe schon an die zehen Jahr

 Et, je mène, depuis dix ans déjà

Herauf, herab und quer und krumm

A droite, à gauche, à tort et à travers

Meine Schüler an der Nase herum-

Mes étudiants par le bout du nez –

Und sehe, daß wir nichts wissen können!

Et je vois que nous ne pouvons rien connaître !

Das will mir schier das Herz verbrennen.

Ceci me dévaste le cœur.

Zwar bin ich gescheiter als all die Laffen,

Oui,  je suis bien plus intelligent que tous ces escrocs,

Doktoren, Magister, Schreiber und Pfaffen ;

Les médecins, enseignants, scribes et prêtres ;

Mich plagen keine Skrupel noch Zweifel,

Je ne m’encombre ni de scrupules ni de doutes,

Fürchte mich weder vor Hölle noch Teufel-

Je ne crains ni l’Enfer ni le Diable –

Dafür ist mir auch alle Freud entrissen,

Pour moi, toute joie m’a abandonné,

Bilde mir nicht ein, was Rechts zu wissen,

Je ne vois rien de bien à connaître,

Bilde mir nicht ein, ich könnte was lehren,

Je ne vois rien que je puisse enseigner

Die Menschen zu bessern und zu bekehren.

Pour améliorer les hommes et les convertir.

Auch hab ich weder Gut noch Geld,

Aussi n’ai-je ni argent ni trésors,

Noch Ehr und Herrlichkeit der Welt ;

Ni honneur et ni la gloire du monde ;

Es möchte kein Hund so länger leben!

Aucun chien ne vivrait vivre ainsi aussi longtemps !

Drum hab’ ich mich der Magie ergeben,

Voilà pourquoi  je me suis initiée à la magie,

Ob mir durch Geistes Kraft und Mund

Voir si à travers la puissance et la voix de l’Esprit

Nicht manch Geheimnis würde kund ;

Des secrets pourraient être dévoilés ;

Daß ich nicht mehr mit saurem Schweiß

Afin de ne plus avoir à porter cette sueur aigre

Zu sagen brauche, was ich nicht weiß;

Pour dire que je ne sais rien ;

Daß ich erkenne, was die Welt

Afin que je sache ce qu’est le monde,

Im Innersten zusammenhält,

Dans le plus profond de sa composition,

Schau alle Wirkenskraft und Samen,

Tout en contemplant les forces en action et les créations,

Und tu’ nicht mehr in Worten kramen.

Et ne plus avoir à creuser avec des mots vains.

 

O sähst du, voller Mondenschein,

Oh ! Si tu te fixais, toi la pleine lune,

Zum letztenmal auf meine Pein,

Une dernière fois encore sur ma peine,

Den ich so manche Mitternacht

Toi que, tant de fois à minuit,

An diesem Pult herangewacht :

Sur ce chapitre, j’ai espéré,

Dann über Büchern und Papier,

Entouré de livres et de papiers,

Trübsel’ger Freund, erschienst du mir!

Triste amie, que tu m’apparaisses!

Ach! könnt ich doch auf Bergeshöhn

Ah ! Si je pouvais sur le sommet des montagnes

In deinem lieben Lichte gehn,

Dans ton aimable lumière de votre amour déambuler,

Um Bergeshöhle mit Geistern schweben,

Planer avec les Esprits autour des grottes des montagnes,

Auf Wiesen in deinem Dämmer weben,

Tisser au-dessus des prairies  dans ton crépuscule,

Von allem Wissensqualm entladen,

Libéré de toute connaissance fumeuse,

In deinem Tau gesund mich baden!

Dans ta rosée, me baigner sainement!

 

Weh ! steck ich in dem Kerker noch?

Malheur ! Encore végéter dans cette geôle ?

Verfluchtes dumpfes Mauerloch,

Trou infâme au mur terne,

Wo selbst das liebe Himmelslicht

Où même la douce lumière du ciel

Trüb durch gemalte Scheiben bricht!

Se trouble à travers les vitraux !

Beschränkt mit diesem Bücherhauf,

Gardé par cette montagne de livres,

Den Würme nagen, Staub bedeckt,

Que les vers grignotent, que la poussière recouvre,

Den bis ans hohe Gewölb hinauf

Le chemin jusqu’à la haute voûte

Ein angeraucht Papier umsteckt;

Est entouré de papiers enfumés ;

Mit Gläsern, Büchsen rings umstellt,

Par des lunettes, des boîtes, entourés,

Mit Instrumenten vollgepfropft,

Au milieu d’instruments entassés,

Urväter Hausrat drein gestopft-

Un capharnaüm ancestral –

Das ist deine Welt! das heißt eine Welt!

C’est là ton monde! Ça s’appelle un monde!

 

Und fragst du noch, warum dein Herz

Et tu demandes encore pourquoi ton cœur

Sich bang in deinem Busen klemmt?

Est oppressé dans ta poitrine ?

Warum ein unerklärter Schmerz

Pourquoi une douleur inexpliquée

Dir alle Lebensregung hemmt ?

Inhibe en toi toute volonté de vie ?

Statt der lebendigen Natur,

Plutôt que la nature pleine de vie,

Da Gott die Menschen schuf hinein,

Là où Dieu mit sa créature humaine,

Umgibt in Rauch und Moder nur

Entourée seulement de fumée et moisissure

Dich Tiergeripp und Totenbein.

De squelettes bestiaux et d’ossements.

 

Flieh ! auf ! hinaus ins weite Land!

Fuyez ! Debout ! Vers le grand large !

Und dies geheimnisvolle Buch,

Et ce livre mystérieux,

Von Nostradamus’ eigner Hand,

De la main de Nostradamus,

Ist dir es nicht Geleit genug?

N’est-il pas pour toi une agréable compagne ?

Erkennest dann der Sterne Lauf,

Tu connaîtras l’intimité des étoiles,

Und wenn Natur dich Unterweist,

Et si la nature t’instruit,

Dann geht die Seelenkraft dir auf,

Alors la force de l’âme se révèlera,

Wie spricht ein Geist zum andren Geist.

