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LES AMOURS DE MINUIT (Genina & M. Allégret) : L’ATTRACTION DES OMBRES

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Augusto GENINA & Marc ALLEGRET

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LES AMOURS DE MINUIT
(1930)

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 L’Attraction
des ombres

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 Au commencement étaient la voie et la ligne. La voie chaotique et la ligne fugitive. Des traits par-dessus-tout et au-dessus la vapeur d’une locomotive plaintive.

Il est certain que dans nos wagons, des êtres sommeillent. D’autres, ballotés par la ferraille en marche, ruminent les méfaits de la veille et fuient. Les ombres de la nuit s’appellent et s’interpellent, se croisent.

La lumière timide de la cabine semble vouloir s’étirer, se perdre dans le rideau. C’est Marcel. Marcel dans le temps qui s’enfuit à travers les lignes massives des rails, qui fonce chapeau bas, vers le port où un bateau l’attend, un continent nouveau aussi. Le chapeau impeccable. Une déchirure dans sa conscience brise le rêve et amène à chaque instant le regard fuyant et bas. Le reflet dans la glace pourrait le terroriser comme l’effraie l’homme, debout, raide qui contemple déjà sa proie, mais

nous y reviendrons. Nous sommes dans l’espace de la cabine, trop grande, beaucoup trop grande pour cet homme si seul. Le travail est un trésor dit la fable du laboureur. Le trésor dans la poche, c’est son travail qui se fait la malle. Un trésor est caché dans le wagon, dans la cabine, dans le veston. Qui pourra le retrouver ?

Pour le moment, Marcel est seul contre la glace a ne rien voir parce qu’il fait nuit et qu’il ne voit que son reflet, que son visage et sa faute.

La douceur de ses traits le trahit. Il demande pardon. Déjà, il pourrait tout rendre et tout excuser, demander le pardon pour cette faute imbécile. La première et la dernière. Un coup de tête. Une folie passagère. 

Lui-même n’a pas compris son geste et quand tout a commencé à décrocher. Et comment cette idée, qui n’était qu’une idée, devenait plus forte un peu plus chaque jour, chaque instant plus prégnante. Là, toujours là, toujours présente et continue. Qui frappait à l’empêcher de fermer l’œil. Avouer ses erreurs et demander pardon. C’était trop pour lui. Insurmontable. Il ne s’en sentait pas capable. Totalement perdu dans cette unique catastrophe. Mais quel séisme !

 

 

La montre tant regardée ne fait pas passer plus vite les secondes interminables. La montre ne le sauvera pas et déjà les griffes au-dessus de lui se referment. Avant que le soleil du jour ne se lève, l’homme sera dépouillé, vidé, lessivé.Mais re venons à Gaston que nous avons laissé.  Le chapeau tombant laisse planer une ombre masquant son regard.  Cette ombre l’accompagnera encore, plus tard, un peu plus dans le profond de la nuit, où les angoisses pourront se libérer, parcourir les rues et planer sur les têtes.

 De multiples combinaisons et une seule fin possible. Il est fait comme un rat.

 

Pourtant l’autre veut jouer. Se laisser le temps, que lui-même n’a pas, de tourner et de retourner sa victime. Le serpent s’enroule et étouffe et la souris ne tue pas de suite. Le plaisir vient de la douleur et de la durée.

L’homme qui s’assied devant lui s’appelle Gaston. Gaston n’est pas un tendre. C’est un dur, l’homme de tous les mauvais coups. S’il baisse la tête, remonte le col, rabaisse la visière de son chapeau, s’est pour mieux se camoufler, et ne pas se faire reprendre. Ses dents sont carnassières. Il est d’un autre milieu. 

La femme qui boit au café, c’est Georgette. Elle est blonde platine et avale, énervée, ses verres de vin rouge, dans ce café bondé de la gare. Elle est solaire. Elle illumine le monde de la nuit, de ce lieu bondé, de ce train ensommeillé, par sa blancheur virginale.

Le portefeuille de Marcel est lourd, qui recrache 200 francs au contrôleur méticuleux et consciencieux. Les autres billets attendent, nombreux, que la main de Gaston ne vienne les caresser. L’œil aiguisé aussi prête attention, n’oublie rien. Tous les sens de Gaston souhaitent le délester de ce poids mort attendu à d’autres destinées.

 

La descente du train se fera en deux temps. Le temps de l’esquive et celui des retrouvailles. Il couvre son visage d’une ombre. Mais au camouflage s’ensuit le subterfuge. C’est alors que l’anguille se faufile au-travers des portes et des voies et évite le filet de l’épuisette. Ce coup si, encore, ils ne l’auront pas dans la poche et repartiront bredouilles.

