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LE LAI D’ARISTOTE – ARISTOTE & PHYLLIS – Poème de Jacky Lavauzelle

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Nino Chikovani
Les légendes et les dieux
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LE LAI D’ARISTOTE
ARISTOTE & PHYLLIS

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Poème de Jacky Lavauzelle
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Ni tempérant, ni modéré
Un vent innocent sans nuance se balançait et s’engouffrait
Jusqu’aux deux parties de l’âme
Renonçant
Immense
Nostalgique
Dans les longs cheveux défaits de Phyllis
Dans de longues lignes intenses
Humides et douces
Voluptueuses
Triomphantes en un dernier long souffle
Ondulaient les dunes sous la tente
Le jour égalait la nuit
Désormais
L’heure les secondes
Se valaient
Dans les longues interstices des âmes
Babylone se désolait
Les Diadoques se réjouissaient
Babylone s’effondrait dans le long silence du monde
Oubliant jusqu’à la bataille de Gaugamèles
Bucéphale avait quitté l’écurie
Sans inquiéter personne
Aristote déclamait que la sagesse est la forme la plus achevée du savoir
Sans que personne ne l’écoute
Justin et Quinte-Curce ne savaient plus quoi écrire
Il ne se passait plus rien
Le temps aurait pu se pendre
Tout le monde s’en moquait
Pseudo-Callisthène, Julius Valerius
Tout comme Callisthène aussi
Bucéphale s’est perdu dans le ciel de Perse
Pris dans les raies de lumière
Affolé par les abstractions de vie
Alexandre s’en moquait
Comme de sa première antilope
Et les hennissements ne faisaient plus désormais que frémir les nuages
La forêt aux pucelles s’est perdue dans les nimbes
Ses chemins aux espoirs se sont envolés
Alexandre s’en moquait
Comme de son dernier tigre
Les bêtes féroces se sont pendues dans des gueules
Où les crocs aux crocs répondaient
Plus féroces que les défenses des éléphants
Les plus tranchantes
Les lames de l’ennui ont décimé les lourds pachydermes
Les femmes aquatiques ont fini par se noyer
Ignorées
Alexandre s’en moquait
Les formes et les langueurs viennent et reviennent
Se lient et se délient

Toutes choses tendent vers le bien
Disait le Philosophe en recherche de rigueur
Que nul ne trouvait
Le bien je veux dire
Les colonnes d’Hercule semblait se toucher
Lassées d’attendre les bras et les armes
Que nul ne trouvait
Perdu dans les bras de Phyllis qui se perdaient dans ceux d’Alexandre
Qui se perdaient ensuite dans les yeux de Phyllis
A l’infini

Plus aucune chevauchée éclatée sur les merveilles de l’Inde
Plus d’étalements débridés
Plus aucune trace de ces merveilles,
Les biens et les futurs se résumaient à Phyllis
Qui s’attardait alanguie
Les aventures et les gloires n’avaient plus cours
Toutes les rigueurs s’effacent vers les cœurs
Dans un cœur rassemblé et de Darius et de l’Inde
Tu ne rêves plus, Alexandre, tu ne désires plus
Plus les mêmes rêves, ni les mêmes désirs
Porus semble si loin, les marécages aussi
Sur des boucles couché, tes montagnes sont là
Mais le grain des sables est devenu le grain de peau
Sur des boucles enroulé, tes vagues sont là
Plus flou que le sein qui t’aveugle.
Plus fou que ces mains qui te parlent
Tout seul tu penches vers ce bien
Que personne ne peut plus t’enlever
Que personne n’ose te confisquer
Le Philosophe pèse le juste et l’injuste
Et il reste encore le seul que le grand homme peut écouter
Les arbres du soleil se sont couchés sous les feuilles perdues
Le Philosophe se souvient de l’enchanteur Nectanebus
Comme la belle Olympias
Comme les rochers
Comme les vagues
Qui nettoient la mousse de ses écumes funestes
Et le seul qu’Alexandre peut écouter se fait entendre
Qui vient de coucher son cœur sur les langueurs des ombres
Comme des vagues
La lanterne se balançait au rythme des deux corps
Les rochers abrupts de Phyllis
Les vagues régulières d’Alexandre
Mais Aristote le lendemain aborda
L’homme le plus célèbre de toute cette célèbre Antiquité
Son esprit n’était plus là
Les affaires en sommeil
Les invasions à l’arrêt
Les possessions en péril
Et Alexandre regardait le Philosophe
Comme l’on regarde l’évidence
Comme l’on écoute la vérité
Le monde ne se résumait pas à Phyllis
Que lui
Surtout lui ne pouvait
Ne devait
S’abaisser dans cette volupté
Même d’une épaisseur et d’une grandeur
Plus grande que le grand océan

Alexandre acquiesça

Le soir suivant
Phyllis a fait taire les airs
Les lumières
Et les ondes
Quand de la tente elle est sortie
La nuit s’est éclaircie
Le jour s’est assombrie
Et Aristote ne pensait plus
Pendant qu’Alexandre sommeillait
Il admirait cette lumière insolente
Cette énergie inassouvie sur une crinière d’étoiles
Se sentait amoureux par sa seule présence
Son esprit oublié dans une terrible absence
Phyllis s’est retournée et avec elle un long parfum
Une lumière
Et sur une ronde
Dans sa tente elle est rentrée
La nuit est redevenue la nuit
Le jour a retrouvé ses rayons
Mais Aristote ne pensait toujours pas
Une étoile manquait dans le ciel
Sans grâce désormais
Mais Aristote est restait là
Mais ne regardait plus le ciel
Le jour suivant et tous les autres jours
Alexandre passait devant le Philosophe absent
Et se demandait quelle foudre s’était abattue sur lui
Le touchait
Le regardait
Attendait
Puis s’en alla à ses affaires qui recommençait