Comme parle un esprit à un autre esprit.

Umsonst, daß trocknes Sinnen hier

Il est vain que nos sens ici asséchés  

Die heil’gen Zeichen dir erklärt :

Interprètent les caractères sacrés :

Ihr schwebt, ihr Geister, neben mir ;

Vous planez, Vous, Esprits, à côté de moi ;

Antwortet mir, wenn ihr mich hört !

Répondez-moi, si vous m’entendez !

 

(Er schlägt das Buch auf und erblickt das Zeichen des Makrokosmus.)
(Il ouvre le livre et voit le signe du Macrocosme)

Ha! welche Wonne fließt in diesem Blick

Ha! Quel bonheur coule dans cette vue

Auf einmal mir durch alle meine Sinnen!

Soudain à travers tous mes sens!

Ich fühle junges, heil’ges Lebensglück

Je me sens jeune, avec une joie de vivre

Neuglühend mir durch Nerv’ und Adern rinnen.

Qui ruisselle en à travers mes nerfs et mes veines.

War es ein Gott, der diese Zeichen schrieb,

Serait-ce Dieu qui a écrit ces caractères,

Die mir das innre Toben stillen,

Qui calme en moi cette rage silencieuse,

Das arme Herz mit Freude füllen,

Qui remplit ce pauvre cœur de joie,

Und mit geheimnisvollem Trieb

Et avec un instinct mystérieux

Die Kräfte der Natur rings um mich her enthüllen?

Les forces de la nature se révèlent en moi?

Bin ich ein Gott? Mir wird so licht !

Suis-je un Dieu?  En moi tout devient si clair !

Ich schau in diesen reinen Zügen

Je regarde dans ces purs traits

Die wirkende Natur vor meiner Seele liegen.

La nature créatrice devant mon âme.

Jetzt erst erkenn ich, was der Weise spricht :

Seulement maintenant, je comprends ce que le Sage dit:

« Die Geisterwelt ist nicht verschlossen ;

« Le monde de l’esprit n’est pas fermé ;

Dein Sinn ist zu, dein Herz ist tot!

Ta compréhension lui l’est,  ton cœur enfin est mort!

Auf, bade, Schüler, unverdrossen     

Lève-toi !, Va te baigner, disciple infatigable !

Die ird’sche Brust im Morgenrot ! »

La poitrine terrestre face à l’aurore ! « 

(er beschaut das Zeichen.)
(Il contemple les caractères)

EDMOND & JULES DE GONCOURT : MONSTRES JAPONAIS

Edmond et Jules de Goncourt

MONSTRES
JAPONAIS

 

Monstres Japonais Artgitato Demond et Jules de Goncourt 2

 

L’imagination du monstre, de l’animation chimérique, l’art de peindre les peurs qui s’approchent de l’homme, le jour avec le féroce et le reptile, la nuit avec les apparitions troubles ; la faculté de figurer et d’incarner ces paniques de la vision et de l’illusion, dans des formes et des constructions d’êtres membrés, articulés, presque viables, c’est le génie du Japon.

Monstres Japonais Artgitato Demond et Jules de Goncourt 3

Le Japon a créé et vivifié le Bestiaire de l’hallucination. On croirait voir jaillir et s’élancer du cerveau de son art, comme de la caverne du cauchemar, un monde de démons animaux, une création taillée dans la turgescence de la difformité, des bêtes ayant la torsion et la convulsion de racines de mandragores, l’excroissance des bois noués où le cinips [Cynips : insectes – Sa piqûre provoque de la galle sur les végétaux] a arrêté la sève, des bêtes de confusion et de bâtardise,…

Monstres Japonais Artgitato Demond et Jules de Goncourt

… mélangées de saurien et de mammifère, greffant le crapaud au lion, bouturant le sphinx au cerbère, des bêtes fourmillantes et larveuses, liquides et fluentes, vrillant leur chemin comme le ver de terre, des bêtes crêtées à la crinière en broussaille, mâchant une boule avec des yeux ronds au bout d’une tige, des bêtes d’épouvante, hérissées et menaçantes, flamboyantes dans l’horreur, dragons et chimères des Apocalypses de là-bas.

Monstres Japonais Artgitato Edmond et Jules de Goncourt 1

Nous, Européens et Français, nous ne sommes pas riches d’invention, notre art n’a qu’un monstre, et c’est toujours ce monstre du récit de Théramène, qui, dans les tableaux de M. Ingres, menace Angélique de sa langue en drap rouge.

Monstres Japonais Artgitato Edmond et Jules de Goncourt 2

 

Au Japon, le monstre est partout. C’est le décor et presque le mobilier de la maison. Il est la jardinière et le brûle-parfums. Le potier, le bronzier, le dessinateur, le brodeur, le sème autour de la vie de chacun. Il grimace, les ongles en colère, sur la robe de chaque saison. Pour ce monde de femmes pâles aux paupières fardées, le monstre est l’image habituelle, familière, aimée, presque caressante, comme est pour nous la statuette d’art sur notre cheminée : et qui sait, si ce peuple artiste n’a pas là son idéal ?

Monstres Japonais Artgitato Edmond et Jules de Goncourt 3

 

Photos Japon Jacky Lavauzelle – Kyōto 京都市 & Nara  奈良市
artgitato.com

 

 

JOURNAL D’UN VOLEUR (E. BRIEUX) : LE PORTEFEUILLE MAUDIT

Eugène BRIEUX
JOURNAL D’UN VOLEUR
LE PORTEFEUILLE
MAUDIT

 Eugène Brieux - Journal d'un voleur - L'Assiette_au_Beurre-1903 Dessin de Léon Fourment no 112 du 23 mai 1903

Pour Goethe, « la plus insupportable engeance de voleurs, ce sont les sots ; ils nous volent à la fois notre temps et notre bonne humeur. » Nous n’avons pas affaire ici à des sots,  mais à des hommes que le malheur frappe en ravissant une partie de leur jeunesse.

