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MILLION DOLLAR BABY – LA BOXE AU COEUR

 Clint Eastwood
MILLION DOLLAR BABY
2004

Million Dollar Baby Artgitato Eastwood

 La Boxe au cœur

« Personne ne t’a-t-il dit que ces yeux audacieux, Ces doux yeux audacieux, Ces doux yeux, devraient être mieux avisés ? Ou avertie du désespoir que connaissent Les papillons qui se brûlent les ailes ? J’aurais pu t’avertir ; mais tu es jeune, Ainsi nous parlons une langue différente. Ô, tu prendras tout ce qui s’offre, Et rêveras que le monde est tout amitié ; Tu souffriras comme ta mère a souffert, Et sera brisée, comme elle, pour finir ; Mais je suis vieux, tu es jeune, Et je parle une langue barbare » (Yeats, Deux ans plus tard)

LA BOXE, C’EST CONTRE NATURE,
TOUT MARCHE A L’ENVERS !

Le mouvement le plus sûr n’est pas nécessairement droit devant. En boxe plus qu’ailleurs. Il faut tout oublier, se mettre d’abord à nu, puis ensuite apprendre au plus profond les règles fondamentales. C’est le rôle de l’entraîneur Frankie Dunn (Clint Eastwood). Et Dunn à l’envers donne Nud, Nude, Nu.

IL FAUT DECAPER JUSQU’A L’OS

La nudité va plus loin que le vernis, elle va profond, jusqu’à l’os. Il faut que tout se vide. Pour qu’enfin l’être se remplisse.  « Pour fabriquer un boxeur, il faut décaper jusqu’à l’os. Il ne suffit de leur dire d’oublier tout ce que l’on a appris. Il faut les épuiser jusqu’à ce qu’ils n’écoutent plus que toi, qu’ils n’entendent plus que toi, qu’ils ne fassent plus que ce que tu leur dis. Rien d’autre. Leur expliquer comment garder leur équilibre et faire perdre le sien à l’adversaire. Comment faire partir l’impulsion d’un orteil et fléchir les genoux. Comment continuer à se battre en reculant pour décourager l’autre de te poursuivre, et ainsi de suite, et, quand on a tout vu, on recommence encore et encore, jusqu’à ce qu’ils croient qu’ils ont ça dans le sang ».

« A NOUS QUI SOMMES VIEILLES, VIEILLES ET GAIES, O SI VIEILLES » (Yeats, L’Île du lac d’Innisfree)

Le personnage de Frankie prend à contrepied l’image que chacun se fait d’un entraîneur un peu mafieux. Si la carapace est dure, le cœur est tendre. « Ils trouvèrent un vieil homme qui y courait…il avait l’œil vif d’un écureuil » (Yeats, Baile et Aillinn). Il ne tardera pas à prendre sous son aile l’oiseau mazouté par la vie qu’est Hilary Swank (Maggie Fitzgerald). Il apprend le gaëlique pour lire le poète irlandais dans le texte. Il est soigneur et poète. Il soigne les plaies du corps et tente de comprendre comment se referment celles de l’âme. D’où son incessant questionnement auprès du curé. « Je chevauchai le long des plaines du rivage, où tout est nu et gris » (Yeats, Le voyage d’Usheen).

TU EXPRIMES TES EMOTIONS, C’EST BIEN !

Frankie et Eddie ‘Scrap’ (Morgan Freeman) sont les deux vieux amis qui vivent leurs souvenirs et leurs regrets aussi ? « Vieux arbres brisés par la tempête, Qui projettent leurs ombres sur le chemin et le pont » (Yeats, En souvenir du Commandant Robert Gregory). Ils se connaissent par cœur et au travers du cœur : « Tu fais des progrès à ce que je vois. Tu exprimes tes émotions, c’est bien ! »

« CE QUE JE TE DEMANDE CE N’EST PAS DE COGNER DUR,
C’EST DE COGNER JUSTE ! »

Une fois nu, le travail peut commencer. Marcher et respirer. Apprendre à se tenir. Comme un nouveau-né. Il lui faut ensuite quatre à cinq ans pour que celui-ci marche et parle et puisse commencer à vivre, à se défendre, à argumenter. Il faut quatre ans aussi pour faire un véritable boxeur. Hilary doit réapprendre à frapper, à bouger, à tenir son menton, son buste.

TE FAIRE PERDRE L’EQUILIBRE

A tourner, à avancer et reculer, à savoir prendre pour donner. « Dis-toi que ce n’est pas un sac. Il faut d’abord que tu t’imagines que c’est un homme et qu’il bouge sans arrêt. Il te tourne autour et puis, il s’éloigne de toi. Il ne faut pas que tu essaies de frapper quand il vient vers toi, parce que le résultat, c’est qu’il va te repousser et que les coups ne porteront pas, il va les amortir et te faire perdre l’équilibre. Donc tu ne le perds pas des yeux, tu lui tournes autour. La tête bien mobile. Toujours une épaule bien en arrière, toujours prête à lui balancer une bonne frappe, le menton bien rentré… »

AU LIEU DE FUIR LA DOULEUR, TU VAS LA CHERCHER !

Ensuite, connaître ses limites. « S’il y a de la magie dans la boxe, c’est la magie du combat livré au-delà de ses propres limites, au-delà des côtes fêlées, des reins brisés, des rétines décollées. La magie qui fait qu’on prend tous les risques pour un rêve qu’on est seul à connaître».

« S’IL N’Y AVAIT POINT DE JOIE SUR TERRE, RIEN NE CHANGERAIT ET NE NAÎTRAIT PLUS » (Yeats, Les Voyages d’Usheen)

« Elle avait grandi avec une certitude : elle ne valait rien ! ». La frappe et la rage de Hilary montre à chaque pas l’étendue de la faille. Le cratère est immense, et les dons de Frankie ne pourront pas complètement le gommer. C’est un petit chat perdu dans notre monde.

C’EST QU’EN BOXANT QUE JE ME SENS BIEN !

« J’enterre une année de plus à entasser des piles d’assiettes et des steaks. Et je fais ça depuis l’âge de treize ans… A côté de ça, mon frère est en prison, ma sœur a perdu son bébé et elle arnaque les services sociaux en leur faisant croire qu’elle l’élève. Mon père est décédé et ma mère pèse cent vingt kilos. Alors, si j’étais réaliste, je retournerais vivre là-bas, j’achèterais une caravane d’occase, une friteuse, de la bière, du beurre de cacahouète. Mon problème, c’est qu’en boxant que je me sens bien. Alors, si je suis trop vieille, j’aurais tout raté ! » Il lui reste toute sa fierté et son courage, sa rage. Elle fonce dès le début du combat. Elle broie ses adversaires. Les émiette. Une extrême force et pourtant si fragile…

« Mais certaines blessures sont trop profondes, trop près de l’os. On a beau faire, elles ne s’arrêteront jamais de saigner »

Jacky Lavauzelle

LE JARDIN DES FINZI-CONTINI

Vittorio De Sica
LE JARDIN DES FINZI-CONTINI
1970

Dans le Jardin des Finzi Contini Vittorio de Sica Artgitato

La différence
des semblables

Comment trouver les couleurs du temps qui passe ?
Jacques Demy déjà avait filmé une couleur du temps, un temps bleu écrémé d’un nuage clair et mouvant, éblouissant notre Jean Marais royal. C’était le temps féérique, le temps rêvé.
C’était en 1970 aussi ! La première des robes que demande Catherine Deneuve, avant la robe couleur de lune, la robe couleur du soleil et la peau de l’Âne, c’est cette robe couleur du temps. Comme le dit Delphine Seyrig,« Une robe couleur du temps, c’est horriblement compliqué et très coûteux, jamais avec tout son pouvoir, il ne pourra vous l’obtenir».

