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INVITATION A CECILIUS de CATULLE XXXV CATULLUS – ad Caecilium iubet libello loqui

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CATULLE CATULLUS XXXV

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXXV

 Ad Caecilium iubet libello loqui
*****

INVITATION À CECILIUS
****

***

Poetae tenero, meo sodali,
Au délicat poète, à mon ami,
velim Caecilio, papyre, dicas
A Cécilius, je voudrais, papyrus, que tu lui dises
  Veronam veniat, Noui relinquens
De venir à Vérone, laissant derrière lui
Comi moenia Lariumque litus.
Les murs de Nouvelle Côme et ses rives du Larius.
nam quasdam volo cogitationes
J’ai pour lui certaines pensées
amici accipiat sui meique.
Sur un de ses amis, qui est aussi le mien.





quare, si sapiet, viam vorabit,
S’il est sage, qu’il avale la route d’un seul trait,
  quamvis candida milies puella
Même si sa charmante jeune fille à la peau claire
  euntem revocet, manusque collo
lui jette ses deux mains au cou
 ambas iniciens roget morari.
en le suppliant de rester.
quae nunc, si mihi vera nuntiantur,
Elle qui là-bas, si les rapports sont véridiques,
illum deperit impotente amore.
lui voue un amour passionné.
nam quo tempore legit incohatam
Dès le jour où elle lut ses premiers vers
 Dindymi dominam, ex eo misellae
en l’honneur de la déesse de Dindyme, cette pauvre malheureuse
   ignes interiorem edunt medullam.
fut consumée par un feu intérieur.
  ignosco tibi, Sapphica puella
Je te pardonne, jeune fille,
 musa doctior; est enim venuste
Muse savante ; ils sont si charmants ces vers
Magna Caecilio incohata Mater.
de Cécilius écrits pour la mère des dieux.




Carmen Dianae
À IPSITHILLA

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXXV

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXXIV CATULLUS – Carmen Dianae – A DIANE

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CATULLE CATULLUS XXXIV

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXXIV

 Carmen Dianae
*****

À DIANE
****

***

Dianae sumus in fide
Nous qui sommes à Diane dévoués,
 puellae et pueri integri:
jeunes filles et chastes garçons :
  Dianam pueri integri
Garçons parfaits
puellaeque canamus.
Et filles candides, chantons.

*

O Latonia, maximi
Ô fille de Latone
  magna progenies Iovis,
et du grand Jupiter,
  quam mater prope Deliam
à Délos, ta mère
deposiuit olivam,
sous les oliviers te fit naître

*

montium domina ut fores
toi, souveraine des monts
silvarumque virentium
et des vertes forêts,
saltuumque reconditorum
des fourrés isolés
amniumque sonantum:
aux échos des rivières ;

*

tu Lucina dolentibus
Toi nommée Juno Lucine
 Iuno dicta puerperis,
pendant les douleurs de l’enfantement,
 tu potens Trivia et notho es
puissante Trivia aux secrets envoûtements
 dicta lumine Luna.
dans la lumière de la Lune.

*

tu cursu, dea, menstruo
Toi, Déesse, dont par le mois
metiens iter annuum,
le cours de l’an mesure,
  rustica agricolae bonis
et contente le laboureur
 tecta frugibus exples.
par de considérables moissons.

*

sis quocumque tibi placet
Qu’importe l’auguste nom
 sancta nomine, Romulique,
qui te nomme, à la descendance de Romulus,
  antique ut solita es, bona
Et comme depuis tous ces ans, accorde
 sospites ope gentem.
Ton aide et ton secours.