UN HABITUE DE LA MISERE
Accompagnons la lecture du Journal d’un voleur des sentences de Publilius Syrus. Et d’une pincée de Crime et Châtiment de Dostoïevski. Même si le vol de ce dernier reste plus tragique encore que celui de Brieux. Les deux sont pauvres, vivant dans une gargote ou dans une mansarde, broyés par la grande pauvreté. Notre homme du Journal est au chômage depuis deux ans déjà, vivant d’expédients. Raskolnikov aussi est un homme cultivé, un étudiant, seul « la pauvreté l’écrasait, mais depuis quelque temps l’angoisse de sa situation avait cessé de l’opprimer. Il avait renoncé à s’occuper des détails de la vie pratique et ne voulait même pas y penserIl était si mal habillé que même un habitué de la misère aurait eu honte de se promener avec de tels haillons sur le dos. »

Le vol sera la solution pour s’extraire de la misère qui leur colle à la peau. Simple chez Brieux. Tragique pour Raskolnikov. La question du bien et du mal parcourt ces romans. Les auteurs creusent dans l’âme, même si personne n’a pu aller aussi loin dans ses profondeurs et dans ses recoins que Dostoïevski. Avec Brieux, nous sommes plus dans le conte moral que dans la fresque existentielle. Même si notre héros vit dans une réelle souffrance.

VOUS ÊTES BON !
L’autre question qui accompagne la question morale est celle de la liberté. Les deux personnages sont prisonniers et le résultat de leurs actes, loin de les libérer, les enferme dans le sordide et  la prison ou le suicide. Un combat  extérieur dans Brieux. Une lutte intérieure pour Dostoïevski.

Le mal ne va jamais sans le bien. Notre héros brieusien entrevoit dans le restaurant d’aider son prochain plus malheureux que lui. « A la fin du repas, je me sentais rempli d’une grande bonté. J’aurais voulu trouver des misères à soulager ; j’aurais voulu inviter tous ces braves à prendre quelque chose et je regrettai sincèrement de ne pouvoir le faire. »  Raskolnikov, lui, aide Catherine Ivanovna et toute sa famille ; quand il apporte le corps du mari blessé avec sa poitrine enfoncée, « j’ai envoyé chercher un docteur, répétait-il à Catherine Ivanovna, ne vous inquiétez pas, je paierai. » Et devant Nicodème Fomitch : « Essayez de la réconforter un peu, si possible…Vous êtes bon, je le sais, ajouta-t-il avec un sourire, en le regardant droit dans les yeux… »

ENFIN ! J’AI VOLE !
Publilius Syrus soulignait que « Ce qui est réellement beau, ne peut se réaliser rapidement », « quicquid futurum egregium est, sero absolvitur. » Syrus disait aussi dans une de ses sentences : « Quid tibi pecunia opus est, si ea uti non potes ? », «  à quoi bon avoir de l’argent, si vous ne pouvez pas l’utiliser ? » C’est tout le sens du Journal d’un voleur d’Eugène Brieux. Un dicton populaire transforme la sentence en : « bien mal acquis ne profite jamais. »

« Enfin ! J’ai volé ! » sonne comme une délivrance. Voilà notre homme qui copie des pièces de théâtre, « à trois francs l’acte »,  riche d’un portefeuille bien garni, d’une richesse qu’il n’avait jamais espéré. Mais le voici inquiet, « pétrifié ».  Notre homme se retrouve seul et habillé pauvrement dans sa gargote avec cette immense fortune qui finira par avoir sa peau, finalement. L’argent ne fait pas le bonheur. Ou plutôt l’argent mal acquis. Un bonheur qui commence comme un combat au corps à corps avec lui-même  « trois coups de poing que j’aurais reçus au creux de l’estomac ».

« Combien est pesante notre conscience ! Quam consciencia animi gravis est servitus ! » (Syrus)

UN FROID MORTEL TOMBA SOUS LUI
Nous pouvons rapprocher son état de celui de Raskolnikov dans la deuxième partie de Crime et Châtiment : « Raskolnikov demeura très longtemps ainsi couché. De temps à autre il semblait sortir de sa torpeur et remarquait que la nuit était bien avancée mais pas une fois il ne lui vint à l’esprit l’idée de se lever…Il était étendu de tout son long, encore à demi-inconscient…Tout d’abord il crut qu’il devenait fou : un froid mortel tomba sur lui ; mais cela venait de la fièvre qui avait repris pendant son sommeil. Il se mit à grelotter violemment, ses dents claquaient et il tremblait de tous ses membres. »

Mais notre homme se croit si riche que tout doit s’arranger. « Quis pauper est ? videtur qui dives sibi. » (Syrus) « Qui est pauvre ? Celui qui se croit riche ! »

LA RESPIRATION DE CELUI QUI ETAIT LA
Les sens sont amplifiés. Il n’est plus le même, comme s’il avait acquis d’être pouvoir surhumain. Le corps devient présent, pressant, « le sang me battait les secondes à la tête ». Tout le corps est là en lui. Ces sens, non contents d’occuper son être, sont devenus hypersensibles. « Il me semblait entendre, de l’autre côté de la porte, la respiration de celui qui était là… Enfin, j’allai coller mon oreille à la serrure. J’entendis le sifflement du gaz qui brûlait dans l’escalier ; j’entendis des conversations dans les chambres voisines et le locataire du dessous qui rentra.»