DANS LE TEMPS DE LA MEMOIRE ET DU SOUVENIR

La couleur du temps dans Le Jardin de De Sica est beaucoup moins fantaisiste et plus automnale. Nous passons du conte à l’Histoire. Du bleu de Demy au noir des chemises dans les rues de Ferrare. Ennio Guarnieri (Ginger & Fred) à la photographie rend le passage et la lumière du temps réel sensibles. Nous sommes dans un autre temps, celui de la mémoire et du souvenir, dans le temps de l’histoire qui semble parfois s’immobiliser et s’affole souvent.

LA SOURCE EST DANS LE JARDIN. MAIS QUELLE SOURCE ?

Là, le temps s’inscrit dans les éléments du jardin. Pas dans le Jardin, dans ses parties.
Les couleurs du jardin : lumière et ombres, clair et flou, mise au point, le proche et le lointain, l’arrière-plan et gros plans, le plaisir du soleil sur la peau, le rayon de soleil de l’hiver, le rouge des feuilles au printemps, la lumière de l’hiver.
Les couleurs franches de l’été, les couleurs obliques au travers des feuilles diaphanes.

QUAND IL MANQUE LA JOIE DE VIVRE

On ne voit que de la lumière pour le moment.
Pour chaque lumière, une ombre toujours aux aguets. Pourtant toutes ces entités vivent ce passage et en sont affectées. Sauf le Jardin lui-même.
Lui seul dans son ensemble semble être hors du temps, tout comme la famille Finzi-Contini qui règne sur Ferrare. Une grande famille ferraraise dans sa ville tout en étant hors de la ville.
La famille elle-même, vieille famille juive italienne, ne semble pas vivre, subir, réagir aux évènements de ces années où le fascisme suit la tangente du régime nazi en promulguant des lois antisémites. Alberto (Helmut BERGER), le fils, est dans son refuge. Il vit dans l’air du Jardin. Il est beau et plein de vie sur le court de tennis au début du film. Mais, « chaque fois que je sors, je me sens épié, envié. Ici, je ne me sens jamais agressé.
Il me manque surement la joie de vivre. Qui peut me la donner ? ».

JE SUIS ATTACHE A TROP DE CHOSES

Il ne vit que par cet air.
Le jour où la pression extérieure deviendra plus forte, il étouffera, un dernier regard sur le platane gigantesque. Micol (Dominique SANDA), elle aussi ne peut vivre longtemps hors de cet espace. L’ami Bruno Malnate (Fabio TESTI) a le même jugement : « Micol, elle n’est bien que dans son jardin, comme son frère ». Gorgio (Lino CAPOLICCHIO), lui-même, amoureux de Micol, ne peut rester longtemps en France, « Je suis attaché à trop de choses, je ne peux pas tout abandonner ».
Le Jardin est le Refuge, qui, à force d’isolement et de séparation, d’attache devient prison. D’où cette tristesse ambiante, ces hauts murs presqu’infranchissables, ces bibliothèques fermées par de grosses portes à barreaux.

QUAND LA PRISON SE REFERME

Le cercle de l’emprisonnement commence pour chaque membre de cette famille, prisonnière des traditions, de sa caste, de cette ville. Une prison dans une autre prison, l’Italie des années 30.
Les enfants, eux-mêmes, « sont un peu prisonniers des grands », les grands, les adultes, des servitudes et des lois fascistes. Quand le père souligne que les juifs peuvent encore « profiter des droits fondamentaux », Gorgio s’offusque : « lesquels ? Il y en a toujours eu très peu pour tout le monde.  On n’a pas été persécutés en premier, oui. Mais on n’a rien dit quand notre tour est venu ».
Le silence tue aussi, plus imperceptiblement mais aussi plus sûrement.

•LA RESSEMBLANCE DES DIFFERENCES
ET LA DIFFERENCE DES SEMBLABLES

Ceux qui sont les plus proches sont à l’opposé l’un des autres et ceux qui s’affrontent se retrouveront unis. Ici, le père de Gorgio (Romano VALLI) est un bourgeois de Ferrare juif et fasciste. Les deux termes ne s’opposent pas. Jusqu’au jour…où les fascistes mangeront leurs progénitures.
L’ennemi sera tué dans l’œuf, au cœur même du parti.

LES INFIMES VARIATIONS

La différence est dans le jardin.
Le temps brusquement va rattraper les Finzi-Contini qui sont comme immolés dans un formol temporel. Il faut d’abord y regarder de près. Les membres de la famille connaissent ces différences, ces infimes variations. Micol se promène avec Georgio au cœur du Jardin.
Elle est dans sa nature, lui, ne comprend pas la nature ; il la regarde simplement et ne voit que des arbres, « pour moi, ils sont tous pareils. » Micol lui répond : « Je déteste ceux qui n’aiment pas les arbres. Ce platane aurait pu être planté par Lucrèce Borgia ». Nous sommes dans le long temps de la Grande Histoire et des figures tutélaires.

EST-CE QUE DEUX GOUTTES D’EAU SE RESSEMBLENT ?

Micol ne peut pas être heureuse avec Giorgio parce qu’elle le juge trop semblable à elle : « l’amour, c’est pour ceux qui sont prêts à tout affronter. Nous on se ressemble comme deux gouttes d’eau, on ne pourra jamais vaincre tous les deux !
Faire l’amour avec toi, serait comme le faire avec mon frère, Alberto. Toi et moi, nous ne sommes pas normaux. Pour nous, plus que la possession des choses, ce qui compte, c’est le souvenir des choses. La mémoire des choses ». Mais quand Giorgio aborde sa tristesse de n’être pas aimé à son père, ce dernier souligne la différence entre eux, entre elle et lui, entre sa famille et la sienne : « La famille Finzi-Contini n’est pas comme nous. Ils sont différents. Ils n’ont même pas l’air juif. Micol te plaisait pour ça. Elle était supérieure à nous socialement ».
Et c’est ce père qui juge Micol si différente qui la prendra dans ses bras protecteur, lors de la déportation, comme sa propre fille.

•« MIEUX VAUT MOURIR JEUNE
QUAND ON A ENCORE DU TEMPS
DEVANT SOI POUR RESSUSCITER »

Le film comporte une scène absolument troublante et magnifique, même si ce mot en critique est galvaudé et utilisé pour le moindre petit frisson de jouvencelle (pourtant il ne devrait être utilisé telle de la nitroglycérine que dans les moments ultimes et intimes de nos histoires), entre un père et un fils.
La vérité passe avec ce père qui semblait arriviste, fasciste de la première heure, bourgeois soucieux de ses intérêts et de son prestige. Quand les lois raciales sont promulguées, il essaie encore de trouver du positif là-dedans. « C’est grave, d’accord…mais,…mais pour le reste…Mais tu dois admettre… ».

