LAOS
ລາວ
VIENTIANE
ວຽງຈັນ
Le Pha That Luang
ທາດຫລວງ
UN CHEVEU
SUR LE CŒUR
DU LAOS
Au crépuscule, les formes s’estompent et se mettent en parenthèses. La densité et l’ambiguïté donne au stūpa (स्तूप) une masse désormais sombre et fantomatique. Loin des exubérances de la ville, Pha That Luang s’est décentré, comme fuyant le mouvement et les bruits.
Avec lui, le centre s’est décentré. Il ne reste que des moments de la ville, des moments du souffle, des moments de la respiration, la nôtre et les autres. Le chuchotement qui pourtant arrive, raconte la ville.
Celle-ci enfin se partage ou se livre. Les paramètres des couleurs ne tarderont pas à revenir, à revivre.
La nuit enregistre sa musique comme elle compose autour des soupirs et des espoirs des fidèles.
Les dorures de l’aube déjà arrondissent les pointes et les angles du dhātu-chaitya. Nos mains aussi se réchauffent par des ondes invisibles. Nous entendons le cheveu de Bouddha quelque part qui frémit dans ce lieu de mort qui, même dans le noir d’une nuit sans lune, flamboie. Le feu est là qui toujours demande, « Le séjour des morts, le sein stérile, une terre non rassasiée d’eau et le feu ne dit jamais : « Assez ! » (La Bible, Proverbes, 30, 16)
Si près, le Bouddha couché devient l’horizon le plus lointain. Il ouvre la voie. Le feu du bâtiment est là, pleinement. Et le flot des spectateurs ou des adorateurs arrive comme dans ce passage de la Bhagavad Gita : « De même que les multiples eaux des fleuves au courant rapide coulent tête la première dans l’océan, ainsi ces héros du monde des hommes pénètrent dans tes bouches et s’y embrasent. Comme des papillons se précipitent, pour leur perte, dans la flamme brillante, ainsi, pour leur perte, les gens se précipitent dans tes bouches. De tes bouches enflammées, tu lèches, tout en les dévorant, les mondes entiers en remplissant la totalité de l’univers de tes ardeurs, tes splendeurs terribles te consument, ô Vishnu ! » (Bhagavad Gita, Chant XI, 28-30, Ed Fayard, trad. Anne-Marie Esnoul & Olivier Lacombe)
La matière change de forme pour devenir un incendie gigantesque. La foi est dans ce feu ; « C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Luc, 12, 49). La création mélodique suit l’enceinte monochrome, qui devient profonde, et se transforme en cocon.
Les nuages nombreux ce matin soulèvent, un à un, les voiles et se posent au milieu. Tout au milieu. Comme concentrés à sa pointe. Pendant la migration des formes vers l’enceinte, les ombres rassurantes couvraient nos peaux avec une si douce insistance qu’elles se gravaient à force de passer et de repasser. Vaguement, les nuages infléchissaient des ponctuations dorées, elles aussi.
Le jour pressenti balançait des rayons au miroir du stupa. Le jour est là, mais il est loin aussi. Il sait qu’ici il n’y a rien à attendre. Deux soleils ne peuvent régner ensemble sur la même nation.
« Voici l’expérience intérieure : Sushumnâ, l’artère du Brahman, est au milieu du corps subtil ; par son éclat, elle ressemble au Soleil et à la Pleine Lune ; elle jaillit du Centre de la Base et monte droit jusqu’à l’ouverture du Brahman ; elle en est l’Energie, tel un serpent enroulé sur lui-même, flamboyant comme mille éclairs, délicate comme une tige de lotus… Et, quand, par le Yoga du Passeur, l’adepte perçoit en permanence une lumière au sommet de son front, il atteint la perfection…D’autres fois, cette lumière est vue de l’intérieure du cœur : si l’on veut donc gagner la Délivrance, on devra pratiquer de la sorte l’expérience intérieure ! » (Sept Upanishads, Advaya – Târaka Upanishad, 5, Ed. du Seuil, Trad. Jean Varenne)
Le jour reste là, maintenant, au-delà des rues et des temples.
Le Pha That Luang, le temps de la nuit, s’est endormi. Désormais, il rayonne. Il raconte plus le monde qu’il ne raconte la ville. La ville, elle, est contée par le Mékong et par Patuxai. Le temple est hors de la ville, hors du centre. Il est au-dessus de la ville, et au-dessus des villes et des montagnes. Il raconte la vie, il raconte l’histoire, celle des rois tutélaires à l’image de Jayavarman VII, le roi khmère d’Angkor qui trône dans le cloître.
Le temple veille. Bouddha a perdu un cheveu, mais il illumine les hommes.
Jacky Lavauzelle