Sans contrôler son corps. Celui-ci vibre, bouge. Il est devenu incontrôlable. «Malgré l’extrême lenteur de mes mouvements, j’ai fait tomber mon porte-plume. »

JE SUIS INTELLIGENT, JE SAIS REFLECHIR
Mais plus ses sens sont performants, plus son corps se fige, pour se statufier : « Le bruit m’a pétrifié… De nouveau, je suis resté sans un mouvement, plié en deux, n’osant même pas me redresser tout à fait… Toute la journée s’est passée sans que j’ose ouvrir le portefeuille

Comment cet homme devenu riche de 126000 francs peut s’enfermer dans la misère :  « Il s’agit maintenant de ne pas me faire arrêter. Je suis intelligent, je sais réfléchir, je n’ai pas de remords ; je me tirerai de là. » Mais l’intelligence ne fait rien à l’affaire. Et il faut élaborer un stratagème pour les dépenser. L’habit faisant le moine, ses hardes ne sont pas compatibles avec son nouveau statut. Raskolnikov n’était pas mieux habillé : « Il était si mal habillé que même un habitué de la misère aurait eu honte de se promener avec de tels haillons sur le dos. »

UNE ENORME IMPRUDENCE
Mais comment ne pas se faire remarquer. « Au moment où j’allais mettre la main sur le bouton de la porte de la crèmerie, j’ai pensé tout à coup que j’allais commettre une énorme imprudence. Je dois un mois de pension dans cette crèmerie. Si je paie, – et on me demandera de payer, – j’éveillerai des soupçons. J’ai passé. »

« Quicquid vis esse tacitum, nulli dixeris : ce que vous voulez garder secret, ne le dites jamais » (Syrus)

Notre héros se sent supérieur par sa richesse :  « Tout en mangeant, je regardais les malheureux qui remplissaient la salle et j’avais conscience de la supériorité que ma fortune, mes 126,000 francs, me donnait sur eux. » Mais aussi redevable et en empathie avec les plus pauvres :  « A la fin du repas, je me sentais rempli d’une grande bonté. J’aurais voulu trouver des misères à soulager ; j’aurais voulu inviter tous ces braves gens à prendre quelque chose et je regrettai sincèrement de ne pouvoir le faire. » Il devient tout-puissant, presque divin. « Quid est beneficium dare ? imitari Deum. », « Quel avantage donne la bienfaisance ? imiter Dieu ! » 

QUE FAIRE ?
Le temps passe. Les soupçons s’éloignent mais la pauvreté s’installe : « Depuis quinze jours, je n’ai pas commis une faute…  Sur mes deux cents francs, il ne me reste plus que trois francs cinquante. »

Il ne vit que par les petites coupures, ne sachant pas comment écouler les plus grosses sans se faire prendre. « Changer un billet de mille francs avec ce costume-là !…  Autant aller tout de suite chez le commissaire de police et lui dire :- Monsieur, j’ai volé ! Pas de bêtises…Je ne suis pas encore assez sot, Dieu merci, pour commettre de pareilles bourdes…  Mais que faire ? »

Les jours passent. La monnaie s’épuise. Et toujours la même question lancinante : « Comment ferai-je pour manger, demain ? » La fatigue s’installe. Le désespoir aussi. Les solutions se raréfient. Les billets sont là et lui restent collés à la peau, comme pour lui rappeler la faute qu’il a commise. La faim devient de plus en plus insupportable.

MAINTENANT, JE SUIS DECOURAGE
Une idée. Echanger un gros billet dans une gare pour prendre le train pour Moscou ! « Tout à coup j’eus une épouvantable déception. A chaque guichet, il y avait un employé qui examinait les voyageurs. Des sergents de ville se promenaient. Mon étourderie m’apparut. Il y a des agents de la sûreté dans les gares. J’aurais l’air d’un assassin qui veut passer la frontière. »

Il faut réfléchir, il y a sûrement une solution. « Qui timet insidias omnes, nullas incidit. Celui qui anticipe tous les pièges, ne tombe dans aucun. »

Autre stratagème. Se faire passer comme employé afin de récupérer de la monnaie dans une banque. « – Nous ne faisons le change or qu’à nos clients…  Je repris mon billet et je sortis, sans ajouter un mot… Maintenant, je suis découragé… »

Le tout ne vaut rien : « Je ne puis dormir. J’ai faim. Cette fortune que j’ai, et rien, c’est la même chose. »

A vouloir être trop sage, le voilà désespéré : «Sapientiae plerumque stultitia est comes. La sagesse et la folie, souvent, marchent côte à côte. » Raskolnikov, lui, s’écriait : « ça ne peut être déjà le commencement ! le commencement de mon châtiment ? Mais si ! »

JE N’Y FAIS PAS GRAND’CHOSE ET JE SUIS BIEN PAYE
Vient l’idée du suicide : « Délivré ! Je suis délivré !… Je suis heureux, je suis libre !… Je n’ai plus rien…. L’autre nuit, à bout de forces, dans un cauchemar causé par la faim, je me suis levé, j’ai pris le portefeuille où j’avais remis le billet de mille francs et j’ai été me jeter à la Seine. » Il en perd sa fortune. Mais le voilà repêché. « Un monsieur très bien s’apitoya sur mon sort, sur ma misère, sur le blanchiment à la craie de mon linge. Je lui contai que le manque de travail m’avait conduit là… Il me fit habiller à neuf et me prit dans son administration… Je n’y fais pas grand ‘chose et je suis bien payé… Et je ne pense plus à mes cent vingt-six mille francs. »

Le voilà redevenu dans le droit chemin. Le mal est effacé. « Quicquid fit cum virtute, fit cum gloria. Ce qui est fait avec vertu, est fait avec gloire. »

Jacky Lavauzelle

 

 

William Somerset Maugham – Le Cyclone : Le grand sacrifice

William Somerset Maugham
1874-1965





Le Cyclone W Somerset Maugham Théâtre des Ambassadeurs Argitato

LE CYCLONE
THE SACRED FLAME – 1928
Pièce en trois actes
Adaptation française d’Horace de Carbuccia
Représentée le 1er octobre 1931
Au Théâtre des Ambassadeurs

LE GRAND SACRIFICE





Depuis 2012, des cantons suisses valident la possibilité d’un recours à une aide au suicide. Une association suisse, Exit A.D.M.D. (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) propose son aide aux malades âgées qui ne sont pas nécessairement en phase terminale.