NOTRE GENERATION EN A TELLEMENT VU

Là, devant son fils, c’est l’homme qui parle, et surtout De Sica : « Je sais ce que tu éprouves en ce moment. Mais je t’envie un peu. Si on veut vraiment comprendre comment marche le monde, on doit mourir au moins une fois. Mieux vaut mourir jeunes quand on a encore du temps devant soi pour ressusciter. Comprendre trop tard est beaucoup plus difficile. Ça ne vous laisse pas le temps de tout recommencer. Et notre génération en a tellement vu ! Dans quelques mois, tu me donneras raison. Tu seras enfin heureux. Plus riche, plus mûr ».
C’est un des plus profonds testaments que le père peut laisser à un fils. Plus que son argent et ses relations. Il est trop tard pour lui, il le sait. Son fils, lui, a la possibilité, le devoir de repartir. De ressusciter avec la connaissance de toutes nos erreurs, enfin…

…Enfin, les poésies d’Enrico PANZACCHI… “E baciar la tua testa Qui fra l’ombre crescenti, Mentre vien la tempesta E fuor urlano i venti!” (Verso Sera)

Jacky Lavauzelle

LE VOILE DU BONHEUR (G. Clemenceau)

GEORGES CLEMENCEAU
LE VOILE DU BONHEUR
1901
Théâtre de la Renaissance

 Le Voile du Bonheur Clémenceau Artgitato-Wanluan_Thatched_Hall_by_Dong_Qichang
 C’EST LE NOIR
QUI ILLUMINE !
« LES CINQ COULEURS FONT QUE LES HOMMES ONT DES YEUX ET NE VOIENT PAS » Lao Tseu

La pièce s’ouvre sur le personnage de Tchang-I, mandarin aveugle. Il n’a jamais été aussi heureux. Il rayonne. Il redécouvre enfin le monde et les sensations fortes. Le monde n’est plus visible, mais son cerveau le conceptualise : « Ah ! Le monde est bien changé depuis que je ne puis plus le voir qu’en idée. Comme il est beau ! Et quelle joie de vivre ! Je suis comme enivré d’un merveilleux parfum de paix heureuse » (scène 1)

 Il est heureux avec tous. Il vénère sa femme, Si-Tchun : « vous êtes, chère Si-Tchun, la joie du ciel et l’orgueil de la terre. Toute la chine admire vos vertus » (scène 2). Il noie son ami Li-Kiang de compliments : « vous êtes les yeux du pauvre aveugle, vous êtes la parole qui le guide, la main qui le soutient » (scène 1). Il est en admiration devant le talent et la réussite de son fils, Wen-Siéou : « un jour je vous verrai la ceinture de jade. Quand vous descendrez du palais de la lune, avec la palme académique du docteur, vous porterez le bonnet à fleurs d’or dont la houppe brillera sur votre front martial comme un jet de flamme » (scène 6). Il héberge le condamné qui a faim : « une cuillérée de riz, lorsqu’on a faim vaut mieux qu’un boisseau de riz, lorsqu’on est rassasié » (scène 7).

Il est la bonté personnifiée, la compréhension bonne du monde. Dans cette nuit physique, Tchang-I « excelle à deviner les parfums », à l’écoute de tout et de tous :« rien ne m’est inconnu du détail charmant ».

  • « LA VIE N’EST QU’UN MENSONGE PLUS GRAND QUE LES AUTRES »

Puis la vue, par le miracle d’une potion, revient. En recouvrant la vue, il croit retrouver la beauté des choses (« Je vais voir mon bonheur …Le ciel ! Le soleil ! Quel éblouissement. Je vais voir ma vie maintenant. Je vais voir mon bonheur » (scène 12)). Il découvre en fait la noirceur du monde. Son meilleur ami couche avec sa bien-aimée (« alors ce n’était pas vrai, ces paroles d’amour, ces caresses douces comme une pluie de fleurs…La vie n’est qu’un mensonge plus grand que les autres » (scène 14) et se fait connaître comme le co-auteur de ses poèmes, son fils s’avère être un rejeton ignoble, et le condamné, délivré par ses soins, vient le voler à son domicile (« le misérable pingre ! Quel besoin de son argent puisqu’il n’y voit pas » (scène 13)).

  • « LA NUIT LUMINEUSE EST REVENUE »

Tchang-I ne fait pas le choix de la vengeance. Il nie l’évidence de ce réel qui n’est qu’un affreux cauchemar : « Assez, assez de souffrance, je ne veux pas voir plus longtemps ce qui n’est pas, ce qui ne peut pas être. L’aveuglement, l’aveuglement, je veux l’aveuglement qui réalise la seule vérité heureuse » (scène 14)

La vie reprendra comme avant. Si-Tchun sera à nouveau magnifique et redeviendra sa muse :  « Venez, Si-Tchun, au visage de jade, je souffre loin de vous »…  « perle d’aurore qui me rend mon sommeil » (scène 15)

Le monde redevient beau : « je veux le chanter encore. Le ciel est bon. La terre est douce »

Et les couleurs enfin reviennent dans cette nuit légère, « le printemps vient, paré de verdure et couronné de fleurs, pour le grand rite de l’amour » (scène 15)

« Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre » (Pierre Soulages)

 

Jacky Lavauzelle

 

TAXI DRIVER (SCORSESE)

MARTIN SCORSESE
TAXI DRIVER
1976

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AU COEUR DU MAL

ILNAÎT DES NAINS CONTINUELLEMENT

« La contrariété pour nous dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement…Je vous écris du bout du monde…On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ? » (Henri Michaux, « Je vous écris d’un pays lointain »). De Niro-Travis aussi est resté loin. Il n’est pas encore là parmi nous. Il est passé du Vert dense brumeux des forêts du Vietnam au Gris enfumé des quartiers de New-York. Sa tête n’est pas là. Son corps, si, qui salue en Marines son futur employeur. Mais un corps décalé, déphasé, « je ne dors pas la nuit…Je passe la nuit dehors. En métro, en bus ».Il veut tout. Accepte tout. Il veut plonger dans ce monde totalement : « N’importe où. N’importe quand… Je veux faire la journée continue »  Peu importe l’heure, ou le secteur. Il veut oublier sa guerre, faire taire ses lancinants cauchemars. Pour refaire surface, il faut d’abord se noyer, toucher le fond. Des nains alors sont prêts à naître.
Continuellement.

LA PLUIE SALVATRICE

« Ici il n’y a pas la possibilité de faire le mal. Vous vivez dans le mal »dit l’Evêque au début du Balcon de Jean Genet. Il le découvre grand ouvert. Il rentre dans cette béance. La jungle n’est pas que là-bas. D’étranges animaux se battent, s’humilient, se dévorent. Il y a les dominants et les petits êtres déstructurés et soumis. « Y a toute une faune qui sort la nuit. Putes, chattes en chaleur, enculés, pédés, dealers, camés,…Le vice et le fric. Un jour viendra où une bonne pluie lavera les rues de toute cette racaille ». Et la pluie tombe, les bouches d’incendie giclent. Mais la saleté reste. La saleté remonte toujours à la surface. Le salut ne viendra pas dans ce baptême. Peut-être de l’ange…

PROTEGER LA LUMIERE DES TENEBRES

Il lui semble l’avoir trouvé, l’ange. Elle n’est pas plus belle que ça. Mais l’environnement la divinise, la féérise. Il faut protéger cette lumière des ténèbres : Elle avait l’air d’un ange sorti de cette pourriture infecte. Elle est seule. Ils…n’ont pas le droit…de la toucher ». Elle est sacrée. Elle est seule, elle est de son espèce. Il la suit et la guette. Il l’observe pendant des heures, fuyant dès qu’il se voit découvert. Il change de tactique. L’aborde franchement. La déstabilise. Elle rentre dans son filet. Avec la femme du sex-shop, Travis était gauche. Il n’avait pas les codes : « Je veux juste savoir votre nom – Fichez-moi la paix ! – Je vais pas vous manger. –Vous voulez que j’appelle le patron ? – ça va ! Ok ! D’accord. Je peux avoir de chocolats. »

JE VOUS PROTEGERAI

Là, il est juste. Il est charmeur. Le film pourrait s’arrêter là et une histoire d’amour commencer. Il frappe juste à chaque fois. Elle est conquise. Même le geste large de la main tombe juste : « Vous êtes la plus belle femme que j’aie jamais rencontré – Merci – Vous avez l’air très seul. Je passe souvent. Et je vous vois. Tous ces gens autour de vous… Mais c’est le vide. Et quand je suis entré. J’ai lu dans vos yeux, à votre façon de vous tenir… que vous n’étiez pas heureuse. Vous avez besoin de quelqu’un. Appelez ça un ami, si vous voulez…Je vous protégerai ». Il frappe au fond du cœur, à côté de l’âme. Les biceps, comme un gorille, qu’il gonfle devant tout le monde, pourraient tomber à côté, mais son sourire est là. Les deux -seuls au Monde – se sont rencontrés.

