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GAS-OIL de Gilles GRANGIER – L’ODEUR DU CAFE & DE L’ANDOUILLETTE

GILLES GRANGIER
GAS-OIL
1955

Gas-Oil Gille Grangier Artgitato

L’ODEUR DU CAFE ET DE L’ANDOUILLETTE

« Or l’amitié exige que l’on soit au moins deux à l’éprouver et l’on ne saurait donner longtemps la sienne à qui ne vous la rend pas. C’est un échange qui par la même requiert un lieu. Quand je pense à un ami, je ne puis rester dans l’abstraction, j’évoque des situations, donc des cadres » (Antoine Blondin, Ma vie entre des lignes). Le lieu ici est le cœur de la France, près de Montjoie. Le cadre, le cœur des camionneurs.

LE SON DE LA GAZINIERE ET L’ODEUR DE L’ANDOUILLETTE

L’odeur est là. Pas celle du gas-oil et du moteur. L’odeur de l’école, de l’alcool du barbier. L’odeur des casquettes, des bretelles, du cuir des blousons et des grands pardessus, des chaussons à l’arrière retourné, des pyjamas fermés jusqu’au dernier bouton. L’odeur de la cour de récréation. L’odeur de ces repas en daube venue d’un temps ante-cholestérol, celui des sandwichs aux andouillettes, aux civets de lapin et de l’omelette aux lards.

FAUT LA CHATOUILLER POUR AVOIR L’ADDITION

Le son est là. De la cloche qui dit la rentrée aux boutons de la gazinière qui font clac. Le gros bruit du réveil au gros ronronnement du moteur de la Willeme bien ajusté. Les prénoms qui sonnent, c’est l’Ancien, c’est Jojo, Lulu ou Emile, quand ce n’est pas le Gros Robert. Le son des phrases que l’on entend plus : « envoyer la soudure », « faut la chatouiller pour avoir son addition ?», « J’en connais un qui serait bien resté dans les plumes », « La route ça creuse, c’est comme l’amour. Si je vous disais qu’à moi, ça me donne une vraie fringale l’amour. Y en a, aussitôt fini, c’est une cigarette, moi, faut que je mange ». Le son des enfants qui se lèvent quand l’institutrice rentre et du son de sa voix quand elle punit l’enfant qui s’est retourné pendant la dictée, et qui, pour la peine, fera un problème.

LE GROS GENTIL LOUP ET L’AGNEAU ROMANTIQUE

Quand Jeanne se déshabille, elle devient papillon. Et elle papillonne devant son Jean lisant le Loup et l’Agneau. Elle est légère, sort de sa chrysalide, papillonne. Lui, montre ses atours. Lui, plein, lourd, semble être son père. Il souhaite qu’elle vienne chez lui car « on mangerait mieux ». Bien sûr, Jeanne le reprend « ce qui est fou avec toi, c’est ton côté romantique, la poésie. T’es plein de mystère! ». Aujourd’hui, elle n’aurait même pas le temps d’essayer sa nouvelle robe, que l’on suivrait les ébats sur le parquet, dans une symphonie de râle en Rut majeur, la tête de madame dans le lavabo. Non, là, Jean parle de la femme moderne : « Elle est bachelière, elle est indépendante. Mademoiselle est de son époque. Aujourd’hui, elle vote et elle lit la Série Noire ». Et avant de s’endormir, il met le réveil car il sait qu’il « doit prendre des endives avant cinq heures chez Berthier ». Jeanne dans un éclair de lucidité se demande bien avant de se coucher pourquoi elle l’aime. « Parce que je suis beau même dans le noir ».

