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LES HÉROS DE LA TERRE LUSITANIENNE – OS LUSIADAS V-95 – LES LUSIADES – Luís de Camões – Dá a terra lusitana Cipiões

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Ferdinand de Portugal traduction Jacky Lavauzelle

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OS LUSIADAS CAMOES CANTO V
Os Lusiadas Les Lusiades
OS LUSIADAS V-95 LES LUSIADES V-95
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LITTERATURE PORTUGAISE

Ferdinand de Portugal Os Lusiadas Traduction Jacky Lavauzelle Les Lusiades de Luis de Camoes

literatura português
Luis de Camões
[1525-1580]
Tradução – Traduction
Jacky Lavauzelle
texto bilingue

Traduction Jacky Lavauzelle

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Dá a terra lusitana Cipiões,
Elle donne la terre portugaise des Scipion,
Césares, Alexandros, e dá Augustos;
César, Alexandre et Auguste ;…


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MILTIADE, VAINQUEUR DE MARATHON, et THÉMISTOCLE – OS LUSIADAS V-93 – LES LUSIADES – Luís de Camões – Não tinha em tanto os feitos gloriosos

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Ferdinand de Portugal traduction Jacky Lavauzelle

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OS LUSIADAS CAMOES CANTO V
Os Lusiadas Les Lusiades
OS LUSIADAS V-93 LES LUSIADES V-93
*

LITTERATURE PORTUGAISE

Ferdinand de Portugal Os Lusiadas Traduction Jacky Lavauzelle Les Lusiades de Luis de Camoes

literatura português
Luis de Camões
[1525-1580]
Tradução – Traduction
Jacky Lavauzelle
texto bilingue

Traduction Jacky Lavauzelle

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Não tinha em tanto os feitos gloriosos
Il n’appréciait pas tant les actes glorieux
De Aquiles, Alexandro na peleja,
D’Achille, le fameux Alexandre,…


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LE LAI D’ARISTOTE – ARISTOTE & PHYLLIS – Poème de Jacky Lavauzelle

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Nino Chikovani
Les légendes et les dieux
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LE LAI D’ARISTOTE
ARISTOTE & PHYLLIS

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Poème de Jacky Lavauzelle
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Ni tempérant, ni modéré
Un vent innocent sans nuance se balançait et s’engouffrait
Jusqu’aux deux parties de l’âme
Renonçant
Immense
Nostalgique
Dans les longs cheveux défaits de Phyllis
Dans de longues lignes intenses
Humides et douces
Voluptueuses
Triomphantes en un dernier long souffle
Ondulaient les dunes sous la tente
Le jour égalait la nuit
Désormais
L’heure les secondes
Se valaient
Dans les longues interstices des âmes
Babylone se désolait
Les Diadoques se réjouissaient
Babylone s’effondrait dans le long silence du monde
Oubliant jusqu’à la bataille de Gaugamèles
Bucéphale avait quitté l’écurie
Sans inquiéter personne
Aristote déclamait que la sagesse est la forme la plus achevée du savoir
Sans que personne ne l’écoute
Justin et Quinte-Curce ne savaient plus quoi écrire
Il ne se passait plus rien
Le temps aurait pu se pendre
Tout le monde s’en moquait
Pseudo-Callisthène, Julius Valerius
Tout comme Callisthène aussi
Bucéphale s’est perdu dans le ciel de Perse
Pris dans les raies de lumière
Affolé par les abstractions de vie
Alexandre s’en moquait
Comme de sa première antilope
Et les hennissements ne faisaient plus désormais que frémir les nuages
La forêt aux pucelles s’est perdue dans les nimbes
Ses chemins aux espoirs se sont envolés
Alexandre s’en moquait
Comme de son dernier tigre
Les bêtes féroces se sont pendues dans des gueules
Où les crocs aux crocs répondaient
Plus féroces que les défenses des éléphants
Les plus tranchantes
Les lames de l’ennui ont décimé les lourds pachydermes
Les femmes aquatiques ont fini par se noyer
Ignorées
Alexandre s’en moquait
Les formes et les langueurs viennent et reviennent
Se lient et se délient