LES MAUX NE LE LÂCHENT PLUS

Avec elle, fragile sans armure, il dit oui au monde, oui à ses goûts musicaux, oui à sa politique. Il ne connaît rien de tout ça. Pourtant, il étonne même l’homme politique et entame un programme : « il faudra donner un coup de torchon. Ici, c’est un égout à ciel. C’est racaille et compagnie. Y a des moments, c’est pas supportable. Celui qui va devenir président, faudra qu’il passe la serpillière. Vous voyez ? Quand je sors, je renifle et j’ai des maux de tête tant c’est moche. Et ils me lâchent plus. Le président, il faudrait qu’il nettoie tout. Qu’il balaie toute cette merde. »

UN FILM Où VONT TOUS LES COUPLES

Il sait qu’il la veut. Il lui montre son monde aussi. Son désir brut. Et l’amène tel un enfant dans un ciné porno. Il n’a pas encore tous les codes. Il veut lui plaire, il croit bien faire : « C’est un film où vont des tas de couples. J’en vois entrer sans arrêt ». La biche prend peur, le quitte à jamais. Elle commet un crime en soufflant sur sa flamme. « Que tu mes fasses ramper après mon être de juge, coquine, tu as bien raison, mais si tu me le refusais définitivement, garce, ce serait criminel » (Jean Genet, Le Balcon, deuxième tableau)

LA REDEMPTION, DE LA THEORIE A LA PRATIQUE

C’est un être mortellement blessé qui erre désormais. Blessé, il va rendre coup sur coup. Blessé, armé, dans sa cage jaune de taxi. Glissent les insultes, les crachats, les jets des enfants. Tout s’écrase sur ou dans la voiture. Le sanctuaire est à côté du chauffeur. Rien de sale n’y vient ni se s’y pose. Seul, un billet de 20 $ souillé y est jeté. Longtemps il le regardera. Il le donnera pour rien à une ordure de tenancier de bordel. Le rédempteur va passer à l’acte et nettoyer tous les péchés du monde, politiciens véreux et maquereaux pourris, par une manière plus personnelle.

Jacky Lavauzelle

LAZYBONES (Borzage)

FRANK BORZAGE
LAZYBONES

1925

Lazybones Borzage Artgitato

 UNE LANGUEUR DECONCERTANTE 

 

COUVE, LONGTEMPS APRES SA NAISSANCE

Être dans le temps n’est pas chose facile. Regarder le temps passé, non plus. Les autres ne comprennent pas et méprisent ceux qui s’adonnent à la contemplation. Il y a ceux qui s’activent, qui bougent tous azimuts. Steve Tuttle (Buck Jones), lui se blottit sur une branche, jusqu’à se confondre avec elle, jusqu’à être l’écorce, au bord de la rivière. Il rêve. Steve reste un grand enfant. Sa mère, Ma Tuttle (Edythe Chapman), «était une de ces mères poules qui couvent leurs petits longtemps après la naissance ».

IL EST JUSTE FATIGUE D’AVOIR GRANDI TROP VITE

Steve ne grandit plus. Contrairement à Oskar, l’enfant Kachoube du Tambour de Schlöndorff, qui a décidé d’arrêter de grandir, il y a chez Steve un manque de volonté. Une absence de but précis. Il ne décide pas, il subit. « Mon garçon n’est pas un fainéant. Il est juste fatigué d’avoir grandi trop vite ». 

– ENGLUE DANS LA MELASSE DE L’HIVER

Steve laisse couler sa vie, comme la rivière coule près de l’arbre où il laisse filer le poisson, comme la mélasse en hiver. La mélasse c’est autant ce résidu sirupeux que la boue collante ou le brouillard épais – Le sucré ou le désagréable. L’hiver a son importance. En été, elle coule trop vite et déborde de tous côtés. En hiver, elle se solidifie, prend le temps de sortir autour d’elle-même, de suivre les contours de la paroi rugueuse et sortir lentement mais régulièrement et venir s’enrouler au cœur de la tartine et bien se répartir tranquillement. « Steve était d’une langueur déconcertante, comme s’il était englué dans la mélasse en hiver ». L’image montre le lourd sirop qui tombe lentement.

– TU ES SI PARESSEUX 

Le temps passe au-dessus de Steve. Les toiles d’araignées des premiers plans sont énormes et datent de plusieurs jours, voire plus. Le corps pourrait paraître mort. Il dort. Ce n’est pas un refus d’agir. Mais pourquoi maintenant prévoir pour demain. Il se lève quand Agnès (Jane Novak) arrive. Il est amoureux. Ça suffit à le réveiller de sa torpeur. Non sans casse d’ailleurs, puisque en s’asseyant il écrase l’œuf qu’il avait précédemment posé avec soin. Sa paresse est là qui interdit l’union. « Oh ! Steve ! Tu es si paresseux ! Tu ne pourrais pas au moins réparer le toit ?  _ Pour quoi faire ? Il ne devrait pas pleuvoir ! Je sais que je ne suis qu’un bon à rien, mais je t’aime, Agnès, et je te rendrais heureuse. J’ai plus d’un tour dans mon sac, ça oui ! ». Le portail en bois, complètement disloqué rythme le film, « Darn the Gate ! Satanée porte ! »

MÊME SON ANGE GARDIEN Y AVAIT LAISSE DES PLUMES

La mère d’Agnès, la terrible Madame Rebecca Fanning (Emily Titzroy) au début du film casse volontairement le calme et le repos de Steve. Mouvement brusque et linéaire du vélo-tandem, de la droite vers la gauche ; donc mouvement pénétrant, intrusif et agressif. « Sa mère (d’Agnès) était une femme si difficile à satisfaire que même son ange gardien y avait laissé les plumes ». Madame Fanning sera son ennemie jusqu’à sa folie finale.Steve sera trop faible pour lutter contre ce roc de méchanceté et de dureté. « Je ne laisserai pas ce fainéant de Lazybones traînasser autour de ma fille » dit-elle. Ruth, son autre fille (Zasu Pitts) parle d’elle en ces termes : « Je sais que tu vas me croire. Tu n’es pas comme maman. Elle est très dure et tellement soupçonneuse…Mais j’ai eu peur d’écrire à ma mère pour le lui annoncer ».Steve n’est pas un homme d’action, il s’est forgé un autre monde imaginaire. Il agit dans l’instant. Il n’hésite donc pas une seconde à se jeter dans la rivière pour secourir Ruth. Il n’hésite pas non plus pour récupérer le bébé et le reconnaître de suite : « je vais prendre le bébé et le ramener à la maison ». Quand il agit en héros pendant la première guerre mondiale, c’est tout-à-fait par hasard. Dans son sommeil, alors que les autres se battent, Steve tire une balle qui le réveille. Surpris et seul dans la tranchée, il sort à la recherche des autres soldats. Se retrouvant derrière la ligne ennemie, les allemands, se croyant cernés,  se rendent tous ensemble. N’ayant pas la force ou ne sachant pas écrire, il rentre chez lui. « Steve était bien trop paresseux pour écrire chez lui et dire aux siens qu’il était bien vivant. Alors, un soir, il est tout simplement rentré ».