William Somerset Maugham, l’auteur de la Servitude de l’Homme (1915) aborde ici, au théâtre, ce thème difficile du suicide assisté. Le titre original est The Sacred Flame, la Flamme sacrée, 21ème pièce de l’auteur, écrite à 54 ans, et sortie, en Angleterre, en 1928. C’est avec l’adaptation française d’Horace de Corbuccia que la pièce fut présentée trois ans plus tard au Théâtre des Ambassadeurs.



UNE ACTUALITE TOUJOURS PRESSANTE
Etienne Rey disait dans Comoedia, en 1931 : «  c’est un drame volontairement nu et dépouillé, une sorte de tragédie, dont l’action se déroule en vingt-quatre heures, et qui, après avoir côtoyé l’intrigue policière au sujet du meurtre, ne révèle son véritable dessin qu’au dernier acte : l’étude psychologique d’un cas rare et curieux, d’un cas de conscience mis en relief par M. Somerset Maugham, qui sait si bien écrire des pièces d’atmosphère, est aussi capable d’imaginer et de traiter avec sobriété et vigueur des situations qui relèvent des situations qui soulèvent des problèmes moraux assez graves, et d’une actualité toujours pressante. La pièce est assez sévère, et les gens qui aiment rire au théâtre n’y trouveront pas leur compte. Pour moi, je suis enchanté d’entendre un drame bien fait et d’un intérêt aigu. Le champ du théâtre s’était terriblement rétréci en France depuis une quinzaine d’années. Il est excellent qu’une pièce, même étrangère, vienne élargir le champ et que l’intérêt puisse s’attacher de nouveau à des sujets dramatiques ou même tragiques. »




VOUS EPOUSER OU MOURIR DE FAIM
Maugham raconte l’histoire d’un homme, brave aviateur de la première guerre mondiale, qui, un an après son mariage, se retrouve paralysé suite à un accident d’avion. Nous retrouvons, quelques années plus tard, les protagonistes de l’histoire, la famille des proches et des amis.

Le 1er acte présente tous les personnages. Mais comme dans les autres actes, une personne mène la danse. Ici, c’est Maurice, le fils de Madame Tabret, le frère de Fred, le mari de Stella. Il circule en fauteuil suite à son accident d’avion. Il est amoureux fou de Stella, depuis le premier jour : « Nous avions passé la soirée à l’Opéra, puis j’avais proposé à Stella de l’emmener souper ; mais, au lieu de me rendre directement au restaurant, je l’ai conduite autour de Hyde Park, dans une petite voiture à deux places que j’avais alors, et je lui ai juré que je continuerais à tourner en rond jusqu’à ce qu’elle promette de m’épouser. Wagner lui avait donné un tel appétit qu’après un tour et demi elle m’a déclaré : ‘Au diable, s’il me faut choisir entre vous épouser ou mourir de faim, j’aime autant vous épouser ! »

JE VOYAIS A NU SON ÂME TORTUREE
A la fin du premier acte, tous vont se coucher. Maurice ne se réveillera pas. Il sera trouvé mort de bon matin. Le second acte est drivé par Nurse Wayland devenue moins sympathique et avenante qu’à l’acte précédent. Elle est sûre et certaine qu’il s’agit d’un assassinat. Ses propos enflammés révèlent un amour sincère et passionné pour Maurice.  « Je ne lui étais rien. Je n’étais qu’une infirmière qu’il payait. Il ne cherchait pas à me cacher le désespoir qui remplissait son cœur. Avec moi, il n’avait pas à feindre. Il n’avait pas à paraître de bonne humeur, à plaisanter. Il pouvait être triste, car il ne croyait pas me faire de la peine. Il pouvait être désagréable et dire ensuite qu’il le regrettait, car il n’avait pas à me ménager. Sa gaîté n’était qu’un masque qu’il prenait pour vous faire rire. Moi je voyais à nu son âme torturée. »




IL A RÊVE SON RÊVE JUSQU’A LA FIN
Le dernier acte appuie sur la culpabilité de Stella. Madame Tabret avouera qu’elle a commis le meurtre par amour pour son fils. « Il y a des années, quand, pour mes fils, j’ai renoncé à mon grand amour pour ce vieux major ici présent, je croyais qu’on ne pourrait jamais me demander de plus grand sacrifice. Je sais maintenant que ce n’était rien. Car j’aimais mon enfant. Je l’adorais. Je suis si seule maintenant qu’il est mort ! C’est un beau rêve qu’il faisait et je l’aimais trop pour le laisser s’en éveiller. Je lui avais donné la vie. Je lui ai repris la vie. Je suis allée dans la salle de bains, je suis montée sur une chaise et j’ai pris le flacon de chloraline, j’ai pris cinq comprimés, que j’ai fait dissoudre dans un verre d’eau. Je les ai apportés à Maurice et il les a avalés d’un trait. Mais c’était amer. Il m’en a fait la remarque et je suppose que c’est pour cela qu’il en a laissé un peu au fond du verre. Je me suis assise à côté de son lit et j’ai tenu sa main jusqu’à ce qu’il s’endorme et, quand j’ai retiré ma main, je savais qu’il dormait d’un sommeil dont il ne se réveillerait pas. Il a rêvé son rêve jusqu’à la fin. »

LE COUP DE THEÂTRE FINAL
Robert de Beauplan soulignait dans La Petite Illustration n°572 du 9 avril 1932, que « l’intérêt de curiosité est relevé par un cas de conscience pathétique. C’est un problème moral sur lequel on peut discuter longuement que pose le coup de théâtre final. »

Après cette révélation, le polar est terminé. L’accusatrice, la Nurse Wayland, ne souhaite pas continuer dans la voie de l’autopsie et de la justice. Elle propose au docteur Harvester, présent pendant toute la scène, de signer le certificat de décès. Cela signifie qu’aucune enquête judiciaire, ou policière, ne sera diligentée. Madame Tabret est libre, avec le poids de son sacrifice éternellement sur sa conscience.



