LAMEGO (Portugal)
Santuário de Nossa Senhora
dos Remédios
L’ESCALIER
INVISIBLE
Moins de 150 kilomètres séparent le Sanctuaire de Notre Dame des Remèdes (Santuário de Nossa Senhora dos Remédios) de Lamego au Sanctuaire du bon Jésus du Mont (Santuário do Bom Jesus do Monte) à Braga. Deux styles monumentaux, néo-classiques et baroques. Les courbes et les lignes s’entremêlent pour donner une image de perfection et d’unité.
Mais de l’ensemble, des forêts, des chapelles, des fontaines et des sculptures, c’est l’escalier qui donne le ton. Avancer par graduation successive ; une marche après l’autre. C’est avancer vers le but mais pas de façon droite, de côté. Comme si nous devions nous éloigner un peu chaque fois en ne nous dirigeant pas directement vers la chapelle. C’est aussi faire le tour, en partant symboliquement vers le bois qui l’entoure. Les paliers successifs sont autant d’étapes qui permettent autant de reprendre le souffle, d’admirer les tableaux d’azulejos, de contempler la ville à chaque fois dans un nouvel ensemble, en découvrant de nouveaux quartiers, que de réfléchir sur son ascension, sur le but de cet effort.
Ce que nous avons parcouru est plus visible que ce qui reste à parcourir, mais nous voyons le clocher toujours d’un peu plus près, qui attend imperturbablement. Pour chaque étape un instant, un moment de la journée où les arbres dessinent sur nous les contours d’ombres des statues tout autant que des frondaisons. Le sensible nous amène vers l’intelligible. « Tout ce que je regarde me regarde » (Gaston Bachelard, la poétique de la rêverie). Et quand nous arrivons, nous arrivons un peu plus près du soleil, un peu moins loin du savoir et l’escalier s’efface alors, fantôme devenu inutile, comme s’il n’avait jamais existé, comme par enchantement ne laissant que le dessus décoratif qui embellit encore un peu plus la ville. C’est le temps alors du plein, du plein de ce soleil et de cette grappe abstraite et tellement présente qui envahissent la scène.
En un sens, la beauté est déjà accessible. D’en bas. D’un avant l’ascension. Nous voyons une partie structurée et parfaite de l’ensemble, mais nous ne nous voyons pas. Nous ne voyons pas la ville. La chapelle se trouve suspendue au-dessus des blocs de pierre. Il nous manque alors la narration. L’aventure des mots de l’ascension qui s’ouvre sur nos maux qui seront donnés pour y trouver remèdes auprès de Nossa Senhora dos Remédios. Il nous manque le regard d’en haut, cette demande de prise de hauteur, de changement de point de vue. Cette demande de différence. Cette offre d’inversion. De la beauté à la foi, de la foi aux remèdes. La ville devient comme offerte à nos regards, à nous. Elle est posée-là dans l’attente d’une réponse qu’apporterait le silence des cimes.
Mais ce que nous découvrons vraiment c’est que le plus important c’est le chemin. L’Escalier. Il est ce qui provoque l’ascension. Il est ce qui en reste. En paraphrasant Merleau-Ponty sur ses propos relatifs au tableau, dans l’Oeil et l’Esprit, nous pourrions dire en parlant de l’Escalier : Je serai bien en peine de dire où est l’Escalier que je regarde. Car je ne le regarde pas comme on regarde une chose, je ne le fixe pas en son lieu, mon regard erre en lui comme dans les nimbes de l’Être, je vois selon ou avec lui plutôt que je ne le vois.
En fait, nous ne voyons pas les marches, nous ne voyons jamais ce qui compose l’Escalier. D’en haut ou d’en bas, il est invisible. Restent les sculptures. L’Escalier est suspendu dans les bois, comme la chapelle est suspendue dans le ciel.
Le fini est dans la suspension. Le fini est dans le vide.
Le plein est dans les airs.
Lamego offre une au fil des azulejos bleus et charnels une teinte plus gaie, plus lumineuse qu’à Braga. L’ensemble ne se dévoilant jamais complétement à nos regards. Les paliers se succédant au rythme des découvertes des scènes bibliques.
Nous découvrons dans les escaliers de Lamego, cette évidente similitude avec les vignobles de porto en escaliers qui descendent quelques kilomètres au nord vers le Douro. Avec ce même soleil qui nous aveugle au-delà des vasques, des fontaines, des statues tournées fièrement vers la ville.
Sur cette butte qui surplombe la ville basse, se tenait une chapelle consacrée à saint Etienne, Santo Estevão, protomartyr, premier martyr de la chrétienté. A l’origine sur la butte se tenait l’origine du culte des saints. Nous étions au XVe siècle. Le martyre de saint Etienne vient de la parole libre qu’il a eue auprès de l’assemblée du Sanhédrins et qui lui valut la lapidation.
Saint Etienne fait partie de la première communauté chrétienne de Jérusalem. Il était un chef helléniste, un des Juifs de langue grecque de la diaspora, un des chefs qui sera le premier à quitter la ville pour répandre l’Evangile. Accusé, avec certains de ses compagnons, d’avoir une attitude subversive vers la Torah et le Temple (cf. Actes des Apôtres 6, 8-15, 7, 54 -59 : « Etienne, plein de grâce et de force, opérait des prodiges et des miracles éclatants parmi les peuples. Or quelques membres de la synagogue dite des Affranchois, des Cyrénéens, des Alexandrins ainsi que des juifs de Cilicie et d’Asie, en vinrent à disputer avec lui : mais ils ne pouvaient tenir tête à sa sagesse et à l’Esprit qui inspirait ses paroles. Alors ils soudoyèrent des individus qui prétendirent l’avoir entendu des propos blasphématoires contre Moïse et contre Dieu. Ils ameutèrent ainsi le peuple, les anciens et les scribes qui accoururent, l’appréhendèrent et l’emmenèrent devant le Grand Conseil. Là, ils produisirent de faux-témoins… »
Si saint Etienne nous transporte dans les débuts du catholicisme, le XVe nous envoie aux temps des grandes découvertes, de Vasco de Gama et de Pedro Álvares Cabral.
Suite à l’achat par l’évêque de Lamego, Manuel de Noronha, celui-là même qui fit compléter la partie supérieure de la Sé Cathédrale de Lamego située en contre-bas, d’une image de la Vierge, commandée à Rome, qui remédierait à tous les mots, il fallut construire une nouvelle chapelle au XVIe siècle. Puis vint deux siècles plus tard, la construction de l’escalier monumental au-dessus de la ville.
L’enveloppe architecturale court donc à travers les siècles et les époques. La construction de la chapelle a débuté en 1750, pour finir près de trente ans plus tard. Date à laquelle, 1777-1778 commença les travaux de l’escalier. Les travaux durèrent près d’un siècle et finirent en 1868, date à laquelle débuta par Dominique Barrière les travaux de l’ancienne et de la nouvelle sacristie.
Architectes: António Mendes Coutinho (1750), Domingos Francisco Rente (1750) et Augusto Matos Cid (1880) ; la fontaine a été conçue par l’architecte Nicolau Nasoni (1691-1773).
Jacky Lavauzelle