– RAPPELLE-MOI DE REPARER CETTE PORTE

Steve fonctionne comme s’il n’avait pas de mémoire. Le passé ne s’incruste pas dans sa tête. A chaque fois qu’il passe devant la porte, c’est comme s’il s’agissait de la première fois. Quand il part au combat, il dit à sa mère : « rappelle-moi de réparer cette porte à mon retour », comme s’il ne le savait pas, s’il allait encore oublier. Quand il retrouve Kit, sa fille adoptive (Madge Bellamy), jeune fille déjà, il en tombe amoureux, comme s’il s’agissait d’une nouvelle rencontre et en oubliant son rôle de père. Sa mère le remarque : « Steve, tu es amoureux de Kit !». De retour de la guerre, les cheveux ont blanchi. Quand il se regarde, il voit encore un jeune homme : « Je fais encore assez jeune, tu ne trouves pas, Maman ? Je me sens si heureux. Je vais travailler pour m’acheter des vêtements flambants neufs ! »

LA MORT EST UNE CHOSE NATURELLE

De cette absence de temporalité, la notion de mort devient relative. Un évènement de l’instant, ni plus  ni moins. Ruth s’éteint aux côtés de sa fille Kit. Steve lui explique ce qu’est la mort : « La mort est une chose naturelle. Les gens commencent à se sentir las et fatigués. Alors, ils sont appelés au ciel ».

DEBARASSE DE CES FICHUES CHAUSSURES

Kit, amoureuse de Dick Ritchie (Leslie Fenton), se marie. La voiture qui s’éloigne entraîne avec des ficelles  les chaussures de Steve. Il pleure. « De toute façon, je me suis débarrassé de ces fichues chaussures ». L’arbre retrouve Steve dans la même position de rêveur. D’un coup, il se jette dans la rivière, attrape un poisson pour le relâcher aussitôt. La nature l’a retrouvé.

Jacky Lavauzelle

 

Les Affaires sont les affaires Octave Mirbeau & Dreville

LES AFFAIRES SONT LES AFFAIRES Octave Mirbeau
Pièce de 1903




Film de Jean DREVILLE
(Film de 1942)

Argent-Kupka-01
 Les affaires sont
les affaires




LA MANIE DE LA DESTRUCTION

La pièce d’Octave Mirbeau est montée en 1903.
Jean Dréville reprend la pièce en 1942 sans l’appauvrir. Lechat restera à jamais l’archétype de l’affairiste sans peur et sans scrupule.

LES NOUVEAUX RICHES AU POUVOIR !

Lechat décrit par sa femme : «  Ton père est vaniteux, gaspilleur, menteur. C’est entendu, il renie souvent sa parole, même à tromper les gens. Dame ! Dans les affaires ! Mais c’est un honnête homme entends-tu ? Quand bien même il ne le serait pas, ce n’est pas à toi d’en juger.  Sache que, sa fortune, il ne la doit à personne. Il l’a gagnée en travaillant. S’il a fait deux fois faillite, n’a-t-il pas eu son concordat ? S’il a été en prison, ne l’a-t-on pas acquitté ? Alors ? Regarde où il en est. Il a fondé un grand journal ; lui qui savait à peine écrire ».

  • « J’AURAI DETRUIT TOUS LES OISEAUX DE FRANCE »

M Lechat ne veut pas d’enfant, pas d’oiseaux, plus d’agriculture à l’ancienne.

 « Trois moineaux, une mésange et un rouge-gorge : 3 francs. Alors Monsieur Isidore Lechat s’est mis dans la tête de détruire tous les oiseaux – Monsieur Lechat protège l’agriculture. Au printemps prochain, il paiera cinq francs n’importe quel nid avec les œufs dedans  – Pour les détruire tous ! Il n’est pas le bon dieu ! »



LES OISEAUX, LES PIRES ENNEMIS DE L’AGRICULTURE

M Lechat inaugure l’ère des techniciens, l’ère des pesticides, avant que n’apparaissent certains cancers,  l’infertilité galopante, des abeilles déboussolées. « Il ne parle que de révolutionner l’agriculture, maintenant…Plus de blé, plus d’avoine, plus de betteraves,…Il prétend que c’est usé…Que ce n’est plus moderne ». Il veut initier « sa grande réforme agronomique ». La pièce de Mirbeau est encore plus précise : « Tu ne sais pas que les oiseaux sont les pires ennemis de l’agriculture ? Des vandales…Mais je suis plus malin qu’eux…Je les fais tous tuer. Je paye deux sous le moineau mort, trois sous le rouge-gorge et le verdier…cinq sous la fauvette…six sous le chardonneret et le rossignol…car ils sont très rares…Au printemps, je donne vingt sous d’un nid avec ses œufs…Ils m’arrivent de plus de dix lieues…à la ronde…Si cela se propage…dans quelques années, j’aurai détruit tous les oiseaux de France…(Il se frotte les mains) Vous allez en voir des choses, mes gaillards. » Isidore quand il ne s’enrichit pas, détruit. Il détruit pour produire. Après moi, le déluge !

AGRONOME, ECONOMISTE ET SOCIALISTE

L’agriculture ne nourrit plus, elle rapporte d’abord. Les besoins sont secondaires, prime d’abord le cours de bourse. On peut donc concentrer l’élevage, le rationaliser, l’optimiser. On doit donc mécaniser. Grossir et faire grossir notre consommateur. Peu importe si un milliard d’hommes et de femmes ont faim, il est nécessaire de faire progresser le bénéfice. Tant pis pour la surproduction. A l’époque d’Octave Mirbeau, où le mot même d’écologie n’existait pas, nous étions déjà dans cette logique du toujours plus jusqu’à l’entropie de notre système. Une crise, puis deux. Dans l’attente d’une troisième à venir.

Il ne veut plus de relatif. Il domine, exige de l’absolu.



Dans la pièce, il se dit même socialiste : « Le progrès marche, sapristi ! Les besoins augmentent et se transforment…Et ce n’est pas une raison parce que le monde est arriéré et routinier, pour que moi, Isidore Lechat, agronome socialiste…économiste révolutionnaire…Je le sois aussi… » 

  • DES ENFANTS COMME VALEUR CHANGEANTE DE SPECULATION

Le jardinier est licencié parce que sa femme est enceinte : « monsieur ne veut pas d’enfants chez lui…Toutes réflexions faites, qu’il m’a dit, ce matin…, pas d’enfants…pas d’enfants dans la maison…ça abîme les pelouses…ça salit les allées… » . L’enfant n’a pas d’utilité immédiate. Il perturbe les rouages du système. Il est incontrôlable. Il crie, pleure, casse des carreaux. Bref, il ne produit rien et détruit beaucoup. Notre société doit optimiser l’ensemble de nos actes, elle rend insupportable les enfants, surtout ceux des autres. Les nôtres sont notre continuité et à ce titre sont forcément plus supportables. « Avec sa manie de toujours me marier. Pour lui, je suis devenue une valeur changeante de spéculation, mieux que cela, une prime, quelquefois »(Germaine). 

  • PAS DE PRINCIPES DANS LES AFFAIRES

Il faut aller droit au but. Pas de forfanteries. Le tutoiement est de rigueur. Le film ne parle pas de la valeur directe du tutoiement contrairement à la pièce : « J’aime qu’on se tutoie…Nous ne sommes pas des gens de l’ancien régime…nous autres…des contes…des ducs…Nous sommes de francs démocrates…pas vrai ?…des travailleurs…J’ai cinquante millions…moi…Et le duc ? …A peine s’il en a deux…Un pouilleux…Ah ! Elle en voit de dures avec moi, la noblesse. » Tout se vaut.