Quand Phyllis ressortie
Elle prit la main de cette statue vivante
En l’apportant sous sa tente
A force de caresses le grand penseur
Ses esprits retrouva
Son instinct récupéra
Il recommençait à parler
Comme parle les jeunes enfants
Quand Pyllis sourit
Aristote babillait
Il regarda la tente et mit un genou à terre
Et Aristote sourit
Phyllis caressa ses longues mèches
Et Aristote souriait encore

Les jours suivants
Aristote prenait les devants
Devenait gai et entreprenant
Comme si tous ces ans
En un instant
Avaient plongé dans un grand néant

Phyllis alors établit un accord
Pour qu’il se livre corps et corps
Sans aucun remord
Pour un sublime rapport
Que de cette union il deviendrait plus fort
Jusqu’à ce que vienne la mort

Or

Il fallait pour cela devenir son Bucéphale
Parcourir des contrées glaciales
Caresser les aurores boréales
Et venir se réchauffer à son sein pâle
Et qu’elle deviendrait sa cavalière fatale
Jusqu’à ce que se termine de plaisir le dernier râle

Aristote acquiesça

Et devient la risée de la cavalerie des Compagnons
De la phalange et des porte-boucliers
Et devint un Milésien
Agissant comme un fieffé crétin
Tant et si bien
Qu’Alexandre lui donne à son tour la leçon
En l’apercevant dans sa conduite indigne
De son âge vénérable
L’amour n’est-il pas l’arme la plus dangereuse au monde ?

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DON QUICHOTTE Chapitre 1 Traduction Française Capítulo primero

 DON QUICHOTTE CHAPITRE 1

Don Quijote Don Quichotte Chapitre Premier Miguel de Cervantes Capitulo 1 Chapitre Premier Artgitato Traduction Française

 DON QUIJOTE DE LA MANCHA
El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha
DON QUICHOTTE de la Manche

Miguel de Cervantès

Capítulo primero
Chapitre Premier

 Que trata de la condición y ejercicio del famoso y valiente hidalgo don Quijote de la Mancha
Qui traite de la condition et des activités du célèbre et brave hidalgo Don Quichotte de la Manche

En un lugar de la Mancha, de cuyo nombre no quiero acordarme, no ha mucho tiempo que vivía un hidalgo de los de lanza en astillero, adarga antigua, rocín flaco y galgo corredor.
Dans un village de la Manche, dont je ne veux pas me souvenir le nom, il y a encore peu de temps vivait un hidalgo, de ceux qui vivent avec lance au râtelier et bouclier antique, bidet maigre et lévrier.
Una olla de algo más vaca que carnero, salpicón las más noches, duelos y quebrantos los sábados, lantejas los viernes, algún palomino de añadidura los domingos, consumían las tres partes de su hacienda. 
Un pot avec plutôt plus de boeuf que du mouton, une salade presque toutes les nuits, des morceaux de viande les samedis, des lentilles les vendredis, et quelques pigeonneaux en supplément le dimanche, tout ça faisant disparaître les trois quarts de son revenu.
El resto della concluían sayo de velarte, calzas de velludo para las fiestas, con sus pantuflos de lo mesmo, y los días de entresemana se honraba con su vellorí de lo más fino.
Le reste partait dans l’achat d’une tunique, des culottes de velours pour les jours de fête, de chaussons, et pour les jours de semaine il honorait de la serge la plus fine qui se puisse trouver.
Tenía en su casa una ama que pasaba de los cuarenta y una sobrina que no llegaba a los veinte, y un mozo de campo y plaza que así ensillaba el rocín como tomaba la podadera.
Il avait dans sa maison une gouvernante d’une bonne quarantaine d’années, une nièce qui n’avait pas encore vingt ans, et un garçon à tout faire autant pour les travaux des champs, pour seller la rosse que  pour manier la serpe.

Frisaba la edad de nuestro hidalgo con los cincuenta años. Era de complexión recia, seco de carnes, enjuto de rostro, gran madrugador y amigo de la caza.
 Notre hidalgo, lui, frisait la cinquantaine. Il était de construction robuste, sec de corps, la figure maigre, matinal et ami de la chasse.
Quieren decir que tenía el sobrenombre de «Quijada», o «Quesada», que en esto hay alguna diferencia en los autores que deste caso escriben, aunque por conjeturas verisímiles se deja entender que se llamaba «Quijana».
On dit qu’il avait le surnom de « Quixada » ou « Quesada », les auteurs qui écrivent à son sujet sont en désaccord, mais de vraisemblables conjectures donnent un  avantage à « Quijana. »
Pero esto importa poco a nuestro cuento: basta que en la narración dél no se salga un punto de la verdad.

Mais cela n’a que peu d’importance pour la suite de notre histoire : il suffit, en tous points, que la narration ne s’écarte pas d’un cheveu de la vérité.

 

Es, pues, de saber que este sobredicho hidalgo, los ratos que estaba ocioso —que eran los más del año—, se daba a leer libros de caballerías, con tanta afición y gusto, que olvidó casi de todo punto el ejercicio de la caza y aun la administración de su hacienda;
Il est, ensuite, nécessaire  de savoir que cet hidalgo, chaque fois qu’il était inactif, ce qui était le cas une grande partie de l’annéese consacrait à dévorer des livres de chevalerie avec tant d’ardeur et d’avidité qu’il en oubliait ce qui concerne la pratique de la chasse et tout ce qui touche à l’administration de son hacienda ;
y llegó a tanto su curiosidad y desatino en esto, que vendió muchas hanegas de tierra de sembradura para comprar libros de caballerías en que leer, y, así, llevó a su casa todos cuantos pudo haber dellos;
et sa curiosité et son engouement atteignirent un tel point qu’il vendit plusieurs parcelles de bonne terres afin d’acheter des livres de chevalerie à lire, et ramena à la maison tout ce qu’il put trouver ;
y, de todos, ningunos le parecían tan bien como los que compuso el famoso Feliciano de Silva, porque la claridad de su prosa y aquellas entricadas razones suyas le parecían de perlas, y más cuando llegaba a leer aquellos requiebros y cartas de desafíos, donde en muchas partes hallaba escrito: «La razón de la sinrazón que a mi razón se hace, de tal manera mi razón enflaquece, que con razón me quejo de la vuestra fermosura».