Laissons le dernier mot à Edmond Sée, qui soulignait dans l’Œuvre :  « ce n’est pas seulement une pièce fertile en surprises, en péripéties, en rebondissements imprévus et quelque chose comme un drame policier ; c’est encore et surtout une « tragédie bourgeoise » aux émouvants, âpres, douloureux prolongements, et qui atteint, à la fin, à une grandeur véritable. »

Jacky Lavauzelle

LA PETITE ILLUSTRATION n°572 du 9 avril 1932
Lors de la première, du 1er octobre 1931, ont joué :

Georges Mauloy (Stevens)
Jean Max (Maurice Tabret)
Pierre de Guingand (Fred Tabret, le frère de Maurice)
Philippe-Richard (le docteur Harvester)
Maurel (Le Maître d’hôtel)
Suzanne Desprès (Madame Tabret, la mère de Maurice et de Fred)
Huguette Ex-Duflos (Stella Tabret, femme de Maurice et amante de Fred)
Sylvie (Nurse Wayland)
Jane Pierville (Une femme de chambre)

SUSANA La Perverses ou LA SEDUCTION DU DEMON (Buñuel)

Luis Buñuel

Susana la perverse Susana, demonio y carne
1951
LA SEDUCTION DU DEMON

Susana la perverse-Susana demonio y carne- Luis Bunuel Artgitato « Le serpent alors innocent, mais qui devait dans la suite devenir si odieux, comme si nuisible à notre nature, devait servir en son temps à nous rendre la séduction du démon plus odieuse ; et les autres qualités de cet animal étaient propres à nous figurer le juste supplice de cet esprit arrogant, atterré par la main de Dieu, et devenu si rampant par son orgueil. » (Bossuet, De la concupiscence)

 

Des premières images, les premiers plans sont les plus beaux du film. La musique de Raul Lavista gronde littéralement d’inquiétude lancinante en perdant la caméra dans les nuages. La caméra monte, monte. La pluie tombe alors. L’orage zèbre la nuit. Des lumières d’un édifice imposant. Plan sur la pancarte qui remplit l’écran : « REFORMATORIO DEL ESTADO », Maison de Correction d’Etat. Le déluge peut commencer.

« Alors le Seigneur fit tomber sur Sodome et Gomorrhe une pluie de soufre et de feu, venant du Seigneur, du ciel. » (Genèse)

Des cellules de la maison de redressement sont dans le noir.

Des dames descendent avec une fille leur criant : « Soyez maudites ! » Elle crache, donne des coups de poings et des coups de pieds, elle  éructe comme un diablotin.

Le cas de Susanna s’aggrave ; « depuis deux ans, son état ne fait que s’empirer. » Elle a passé une partie de sa jeunesse dans cette institution. Elle est entre deux âges. Presqu’une femme.
Nous sommes dans le cœur du film. Le bien et le mal. Le Diable et Dieu. Mais ce qui est le plus intéressant, c’est que cette Susana que l’on emprisonne dans un cachot insalubre pour quinze jour afin de la calmer n’invoque ni Satan ni le Diable, mais Dieu.

Malgré son allure démoniaque, sa beauté rayonne. Elle illumine.

Elle reste terrorisée par une chauve-souris, des rats, une araignée., comme une fillette qui découvrirait pour la première fois la prison. La première personne qu’elle implore est Dieu : « Dieu ! Faites-moi sortir ! Je veux sortir… » Et c’est la croix qui illumine alors le centre du cachot.

Le Diable n’est pas là. Et Susana n’est pas effrayée par cette apparition qui la calme immédiatement. La musique s’adoucit de suite. Nous n’entendons plus l’orage.

Elle semble avoir perdu la raison. « Elle n’est pas plus heureuse en jouissant des plaisirs que ses sens lui offrent : au contraire elle s’appauvrit dans cette recherche, puisqu’en poursuivant le plaisir elle perd la raison. Le plaisir est un sentiment qui nous transporte, qui nous enivre, qui nous saisit indépendamment de la raison, et nous entraîne malgré ses lois. » (Bossuet, Sermon pour Madame de La Vallière, 4 juin 1675)

Susana continue dans le même registre. Elle ressemble alors à une sainte perdue dans ses prières. L’hystérique du début n’est plus du tout la même, mais le Dieu invoqué prend des couleurs moins évidentes : « Seigneur. Tu m’as fait comme je suis. Comme les scorpions, comme les rats… » Ce n’est donc pas le Seigneur qu’elle invoque : « Dieu des prisons, aie pitié de moi. Fais tomber les barreaux, les murs. Laisse-mois sentir l’air, le soleil. J’ai autant de droits qu’un serpent…ou que cette araignée ! … Dieu, accorde-moi un miracle si tu peux !…Sors-moi de là ! »

Déchaînée, les barreaux cèdent. Elle s’en servira d’échelle. Un rire diabolique sort de sa bouche.  Dehors le déluge continue au rythme de la musique qui s’accélère. Les orages rayent la toile. Elle tombe, rampe, glisse, comme un serpent dans la tourmente.

Cette partie est la plus ambigüe. Sa libération est un miracle en soi. Même si elle invoque le « Dieu des prisons », c’est la croix qui s’inscrit et c’est Dieu qu’elle invoque et qui semble répondre à sa prière.

« Au terme des mille ans, Satan déchaîné, s’évadera de sa prison pour séduire les nations aux quatre coins de la terre. » (L’Apoclypse de Jean, XX)

Le plan suivant présentera l’hacienda, sous les eaux et sous l’orage, de Don Guadalupe. Luis Buñuel nous la montre comme un havre de paix. Un havre que le malin cherchera à conquérir.

La jument préféré du maître des liuex est en train de mettre bas. La naissance se passe mal. Le poulain n’y résistera pas et le pronostic vital de la jument est engagé. La mort de cet animal innocent marque l’approche des forces diaboliques.