Pourvu que l’argent rentre. La bourgeoise se substitue à la noblesse, les principes en moins. « Vous êtes un homme à grand principe, vous êtes attaché à des préjugés qui n’ont plus cours aujourd’hui. C’est bien dommage ! Chevaleresque, mais pas pratique ! » (Isidore Lechat) – « Être resté peu pratique dans une société qui l’est devenue beaucoup trop, c’est la raison de la noblesse, Monsieur Lechat, et c’est aussi sa gloire ! » (Le marquis de Porcellet) –« C’est sa mort ! » – « Tant pis ! Chez nous, l’honneur passe devant l’intérêt…Non pas que je condamne toute espèce de progrès… » 

  • « SALAUD DE PAUVRE ! » (Jean Gabin dans la Traversée de Paris)

Le pauvre est pauvre parce qu’il le veut bien. « Les pauvres ? Je n’ai jamais vu un pays où il y avait autant de pauvres ! Nous n’y pouvons rien. S’ils travaillaient ils le seraient moins ! »

Il se veut moderne en opposition au marquis : « vous êtes un homme à principes…à grands principes…Vous n’êtes pas, du tout, dans le mouvement moderne…Vous restez attaché aux vieilles idées du passé.» 

  • MADAME LECHAT, UNE DECROISSANTE ?

L’ARGENT NE FAIT PAS LE BONHEUR : GERMAINE S’ENNUIE ET SA MERE RÊVE D’UN BONHEUR BEAUCOUP PLUS SIMPLE

Les médias (le journal, Le Chant du Coq), l’immobilier (le château de Vauperdu), la technologie, Mme Lechat (Germaine Charley) est mal à l’aise devant ces portraits immenses qui semblent la transpercer de part en part. Elle ne se plaît pas dans ce grand château, dans cette grande voiture : « Toute seule dans cette grande auto, je ne me sens pas à mon aise. J’ai honte ! »

 QUAND ON A UN COEUR COMME LE VÔTRE !

Germaine Lechat s’ennuie. « Pourquoi ne parles-tu pas ? – C’est sans doute que je n’ai rien à dire. – Tu as assez lu… – Je ne lis pas. – Tu rêves ? – Je ne rêve pas…-Alors…, qu’est-ce que tu fais ? – Rien…, je m’ennuie… ». Le jardinier qui quitte le château le voit bien :« Mademoiselle Germaine…, vous non plus…vous n’êtes guère heureuse…Je vous connais bien,…quand on a un cœur comme le vôtre…on ne peut pas être heureux ici »  



Elle se retrouve à la fin seule, son fils est mort et sa fille a quitté le domaine pour vivre avec Lucien.  Cette maison qui lui semblait trop grande, lui fait maintenant peur. Elle regrette le temps de la simplicité : « Qu’est ce que tu veux que je devienne dans cette maison, toute seule ? Si nous avions vécu dans une petite maison, rien de tout cela ne serait arrivé. Ce château, ce luxe, tout cet argent… Tu ne vas pas me laisser ? »

Jacky Lavauzelle

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Les affaires sont les affaires Octave Mirbeau

LES ENFANTS DU PARADIS de Marcel CARNE : LA FRAGILITE DU DEVOILEMENT INTERIEUR

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Marcel CARNE

LES ENFANTS DU PARADIS

1945

 

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LA
FRAGILITÉ
DU DÉVOILEMENT 
INTÉRIEUR

Jacky Lavauzelle

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  • VOUS Y PENSEREZ LE JOUR ET VOUS EN RÊVEREZ LA NUIT !

La caméra qui suit la foule sur le boulevard du crime, passe les haltérophiles, les funambules et les singes.
C’est la vie grouillante et populeuse qui se touche, qui s’entrechoque. La caméra s’arrête au porte du rideau, là où le voile cache. Les gens y rentrent les uns après les autres. Nous sommes dans un espace religieux. Le calme précède le spectacle. Il prépare notre vision à l’unique, au surnaturel. La beauté n’est pas un bien commun. On y va en pèlerinage. « Quand vous l’aurez vu, vous y penserez le jour, vous en rêverez la nuit…On ne paie qu’en sortant ». Les gens paieront, c’est sûr. Ils oublieront leur pingrerie. Assommés encore de tant de beauté.
Quelque chose brillera plus dans le cœur que quelques pièces de monnaie dans la poche.

  • LA VERITE JUSQU’AUX EPAULES

La vérité n’est pas dans la rue, la vérité est ailleurs.
Dans la rue, il n’y a que des moments de vérité. Quant à la vérité de la beauté, elle est dans son bain. La vérité n’est pas entière. Mais qui pourrait supporter toute la vérité, rien que la vérité.  « Le puits ? N’en parlons plus ! C’est fini ! La clientèle devenait trop difficile. Vous comprenez, la vérité jusqu’aux épaules, ils étaient déçus (Garance-Arletty) – Bien sûr, les braves gens davantage. Rien que la vérité, toute la vérité, comme je les comprends ! Le costume vous allez à ravir ! (Pierre-François Lacenaire – Marcel Herrand) – Peut-être, mais c’est toujours le même ! – Quelle modestie et quelle pudeur ! – Oh ! Ce n’est pas ça, mais ils sont vraiment trop laids ! – Oh c’est vrai qu’ils sont trop laids ! ».

  • LA BEAUTE, UNE INSULTE A LA LAIDEUR DU MONDE

La vérité et la beauté, dans le même sac, fermé jusqu’à bonne hauteur.
Le comte Édouard de Montray (Louis Salou) ne dira rien d’autre. Le dévoilement, c’est ce qu’on permet aux autres de voir, ce qu’on leur donne à voir du plus profond de notre être et que l’on a enfoui là, tout au fond de nous-mêmes. L’autre, ne peut en saisir qu’une infime partie. Trop lui donner à voir, c’est risquer l’incompréhension, voire la peur et donc la haine. Le Comte de Montray le sait bien, qui s’entoure des plus belles femmes aux parures étincelantes :   « Vous êtes trop belle pour qu’on vous aime vraiment. La beauté est une exception. Une insulte au monde qui est laid. Rarement les hommes aiment la beauté. Ils la pourchassent, simplement pour ne plus y penser, pour l’effacer, pour l’oublier».

  • PUBLIC, JE VOUS AIME !

Parfois, le petit plus de ce que l’on montre peut être l’origine d’une grande faille ou d’un gigantesque désordre. C’est le « Baptiste ! » crié une fois, rien qu’une, en intensité, au théâtre des funambules par Nathalie (Maria Casarès). Quand Baptiste se montre gai, c’est parce qu’il est trop plein de cet amour qui le subjugue, qui l’inonde à le noyer. Alors, il sourit. Il «brille ». Parfois, le petit plus qu’on donne permet à celui qui donne et à celui qui reçoit de retrouver de la sérénité : (Frédéric Lemaître-Pierre Brasseur) « Quand je joue, je suis éperdument amoureux et quand le rideau tombe, le public s’en va avec mon amour. Vous comprenez, je lui en fais cadeau au public, de mon amour. Il est bien content et moi aussi. Je redeviens sage, calme, libre. Tranquille comme Baptiste ». On lui donne en pâture quelques miettes.

  • APPARITION ! DISPARITION !