Carmen Dianae
À IPSITHILLA

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXXIV

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXXIII CATULLUS – Ad Vibennios – CONTRE LES VIBENNIUS

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CATULLE CATULLUS XXXIII

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXXIII

 Ad Vibennios
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CONTRE LES VIBENNIUS
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o Furum optime balneariorum
Ô grands voleurs des bains publics,
Vibenni pater et cinaede fili
Vibennius père et fils débauché,
 (nam dextra pater inquinatiore,
(Autant est corrompue la main droite du père,
 culo filius est voraciore),
qu’est souillé le cul du fils)
cur non exilium malasque in oras
pourquoi ne pas vous exiler sur de quelconques rivages
 itis? quandoquidem patris rapinae
désolants ? Autant les rapines du père
    notae sunt populo, et natis pilosas,
de tous sont connues, autant les fesses poilues
  fili, non potes asse venditare.
du fils ne pourraient même rapporter quelques sesterces.

 

 


 

Ad Vibennios
À IPSITHILLA

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXXIII

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXXII CATULLUS – Ad Ipsicillam – À IPSITHILLA

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CATULLE CATULLUS XXXII

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXXII

 Ad Ipsicillam
*****

À IPSITHILLA
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***

Amabo, mea dulcis Ipsitilla,
Je t’en prie, ma douce Ipsithilla,
 meae deliciae, mei lepores,
ma joie et le délice de mon existence,
iube ad te veniam meridiatum.
Permets-moi de passer cet après-midi.
 







 

et si iusseris, illud adiuvato,
et si tu es d’accord,  alors,
ne quis liminis obseret tabellam,
je te demande la faveur de ne pas fermer ta porte,
 neu tibi lubeat foras abire,
ou de ne pas sortir de tes pénates,
  sed domi maneas paresque nobis
Mais de bien rester à la maison et de te préparer à recevoir
 novem continuas fututiones.
pas moins de neuf exploits amoureux à la suite.
verum si quid ages, statim iubeto:
mais à la vérité, si tu y consens, que ce soit sur l’heure :


 

 nam pransus iaceo et satur supinus
Car bien repu et allongé
pertundo tunicamque palliumque.
mon désir déforme tant ma tunique que mon manteau.

 




Ad Ipsicillam
À IPSITHILLA

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXXII

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXXI CATULLUS – Ad Sirmium insulam – À LA PRESQU’ÎLE DE SIRMIONE

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CATULLE CATULLUS XXXI

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXXI

 Ad Sirmium insulam
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À LA PRESQU’ÎLE DE SIRMIONE
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Paene insularum, Sirmio, insularumque
Joyau de toutes les presqu’îles et de toutes les îles, ô Sirmione
ocelle, quascumque in liquentibus stagnis
bénie par Neptune, seigneur des eaux stagnantes
marique vasto fert uterque Neptunus,
Et du vaste océan :
quam te libenter quamque laetus inviso,
Avec quel plaisir je te retrouve,
 vix mi ipse credens Thuniam atque Bithunos
alors que je viens de quitter la Bithynie et ses champs
  liquisse campos et videre te in tuto.
et je peux profiter de toi en toute sécurité.







 o quid solutis est beatius curis,
Ô existe-t-il un plus grand bonheur,
 cum mens onus reponit, ac peregrino
quand l’esprit dépose son fardeau, et qu’épuisés
labore fessi venimus larem ad nostrum,
des fatigues du voyage nous arrivons pour nous détendre
desideratoque acquiescimus lecto?

dans nos foyers, retrouver un lit tant désiré ?
 hoc est quod unum est pro laboribus tantis.
Cela justifie les sacrifices demandés par notre travail.


  salve, o venusta Sirmio, atque ero gaude
Je te salue, ô belle Sirmione,  et réjouis-toi
   gaudente, vosque, o Lydiae lacus undae,
réjouis-toi, ô ondes du Lac de Garde,
ridete quidquid est domi cachinnorum.
Riez pleinement de tout dans ma demeure.