Les propos tournent dans le grand salon autour de superstitions, notamment de la part de la servante Felisa. Susana qui arrive détrempée, s’évanouie au seuil de la maison. Elle est accueillie par charité chrétienne. Dona Carmen, la femme de Don Guadalupe écoute la fausse histoire de Susana et la prend sous sa protection.

Susana cherchera à séduire les hommes qui lui permettront de rester dans l’hacienda. Jesus, le contremaître, qui lui tourne autour, apprendra vite qu’elle est recherchée par les autorités et cherchera à en tirer parti. Dans l’hacienda, c’est le mal qui triomphe, Susana prend possession des âmes et c’est le fils, doux et obéissant, étudiant invétéré, qui se retrouve dans une chambre avec des barreaux.

La fumée des batailles du cœur commence à se répandre. Elle se dissipera bientôt…mais pour mieux découvrir le lugubre spectacle des ruines.

En attendant, Susana séduira ensuite le fils et le père. La cellule familiale se décomposera tout au long du film, créant des jalousies, des rancœurs et des haines. Elle jouera constamment sur son image de jeune fille chaste et prude. Et ne découvre largement ses épaules que pour passer à l’offensive de la séduction, avec un geste de sa main dans ses cheveux.

Tout redeviendra plus calme avec l’arrivée des autorités conduite par Jesus, récemment licencié après avoir été surpris, par Don Guadalupe, avec Susana. Il était temps.

« Mais un feu descendit du ciel et les dévora. Le Diable, leur séducteur, fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, auprès de la Bête et du faux prophète ; ils y seront tourmentés jour et nuit, pour les siècles des siècles. » (L’Apocalypse de Jean)

Le foyer se recomposera aussitôt. Le fils retrouvera sa gentillesse naturelle et le père son fauteuil de maître incontesté de l’hacienda. Dès le départ de Susana, nous apprendrons aussi que la jument que Don Guadalupe devait abattre, est, désormais, totalement guérie.

« Je vis alors un grand trône blanc et Celui qui siégeait dessus…Je vis alors un ciel nouveau et une terre nouvelle, puisque le premier ciel et la première terre s’en étaient allés… » (L’Apocalypse de Jean)

Jacky Lavauzelle

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LES PERSONNAGES

Fernando Soler (Don Guadalupe, le père) Matilde Palou (Dona Carmen, la mère) Luis López Somoza (Alberto, le fils)

Rosita Quintana (Susana) Víctor Manuel Mendoza (Jesus, l’intendant) María Gentil Arcos (Felisa, la servante-chef)

Emile ZOLA – LE PARADIS DES CHATS : MAUDITE LIBERTE !

Emile ZOLA
Le Paradis des chats

Emile Zola Le Paradis des chats Jean-Baptiste_Siméon_Chardin_La Raie 1728

MAUDITE LIBERTE !

Le Paradis des chats est une allégorie de la liberté. Le Loup et le Chien de la Fontaine, version chat. Version aménagée. Le « Dogue aussi puissant que beau » est le « chat d’Angora » et le « Loup (qui) n’avait que les os et la peau,  Tant les chiens faisaient bonne garde » est ce chat de gouttière qui « me mordit cruellement le cou », mais qui reste son ami. Mais à l’inverse de la fable, ce n’est pas le loup qui «aborde humblement » le chien de garde, mais le chat qui se jette dans cette rue étrange et dangereuse, « mes pattes glissaient sur le pavé gras. Je me souviens avec amertume de ma triple couverture et de mon coussin de plume. »

LA RUE N’EST PAS A NOUS
Il découvre que la rue n’est pas la liberté qu’il attendait. «Mais la rue n’est donc pas à nous ? On ne mange pas, et l’on est mangé ! »

En 1970, Walt Disney sort les Aristochats. L’histoire se déroule en 1910 à Paris. La belle Duchesse, une chatte persane blanche aux grands yeux bleus, et ses trois chatons, qui s’évadent lors du kidnapping du majordome, rencontrent Thomas O’Malley, un séduisant et distingué chat de gouttière. Puis, Duchesse rencontrera les amis d’O’Malley, Scat Cat et son groupe. Toute la famille retrouvera Madame Bonnefamille dans la bonne humeur du groupe de Scat Cat.

JE M’ENNUYAIS A ÊTRE HEUREUX
Walt Disney s’est bien inspiré du Paradis des chats d’Emile Zola. Il s’agit d’un jeune male angora qui s’ennuie dans son domicile parisien bourgeois. « Au milieu des douceurs, je n’avais qu’un désir, qu’un rêve, me glisser par la fenêtre entr’ouverte et me sauver sur les toits. Les caresses me semblaient fades, la mollesse de mon lit me donnait des nausées, j’étais gras à m’en écœurer moi-même. Et je m’ennuyais tout le long de la journée à être heureux. » Une sorte d’O’Malley avant le trottoir. Il est le plus heureux des chats dans la maison.

Comme disait Michel Audiard : « Quand je réveille mon chat, il a l’air reconnaissant de celui à qui l’on donne l’occasion de se rendormir. « 

 UN CHAT SUR UN NUAGE
Le chat rêve du monde, de l’extérieur, de l’aventure. Bref, le chat rêve du toit. « Il faut vous dire qu’en allongeant le cou, j’avais vu de la fenêtre le toit d’en face. Quatre chats, ce jour-là, s’y battaient, le poil hérissé, la queue haute, se roulant sur les ardoises bleues, au grand soleil, avec des jurements de joie. Jamais je n’avais contemplé un spectacle si extraordinaire. »

Et ce que chat veut, il l’obtient. Ce sont des fantômes, des esprits. « Je crois que les chats sont des esprits venus sur terre. Un chat, j’en suis convaincu, pourrait marcher sur un nuage. »  (Jules Verne)