Ce qui se cache, bouillonne, vit à tout rompre. Comme Garance, volcanique, comme le théâtre des funambules où les deux familles s’affrontent jusqu’à se battre devant son public. On se cache et l’on montre, même quand on ne montre rien d’autre que la vie, la vie du public. Le directeur des Funambules (énorme Marcel Pérès) : « La comédie ? La comédie ? Mais mon pauvre ami, vous vous trompez de théâtre ! Ici, on ne joue pas ! Nous n’avons pas le droit de jouer la comédie! Nous devons entrer sur scène en marchant sur les mains. Et pourquoi ? Parce qu’on nous aime ! Et pourquoi ? Parce qu’on nous craint ! Si on jouait la comédie, ici, ils n’auraient plus qu’à mettre la clé sous la porte, les autres, les grands, les nobles théâtres. Chez eux, le public s’ennuie à crever ! Leurs pièces de musée, leurs tragédies, leurs péplums. Ils s’égosillent sans bouger. Tandis qu’ici, aux Funambules, c’est vivant, ça saute, ça remue! La vie quoi ! Apparition. Disparition. Exactement comme dans la vie. Pan ! La savate ! Comme dans la vie ! Et quel public ! Il est pauvre, bien sûr, mais il est en or mon public. Tenez ! Regardez-les ! Là-haut au paradis ! »

  • ME LAISSER SEUL AVEC MOI-MÊME. QUELLE INCONSEQUENCE !

Comme Lacenaire…Lacenaire qui se cache des autres. Ecrivain public le jour et malfrat la nuit. Lui, se cache en lui, là où les autres ont voulu qu’il se cache : « Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres. Ils ne me l’ont pas pardonné !  Ils voulaient que je sois comme eux. Levez la tête Pierre-François ! Regardez-moi ! Baissez les yeux ! Et ils m’ont meublé l’esprit de force avec de vieux livres. Tant de poussière dans une tête d’enfant…Ma mère, qui préférait mon imbécile de frère, et mon directeur de conscience me répétaient sans cesse : ‘Vous êtes trop fier, mon cher. Il faut rentrer en vous-même’. Alors, je suis rentré en moi-même. Je n’ai jamais pu en sortir. Les imprudents ! Me laisser seul avec moi-même ! Et ils me défendaient les mauvaises fréquentations. Quelle inconséquence ! N’aimer personne. Être seul. N’être aimé de personne. Être livre ! »

  • QUAND J’ETAIS MALHEUREUX, JE RÊVAIS

L’autre dans sa globalité est monstrueux. Laid et haineux. Il se contente de l’apparence du bonheur ou de la beauté, d’un rayon ou deux. Baptiste l’a compris : « Ce n’est pas triste un enterrement ! Il suffit qu’il y ait un peu de soleil et tout le monde est content ».  Le masque est donc nécessaire pour vivre son intériorité pleinement. C’est celui du mime qu’a pris Baptiste pour affronter ou résister au monde, la face blanche et immobile, pour ne rien laisser paraître de son visage, juste singer l’autre, qui rit en se voyant : « Quand j’étais malheureux, je dormais, je rêvais. Les gens n’aiment pas qu’on rêve. Ils vous cognent dessus, histoire de vous réveiller un peu. Heureusement, j’avais le sommeil dur. Je leur échappais en dormant. J’espérais, j’attendais. C’est peut-être vous que j’attendais ! »

  • NOS PETITES LUEURS VACILLANTES

L’autre, c’est nous, aussi. Il n’est pas irrécupérable. « Regardez ! Les petites lueurs ! Les petites lumières de Ménilmontant. Les gens s’endorment et s’éveillent. Ils ont chacun cette lueur qui s’allume et qui s’éteint. C’est peu de chose tout ça ». C’est peu, mais l’on a que ça, pour espérer. C’est peu et c’est toujours mieux que rien. Mais dès qu’elles s’éteignent, ces lueurs, chacun remet son masque. Tout le monde possède un sac, un masque ou un voile. Il ne cache pas toujours la vérité ou la beauté, mais souvent des déchirures de l’enfance, profondes et lointaines, comme Lacenaire ou Baptiste. A travers des identités multiples, comme Jéricho (Pierre Renoir) « à cause de la trompette, dit Le Jugement dernier, dit Jupiter, dit La Méduse, dit Marchand de sable,… ». A travers la cécité comme l’aveugle qui cache sa vision dans la rue et la retrouve au troquet.

 Jacky Lavauzelle

SONATINE (Kitano) ou Comment embellir le réel

Takeshi KITANO
北野 武
SONATINE, Mélodie mortelle
ソナチネ
1993

Sonatine mélodie mortelle Kitano Artgitato

COMMENT EMBELLIR LE REEL

VAINCRE D’ABORD L’ESPRIT AVANT
DE VAINCRE LE CORPS

LE CORPS DE KITANO : LUNE ET SOLEIL

Un visage aux lunettes noires et rondes. Des tics et puis plus rien. Une chemise déboutonnée d’un bouton seulement, souvent blanche. Un costume ouvert. Un visage au sourire énigmatique, plus Joconde que Bouddha.

Une démarche chaloupée. Qui tangue. Le corps entier sur un pied, puis l’autre. Une tête en avant. Les épaules aussi. Un corps balourd. Des pieds qui partent vers l’extérieur. Mi-charlot. Mi-Keaton.

Alain Delon à sa sortie en France soulignait que Kitano n’était pas un acteur et qu’il n’avait que deux expressions. C’est vrai. Mais c’est deux là sont le plein et le vide. Face lunaire. Face solaire. Tantôt absent. Tantôt rieur et gaffeur.

JOUER LE REEL, C’EST D’ABORD L’EMBELLIR

Le combat se prépare. On l’attend sans l’attendre. Puisque le jeu se substitue au réel. Est le réel. L’anticipe souvent. Le jeu des attaques aux feux d’artifice renvoie à l’illumination finale.  La violence n’est pas ordinaire. Elle est naturelle. Comme la mort. On ne s’attarde pas sur de telles banalités. « Il est mort. Tant pis. Faites le ménage ! » « Quand as-tu tué pour la première fois ? – Quand j’étais au lycée. – C’était qui ? – Mon père ! – Pourquoi ? – Il voulait m’empêcher de baiser. » Quand son rival meurt, carbonisé dans la voiture, il constate : « plus de voiture ! il va falloir rentrer à pied !» et se retourne pour voir la beauté du noir dans le bleu du ciel.

Le combat se prépare. Dans la fixité du serpent avant sa frappe. L’espace alors n’a plus aucune importance. Que l’on soit dans le désert ou à sept dans un ascenseur. Droit, sans raideur, le tireur tire. Il touche. Et s’en va.

LE KI DE KITANO : LE COMBAT INVISIBLE

Cette immobilité et fulgurance est celle du KI : « les spectateurs non avertis seront ennuyés par une apparente immobilité qui se prolonge, tandis que les adeptes apprécieront profondément l’échange virtuel d’attaque et de défense : le combat de ki » (BUDÔ, le KI et le sens du combat de Kenji Tokitsu).

Son flegme déstabilise les autres. Il est roc. « Il ne s’agit pas de chercher à vaincre en portant un coup à tout prix, mais de porter le coup avec certitude. Pour un adepte, il ne s’agit d’une victoire que s’il frappe après avoir gagné le combat de kizeme, c’est-à-dire troublé l’adversaire à tel point que celui-ci devienne vulnérable. De même, celui qui a atteint un niveau avancé sentira qu’il a perdu avant de recevoir un coup » (BUDÔ).

LA FROUSSE EN PERMANENCE

Pourtant la peur est là. Toujours. « C’est super de pouvoir flinguer quelqu’un comme ça. Ne pas avoir peur de le faire, ça veut dire ne pas avoir peur de mourir ? (Il rigole) T’es un dur. J’aime bien les durs. – Si j’en étais un, j’aurais besoin d’un flingue. – Mais tu tires vite. – Parce que j’ai vite la frousse. – Oui, mais t’as pas peur de mourir. – Quand t’as la frousse en permanence, t’en arrives à préférer la mort. – Je comprends pas bien ».

La mort délivre de ses peurs et de ses angoisses. Pourquoi en avoir peur ?