et, de tous les livres qu’il possédait, aucun ne lui paraissait mieux fait que ceux écrits par le célèbre Félicien de Silva, tant pour la clarté de sa prose que pour ces arguties alambiquées comme autant de perles, et surtout quand il vint à lire ces lettres d’amour et de défis chevaleresques  et où il put lire à plusieurs reprises : « la raison de la déraison qui est ma raison, en affaiblit ma raison, qu’avec raison, je me plains de votre beauté.« 
Y también cuando leía: «Los altos cielos que de vuestra divinidad divinamente con las estrellas os fortifican y os hacen merecedora del merecimiento que merece la vuestra grandeza…»
Ou encore, « des hauts cieux, ceux de votre divinité, vous fortifient divinement avec les étoiles et vous rendent digne du mérite que mérite votre grandeur ... »

Con estas razones perdía el pobre caballero el juicio, y desvelábase por entenderlas y desentrañarles el sentido, que no se lo sacara ni las entendiera el mesmo Aristóteles, si resucitara para solo ello.
Avec ces raisonnements, le pauvre gentilhomme en perdit la tête, et se trouva fort interrogé par eux afin d’en comprendre le sens, ce qu’Aristote lui-même n’aurait pu comprendre, s’il fût ressuscité à cette occasion.
No estaba muy bien con las heridas que don Belianís daba y recebía, porque se imaginaba que, por grandes maestros que le hubiesen curado, no dejaría de tener el rostro y todo el cuerpo lleno de cicatrices y señales.
Il critiquait les blessures que don Bélianis donnait et prenait, car il imaginait que, malgré ces grands maîtres qui l’avaient guéri, il devait porter tant sur le visage que sur tout le corps plein de cicatrices et de stigmates.
Pero, con todo, alababa en su autor aquel acabar su libro con la promesa de aquella inacabable aventura, y muchas veces le vino deseo de tomar la pluma y dalle fin al pie de la letra como allí se promete; y sin duda alguna lo hiciera, y aun saliera con ello, si otros mayores y continuos pensamientos no se lo estorbaran.
Mais encore, il louait cet auteur qui, à la fin de son livre,  avec la promesse d’achever cette aventure interminable, et il lui venait souvent le désir de prendre la plume et de la terminer ; et certainement il l’eût fait, et ne s’en serait pas si mal sorti, si des pensées de plus en plus absorbantes ne l’en avait empêché.
Tuvo muchas veces competencia con el cura de su lugar —que era hombre docto, graduado en Cigüenza— sobre cuál había sido mejor caballero: Palmerín de Ingalaterra o Amadís de Gaula; mas maese Nicolás, barbero del mesmo pueblo, decía que ninguno llegaba al Caballero del Febo, y que si alguno se le podía comparar era don Galaor, hermano de Amadís de Gaula, porque tenía muy acomodada condición para todo, que no era caballero melindroso, ni tan llorón como su hermano, y que en lo de la valentía no le iba en zaga.
Il avait, à plusieurs reprises , ergoté avec le curé de la contrée qui était un savant, un diplômé de Sigüenza- sur celui qui avait été le meilleur chevalier, Palmérin d’Angleterre ou Amadis de Gaule ; maître Nicolas, le barbier du village, déclara qu’aucun n’avait atteint le chevalier de Phébus, et que si quelqu’un pouvait lui être comparé, il ne pouvait s’agir que de don Galaor, frère d’Amadis de Gaule, parce qu’il était très accommodant et qui n’était pas grincheux ou larmoyant comme son frère, et que, pour ce qui touche à la question de la bravoure, il n’était pas derrière lui.

En resolución, él se enfrascó tanto en su letura, que se le pasaban las noches leyendo de claro en claro, y los días de turbio en turbio; y así, del poco dormir y del mucho leer, se le secó el celebro de manera que vino a perder el juicio.
En bref, il devint tellement absorbé dans sa lecture, qu’il passa ses nuits à lire jusqu’à la lumière du jour, et ses journées à lire jusqu’à la tombée de la nuit, qu’il s’en sécha le cerveau jusqu’à en perdre son jugement.
Llenósele la fantasía de todo aquello que leía en los libros, así de encantamentos como de pendencias, batallas, desafíos, heridas, requiebros, amores, tormentas y disparates imposibles;
Sa fantaisie grandit avec tout ce qu’il lût dans des livres, enchantements, querelles, batailles, défis, blessures, galanteries, amours, tempêtes et absurdités impossibles ;
y asentósele de tal modo en la imaginación que era verdad toda aquella máquina de aquellas soñadas invenciones que leía, que para él no había otra historia más cierta en el mundo.
et il pensait qu’étaient vraies toutes les inventions qu’il lisait, si tant est que, pour lui, il n’y avait pas d’autres histoires plus véridiques dans le monde.
 Decía él que el Cid Ruy Díaz había sido muy buen caballero, pero que no tenía que ver con el Caballero de la Ardiente Espada, que de solo un revés había partido por medio dos fieros y descomunales gigantes.
Il disait que le Cid Ruy Diaz était sans aucun doute un très bon chevalier, mais qu’il n’égalait en rien le Chevalier de l’Epée Ardente qui avec seulement un revers avait réduit de moitié deux féroces géants monstrueux.
Mejor estaba con Bernardo del Carpio, porque en Roncesvalles había muerto a Roldán, el encantado, valiéndose de la industria de Hércules, cuando ahogó a Anteo, el hijo de la Tierra, entre los brazos. 
Meilleur était Bernardo del Carpio, car à Roncevaux il tua Roland, l’enchanté, en utilisant l’artifice d’Hercule quand il  étrangla Antée, fils de la Terre, dans ses bras.
Decía mucho bien del gigante Morgante, porque, con ser de aquella generación gigantea, que todos son soberbios y descomedidos, él solo era afable y bien criado.
Il a approuvé l’éloge du géant Morgant, parce que, bien que de la race des géants, qui sont tous arrogants et peu commodes, lui seul était affable et bien élevé.
Pero, sobre todos, estaba bien con Reinaldos de Montalbán, y más cuando le veía salir de su castillo y robar cuantos topaba, y cuando en allende robó aquel ídolo de Mahoma que era todo de oro, según dice su historia. 
Mais, surtout, il y avait Renaud de Montauban, surtout quand il sortait de son château et qu’il volait tous ceux qu’il rencontrait, et qu’il déroba cette image de Mahomet qui était toute en or, selon son histoire.
Diera él, por dar una mano de coces al traidor de Galalón, al ama que tenía, y aun a su sobrina de añadidura.
Il aurait donné, pour frapper ce Ganelon de traître, sa femme de ménage, et même sa nièce, dans l’affaire.

