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BONJOUR TRISTESSE (PREMINGER) LE NOIR SOUS LE BLEU DE LA RIVIERA

  • OTTO PREMINGER
    Bonjour Tristesse
    (1958)

  • Bonjour Tristesse 1958 Otto Preminger Artgitato
    Le Noir sous
    le Bleu
    de la Riviera

  • TU N’EST PAS TOUT A FAIT LA MISERE

    « Adieu tristesse, Bonjour tristesse » (Paul Eluard, à peine défigurée). La tristesse comme un ami qui connait la maison. A qui dit-on adieu ? A un ami, un proche, à quelqu’un de la famille. Nous accueillons cette tristesse. Nous lui ouvrons la porte. Elle n’est pas en nous, elle ne naît pas de nous. Nous la laissons entrer. Elle vient, elle sort. Peut-être parce que « Tu n’es pas tout à fait la misère » (Paul Eluard).  Peut-être parce que elle nous fait vraiment comprendre ce qu’est, ce qu’a été, le bonheur, le vrai, celui qui reste dans nos têtes. Comme ce gris qui rend plus bleus les moments heureux.

    UNE ILLUSION DU BONHEUR

    Qu’est-ce que le bonheur ? Est-ce une danse, un cocktail, une ivresse ?  En tout cas, le décor fastueux est là : Paris, les quartiers chics, Notre-Dame, les hôtels particuliers, les voitures de sport décapotables, la vitesse, Saint-Tropez, des plages privées, des ciels bleus et sans nuage, le soleil. Des danses, encore des danses, des exhibitions de peinture, des exhibitions de richesse, de corps, d’ivresse. La mer, la plongée, le ski nautique. Des rires, du champagne. La vie est légère. Des amourettes, des embrassades, des corps pleins de soleil. La seule question se résume à savoir éviter les coups de soleil. Que de l’idéal. Le champ du voisin ne peut pas être plus vert. Nous sommes dans le vert. Dans le bleu. Mais nous sommes dans l’illusion du bonheur.

    LA SALLE D’ATTENTE, PIECE CENTRALE DU BONHEUR

    « Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente. » disait Jules Renard. Mais personne ne souhaite ici attendre. Tout le monde court et danse comme dans la ronde endiablée des nuits de Saint-Tropez. Nous sentons déjà la main de Méphistophélès, dans la ronde du Faust de Gounod.  «  Au bruit sombre des écus, dansent une ronde folle, autour de son piédestal! Et Satan conduit le bal! » 

     Il faut bouger. Vivre. Se sentir vivant. Les êtres sont libres. Ils ne savent pas qu’ils pourraient-être heureux, qu’ils ont tout pour être heureux. Le mouvement incessant ne permet pas d’y goûter. Alors à quoi bon ?

    JE NE VEUX PLUS ÊTRE TRAITEE EN ENFANT !

    Sont-ils désœuvrés ?  « Nous ne sommes pas désœuvrés.  Nous faisons du tennis, du bateau, de la nage. Des choses saines. »  Les corps courent dans tous les sens, à l’image de ce caveau endiablé de Saint-Germain des Prés. Les êtres sont dans une tourmente temporelle. Comme dans une lessiveuse ou une yaourtière. Ils sont en décalage. Cécile (Jean Seberg) souligne qu’elle voudrait être plus jeune ou plus vieille, « je ne veux plus être traitée en enfant. ». Son âge ne lui convient pas. Elle n’a plus l’insouciance de l’enfance.  Elle copie les attitudes de son père, Raymond (David Niven), son modèle « Ce n’est pas ma faute si j’imite Raymond ? »

    FUIR ! MAIS Où ?

    Il y a la fuite. D’abord. Aller ailleurs. Ne pas se satisfaire du présent. Fuir. Vite. Ne pas supporter l’attente. Essayer de dépasser le temps. « -Rien ne t’intéresse donc ? – Si. Aller ailleurs. – Où ? -Je ne sais pas. »

    Il y a surtout ce sentiment indéfini de gâcher quelque chose. « Que de temps gâché, cher Jacques. Que de temps désespérément gâché. » … «- Vous ne pouvez gâcher votre vie.  – Gâchez-vous la vôtre ? » 

