Archives par mot-clé : ceux de la zone

Man’s Castle : SPENCER TRACY MET DES VOILES DANS LES YEUX DE LORETTA YOUNG (Man’s Castle 1933)

Frank Borzage

 Ceux de la zone
(Man’s Castle – 1933)

Man's Castle Frank Borzage Artgitato 2

 SPENCER TRACY
met des voiles
dans les yeux de
LORETTA YOUNG

 LES PIGEONS NON PLUS, MAIS ILS MANGENT !

L’Amérique compte 12 millions de chômeurs. Spencer Tracy, un brin racaille, dans le rôle de Bill, balade sa superbe dans un New-York en crise. Il nourrit les pigeons.
Regardez les pigeons qui volent autour des deux corps qui se rapprochent. « Je n’ai pas d’argent ! » « Les pigeons non plus mais ils mangent ! », et invite la belle Trina (Loretta Young) dans un des plus chics restaurants de la ville. Sans un sou en poche. Ce qui le sauve : son bagou. Il n’hésite pas une seconde à prendre de face le patron du restaurant et d’improviser un speech grandiloquent sur la crise. Ils sortiront en seigneur et maître sans n’avoir rien payé.

Bill utilise la force de ces mots, plus que ces poings. Il nomme chacun des pigeons, « c’est Oliver Twist, il en redemande toujours. »

Trina, plus apeurée qu’un pigeon, affamée,  esseulée, se laisse conduire par les mots convaincants de Bill.

ALORS, C’EST VOUS QUI REGALEZ !

Quand il appelle ce patron, c’est avec nœud papillon blanc et cigare au bec. Ecoutez la diatribe de Bill, en avocat des plus malheureux : « Prenez cette jeune femme, il y a une heure, elle mourait de faim, alors je l’ai emmenée ici. Elle dit qu’elle n’a jamais aussi bien mangé. Le plus drôle, c’est qu’elle n’a pas un sou. Et moi non plus. Alors, c’est vous qui régalez ! Alors, il y a plusieurs solutions. Vous pouvez appeler les flics et on ira en taule. On sera nourris par l’Etat pendant trente jours minimum. Plus on sera nourris, plus vous paierez d’impôts. J’ai pas fini ! Ce restaurant jette en une semaine de quoi nourrir mille personnes. Alors vous pouvez régaler de temps en temps. J’ai tort ? »

POURRIR, VOILA CE QUI ARRIVE QUAND ON SE POSE !

  • Regardez ! Le toit s’ouvre. Les nuages s’effilent dans le sifflement d’un train. Les yeux de Loretta Young attendent la bouche de Spencer Tracy. Rien n’est ce qu’il paraît. Regardez les bateaux. Regardez-les là bas, flottants. Loretta voit des bateaux majestueux et paisibles, une entrée dans le bonheur, quand Spencer lui découvre la mort et la pourriture. « Ils sont là depuis des années à pourrir ! Voilà ce qui arrive quand on se pose ! ».

  QUAND ON EST VIVANT, ON VEUT UN BOUT DE CIEL !

  • Spencer monte à toucher le ciel aux prix de gigantesques échasses. Il monte. Il est libre. Libre dans les yeux de Loretta. Libre dans nos yeux. Attaché à la paillasse. Rivé à la mansarde. « Pourquoi tu regardes toujours ce trou ? » « Quand on est vivant, on veut un bout de ciel. C’est tout ce que j’ai dans la vie, ce ciel bleu ! » « Il ne peut y avoir de plus beau paradis qu’ici, quand on est calmes et qu’on est proches ! » « Je n’avais jamais remarqué, mais t’as les yeux couleurs ciel ! T’as du bleu dans les yeux ! »

 L’HOMME EST IMPREVISIBLE

Regardez ! C’est le vent contre le fourneau. Pas en opposition. Non, tout contre. Il se tient chaud le vent ! Il bouge, nos narines frémissent. Il passe dans le dos. Au fond de nos corps. Regardez, les deux qui se tiennent. Elle le maîtrise. Elle l’adopte. Elle le domestique. Elle n’a plus peur. Ni peur de ses folies. Ni de son rugissement. « L’homme est imprévisible. Il se réveille un matin et met les voiles ».

  • Regardez, comme elle l’aime !Un plus un égal trois. « Et maintenant, on est trois ! Tu ne pourras jamais me quitter. Même si tu pars, je te tiens. Où que tu ailles, je te tiens. Tu es prisonnier ! »

Regardez comme ils se tiennent. Il part pour mieux revenir. Ils se sont emprisonnés dans un nouvel amour, dans un cœur neuf, dans le vent, dans le rameau qui tangue, dans le long sifflement du wagon où ils ne font plus qu’un.

Mais un en mouvement, jamais en arrêt. Toujours dans la vie. Plus grande et plus forte que tout. L’essentiel reste l’espoir. Et de l’espoir Bill en a pour trois, et pour bien plus encore.

Il vaut mieux partir gonflé à bloc. La crise n’est pas finie.

 

Jacky Lavauzelle