L’AMITIE PAR TOUS LES VENTS

Les amis sont soudés et prennent le temps de vivre comme de travailler. Le temps d’une sieste au bord de la route, le temps du beaujolais, le temps de s’arrêter à la moindre panne d’un routier. « T’as besoin d’un coup de main ? » Ils sont solidaires. Même le lapin est meilleur entre ami. « Permettez-moi de vous dire que du lièvre comme ça, vous n’en mangerez pas souvent. Faut pas seulement des herbes et des champignons. Il faut aussi de l’amitié. Ce qui compte dans la vie, c’est d’abord l’amitié. – L’amitié ? L’amitié ? L’amitié et le beaujolais, oui ! »

J’IRAIS LES CHERCHER DANS LE CHARBON, DANS LE CAMBOUIS, DANS LA MERDE !

Pour les truands, les petites-frappes, c’est le chef qui compte. « N’oublie pas que c’est toi qui tiens le volant, mais c’est moi qui conduit ». Les autres ne sont rien. « J’étais seule, une impression affreuse ». « Il est vrai qu’Antoine, il est déjà pas mal oublié ». Rien ne compte plus que de gagner de l’argent. Être riche et vite. Peu importe comment. « Ah ! Pourquoi ? Il vous faut du confort ? Cinquante briques, moi je les attendrais à quatre pattes dans la neige. J’irais les chercher dans le charbon, dans le cambouis, dans la merde.  Seulement, j’étais formé par une génération qu’avait le respect de l’osier. Alors, dites-vous bien que je suis aussi pressé que vous et que le camionneur, j’aime mieux ne pas être dans sa peau! »

LE FOND DE NOTRE COEUR

Les truands comme une verrue pleine de pus seront expurgés. L’Ancien sera soigné par un bon coup de gnole et partira se faire soigner dans un camion à bestiaux. L’amitié est là jusqu’au bout. Ils en parlent et au besoin font parler le cœur.

« Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre Le fond de notre cœur dans nos discours se montre, Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais sous de vains compliments. »  (Molière, Le Misanthrope)

Jacky Lavauzelle

Alain Aurenche LE GRAND FEU DE L’AMITIE

Chanson
ALAIN AURENCHE

LE GRAND FEU DE L’AMITIE

Le temps claudiquant s’est pris les pattes dans la table du fond du bar, où s’attablent, une fois encore, les vieux amis, qui sont, eux-aussi, morts « cent fois, avant d’y croire ». A l’ombre d’une photo jaunie de Rimbaud, au parfum de salpêtre. «Café, ivoire et peaux, désert hallucinant. Caravanes, chevaux. Tes fusils, ton argent au soleil des pillards ». Les rires flétris et les souvenirs de charlatans s’enchaînent tout au long des profondeurs de la nuit et des enchantements des mots qui s’envolent de nos soirées. Dans le mélange des avoirs et des rêves. « C’est un mégot qu’on se partage, un imper pour deux sous l’orage. »

  Nous nous posons au bar après un banal déluge avec ce qui reste de notre squelette. Nous posons nos capes, nos ennuis et nos chapeaux. Nous tombons nos bottes de pluie, lourdes de notre dernière faillite amoureuse. « Ton errance est finie, suintant de pourriture, Senteurs d’Abyssinie, Charognarde aventure pressentant l’enterrement. Onze jours, douze nuits, seize porteurs, quinze thalaris parporteur, trois cents kilomètres, trente-six ans. »

Notre bar, comme chaque fois, s’enferme dans la nuit, «aux heures indues de la détresse ». Et les portes sont closes à jamais sur ces êtres «qui n’ont pas eu de veines ». Seuls dans ce « grand large de l’aventure ». Rien ne peut arriver et tout va arriver. La pluie qui tombe ne touche pas les larmes. Et les larmes remontent, se mélangent dans la gorge au dernier verre. Personne n’attend plus personne. Personne n’est de ce monde, que nous lisons avec nos tripes lessivées d’un vin trop frais. « C’est un chagrin à deux qui tresse les lendemains de l’allégresse dans les rouges-bord de l’ivresse. »

Le temps ne sait plus quand tout ça a bien pu commencer. C’est une si longue histoire. Des fantômes viennent qui nous hantent, mais la main est là, ferme et tranquille, précise malgré les effluves de whisky, de Gin, et d’autres boissons inconnues. « C’est un coup de poing sur l’épaule, comme une caresse qui vole dans la brume où tu te désoles. C’est un fou-rire quand rien n’est drôle, qui met le nord à ta boussole. »

 Des yeux et des paroles libres enfin, qui se donnent à voir ; des mots gercés et des livres d’images désolantes. Que la nuit soit le jour, et  que les rais de lumière dans le plus lointain interstice, nous donnent un seul instant d’espoir, juste une seconde d’espoir.