Cervates jauregui.jpg

En efeto, rematado ya su juicio, vino a dar en el más estraño pensamiento que jamás dio loco en el mundo, y fue que le pareció convenible y necesario, así para el aumento de su honra como para el servicio de su república, hacerse caballero andante y irse por todo el mundo con sus armas y caballo a buscar las aventuras y a ejercitarse en todo aquello que él había leído que los caballeros andantes se ejercitaban, deshaciendo todo género de agravio y poniéndose en ocasiones y peligros donde, acabándolos, cobrase eterno nombre y fama.
En effet, ayant perdu ses esprits, il en vint à donner dans la notion plus étrange que jamais, en pensant qu’il serait  juste et nécessaire, tant pour son honneur que pour servir son pays, à devenir un chevalier errant, à aller partout dans le monde avec ses armes et son cheval à la recherche d’aventures, à mettre en œuvre tout ce qu’il avait pu lire sur les chevaliers errants, défaisant toutes sortes de périls afin qu’il récolte une renommée et une gloire éternelle.
Imaginábase el pobre ya coronado por el valor de su brazo, por lo menos del imperio de Trapisonda; y así, con estos tan agradables pensamientos, llevado del estraño gusto que en ellos sentía, se dio priesa a poner en efeto lo que deseaba.
Il s’imaginait, le pauvre, couronné par la valeur de son bras, au moins de par l’empire de Trébizonde [Trabzon] ; et ainsi, dans le flux de ses pensées, mené par cette jouissance intense qu’il ressentait, il se hâta de mettre son projet en œuvre.
 Y lo primero  que hizo fue limpiar unas armas que habían sido de sus bisabuelos, que, tomadas de orín y llenas de moho, luengos siglos había que estaban puestas y olvidadas en un rincón.
Et la première chose qu’il fit fut de nettoyer une armure qui avait appartenue à ses grands-parents, qui, prise par la rouille et couverte de moisissures  depuis les siècles où elle reposait, oubliée dans un coin.
Limpiólas y aderezólas lo mejor que pudo; pero vio que tenían una gran falta, y era que no tenían celada de encaje, sino morrión simple; mas a esto suplió su industria, porque de cartones hizo un modo de media celada que, encajada con el morrión, hacían una apariencia de celada entera.
Il la dégraissa et la nettoya du mieux qu’il put ; mais il s’aperçut qu’il manquait quelque chose et qu’au lieu du heaume complet, il ne possédait qu’un simple casque. Mais il le compléta ingénieusement avec des cartons en guise de visière et le tout donna l’apparence d’un heaume complet.
Es verdad que, para probar si era fuerte y podía estar al riesgo de una cuchillada, sacó su espada y le dio dos golpes, y con el primero y en un punto deshizo lo que había hecho en una semana;
Il est vrai que, pour tester la force de sa composition et son aptitude à essuyer des coupures, il tira son épée et lui a donné deux coups de tranchant ;  le premier coup détruisit ce qu’il avait fait en une semaine ;
y no dejó de parecerle mal la facilidad con que la había hecho pedazos, y, por asegurarse deste peligro, la tornó a hacer de nuevo, poniéndole unas barras de hierro por de dentro, de tal manera, que él quedó satisfecho de su fortaleza y, sin querer hacer nueva experiencia della, la diputó y tuvo por celada finísima de encaje.
et cette facilité avec laquelle il l’avait brisé, et, pour à coup sûr se protéger d’un éventuel danger, il retourna à l’ouvrage, mis des barres de fer à l’intérieur, de sorte qu’il était satisfait de sa force et sans le soumettre à une nouvelle expérience, il déclara qu’il possédait-là un heaume de la plus fine perfection et finesse.

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Fue luego a ver su rocín, y aunque tenía más cuartos que un real y más tachas que el caballo de Gonela, que «tantum pellis et ossa fuit», le pareció que ni el Bucéfalo de Alejandro ni Babieca el del Cid con él se igualaban.
Il est ensuite allé voir sa monture, et même si celle-ci avait plus de tares que de parties et plus de défauts que le cheval de Gonèle qui  «tantum pellis et ossa fuit » [il n’avait plus que la peau et les os], il lui  semblait que ni le Bucéphale d’Alexandre ni le Babiéca  du Cid ne pouvaient l’égaler.
Cuatro días se le pasaron en imaginar qué nombre le pondría; porque —según se decía él a sí mesmo— no era razón que caballo de caballero tan famoso, y tan bueno él por sí, estuviese sin nombre conocido;
Quatre jours passèrent en pensant au nom qu’il lui donnerait ; car, dit-il en lui-même- il est nécessaire que la monture d’un si fameux cavalier, et aussi bon par lui-même, porte un nom distinctif ;
y ansí procuraba acomodársele, de manera que declarase quién había sido antes que fuese de caballero andante y lo que era entonces;
et ainsi il chercha un nom qui indiquerait le chevalier errant qu’il était ;
pues estaba muy puesto en razón que, mudando su señor estado, mudase él también el nombre, y le cobrase famoso y de estruendo, como convenía a la nueva orden y al nuevo ejercicio  que ya profesaba;
car il est raisonnable que son maître changeant d’état, il devait prendre un nom, plus célèbre et pompeux, comme le voulait l’étiquette associée à son nouvel ordre et à sa nouvelle profession ;
y así, después de muchos nombres que formó, borró y quitó, añadió, deshizo y tornó a hacer en su memoria e imaginación, al fin le vino a llamar «Rocinante», nombre, a su parecer, alto, sonoro y significativo de lo que había sido cuando fue rocín, antes de lo que ahora era, que era antes y primero de todos los rocines del mundo.
et ainsi, après de nombreux noms formés, effacés puis éliminés, ajoutés, construits et déconstruits dans sa mémoire et son imagination, finalement il vint à l’appeler «Rossinante» nom, à son avis, noble, sonore et qui signifiait ce qu’elle avait été quand elle était une rosse avant et ce qu’elle était maintenant, elle était d’abord, et avant tout, la première de toutes les rosses du monde.