 Gaston domine Georgette de ses yeux perçants et de ses mains puissantes. La voix grave écrase ses mutineries naissantes des sanglots. Elle-même, qui le connaît, semble médusée d’être si près de ce loup sauvage.

 Bloquée dans le tourniquet de la porte tambour, elle semble prise dans une toile ou dans un piège. Il sourit. Ressortent ses dents, blanches, scintillantes, prêtent à livrer l’assaut, à rentrer dans la bataille. C’est elle qui a répondu à ce télégramme et qui maintenant se donne, nue.

Jacky Lavauzelle

MANON de CLOUZOT : DES CRIS D’AMOUR EN PLEIN DESERT

Henri-Georges CLOUZOT
MANON
(1949)

Manon Clouzot Artgitato
Des Cris d’amour
en plein désert

Je suis obligé de faire remonter ce billet au temps de ma vie où je vis pour la première fois Manon, cette blanche noirceur. Ce fut une étrange émotion. Quoique je fusse ravi de voir cette blondeur ravissante et solaire, je me remplis d’un doute tenace sur les vrais sentiments de la belle.  Moins troublé que ne l’était Robert Desgrieux, clone imparfait du chevalier des Grieux de Manon Lescaut, je n’en éprouvais pas moins un malaise certain et indéfectible.

 Je revenais rapidement les jours suivants revoir ce maléfice. Je n’y vis aucun Tiberge pouvant secourir de ses mains bienveillantes le pauvre et naïf Desgrieux, pris dans les raies spectrales à la fois sombres et lumineuses de la maudite et perfide Aubry. Je fus surpris, en entrant dans cette œuvre de n’y point voir aussi le père aussi régulièrement. Son entrée fut courte quoique pleine d’un avertissement ultime. Il rentre et ne dit mot. Son regard seul suffit à remplir la pièce d’un silence détestable, voire embarrassant. Il ne reviendra plus. La discussion est close sans avoir pour autant commencée.

Le mal qui entrait, n’avait pas que Manon comme issue. Le frère, ce Méphistophélès  incarné,  paraissait dans la peau de Serge Reggiani, fumant du mal qu’il puisait à la source de l’Enfer. Je m’arrêtai un moment afin de voir ses cornes qu’il devait, je le crois, ronger ou alors cacher de sa fange nauséabonde. Ses pieds fourchus avaient tout autant de fortes raisons de rester cachés et demeurer invisibles. Vif sur le marché noir, facile pour tous les sales coups aventureux et malhonnêtes. Des exclamations d’une vieille firent sursauter la salle. Des canons, des obus éclataient à tout va, laissant une église somptueuse éventrée sur ces longues et infinies colonnes que nous retrouvâmes longtemps après dans le désert de Judée sous la forme de palmiers effrayants. Nous l’avons tirée de la salle. Je lui fis, de la main, comprendre qu’il valait mieux de ne plus revenir nous échauffer l’oreille. Et nous nous renfermâmes afin de nous replonger dans nos si mauvaises actions. Le noir se fit. Aubry revint. Ce fut le second jour.

Quelle ne fut pas l’horreur de voir la tête de Manon, dans ce village de fumée accompagner Desgrieux et se pencher souriante sur les fonts baptismaux. Voilà un sourire, ajouta mon voisin, à ma droite, qui pourrait nous instruire sur ses intentions véritables et la cause prochaine des mauvaises grâces de notre héros. Nous voulions crier dans la salle. Mais nous n’étions pas au Luxembourg, devant un Guignol en triste posture. Je me tournai vers le coin sombre de la salle n’y apercevant que des yeux hagards, bouches pendantes et écumantes de peur. D’autres ont eu l’insolence de crier, de pleurer, de taper des pieds comme des chevaux enragés. Ce regard de Manon me parut des plus offensants et pourtant un des plus diaboliques qui se puisse donner.

En regardant Manon dans sa blancheur virginale, je ne voyais qu’une image de Satan. Il était mis fort simplement dans ce petit corps fragile. Un haut bien ajusté, une petite poitrine plaisamment remontée. Mais on distinguait au premier coup d’œil, ce regard narquois qui ensevelissait Desgrieux. Lui se levait et la regardait, n’y voyant que les yeux charitables et bons de l’amour le plus sincère.

Ces yeux ensevelit par ce sable torride. Ce n’était point un asile assuré. Mais écoutez les hurlements du chacal apeuré et tremblant comme une feuille après sa triste découverte. Manon, tu peux dormir en paix.