Toutes choses tendent vers le bien
Disait le Philosophe en recherche de rigueur
Que nul ne trouvait
Le bien je veux dire
Les colonnes d’Hercule semblait se toucher
Lassées d’attendre les bras et les armes
Que nul ne trouvait
Perdu dans les bras de Phyllis qui se perdaient dans ceux d’Alexandre
Qui se perdaient ensuite dans les yeux de Phyllis
A l’infini

Plus aucune chevauchée éclatée sur les merveilles de l’Inde
Plus d’étalements débridés
Plus aucune trace de ces merveilles,
Les biens et les futurs se résumaient à Phyllis
Qui s’attardait alanguie
Les aventures et les gloires n’avaient plus cours
Toutes les rigueurs s’effacent vers les cœurs
Dans un cœur rassemblé et de Darius et de l’Inde
Tu ne rêves plus, Alexandre, tu ne désires plus
Plus les mêmes rêves, ni les mêmes désirs
Porus semble si loin, les marécages aussi
Sur des boucles couché, tes montagnes sont là
Mais le grain des sables est devenu le grain de peau
Sur des boucles enroulé, tes vagues sont là
Plus flou que le sein qui t’aveugle.
Plus fou que ces mains qui te parlent
Tout seul tu penches vers ce bien
Que personne ne peut plus t’enlever
Que personne n’ose te confisquer
Le Philosophe pèse le juste et l’injuste
Et il reste encore le seul que le grand homme peut écouter
Les arbres du soleil se sont couchés sous les feuilles perdues
Le Philosophe se souvient de l’enchanteur Nectanebus
Comme la belle Olympias
Comme les rochers
Comme les vagues
Qui nettoient la mousse de ses écumes funestes
Et le seul qu’Alexandre peut écouter se fait entendre
Qui vient de coucher son cœur sur les langueurs des ombres
Comme des vagues
La lanterne se balançait au rythme des deux corps
Les rochers abrupts de Phyllis
Les vagues régulières d’Alexandre
Mais Aristote le lendemain aborda
L’homme le plus célèbre de toute cette célèbre Antiquité
Son esprit n’était plus là
Les affaires en sommeil
Les invasions à l’arrêt
Les possessions en péril
Et Alexandre regardait le Philosophe
Comme l’on regarde l’évidence
Comme l’on écoute la vérité
Le monde ne se résumait pas à Phyllis
Que lui
Surtout lui ne pouvait
Ne devait
S’abaisser dans cette volupté
Même d’une épaisseur et d’une grandeur
Plus grande que le grand océan

Alexandre acquiesça

Le soir suivant
Phyllis a fait taire les airs
Les lumières
Et les ondes
Quand de la tente elle est sortie
La nuit s’est éclaircie
Le jour s’est assombrie
Et Aristote ne pensait plus
Pendant qu’Alexandre sommeillait
Il admirait cette lumière insolente
Cette énergie inassouvie sur une crinière d’étoiles
Se sentait amoureux par sa seule présence
Son esprit oublié dans une terrible absence
Phyllis s’est retournée et avec elle un long parfum
Une lumière
Et sur une ronde
Dans sa tente elle est rentrée
La nuit est redevenue la nuit
Le jour a retrouvé ses rayons
Mais Aristote ne pensait toujours pas
Une étoile manquait dans le ciel
Sans grâce désormais
Mais Aristote est restait là
Mais ne regardait plus le ciel
Le jour suivant et tous les autres jours
Alexandre passait devant le Philosophe absent
Et se demandait quelle foudre s’était abattue sur lui
Le touchait
Le regardait
Attendait
Puis s’en alla à ses affaires qui recommençait

Quand Phyllis ressortie
Elle prit la main de cette statue vivante
En l’apportant sous sa tente
A force de caresses le grand penseur
Ses esprits retrouva
Son instinct récupéra
Il recommençait à parler
Comme parle les jeunes enfants
Quand Pyllis sourit
Aristote babillait
Il regarda la tente et mit un genou à terre
Et Aristote sourit
Phyllis caressa ses longues mèches
Et Aristote souriait encore

Les jours suivants
Aristote prenait les devants
Devenait gai et entreprenant
Comme si tous ces ans
En un instant
Avaient plongé dans un grand néant