Puesto nombre, y tan a su gusto, a su caballo, quiso ponérsele a sí mismo, y en este pensamiento duró otros ocho días, y al cabo se vino a llamar «don Quijote»;
Depuis qu’il donnât un nom, à son goût, à son cheval, il était impatient de s’en donner un à lui-même, et cette pensée dura huit jours, après lesquels il s’arrêta sur « Don Quichotte« ;
de donde, como queda dicho, tomaron ocasión los autores desta tan verdadera historia que sin duda se debía de llamar «Quijada» , y no «Quesada», como otros quisieron decir.
où, comme indiqué ci-dessus, les auteurs de cette histoire vraie ont pris l’habitude de l’appeler « Quijada » et non « Quesada » comme d’autres l’auraient fait croire.
Pero acordándose que el valeroso Amadís no sólo se había contentado con llamarse «Amadís» a secas, sino que añadió el nombre de su reino y patria, por hacerla famosa, y se llamó «Amadís de Gaula», así quiso, como buen caballero, añadir al suyo el nombre de la suya y llamarse «don Quijote de la Mancha», con que a su parecer declaraba muy al vivo su linaje y patria, y la honraba con tomar el sobrenombre della.
Mais se souvenant que le valeureux Amadis ne se contentait pas de simplement s’être appelé «Amadis» tout simplement, mais avait ajouté le nom de son royaume et pays pour le rendre plus célèbre encore, et s’était appelé « Amadis de Gaule », il souhaitait, comme tout bon chevalier, ajouter le nom de la sienne et s’appeler ainsi « Don Quichotte de la Manche« , ce qui, à son avis, décrivait avec précision son origine et le pays, et qu’il lui faisait honneur de le prendre comme nom de famille.

  Limpias, pues, sus armas, hecho del morrión celada, puesto nombre a su rocín y confirmándose a sí mismo, se dio a entender que no le faltaba otra cosa sino buscar una dama de quien enamorarse, porque el caballero andante sin amores era árbol sin hojas y sin fruto y cuerpo sin alma. Decíase él:
Ayant donc nettoyé les armes, et fait un heaume du morion, mis un nom à a monture et confirmé le mien, laissant entendre qu’il ne manquait rien mais seulement une dame et d’en tomber amoureux, parce qu’un chevalier errant sans amour serait comme un arbre sans feuilles ni fruits et un  corps sans âme. Il se dit :
—Si yo, por malos de mis pecados, o por mi buena suerte, me encuentro por ahí con algún gigante, como de ordinario les acontece a los caballeros andantes, y le derribo de un encuentro, o le parto por mitad del cuerpo, o, finalmente, le venzo y le rindo, ¿no será bien tener a quien enviarle presentado, y que entre y se hinque de rodillas ante mi dulce señora, y diga con voz humilde y rendida:
Si moi, par mes péchés, ou par ma bonne fortune, je me trouve devant un géant, comme il arrive souvent aux chevaliers de mon espèce, et que je le démolisse, ou que je le fende par la moitié de son corps, ou finalement qu’il m’implore une reddition, il serait souhaitable de l’envoyer en offrande, afin qu’il se présente et tombe à genoux devant ma douce dame, et lui dise d’une voix humble et soumise :
«Yo, señora, soy el gigante Caraculiambro, señor de la ínsula Malindrania, a quien venció en singular batalla el jamás como se debe alabado caballero don Quijote de la Mancha, el cual me mandó que me presentase ante la vuestra merced, para que la vuestra grandeza disponga de mí a su talante»?
«Moi, madame, je suis Caraculiambro le géant, seigneur de l’île Malindrania, qu’ a vaincu, en combat singulier, le chevalier jamais suffisamment vanté Don Quichotte de la Manche, qui m’a ordonné de me présenter devant Votre Grâce, que Votre Altesse dispose de moi selon son bon plaisir ? »

¡Oh, cómo se holgó nuestro buen caballero cuando hubo hecho este discurso, y más cuando halló a quien dar nombre de su dama!
Oh, combien notre chevalier jouissait quand il fit ce discours, et plus particulièrement quand il trouva comment appeler sa Dame!
Y fue, a lo que se cree, que en un lugar cerca del suyo había una moza labradora de muy buen parecer, de quien él un tiempo anduvo enamorado, aunque, según se entiende, ella jamás lo supo ni le dio cata dello.
Et c’était, à ce qu’on croit, dans un lieu proche sien que vivait une paysanne de très bonne apparence, de qui, un temps, il fut amoureux, même si, comme de bien entendu, elle n’en su jamais rien.
Llamábase Aldonza Lorenzo, y a esta le pareció ser bien darle título de señora de sus pensamientos;
Elle s’appelait Aldonza Lorenzo, c’est à elle qu’il jugea bon de lui conférer le titre de Dame de ses pensées ;
y, buscándole nombre que no desdijese mucho del suyo y que tirase y se encaminase al de princesa y gran señora, vino a llamarla «Dulcinea del Toboso» porque era natural del Toboso : nombre, a su parecer, músico y peregrino y significativo, como todos los demás que a él y a sus cosas había puesto.
et la recherche d’un nom en harmonie avec le sien, se devait de suggérer et d’indiquer une princesse et une grande dame, il  décida de l’appeler « Dulcinée du Toboso » parce qu’elle était originaire du village de Toboso, et qui, à son avis, était musical, rare et distingué, comme toutes les choses qui formaient son équipage.