DES SALONS AUX GOUTTIERES NATALES
Et quand le toit s’offre à lui et à ses pattes, c’est un réel bonheur : « Que les toits étaient beaux ! De larges gouttières les bordaient, exhalant des senteurs délicieuses. Je suivis voluptueusement ces gouttières, enfonçaient dans une boue fine, qui avait une tiédeur infinies. Il me semblait que je marchais sur du velours. Et il faisait une bonne chaleur qui fondait ma graisse. »

« J’aime dans le chat ce caractère indépendant et presque ingrat qui le fait ne s’attacher à personne, et cette indifférence avec laquelle il passe des salons à ses gouttières natales.  »  (François-René de Chateaubriand)

JE REGRETTAI MA PRISON
Arrive le malheur raconté au début. Le souvenir de la maison chaude et tranquille. « C’est alors que je compris que le mou frais était excellent. » La dureté de la rue. «Pendant près de dix heures je reçus la pluie, je grelottai de tous mes membres. Maudite rue, maudite liberté, et comme je regrettai ma prison ! »

« La notion de liberté n’est pas une notion, c’est une nostalgie de la mémoire. » (Paul Paré)

 UNE CORRECTION RECUE DANS UNE JOIE PROFONDE
Dans la fable, le loup est affolé de la condition du chien. Il est gras. Mais, dit-il : « attaché? dit le Loup : vous ne courez donc pas. –  Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?  – Il importe si bien, que de tous vos repas,  Je ne veux en aucune sorte. » Le chat d’Angora, lui, ne cherche qu’à retrouver sa place dans sa prison dorée. Et ce, malgré les coups, «quand je rentrai, votre tante prit le martinet, et m’administra une correction que je reçu avec une joie profonde. Je goûtai largement la volupté d’avoir chaud et d’être battu. Pendant qu’elle me frappait, je songeais avec délices à la viande qu’elle allait me donner ensuite. »

 « Comme quiconque les a un tant soit peu fréquentés le sait bien, les chats font preuve d’une patience infinie envers les limites de l’esprit humain.  »  Cleveland Amory 

Jacky Lavauzelle

 

 

PLINE L’ANCIEN : Quand le Parfum devient luxe – HISTOIRE NATURELLE

PLINE L’ANCIEN
HISTORIARUM MUNDI

HISTOIRE NATURELLE
NATURALIS HISTORIAE

Pline L'ancien Histoire naturelle Klimt Parfum Luxe Artgitato

Livre XIII

Quanta in unguentis luxuria
Quand le parfum devient luxe

IV-3

Haec est materia luxus e cunctis maxime supervacui.

En matière de luxe, quel est l’élément le plus superflu.

Margaritae enim gemmaeque ad heredem tamen transeunt :

Les perles et les bijoux, au moins, sont hérités,

Vestes prorogant tempus : unguenta illico exspirant,

Les vêtements durent dans le temps: l’huile précieuse, elle, de suite, s’évapore,

ac suis moriuntur horis.

et meure au bout de quelques heures.

Summa commendatio eorum,

Leur grand mérite,

ut transeunte femina odor invitet etiam aliud agentes :

d’être sentie par une passagère, et ainsi d’attirer son intérêt :

exceduntque quadragenos denarios librae.

plus de quarante deniers la livre !

Tanti emitur voluptas aliena :

Tant d’argent pour le plaisir des autres ;

etenim odorem qui gerit, ipse non sentit.

car celui qui la porte, ne la sent pas !

Sed et haec aliqua differentia signanda sunt.

Mais il y a quelques divergences, et plus encore.

In M. Ciceronis monumentis invenitur,

Dans les Mémoires de Cicéron, nous voyons

unguenta gratiora esse, quae terram, quam quae crocum sapiant :

qu’il est plus acceptable, pour les parfums, de sentir la terre, que l’odeur de safran:

quando etiam corruptissimo in genere magis tamen juvat quaedam ipsius vitii severitas.

c’est ainsi que, au cœur de la corruption, la gravité plaît au vice.

Sed quosdam crassitudo maxime delectat, spissum appellantes :

Mais certains apprécient une certaine épaisseur, l’appelant densité :

linique jam, non solum perfundi, unguentis gaudent.

préférant, non seulement être humectés d’essences, mais s’enduire de parfums.

Vidimus etiam vestigia pedum tingui :

Nous avons vu se parfumer les plantes des pieds,

quod M. Othonem monstrasse Neroni principi ferebant.

ce qu’Othon montrât, dit-on, au dernier des Césars.

Quaeso ut qualiter sentiretur, juvaretque, ab ea parte corporis ?

Je vous demande comment a pu être sentie cette partie du corps ?

Nec non aliquem ex privatis audivimus jussisse,

Et nous en avons vu un citoyen inonder,

spargi parietes balinearum unguento :

de parfums les murs d’une salle de bains ;

atque Caium principem, solia temperari :

jusqu’à Caligula lui-même dans son bain ;

ac ne principale videatur hoc bonum,

il semble que ce n’est pas seulement un privilège impérial,

et postea quemdam ex servis Neronis.

puisque c’est arrivé aussi à un des serviteurs de Néron.

Maxime tamen mirum est, hanc gratiam penetrasse et in castra.

Il n’est même plus étrange que ce luxe pénètre dans les camps.

Aquilae certe ac signa, pulverulenta illa,

Les aigles, ces drapeaux poussiéreux,

et custodibus horrida, inunguntur festis diebus :

aux mains de gardes patibulaires, sont parfumés les jours de fête ;

utinamque dicere possemus, quis primus instituisset !

Et si seulement nous pouvions dire, qui a d’abord établi cet usage!

Ita est, nimirum hac mercede corruptae terrarum orbem devicere aquilae.

C’est donc sous la corruption de ces parfums que nos aigles ont conquis le monde.

Ista patrocinia quaerimus vitiis,

Grâce à cette protection qui accompagne nos vices,

ut per hoc jus sumantur sub casside unguenta.

nous sommes autorisés  à nous parfumer sous le casque.

Traduction Jacky Lavauzelle