 




Ad Sirmium insulam
À LA PRESQU’ÎLE DE SIRMIONE

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXXI

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXX CATULLUS – Ad Alphenum – A Alphénus

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CATULLE CATULLUS XXX

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXX

 Ad Alphenum

A ALPHENUS

***

Alfene immemor atque unanimis false sodalibus,
Amnésique Alfénus Varus envers tes compagnons,
iam te nil miseret, dure, tui dulcis amiculi?
Es-tu déjà aussi sans pitié, implacable, pour ton ami si tendre ?
iam me prodere, iam non dubitas fallere, perfide?
N’hésiterais-tu pas à me tromper, à me trahir, infidèle ?
nec facta impia fallacum hominum caelicolis placent.
Pourtant, les actes perfides des impies ne plaisent pas aux créatures du ciel.







quae tu neglegis ac me miserum deseris in malis.
Tout cela tu négliges, et me laisse à ce sort misérable.
 eheu quid faciant, dic, homines cuive habeant fidem?
Hélas, que faire, dis-moi, à quel homme donner sa confiance ?
   certe tute iubebas animam tradere, inique, me
C’était toi, injuste, qui pourtant me demandais que je livre mon âme,
 inducens in amorem, quasi tuta omnia mi forent.
me conduisant à cet amour qui semblait pavé de sécurité.


 idem nunc retrahis te ac tua dicta omnia factaque
maintenant tu te retires, et toutes tes paroles et tous tes actes
  ventos irrita ferre ac nebulas aereas sinis.
par les vents et les nuages sont emportés.
  si tu oblitus es, at di meminerunt, meminit Fides,
Si tu as oublié, les dieux eux se souviennent, la Foi elle se souvient,
  quae te ut paeniteat postmodo facti faciet tui.
et tes peines à venir me vengeront alors de ta perfidie.




Ad Alphenum
A Alphénus

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXX

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXIX CATULLUS – IN CAESAREM – CONTRE CESAR

*

CATULLE CATULLUS XXIX

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXIX

 IN CAESAREM

CONTRE CESAR

***

Quis hoc potest videre, quis potest pati,
Quel homme peut voir et peut accepter
Nisi impudicus et vorax et aleo,
Sinon un impudique, un vorace et un voleur,
Mamurram habere quod Comata Gallia
Qu’un Mamurra gobe les richesses de la pubescente Gaule Transalpine,
 Habebat uncti et ultima Britannia?
Jusqu’aux terres ultimes de la nordique Bretagne ?
   Cinaede Romule haec videbis et feres?
Complaisant César, nouveau Romulus, pourras-tu le voir et le supporter ?
Et ille nunc superbus et superfluens
Et jusques à quand, superbe et superflus,
 Perambulabit omnium cubilia,
Ton favori se glissera t-il de lit en lit
  Ut albulus columbus aut Adoneus?
Comme une blanche colombe ou un Adonis ?
Cinaede Romule, haec videbis et feres?
Complaisant César, nouveau Romulus, pourras-tu voir ça et le supporter ?







Es impudicus et vorax et aleo.
Tu es un impudique, un vorace et un voleur.
Eone nomine, imperator unice,
Général unique, inégalé,
 Fuisti in ultima Occidentis insula,
N’as-tu donc soumis l’île la plus éloignée vers l’Occident,
Ut ista vestra diffututa Mentula
Que pour voir ce Membre Viril
  Ducenties comesset aut trecenties?
Dissiper tant de millions de sesterces ?
Quid est alid sinistra liberalitas?
D’où vient cette si sinistre générosité ?
  Parum expatravit an parum elluatus est?
Comment tant gaspiller pour si peu de chose ?


Paterna prima lancinata sunt bona,
Primo, il a dilapidé ses biens ;
 Secunda praeda Pontica, inde tertia
Secundo, le butin du Pont Euxin [Mer Noire], tertio
Hibera, quam scit amnis aurifer Tagus:
Celui de l’Ibérie, où coule l’or du Tage ;
Nunc Galliae timetur et Britanniae.
Maintenant il est à craindre pour ceux de la Gaule et de la Bretagne.
Quid hunc malum fovetis? aut quid hic potest
Pourquoi protéger un tel fléau ? Que peut-il faire
Nisi uncta devorare patrimonia?
Sinon dévorer d’autres patrimoines ?
Eone nomine urbis opulentissime
Était-ce, puissant maître de Rome,
 Socer generque, perdidistis omnia?
Digne du beau-père, pour tout perdre ainsi ?