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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LES FORBANS DE LA NUIT (Dassin) LA FUITE INFERNALE

Jules DASSIN
LES FORBANS DE LA NUIT
Night and the City
1950

LA FUITE INFERNALE

LES FORBANS DE LA NUIT Night and The City Jules Dassin Artgitato

Les Forbans de la nuit est une œuvre sur la fuite. « Qui fuis-tu ? » demande l’héroïne. Harry pense pourtant fuir pour sortir du pétrin dans lequel il s’enfonce un peu plus. « Tu ne peux pas passer ta vie à fuir » languit-elle. Mais depuis longtemps ils ne font plus de projets à deux. Il est déjà trop loin. Aux confins de la vie, à la frontière des turpitudes et de la mort. Il est là, sorte de Chaplin perdu dans les histoires nauséabondes, entre les deux rives, près du précipice.

Et quand Harry ne fuit plus, c’est qu’il est traqué, c’est qu’il se terre, ou qu’il est mort.

LES TEMPS ONT CHANGE
La fuite comme cette course vers la modernité que regarde Jules Dassin. Dans la ville, le spectacle de lutte en est l’illustration. Le fils Kristo (Herbert Lom) adepte d’une lutte revisitée et grand spectacle, la lutte moderne, celle qui l’oppose à son père, le grand Gregorius (Stanilaus Zbyszko), chantre de la beauté et de la grandeur de l’éternelle lutte classique gréco-romaine, celle que l’on pratique à Athènes.  « Comprends, dit le fils, que les temps ont changé. » A cela son père répond qu’ « on n’oublie pas la noble lutte. »

Harry est un homme mort de s’être brûlé les ailes dans sa courses effrénées. « Un homme mort » comme lui annonce son boss, Phil Nosseross (Francis L. Sullivan), dans le cabaret, dans un dernier coup de cymbales. Mort comme dans la descente de l’escalier qui suit et qui ouvre sur la rue et sur la voiture qui le frôle.

JE NE POUVAIS PAS SUIVRE
Sa compagne l’air hagard le suis des yeux et tente de le comprendre. Mais elle avouera : « je ne pouvais pas suivre. » Harry est l’homme des mauvais choix. Il prend toujours la mauvaise solution. Et il glisse peu à peu dans de terribles sables mouvants.

Les pirates qui opèrent sous nos yeux, roulent sur les vagues londoniennes des tripots et des cloaques interlopes de la banlieue. Tout est bon pour quelques billets, pour quelques pounds. Ils courent, fuient et mentent. La bonne affaire est pour maintenant. Night and the City, le titre original, marque bien la séparation entre les deux planètes, la Nuit, où les forbans fourbissent leurs armes et la City, la lumière et la respectabilité.

L’ENFER AUTOUR DANSE
La nuit est l’acteur principal du film de Jules Dassin. « Mais voici dans l’ombre  Qu’une ronde sombre  Se fait, L’enfer autour danse, Tous dans un silence Parfait. » (La Nuit, Alfred de Musset, Poésies posthumes) C’est l’enfer qui remplit les yeux d’Harry qui court sans voir que la seule pépite qui brille encore dans son quartier, Marie, Gene Tierney, est à ses côtés. Impassible Mary. Quasi biblique. Mary est une sainte, qui, à chaque fois renouvelle son attente. Elle a connu Harry autrefois bien différent. Mais Harry ne change plus. Elle qui a entendu ses plans et ses éclairs de génie « mille fois ».

HOW MUCH ?
Mais Mary espère encore et toujours d’un avenir à l’odeur de passé, Mary espère toujours au mariage. Elle pense pouvoir le sauver, mais, trop lourd de toutes ses fautes, ne pourra l’empêcher de rejoindre les abîmes.

Harry Fabian est un de ces petits forbans à l’imagination féconde et destructrice. Tous les plans sont plus troués que les précédents. La rencontre avec une ancienne légende de la lutte gréco-romaine est l’ultime plan qui devrait le mettre enfin dans la lumière, lui, le petit escroc sans envergure et décrédibilisé aux yeux de tous. How much ? La seule question qui vaille la peine pour Harry.

Jules Dassin joue sur le contraste de la ville où les gens vont à leurs occupations et de sa banlieue où les truands règlent leurs derniers comptes, de ses lumières et de ses ombres, de cette course effrénée à la mort pour une histoire de quelques billets. Et ce contraste entraîne le mouvement infini. Les pauses n’existent pas.

UNE NUIT DANS LA VILLE
La musique du générique de langoureuse devient calme. La nuit est là qui s’est faite avec quelques lumières éparses qui se mirent dans la Tamise. La musique se bloque sur une note pour devenir tranquillement inquiétante. Une voix claire, calme annonce : « une nuit dans une ville. Cette nuit, l’autre nuit, n’importe quelle nuit. La ville, Londres. » La musique devient stridente et extrêmement rapide comme une course poursuite. Un homme est seul dans la nuit, dans la ville, sur une place immense…

TU POUVAIS TOUT REUSSIR
…C’est Harry. La course qu’il commence finira par sa mort. Les rues se font plus étroites. Harry prend le temps, toutefois, de ramasser la fleur tombée de sa boutonnière. C’est un professionnel. La manière de remettre son costume avant de rentrer chez Marie le confirme.

Le sac à main qui s’offre sur la table de chevet devient une évidence. Surpris par Marie, Harry ne se dégonfle pas ; « je cherchais une cigarette. » Marie n’est pas dupe. Elle passe l’éponge. Elle seule voit quelque chose en lui. « Tu pouvais tout réussir. » Mais Harry s’est perdu.