Jacky Lavauzelle

(Libre reprise du texte de l’abbé Prévost)

FAUST (Goethe) LA DEDICACE – ZUEIGNUNG

Johann Wofgang von Goethe

ZUEIGNUNG
DEDICACE

Faust Goethe Eine Tragödie Argitato Théâtre Zueignung Dédicace

 

Ihr naht euch wieder, schwankende Gestalten,

Vous vous approchez, formes indécises

Die früh sich einst dem trüben Blick gezeigt.

Jadis, vous apparaissiez à mon œil innocent.

Versuch ich wohl, euch diesmal festzuhalten?

Essaierai-je cette fois de vous capturer ?

Fühl ich mein Herz noch jenem Wahn geneigt?

Mon cœur serait-il toujours sensible à cette illusion?

Ihr drängt euch zu! nun gut, so mögt ihr walten,

Je sens votre présence !  Vos pulsions !

Wie ihr aus Dunst und Nebel um mich steigt;

Vous m’enveloppez de brume et de brouillard ;

Mein Busen fühlt sich jugendlich erschüttert

Ma poitrine émue se sent rajeunir,

Vom Zauberhauch, der euren Zug umwittert. 

Du souffle magique, le cortège s’enveloppe.

 Ihr bringt mit euch die Bilder froher Tage,

Vous apportez avec vous les images des jours plus heureux,

Und manche liebe Schatten steigen auf ;

Accompagnées de douces et tendres ombres ;

Gleich einer alten, halbverklungnen Sage.

Comme une vieille fable, à moitié oubliée.

Kommt erste Lieb und Freundschaft mit herauf ;

Vient le premier amour, viennent les premières amitiés ;

Der Schmerz wird neu, es wiederholt die Klage

La douleur se réveille, elle rappelle le cours

Des Lebens labyrinthisch irren Lauf,

Sinueux de ma vie,

Und nennt die Guten, die, um schöne Stunden

Elle appelle les amis, qui, dans des doux moments

Vom Glück getäuscht, vor mir hinweggeschwunden.

Trompés par le destin, disparurent devant moi.

Sie hören nicht die folgenden Gesänge,

Elles n’écouteront pas les chansons nouvelles,

Die Seelen, denen ich die ersten sang;

Les âmes, pour connurent les premières chansons

Zerstoben ist das freundliche Gedränge,

Dispersée, la foule amicale,

Verklungen, ach! der erste Widerklang.

Oublié, ah ! le tout premier écho.

Mein Lied ertönt der unbekannten Menge,

Ma chanson se perd dans la foule,

Ihr Beifall selbst macht meinem Herzen bang,   

Leurs applaudissements me bouleversent,

Und was sich sonst an meinem Lied erfreuet,   

Et ceux qui se replongent dans mes chansons,

Wenn es noch lebt, irrt in der Welt zerstreuet.

S’ils sont encore en vie, ils sont de par le monde.

 Und mich ergreift ein längst entwöhntes Sehnen

Et voici qu’un désir depuis longtemps oublié

Nach jenem stillen, ernsten Geisterreich,

Après ce calme, frappe à la porte du royaume sérieux de l’Esprit,

Es schwebet nun in unbestimmten Tönen

Il rode maintenant un murmure incertain

Mein lispelnd Lied, der Äolsharfe gleich,

Ma chanson siffle, telle une harpe éolienne,

Ein Schauer faßt mich, Träne folgt den Tränen,

Un frisson me déchire, aux pleurs suivent les pleurs,

Das strenge Herz, es fühlt sich mild und weich ;

Mon cœur sévère, se sent doux et léger ;

Was ich besitze, seh ich wie im Weiten,

Ce que j’ai, je le vois de si loin,

Und was verschwand, wird mir zu Wirklichkeiten.

Et ce qui a disparu, devient pour moi réalité.

Traduction Jacky Lavauzelle
artgitato.com

André Maurois et la Musique du Sentiment Amoureux

André Maurois
et
la musique du sentiment amoureux

Une vie amoureuse et symphonique
où les thèmes s’entremêlent    

André Maurois et la musique du sentiment amoureux Artgitato Renoir Le Moulin de la Galette                                                                      

LA MUSIQUE DANS LA CRISTALLISATION AMOUREUSE

La musique prend dans l’amour des tintes particulières. Elle participe de la cristallisation stendhalienne (De l’Amour) dans la fabrication et la conception de l’amour :

« Les arts, et particulièrement la musique, aident à la cristallisation en rappelant le souvenir de ce que l’on aime.» (Sept visages de l’amour)

Parfois, la musique en sus comme participant à la réaction chimique, parfois l’amour, lui-même, transformé en musique pure symphonique et harmonieux.