Jacky Lavauzelle

  

HANA-BI (Kitano) …au bord de la mort

Takeshi KITANO
北野 武
HANA-BI
はなび
1997

Hana Bi Kitano Takeshi Artgitato
Une lumière
au bord de la mort

 LA RENAISSANCE DE NISHI

Une étrange solitude pèse sur Les êtres. Qu’ils soient flics ou yakusa. La solitude est aussi sur la ville. Nishi (Takeshi Kitano) perd sa fille. Il va perdre sa femme. Son ami est perdu ; sur un fauteuil roulant, lui aussi lui parle de solitude. Il comprend, il l’écoute : « même quand on est mari et femme, chacun ne pense qu’à soi. Quand je suis revenu chez moi, ma femme et ma fille m’avaient tourné le dos. La lumière n’était même pas allumée. Elles m’ont juste dit adieu ! Je n’étais plus qu’une épave. Elles sont parties sans hésiter. En fait, c’est peut-être mieux comme ça. Mais je n’ai rien à faire. Ma mère m’a dit de me trouver un passe-temps. Elle voudrait m’inscrire à un club de poésie. A croire qu’elle se moque de moi. Je n’ai rien fait d’autre que bosser. Comme j’habite au bord de la mer, je pourrais essayer de peindre. Mais, je n’ai jamais rien peint, je ne sais pas par où commencer. Et puis, le matériel coûte cher. Mais, t’en fais pas ! Tu y es pour rien ! Je vais m’acheter un béret d’artiste. »
 Il va commencer par la fin et se laisser submerger par la mer, le fauteuil ensablé. Nous commençons aussi par la fin. Mais tout s’emboite comme les casse-tête fait tout au long du film. Hana-bi est composé sous cette forme et non celle du puzzle. Dans le puzzle, chaque pièce a une place et une seule. Unique. Tout est pré déterminé. Le casse-tête se réfléchit en fonction d’un objectif, d’un but. Et chaque pièce vivra dans plusieurs figures, pleinement. Chaque pièce a plusieurs vies, comme Nishi.

L’être lui-même est un casse-tête. En fonction de son rapport à la vie, il se donnera, ou non, un destin différent.

L’être ne redevient humain, chez Kitano, qu’après une catastrophe. Comme ceux qui, après avoir touché la mort dans un grave accident, se mettent à dévorer la vie. En face de la mort, Nishi redécouvre la sienne et retrouve sa femme dans d’intenses moments, entre jeux et partages. Il redevient lui-même. Il se retrouve enfant, jouant aux casse-tête, au cerf-volant, aux feux d’artifice, à faire sonner la cloche, qu’on venait d’interdire à un garçon quelques secondes auparavant. Son ami, lui, découvre la peinture. Un colis de tubes, un béret ; une peinture naïve et pointilliste qui illumine l’écran. Des yeux-fleurs, des têtes-fleurs. Des fleurs et des mots sur la neige : « Neige », « Lumière », « Suicide ». Rouge sur blanc. Parfois, trop de vie si vite…

Ces collègues policiers sont, comme nous, témoins de cette renaissance et s’en émerveille : « Sa femme n’en a plus pour très longtemps. Mais, en un sens, il est plus heureux que moi !». Ou à la fin, le constat net : « je ne saurai jamais vivre comme ça! »

Sa femme, dans cette spirale de bonheur, oublie sa souffrance. Un sourire trône sur ses lèvres. Plus que la vie, il s’agit d’un fluide, d’une énergie. Pourquoi des fleurs séchées ne pourraient-elles donc pas repartir aussi ? « Pourquoi vous leur donnez de l’eau ? Elles sont fanées ! Dites donc, ça ne sert à rien d’arroser des fleurs mortes ! Ton mec t’a plaquée et ça t’a rendue zinzin ! » Malheureusement son « mec », c’est Nishi qui clôturera rapidement cette discussion.

Deux phrases. « Merci ! » « Merci pour tout ! »…

…Deux balles. La musique s’arrête. Revient le bruit des vagues.

本当にありがとうございます

Jacky Lavauzelle

Cervantes et Dante – L’El Medio et La Paura

Cervantes et Dante
LA PEUR et L’ACTION

Dante & Cervantes La Peur Artgitato Divine Comédie et le Quichotte

L’EL MIEDO du QUICHOTTE
et
L
A PAURA DE LA
DIVINE COMEDIE

El Miedo, source d’inaction

L’ingénieux Don Quichotte, l’intrépide, une fois lectures et imaginaires amassés, veut agir. Il est homme d’action. « Hechas pues estas prevenciones, no quiso aguardar mas tiempo a poner en efeto su pensamiento, apretandole a ello la falta que el pensaba que hacia en el mundo su tardanza, … » (chapitre 2).

Devant la continuelle peur de Sancho, Quichotte va droit devant, se riant de la peur de son écuyer. A chaque combat, Sancho liquéfié donne encore plus de courage à notre chevalier. Lors de l’attaque des moulins ? Quichotte lui dit : « ellos son gigantes, y si tienes miedo quitate de ahi y ponte en oracion en el espacio que yo voy a entrar con ellos en fiera y desigual batalla. »(chapitre 8).

Une autre aventure (Chapitre 18), fait apparaître à Quichotte des moutons comme étant des chevaux hennissants prêts au combat. « El miedo que tienes, dijo don Quijote, te hace, Sancho, que ni veas ni oyas a derechas, porque uno de los efectos del miedo es turbar los sentidos, y hacer que las cosas no parezcan lo que son… ». Le livre est plein de ces moments de rencontres hardies et directes où la peur ne fait que ralentir ou annuler l’action (chapitre 23…).

Elle est contre-productive. Quichotte inverse la folie. Trop de peur floute le réel.

  • La Paura ou la connaissance pétrifiée

L’opposition avec Dante est totale. Avant son entrée en Enfer, celui-ci est pétrifié. La peur, la « paura » n’est plus l’  « el miedo » du Quichotte. C’est le mot qui revient le plus souvent dans le premier livre de l’Enfer. Dante se retrouve dès les premiers vers perdu dans une vallée profonde, dans une forêt obscure après une nuit d’angoisse, de « paura » : « Nel mezzo del camin di nostra vita, Mi ritrovai per una selva oscura, Que la diritta via era smaritta. Ahi quanto a dir quel era è cosa dura Esta selva selvaggia e aspra e forte Che nel pensier rinova la paura. La “paura” est le mot qui, dès le début du poème, revient le plus souvent : « Che m’aeva di paura il cor compunto…Allor fu la paura un poco queta…ma non si che paura non mi desse« . Apparition de trois bêtes : une panthère « leggera et presta molto », Dante a peur :  « ch’i fui ritornar piu volte volto »Puis un lion : « ma non si che paura non mi disse, la vista che m’apparve d’un leone ». Puis une louve “che di tutte brame sembiave carca ne la sua magrezza, e molte genti fé gia viver grame”. Cette “paura” omniprésente sera affaiblie (« parea fioco« ) par la venue de Virgile.

A TE CONVIEN TENERE ALTRO VIAGGIO

D’abord Virgile apparaît comme une figure étrange, Dante l’apostrophe : « Miserere di me , gridai a lui, qual che tu sii, od ombra od omo certo !” Virgile répond : “Non omo, omo gia fui”Il ne se présente pas comme Virgile, mais comme une énigme : « Nacqui sub…poeta fui…”Et lui pose la question : « ma tu perché ritornai a tanta noia ? » Mais pourquoi retournes-tu à tant d’angoisse ?

Puis suit une déclaration d’admiration, « bello stilo che m’ha fatto onore », de Dante à Virgile et la peur s’analyse, s’étudie « aiutami de lei, famoso saggio » …

« A te convien tenere altro viaggio ».

Jacky Lavauzelle