UNE OCCASION UNIQUE !
Pour Harry, tout est « une occasion unique ! » Harry pense toujours à la dernière affaire. Après les bons paris, l’association juteuse dans un cynodrome. La dernière et tout redeviendra comma avant. Il s’occupera de Marie. Il sera dans le droit chemin. Enfin. C’est sans oublier ce qu’Aristote disait déjà dans l’Ethique à Nicomaque : « Les hommes s’imaginent qu’il est en leur pouvoir d’agir injustement, et que par suite il est facile d’être juste. Mais cela n’est pas exact …Il y a des êtres qui sont incapables de tirer profit d’aucune portion de ces biens, ce sont ceux qui sont irrémédiablement vicieux et à qui tout est nuisible. » (Trad. J. Tricot, V-13, Ed. J. Vrin) Harry est un de ceux-là. Tout ce qu’il touche se transforme en rien. Mais il y croit. Toujours.

JE VEUX ÊTRE QUELQU’UN
Il veut réellement réussir. Il le répète à l’envi : « je veux être quelqu’un. » Il veut montrer à tous que lui aussi peut être reconnu, apprécié, respecté.

« La ronde contente, En ris éclatante, Le prend ; Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. » (La Nuit, Alfred de Musset, Poésies posthumes)

Harry est pris dans sa ronde. Son rire éclatant d’hyène s’est éteint dans la nuit. Là, sur les quais de la Tamise. Lui aussi a retrouvé son rang. Celui du forban malheureux pour avoir trop voulu la lune et avoir trop cru en sa chance.

POUR LA PREMIERE FOIS, J’AI UN PLAN SANS FAILLE
Jusqu’à la fin, Harry croira à son étoile. « Harry Fabian n’a pas dit son dernier mot. » Il veut se donner afin que Mary puisse récupérer la rançon de 1000 livres. Il jouera jusqu’à la fin avec son âme et les sentiments de Mary. « Dis-lui où je suis, tu auras 1000 livres. Il faut bien que quelqu’un les touche. Pour la première fois, j’ai un plan sans faille

Mary sait alors qu’Harry est définitivement perdu. A jamais. Harry est mort Déjà !

Le « Reviens » de Mary n’y fera rien. L’aube se lève. Le jour enfin. La ville a perdu Harry qui désormais flotte dans la Tamise.

« Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. »

Jacky Lavauzelle

Les personnages
Harry Fabian (Richard Widmark) Mary Bristol (Gene Tierney) Helen Mosseross (Googie Withers)  Adam Dunne (Hugh Marlowe)  Phil Nosseross (Francis L. Sullivan) Kristo (Herbert Lom) Gregorius (Stanilaus Zbyszko) L’étrangleur (Mike Mazurki) Molly (Ada Reeve)

SENEQUE : DE BREVITATE VITAE – DE LA BRIEVETE DE LA VIE

Sénèque

DE BREVITATE VITAE
De la brièveté de la vie

Sénèque De brevitae Vitae Argitato De la briéveté de la vie

Traduction Jacky Lavauzelle – artgitato.com

CHAPITRE I

Maior pars mortalium, Pauline, de naturae malignitate conqueritur,

La grande majorité des mortels, Paulinus, se plaignent de la malignité de la nature,

quod in exiguum aeui gignimur, quod haec tam uelociter,

que nous naissons pour une vie si courte, que les choses vont si vite

tam rapide dati nobis temporis spatia decurrant,

que le temps qui nous a été accordé passe si vite

adeo ut exceptis admodum paucis ceteros in ipso uitae apparatu uita destituat.

si bien qu’à l’exception d’une minorité, les hommes ne trouvent la vie que quand elle les abandonne.

Nec huic publico, ut opinantur, malo turba tantum et imprudens uulgus ingemuit :

Ce fait, selon l’opinion,  ne concerne pas uniquement la foule et le vulgaire

 clarorum quoque virorum hic affectus querelas evocavit. 

Il est clair que les hommes célèbres sont aussi affectés par ces plaintes.

Inde illa maximi medicorum exclamatio est :

De là ce que s’écria le plus grand des médecins :

« Vitam brevem esse, longam artem« .

La vie est courte, l’art est long.”

Inde Aristotelis cum rerum natura exigenti, minime conveniens sapienti viro lis est :

De là ce qu’Aristote, avec l’argument de la nature, incompatible avec la nature du sage, dit ;

illam animabilibus tantum indulsisse, ut quina aut dena secula educerent,

La nature a montré une telle faveur aux animaux, enfantant pendant cinq ou dix existences,

homini in tam multa genito, tanto citeriorem terminum stare.

l’homme aux multiples talents,  lui doit se contenter d’un temps beaucoup plus court.

Non exiguum temporis habemus : sed multum perdimus.

Nous n’avons pas un manque de temps : nous en perdons seulement beaucoup.

Satis longa vita, et in maximarum rerum consumationem large data est,

La vie est assez longue, et un maximum de choses peut y être accompli,

 si tota bene collocaretur.

si tout y est bien employé.

Sed ubi per luxum ac negligentiam defluit,

Mais quand c’est dans le luxe et l’insouciance,

ubi nulli rei bonae impenditur ;

il ne se consacre à rien de bon ;

ultima demum necessitate cogente,

Au dernier moment enfin,

quam ire non intelleximus, transisse sentimus.

celui que nous percevons, nous presse alors.

Ita est, non acceptimus brevem vitam, sed fecimus :

C’est la vérité, nous n’avons pas une vie courte, mais nous l’avons faite ainsi :

nec inopes ejus, sed prodigi sumus.

nous ne le voulons pas, mais nous la gaspillons.

Sicut amplae et regiae opes,

Tout comme de grandes et princières richesses,

ubi ad malum dominum pervenerunt,

qui sont données à un mauvais propriétaire,

momento dissipantur, at quamvis modicae,

dispersées en un moment, alors qu’une modeste fortune,

si bono custodi traditae sunt, usu crescunt :

à un bon gardien, croît avec l’usage :

ita aetas nostra bene disponenti multum patet.

de même notre vie sera assez longue si on en dispose avec sagesse.

 CHAPITRE II

Quid de rerum natura querimur ?