Pensez qu’après le trait, un espace existe où un souffle encore sommeille. Aller en entrain et sans frein, ne plus contrôler ces heures et attendre tout de cette pauvre et ridicule petite seconde et d’un mot, d’un seul, s’envoler. « C’est un mot qui fait rejaillir la jouvence des souvenirs lorsque le fil du temps s’étire. C’est un livre que tu peux lire les yeux fermés, sans rien trahir. C’est un amour, sans le désir. L’amitié… »

 Nos paroles sont mortes car la mort nous soutient. « La mort imaginée, un peu comme la mer, nageur fou destiné aux tourments de l’enfer ; enfants livrés à des désordres solitaires. » Ça claque des os, et la gamine passe et repasse en boucle. « Où vas-tu la gamine, dans ta robe rétro, quand la manche tapine aux bouches du métro…Où ton âme frangine, fait son temps à l’abri…Tu vas dans ta nuit vers la voix qui t’appelle. » Nos paroles partent en vrille sur ces musiques d’Alain Bréheret, de Jean-Luc Debattice ou d’Alain Aurenche lui-même.

Et la mort qui passe, se retrouve dans notre dos. Elle nous pousse. Un peu plus. Mais l’amitié éloigne de nous, un peu plus chaque jour, la sortie.

Nous marchons maintenant la mort dans la main, et dans le cœur une épine, si fine qu’elle va loin dans notre vaisseau brinquebalant. Et notre âme feinte et joue encore jusqu’au crépuscule, croyant ainsi trouver une brèche possible dans l’éternité.

Au-delà il n’y a rien qu’un seul battement de cils et un effleurement de paupière.

Et autour, le silence.

Et autour du silence, la brume.

Et autour de la brume, de la brume encore.

Ni plus épaisse, ni plus transparente. Et enfin, loin, très loin, à nouveau le silence. Puis un mélange de désir et de répulsion. Et pour finir, une étoile, un ami.

Jacky Lavauzelle

Luís de Camões : L’Amour, ce feu qui ardemment nous brûle

Luis de Camões
Tradução – Traduction
texto bilingue

Luís de
Camões

Luís de Camões d'après François Gérard Amor Amour

Amor é fogo que arde sem se ver,
é ferida que dói, e não se sente;
é um contentamento descontente,
é dor que desatina sem doer.

É um não querer mais que bem querer;
é um andar solitário entre a gente;
é nunca contentar-se de contente;
é um cuidar que ganha em se perder.

É querer estar preso por vontade;
é servir a quem vence, o vencedor;
é ter com quem nos mata, lealdade.

Mas como causar pode seu favor
nos corações humanos amizade,
se tão contrário a si é o mesmo Amor? 

L’Amour, ce feu qui ardemment nous brûle sans aucune flamme
Et qui nous enflamme sans qu’on le sente
Qui nous soulage dans des soupirs
L’Amour, cette douleur sans ce mal qui fait souffrir
 
L’Amour ce n’est pas tant vouloir que de bien vouloir
C’est marcher seul au milieu des autres
Ne jamais se satisfaire d’être seulement satisfait
Et ne jamais oublier que tout ce qui est gagné peut tout se perdre à jamais

L’Amour, c’est vouloir s’emprisonner par la seule volonté
C’est servir le vaincu quand nous sommes vainqueur
Et garder la foi en celui qui nous touche.