    QUE DE TEMPS DESEPEREMENT GÂCHE

    Il y a la peur de l’ennui. Si le mouvement s’arrête, que faire ? comment vivre ? La peur de connaître aussi ce que le mouvement nous apporte. De ne plus être étonné.  De savoir ce qui nous attend. Tout ce mouvement, rend l’avenir tellement prévisible. Il n’y a plus d’étonnement. Plus de surprise. Plus de frayeur. «  Après les courses, il m’emmènera dîner et danser. Et jeudi, au tennis. Et dimanche, à la campagne. Que de temps gâché, cher Jacques. Que de temps désespérément gâché. Il est gentil ce garçon. Je voudrais l’avertir, mais il ne comprendrait pas. »… « Ainsi les Lombard. Ils nous invitent à dîner mardi. Nous irons. C’est l’associé de votre père. Ils raconteront des histoires scabreuses devant vous  et Hélène Lombard plaisantera à propos de ses amis. Leurs seuls souvenirs seront les cuites. » 

    VERS UNE MISE A MORT

    C’est Anne (Deborah Kerr) qui brisera cette relation œdipienne. C’est Anne qui lui interdira de voir son petit ami. C’est Anne encore qui lui dira que le temps de la fête est terminé et qu’il est grand temps de reprendre ces études de philosophie. C’est cette Anne qui lui donnera des ordres et cherchera à la discipliner. Cette Anne qui vient de lui voler son père. Qui vient de le changer. Lui qui ne voulait plus entendre parler de mariage. Anne est de trop. Il faut qu’elle parte. C’est une mise à mort. Involontaire, certes. Mais une mise à mort quand même. Le ciel intérieur se noircit. 

    ATTEINDRE L’INACCESSIBLE. ET APRES ?

    Anne la tant attendue. L’inaccessible. « Mais bien que je lui en veuille,  j’étais fière qu’il ait gagné Anne, l’inaccessible. Cela durerait-il ? » Anne qui trône dans le Panthéon de Cécile. Mais Anne prend le rôle de la mère. Elle n’est plus l’image idéalisée, elle est aussi l’autorité. Ce changement passe par la crainte du changement : «Je craignais que vous ayez peur de moi. C’était vrai jusqu’à cet instant », puis par une acceptation résignée : « Le croyais-je vraiment ? Du moins, j’essayais de le croire et de vivre comme si c’était vrai, comme si les changements qu’Anne apportait à notre vie me rendaient heureuse aussi. » Enfin par la révolte : « Mon père peut me donner des ordres. Pas vous ! »

    ENTOUREE PAR UN MUR INVISIBLE DE SOUVENIRS

    Des enceintes apparaissent Déjà le poids d’un passé « Je suis entourée  par un mur, un mur invisible fait de souvenirs que je ne puis oublier »Le lent cheminement vers cette fin d’enfance. Le paradis perdu qui jamais ne se retrouvera. Uniquement par intermittence. Les limbes de l’enfer apparaissent. « Tu sais où j’habite ? En enfer, avec mon père. »

    SEPT, UN CHIFFRE PORTE-BONHEUR

    L’accident d’Anne est le septième à cet endroit de la route depuis le début de l’année. « Sept, mon chiffre porte-bonheur…Anne nous faisait à tous deux ce cadeau somptueux. Elle nous laissait croire que sa mort était un accident… Mon père et moi, nous partageons toujours cet appartement, nos soirées, nos amis. Cet été, nous passerons encore nos vacances dans le sud. Mais cette fois, sur la côté italienne. ‘Pour changer’ nous disons nous. Mais nous ne disons pas pourquoi nous voulons changer.» Rien n’est changé, mais plus rien n’est comme avant. Le temps est là. Les êtres sont fatigués. La relation avec le père perdure. Mais l’innocence est partie. A jamais. Les êtres continuent à vivre…

    « Si tu veux comprendre le mot bonheur, il faut l’entendre comme récompense et non comme but. »  (Antoine de Saint-Exupéry) On n’atteint pas le bonheur. Le bonheur n’est pas au bout du chemin. Il vient et il va. Délicatement il se pose sur nous. Nous ressentons parfois le velouté de ses ailes. C’est déjà ça !

    Mais Cécile pleure en ce moment devant sa glace. Elle a retrouvé son père. Mais elle sait qu’elle a perdu sa fraîcheur, sa jeunesse. Alors, elle pleure. Elle voit cette fille en face qui n’est plus tout à fait la même, ni tout à fait une autre, comme le dirait le poète. Elle est devenue adulte. Enfin! Mais à quel prix ? Elle n’a pas seulement perdu Anne. Elle dit bye-bye à ces anciens rêves. Elle dit adieu Jeunesse. Elle dit adieu Insouciance.

     

    Jacky Lavauzelle