Pourquoi se plaindre de la nature?

Illa se benigne gessit : vita, si scias uti, longa est.

Elle s’est montrée bienveillante, la vie, si on sait comment la vivre.

Alium insatiabilis tenet avaritia :

L’un est rongé par une insatiable cupidité,

alium in supervacius laborius operosa sedulitas :

un autre par une pénible dévotion à d’inutiles tâches,

alius vino madet :

un autre demeure aviné,

alius inertia torpet :

un autre paresseux,

alium defatigat ex alienis judiciis suspensa semper ambitio :

un autre fatigué d’ambition qui reste suspendu au jugement d’autrui,

alium mercandi praeceps cupiditas circa omnes terras,

un autre se targue de négoces et pousse son avidité sur toutes les terres,

omnia maria, spe lucri, ducit.

toutes les mers, dans l’espoir de gain.

Quosdam torquet cupido militae,

Certains tourmentés par la cupidité des combats,

nunquam non aut alienis periculis intentos, aut suis anxios :

n’ont jamais oublié de mettre les autres en péril, sans autre anxiété,

sunt quos ingratus superiorum cultus voluntaria servitute consumat.

Enfin certains se dévouent à d’illustres ingrats dans une servitude volontaire.

Multos aut affectatio alienae fortunae,

Beaucoup désirent s’aliéner les fortunes des autres hommes,

aut suae odium detinuit :

ou haïssent leur destinée :

plerosque nihil certum sequentes,

plusieurs sans but particulier suivent

vaga et inconstans et sibi displicens levitas per nova consilia jactavit.

une pente vague et inconstante, jettent leur dévolu sans cesse sur de nouveaux projets.

Quibusdam nihil quo cursum dirigant, placet,

Certains ne trouvent  rien qui les attire, et les rend heureux,

sed marcentes oscitantesque fata deprehendunt :

mais la mort les ramasse sans qu’ils n’aient jamais eu de destinée,

adeo ut quo apud maximum poetarum more oraculi dictum est,

tant et si bien qu’il a été dit, à l’instar d’un oracle, par le plus grand des poètes,

verum esse non dubitem :

Je ne doute pas de cette vérité :

Exigua pars est vitae, quam nos vivimus ;

Nous ne vivons qu’une petite partie de notre vie

certum quidem pmne spatium,

Il est certain que toutes les autres parties,

non vita, sed tempus est.

ne sont pas de la vie, c’est du temps écoulé.

Urgentia circumstant vitia undique :

Le vice nous entoure partout,

nec resurgere, aut in dispectum veri attollere aculos sinunt,

il s’accroît tellement que nos yeux ne sont permettent plus de discerner la vérité,

sed mersos, et in cupiditabitus infixos premunt.

mais nous plonge dans le bain des victimes de la cupidité.

Nunquam illis recurrere ad se licet,

Nous ne sommes plus autorisés à retourner à notre moi véritable,

si quando aliqua quies fortuito contigit :

même quand le hasard fortuitement relâche l’étreinte des passions,

velut in profundo mari,

flottant comme sur une mer profonde,

in quo post ventum quoque volutatio est,

sur laquelle  les vagues restent agitées même après que la tempête soit passée,

fluctuantur, nec unquam illis a cupiditabitus suis otium instat.

jamais à la folie des passions le calme ne fait suite.

 

De istis me putas disserere,

Vous pensez que je n’évoque que des personnes,

quorum in congesso mala sunt :

qui ont accumulés les maux :

aspice illos ad quorum felicitatem concurritur :

Regardez ces hommes qui vont  vers la prospérité :

bonis suis effocantur.

étouffant sous leurs biens.

Quam multis graves sunt divitiae ?

Combien, nombreux, sont sous le poids des richesses ?

Quam multorum eloquentia,

Combien, nombreux, pour cette éloquence,

quotidiano ostentandi ingenii spatio, sanguinem educit ?

ont déployé leur génie, et fait couler le sang?

quam multi continuis voluptatibus pallent ?

combien sont épuisés de leurs continuels plaisirs voluptueux ?

quam multis nihil liberi relinquit circumfusus clientium populus ?

De nombreux clients se pressent à leur sujet ne leur laissant aucune liberté ?

Omnes denique istos, ad infimis usque ad summos, pererra :

Enfin, dans tout cela, en ce qui concerne la plus haute comme la plus basse société,

hic, advocat, hic adest, ille perilitatur, ille defendit, ille judicat.

l’un veut une sommation, un autre souhaite qu’on l’assiste, celui-ci s’estime être en péril, l’autre veut qu’on le défende, celui-là est juge.

Nemo se sibi vindicat :

Personne ne s’appartient :

alius in alium consumitur.

les uns se consument avec les autres.

Interroga de istis, quorum nomina ediscuntur :

Renseignez-vous sur ces hommes, dont les noms sont connus de tous :

his illos dignosci videbis notis :

vous les verrez différemment :

hic illius cultor est, ille illus, suus nemo.”

«ici l’un rend ses devoirs à l’un, celui-ci à un autre, mais pas à soi-même. ».

Deinde dementissima quorundam indignatio est :

Ensuite, certains s’indignent dans des démentielles colères:

queruntur de superiorum fastidio,

se plaignant du faste des gens supérieurs,

quod ipsis adire volentibus non vacaverint.

qui n’ont pas eu le temps de les recevoir.

Audet quisquam de alterius superbia queri,

Comment ont-ils l’audace de se plaindre de la fierté d’un autre,

qui sibi ipse nunquam vacat ?

celui qui n’a jamais le temps pour soi ?

Ille tamen, quisquis est, insolenti quidem vultu,

Cet homme, quel qu’il soit, avec son visage insolent,

sed aliquando respexit :

vous a respecté,

ille aures suas ad tua verba demisit :

vous a écouté,

ille te ad latus suum recepit :

placé à ses côtés,

tu non inspicere te unquam,

alors que vous, vous  ne vous êtes jamais regardé,

non audire dignatus es.

ni accordé une audience.