IN CAESAREM
CONTRE CESAR

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXIX

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXVIII CATULLUS – Ad Veranium et Fabullum A VERANIUS ET FABULLUS

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CATULLE CATULLUS XXVIII

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXVIII

 Ad Veranium et Fabullum

À VERANIUS ET FABULLUS

***

Pisonis comites, cohors inanis,
Compagnons de Pison, dont sa cour reste vide
 
aptis sarcinulis et expeditis,
d’argent et dépourvue de malles,
Verani optime tuque mi Fabulle,
magnifique Veranius, tout comme toi Fabullus,
  quid rerum geritis? satisne cum isto
Que pensez-vous de ça ? ce faquin
vappa frigoraque et famem tulistis?
vous a-t-il fait endurer et le froid et la faim ?







 Ecquidnam in tabulis patet lucelli
Les gains sur vos tablettes sont-ils effacés
expensum, ut mihi, qui meum secutus
par vos dépenses ?  C’est tout comme moi suivant
praetorem refero datum lucello?
mon prêteur, mes recettes égalaient mes versements !
 O Memmi, bene me ac diu supinum
Ô Memmius, gouverneur de Bithynie, depuis longtemps tu m’as floué,
 tota ista trabe lentus irrumasti.
lentement tu m’as vidé.


 Sed, quantum video, pari fuistis
mais, d’après ce que je vois, vous êtes
  casu: nam nihilo minore verpa
dans le même cas : victimes d’une grande
 farti estis. pete nobiles amicos!
forfaiture. Appelez d’illustres amis !
 At vobis mala multa di deaeque
Mais que les dieux et les déesses
dent, opprobria Romuli Remique.
terrassent notre Pison, déshonneur de Remus et Romulus.

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Ad Verannium et Fabullum
A son servant

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXVIII

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXVII CATULLUS Ad pincernam suum A SON SERVANT

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CATULLE CATULLUS XXVII

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXVII

 Ad pincernam suum 

À SON SERVANT

***

Minister vetuli puer Falerni
Esclave, toi qui nous donne du vin de Falerne,
inger mi calices amariores,
Donne-nous un vin plus sévère,
 ut lex Postumiae iubet magistrae
Par la loi de Posthumia qui nous invite,
ebrioso acino ebriosioris.
Plus ivre que l’ivresse.
at vos quo lubet hinc abite, lymphae
Que les eaux sans relief, je vous prie,
vini pernicies, et ad severos
Ennemis du vin, partent abreuver les sévères
 migrate. hic merus est Thyonianus.
Demeures. Ici n’existe que le pur Bacchus.






 


*************




Ad pincernam suum 
A son servant

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXVII

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
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À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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CATULLE XXVI CATULLUS Ad Furium – à Furius

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CATULLE CATULLUS XXVI

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

IMG_4840

CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXVI

 Ad Furium 

À FURIUS

***

Furi villula vestra non ad Austri
Furius, votre maison de campagne ne souffre ni de l’Auster du midi
 flatus opposita est neque ad Favoni
ni du zéphyr d’occident,






 nec saevi Boreae aut Apheliotae,
ni de la violente Borée du nord ni de l’Apéliote de l’est,
   verum ad milia quindecim et ducentos.
mais elle est gagée pour quinze mille deux cents sesterces.
 


 o ventum horribilem atque pestilentem!
O quel horrible vent pestilentiel !

 


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Ad Furium
A FURIUS

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO












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Catulle – Catullus
POESIE XXVI

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines. Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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