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GYP : LA FANFARE ou Qui va à la chasse perd sa place

 

GYP

Comtesse de Martel Sybille Gabrielle Riqueti de Mirabeau

Gyp La Fanfare Nadar L'Hallali du cerf Courbet Artgitato
(1850-1932)

LA FANFARE

QUI VA A LA CHASSE PERD SA PLACE !

Dans le style de GYP, voici un tableau mondain, une critique satirique des usages de son époque. Les femmes dans l’œuvre de Gyp, sans être des féministes, ont de la répartie, à l’image de la jeune fille créée dans le Mariage de chiffon en 1894. Elles ne s’en laissent pas compter, même devant des indécrottables chasseurs.

Dans la fanfare, Gyp aborde le thème de la chasse dans une rencontre amoureuse. Elle place l’action au bord de l’eau, « dans le massif du Sanglier ». Une exposition animale s’entend au loin, entre les aboiements des chiens et les fanfares de chasse. La foule qui se presse à l’exposition est autant de frein à l’activité du chasseur. Celui-ci aime la tranquillité et être seul avec sa proie. En tête à tête. Comme tout chasseur, Monsieur de Halbran est uniquement consacré à la chasse. « Vous ne voyez donc pas à quel point je suis féru de vous ! …vous seule occupez mes pensées…je ne vis plus que pour vous, et non seulement vous remplissez le présent et l’avenir, mais encore vous avez effacé jusqu’aux moindres souvenirs du passé…mes relations préférées, mes goûts favoris, tout est tombé dans l’oubli, l’oubli noir et éternel. »

Le chasseur est solitaire. Le chasseur est concentré.

Notre homme, Monsieur de Halbran, est un chasseur devant l’éternel. Il sent la dame qui l’attend dans un recoin, Madame de Beauvouloir, n’est rien d’autre que le gibier à capturer. Elle est cachée « derrière un rempart de chaises », tel un animal dans son terrier.

Mais le plus important dans un chasseur, ce n’est pas le gibier mais la chasse elle-même. Blaise Pascal disait sur ce point :  «Ils ne savent pas que ce n’est que la chasse et non la prise qu’ils recherchent. » Ainsi Monsieur de Halbran, malgré ses propos sur son amour véritable, est happé par les bruits qui lui rappellent la chasse au loin ; dès qu’une musique arrive à son oreille, le voilà fredonnant, écoutant le bruit des cors.

Toutes les fanfares y passent : la Lur-Saluces, la Vague, l’Hallali, la Nemours, la Fleur-de lis, la Canteleu, la Dampierre, «  les sons de la Chantilly ! ». A force d’écouter tous ces airs, Monsieur de Halbran en redevient naturel et en oublie les beaux discours sur l’amour du début de la rencontre. Il parle désormais plus vertement : « il lui arrivait ce qui arrive à tous les maris qui ont des femmes ravissantes…C’est leur faute aussi…je ne vois pas pourquoi on les plaint…ils n’ont qu’à épouser des femmes laides s’ils les veulent pour eux tout seuls…et encore…on ne peut jamais répondre de rien ! Malchancheu ne voyait du reste, là-dedans, aucune allusion personnelle…C’est un excellent homme…qui a de bien belles chasses…et une meute donc !…de beaux chiens, feu et noir, tellement pareils qu’on ne les distingue pas les uns des autres !….avec des bajoues pendantes…et coiffés !…des oreilles qui ont l’air d’un nœud alsacien en satin noir !…ils sont exposés cette année !… »

Monsieur de Halbran se laisse gagner par l’excitation de la chasse. Il ne se contrôle plus. Il ne maîtrise plus ses mots et ses phrases. Il s’emballe et le reconnaît à Mme de Beauvouloir. Il n’y a même rien à reconnaître, c’est l’évidence : « la chasse vous rend bien plus éloquent que l’amour…nous étions paris sur une fausse piste…ces pauvres chiens ont relevé le défaut en nous remettant dans la bonne voie… »

Parions que Madame de Beauvouloir ne restera pas longtemps seule et qu’elle trouvera un chasseur moins passionné. Mais du chasseur au chassé, le rôle n’est pas si clair. En tout cas, Monsieur de Halbran est bien parti bredouille mais content d’avoir rejoint la meute.

Jacky Lavauzelle

 

Dans la revue Lisez-moi n°65 du 10 mai 1908