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VOLVER (Almodovar) LA MORT ET SON OMBRE

Pedro ALMODOVAR
 VOLVER  2006
La Mort et son ombre Volver Artgitato
  •    LA MORT &
    SON OMBRE
    AU COMMENCEMENT ETAIT LA FIN 

  • La caméra part en mouvement inverse, de la droite vers la gauche. Elle montre le cimetière, la mort, et le générique se déroule dans l’autre sens. Au commencement était la fin. Au commencement était le désir, el Deseo. Almodovar …Un film de Almodovar…R…E…V…L…O…V. Nous sommes dans un film qu’on rembobine. Ce sont les enfants qui s’occupent des parents ; il est donc normal que la première scène soit celle du lieu de repos éternel. Mais un repos vivant et venteux. Les femmes s’activent sur chaque tombe, aucune n’est oubliée. Le vent s’amuse à remettre les feuilles et les femmes à astiquer le lopin de terre. Chacun son rôle, un jeu de chat et de souris.  «Je m’en occupe, ça me fait du bien », « on s’prend un petit bout de terrain et on l’entretient de son vivant comme une résidence secondaire ». A ce rythme-là, Augustina « ne voit pas passer les heures au cimetière ». C’est normal nous sommes hors du temps. Dehors, les enfants jouent, pas de pleurs ni de larmes. C’est la vie.  Tout peut maintenant commencer.
  • « C’ETAIT PLUS FACILE DE JOUER LEUR JEU QUE DE DIRE LA VERITE »

Il y a ce que l’on voit. Et il y a la vérité. Il faut parfois Revoir, volver, pour savoir que ce que l’on a vu n’était qu’une illusion. Ce que l’ont voit n’est qu’apparence ou jeu. « C’était plus facile de jouer leur jeu que de dire la vérité ». Pour que la vérité soit, il faut aussi du temps, il faut qu’il ait fait son travail, c’est le temps du retour.

C’est ce qu’on ne voit pas qui fait bouger les choses et les êtres. C’est ce qui se cache qui voit vraiment, sans être vu. Les pales des éoliennes tout au long du chemin, tournent avec la puissance de « ce vent d’est qui rend les gens fous ».  Nous ne voyons pas le vent et pourtant elles tournent. Carmen Maura voyant sa fille au restaurant. Voir l’absence et ne pas voir la présence.

Le meurtre du « père » que l’on voit par terre, ensanglanté, ne nous fait ni chaud ni froid. Il y a ce sang qu’il faut éponger, modeste signe de vie de cet homme. Ni sa femme, Raimunda, ni sa « fille », qui vient de le poignarder,  ne sont vraiment désolées. Mais la mort de Tante Paula, qu’elle apprend au téléphone, la touche, « ça sert à rien de pleurer. Elle avait pris ses dispositions. Elle avait choisi son cercueil et réglé les frais d’enterrement ». La mort de la vieille tante malade harponne beaucoup plus fortement que  l’assassinat du père. D’un côté, il y a l’histoire, une vie. De l’autre rien ou pas grand-chose, un poids.

BON SANG, QU’EST-CE QU’ELLE PETAIT !

Et il y a ce que l’on sent et qui ne ment pas : le vélo d’appartement, les pets généreux de la mère, « Quelle odeur de bête!  C’est comme si maman venait de lâcher des caisses à tout va. Vous ne sentez pas. Bon sang, qu’est-ce qu’elle pétait! ».

Les mots ne servent à rien, surtout pas à comprendre. Ils sont faits pour être détournés. Le père n’est pas vraiment le père. Les amoureux morts ne sont pas ceux qu’on croit. La morte n’est pas morte. La fille n’est pas vraiment la fille, elle est aussi sa sœur. Et quand la mère se fait aide-coiffeuse d’origine russe, elle communique avec les mains, « par signes, elle comprend tout ».

Les couleurs en disent tout autant que certains mots. Elles disent les humeurs, les passions, la tristesse, le deuil. Augustina espère en ce dialogue avec l’au-delà. Son appartement est vert : les chaises, le canapé, le pull, les plantes. Il n’y a que l’herbe qu’elle fume qui n’est pas verte. Pénélope Cruz est sur des tons mauve-violet, elle est l’équilibre, la tempérance. Quand Carmen Maura revient du monde des « morts », elle se teint les cheveux blancs cadavériques. Là voilà de retour.

LES MORTS A L’AIDE DES VIVANTS

Les morts reviennent. Ils ne sont pas hostiles. Si la mère revient, c’est pour aider Tante Paula. Quand celle-ci meurt, « c’est quelqu’un ou quelque chose qui m’a prévenue. Elle serait revenue pour veiller sur sa Tante Paula. Quand mon grand-père, après son décès, est apparu à ma grand-mère, c’est qu’il avait une promesse à accomplir…et il a enfin pu retrouver sa paix éternelle et il ne s’est plus manifesté ».

  • LES FEMMES : DE LA VIE JUSQU’APRES LA MORT

Elles donnent la vie, accompagnent les mourants et s’occupent des morts. Elles veillent, « Après ce que j’ai fait à sa mère, c’est normal que je veille sur elle », « J’ai besoin de toi, maman, je me demande comment j’ai fait depuis ces années. » Elles s’engagent. Même au-delà de la mort qui n’arrête rien, surtout pas leur volonté, « même si j’étais morte, je te promets que je serais revenue ». Elles vivent entre avenir et passé. « Je venais du passé où elle-même vivait ». « Revenir, le front fané, les tempes argentées par les neiges du temps, sentir que la vie n’est qu’un souffle, que vingt ans ne sont rien».

Les exceptions : la présentatrice de télévision bien plus vulgaire que la prostituée du quartier. Mais c’est la télé. Elles sont solidaires. Elles s’entraident, habituées par l’absence des hommes. Un simple et timide espoir suffit pour relancer la machine : « et bien que l’oubli, qui tout détruit, ait tué mes vieilles illusions, je garde cachée une timide espérance qui est toute la fortune de mon cœur ». Des petits boulots, des démerdes, des échanges, des conseils. Elles creusent, déménagent entre elles, sans les hommes…

  • LES HOMMES, INCAPABLES D’ASSUMER L’AVENIR

Les hommes, eux vivent au présent. Ils n’existent presque pas. Que par légères touches, pas toujours si légères.  Le chômage n’est pas important quand le foot, le canapé et la bière sont là. Personne ne les regrette. « Il avait fait le malheur des femmes qui l’ont adoré », « Une telle monstruosité pareille sous mon toit. Incapable d’assumer ce qu’il avait fait et incapable d’assumer sa honte ». Incapable aussi de pardonner. Individualistes et égoïstes… Quand ils ne sont pas en train de violer ou de forniquer.

Bien sûr, ça doit rester entre nous, ces histoires.

Jacky Lavauzelle

ACTEURS
Pénélope Cruz : Raimunda
Carmen Maura : Irène, la mère de Raimunda et de SoleBlanca Portillo : Agustina
Lola Dueñas : Sole ou Soledad, la grande soeur de Raimunda
Yohana Cobo : Paula