« Cette scène centrale du roman (Madame Bovary) est composée comme une symphonie où deux thèmes se mêlent et se répondent. » (Sept visages de l’amour)

Sauf si le sentiment amoureux s’évapore et laisse entendre quelques fausses notes.

                           DES VOLONTES A CONTRETEMPS

« Je crois, si j’avais pu te garder, que j’aurais su te rendre heureux. Mais nos destinées et nos volontés jouent presque toujours à contretemps. » (Climats)

Les thèmes sont désormais beaucoup plus sérieux, la légèreté de la nature s’est enfuie. Les yeux ne regardent plus, ils se ferment. Nous sommes dans l’être. Au plus profond, dans le noir et l’attention :

« Au concert où, pendant nos fiançailles, je les emmenai tous les dimanches, je remarquai combien Odile écoutait mieux que Misa. Odile, les yeux fermés, laissait la musique couler à travers elle, semblait heureuse et oubliait l’univers. Misa, les yeux curieux, regardait autour d’elle, reconnaissait des gens, ouvrait le programme, lisait et m’irritait par son agitation » (Climats)

Ces thèmes deviennent désormais majeurs, fermes et dignes. Tels des motifs récurrents, ils parsèment l’œuvre régulièrement.  Ils semblent prendre l’armure comme s’ils partaient à la guerre dans la conquête des sentiments.

« J’avais appris à connaître ce que j’appelais son ‘air de conquête’, une gaieté haussée d’un demi-ton au-dessus de sa gaieté normale, des yeux plus brillants, un visage plus beau, et son habituelle langueur vaincue » (Climats)

Une vie amoureuse et symphonique
où les thèmes s’entremêlent                                                                                

« Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor ? Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?» (Alfred de Vigny, Le Cor)

« JE LES ENTENDS TOUS ENCORE TRES FORT »

Certains thèmes parfois, « tendres et apaisants » s’immiscent le temps d’une pause, d’un silence, au cœur de la passion.

« Je vous parlais de ma vie comme d’une symphonie où se mêlaient des thèmes ; celui du chevalier, du cynique, celui du rival. Je les entends tous encore très fort. Mais j’entends aussi dans l’orchestre un instrument unique, je ne sais lequel, qui répète avec une douceur ferme un thème de quelques notes, tendre et apaisant. C’est le thème de la sérénité ; il ressemble à celui de la vieillesse. » (Climats)

Outre le thème de la sérénité, des motifs de l’amour courtois ou romantiques parcourent l’œuvre, mais plus particulièrement Climats ; celui qui revient en boucle le plus souvent est celui du Chevalier, bon et puissant, prince charmant, sauveur et conquérant. Il parcourt l’œuvre et peut se transformer en un thème du Rival :

« Ce thème du Chevalier protecteur, tout en moi le reprenait alors. Comme dans un orchestre une flûte isolée, esquissant une courte phrase, semble éveiller de proche en proche les violons, puis les violoncelles, puis les cuivres, jusqu’à ce qu’une énorme vague rythmée vienne déferler sur la salle, ainsi la fleur cueillie, le parfum des glycines, les églises blanches et noires, Botticelli et Michel-Ange, se joignaient tour à tour au chœur formidable qui disait le bonheur d’aimer Odile et de protéger, contre un invisible ennemi, sa parfaite et fragile beauté » (Climats)

« J’ai essayé de vous faire saisir l’entrée, la première exposition à demi couverte par d’autres instruments plus forts, des thèmes autour desquels s’est construite la symphonie inachevée qu’est ma vie. Vous avez noté le Chevalier, le Cynique, et peut-être avez-vous saisi dans cette absurde histoire de tapissier, que, par scrupule, je n’ai pas voulu omettre, le lointain et premier appel de la Jalousie » (Climats)

« Le thème du Rival, si le compositeur mystérieux qui orchestre notre existence nous le faisait entendre isolé, ce serait presque, je crois, le thème du Chevalier, mais ironique et déformé » (Climats)

Sérieux, forts, cyniques : « Cette fois, on applaudit vigoureusement ; la musique de la phrase exigeait l’accord parfait des acclamations. » (Ni Ange ni bête)

« L’armée applaudissait. Le luth du troubadour S’accordait pour chanter les saules de l’Adour » (Alfred de Vigny, Le Cor)

André Maurois et le Sentiment amoureux
Jacky Lavauzelle

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