Mais comment dans nos cœurs
Une amitié sincère peut éclore
D’un Amour à lui-même si contraire ?

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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luis de camoes literatura português

FAUST (Goethe) LA DEDICACE – ZUEIGNUNG

Johann Wofgang von Goethe

ZUEIGNUNG
DEDICACE

Faust Goethe Eine Tragödie Argitato Théâtre Zueignung Dédicace

 

Ihr naht euch wieder, schwankende Gestalten,

Vous vous approchez, formes indécises

Die früh sich einst dem trüben Blick gezeigt.

Jadis, vous apparaissiez à mon œil innocent.

Versuch ich wohl, euch diesmal festzuhalten?

Essaierai-je cette fois de vous capturer ?

Fühl ich mein Herz noch jenem Wahn geneigt?

Mon cœur serait-il toujours sensible à cette illusion?

Ihr drängt euch zu! nun gut, so mögt ihr walten,

Je sens votre présence !  Vos pulsions !

Wie ihr aus Dunst und Nebel um mich steigt;

Vous m’enveloppez de brume et de brouillard ;

Mein Busen fühlt sich jugendlich erschüttert

Ma poitrine émue se sent rajeunir,

Vom Zauberhauch, der euren Zug umwittert. 

Du souffle magique, le cortège s’enveloppe.

 Ihr bringt mit euch die Bilder froher Tage,

Vous apportez avec vous les images des jours plus heureux,

Und manche liebe Schatten steigen auf ;

Accompagnées de douces et tendres ombres ;

Gleich einer alten, halbverklungnen Sage.

Comme une vieille fable, à moitié oubliée.

Kommt erste Lieb und Freundschaft mit herauf ;

Vient le premier amour, viennent les premières amitiés ;

Der Schmerz wird neu, es wiederholt die Klage

La douleur se réveille, elle rappelle le cours

Des Lebens labyrinthisch irren Lauf,

Sinueux de ma vie,

Und nennt die Guten, die, um schöne Stunden

Elle appelle les amis, qui, dans des doux moments

Vom Glück getäuscht, vor mir hinweggeschwunden.

Trompés par le destin, disparurent devant moi.

Sie hören nicht die folgenden Gesänge,

Elles n’écouteront pas les chansons nouvelles,

Die Seelen, denen ich die ersten sang;

Les âmes, pour connurent les premières chansons

Zerstoben ist das freundliche Gedränge,

Dispersée, la foule amicale,

Verklungen, ach! der erste Widerklang.

Oublié, ah ! le tout premier écho.

Mein Lied ertönt der unbekannten Menge,

Ma chanson se perd dans la foule,

Ihr Beifall selbst macht meinem Herzen bang,   

Leurs applaudissements me bouleversent,

Und was sich sonst an meinem Lied erfreuet,   

Et ceux qui se replongent dans mes chansons,

Wenn es noch lebt, irrt in der Welt zerstreuet.

S’ils sont encore en vie, ils sont de par le monde.

 Und mich ergreift ein längst entwöhntes Sehnen

Et voici qu’un désir depuis longtemps oublié

Nach jenem stillen, ernsten Geisterreich,

Après ce calme, frappe à la porte du royaume sérieux de l’Esprit,

Es schwebet nun in unbestimmten Tönen

Il rode maintenant un murmure incertain

Mein lispelnd Lied, der Äolsharfe gleich,

Ma chanson siffle, telle une harpe éolienne,

Ein Schauer faßt mich, Träne folgt den Tränen,

Un frisson me déchire, aux pleurs suivent les pleurs,

Das strenge Herz, es fühlt sich mild und weich ;

Mon cœur sévère, se sent doux et léger ;

Was ich besitze, seh ich wie im Weiten,

Ce que j’ai, je le vois de si loin,

Und was verschwand, wird mir zu Wirklichkeiten.

Et ce qui a disparu, devient pour moi réalité.

Traduction Jacky Lavauzelle
artgitato.com