Phyllis alors établit un accord
Pour qu’il se livre corps et corps
Sans aucun remord
Pour un sublime rapport
Que de cette union il deviendrait plus fort
Jusqu’à ce que vienne la mort

Or

Il fallait pour cela devenir son Bucéphale
Parcourir des contrées glaciales
Caresser les aurores boréales
Et venir se réchauffer à son sein pâle
Et qu’elle deviendrait sa cavalière fatale
Jusqu’à ce que se termine de plaisir le dernier râle

Aristote acquiesça

Et devient la risée de la cavalerie des Compagnons
De la phalange et des porte-boucliers
Et devint un Milésien
Agissant comme un fieffé crétin
Tant et si bien
Qu’Alexandre lui donne à son tour la leçon
En l’apercevant dans sa conduite indigne
De son âge vénérable
L’amour n’est-il pas l’arme la plus dangereuse au monde ?

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DENIS Ier – OS LUSIADAS III-96 LES LUSIADES CAMOES – Eis depois vem Dinis, que bem parece

* Os Lusiadas Les Lusiades
OS LUSIADAS III-96 LES LUSIADES III-96
LITTERATURE PORTUGAISE





Luis de Camoes Oeuvres obras Artgitato

literatura português

Luis de Camões
[1525-1580]

Tradução – Traduction
texto bilingue




Luis de Camoes Les Lusiades

 

Obra Poética

(1556)

LES LUSIADES III-96




OS LUSIADAS III-96
A Epopeia Portuguesa

 

CHANT III
Canto Terceiro

Traduction Jacky Lavauzelle

verso 96
Strophe 96

III-96

Image illustrative de l'article Vasco de Gama

Vasco de Gama

Vasco da Gama signature almirante.svg

 

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Luís de Camões Os Lusiadas
OS LUSIADAS III-96
LES LUSIADES III-96

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« Eis depois vem Dinis, que bem parece
« Denis lui succéda, en qui apparaît déjà
Do bravo Afonso estirpe nobre e dina,
D’Alphonse le Brave cette souche digne et noble,…

 

 OS LUSIADAS
LES LUSIADES CAMOES

POUCHKINE ET LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN RUSSIE DEPUIS QUARANTE ANS (I)

 POUCHKINE ET LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN RUSSIE DEPUIS QUARANTE ANS
Алекса́ндр Серге́евич
Alexandre Pouchkine 
русский поэт- Poète Russe
русская литература
Littérature Russe

poemes-de-alexandre-pouchkine-artgitatopushkin-alexander

ALEXANDRE POUCHKINE 
pushkin poems
стихотворение  – Poésie
POUCHKINE ET LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN RUSSIE DEPUIS QUARANTE ANS

 

 

POUCHKINE – Пу́шкин
Алекса́ндр Серге́евич Пу́шкин
1799-1837

[создатель современного русского литературного языка]

 

LA POESIE DE POUCHKINE

СТИХИ АЛЕКСАНДРА СЕРГЕЕВИЧА ПУШКИНА

POUCHKINE ET LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN RUSSIE DEPUIS QUARANTE ANS
I – PREMIERE PARTIE
Charles de Saint-Julien

Œuvres choisies de Pouchkine, traduites par M. H. Dupont


Il en est de certains pays comme de certains hommes, dont la destinée est d’être soumis aux jugements les plus contraires, de se voir à la fois l’objet d’éloges excessifs et de critiques violentes, de ne trouver justice et modération nulle part. Tel est de nos jours le sort de la Russie. Les uns, voyant dans cet empire l’expression la plus puissante d’un principe que la France a répudié, tendent les bras à son gouvernement, fort indifférent à leur égard, et ne trouvent pas de formules assez pompeuses pour proclamer ses bienfaits. A les entendre, la Russie est le seul pays où règnent sans partage aujourd’hui l’ordre, la paix, le bien-être, le seul qui demeure fort et sage au milieu des secousses sociales dont le monde est ébranlé. Les autres, se jetant dans un excès opposé, ne voient dans la nation russe qu’un amas grossier d’esclaves courbés sous le knout d’un Tartare, lequel n’a d’autre loi que son bon plaisir, d’autre règle que son caprice. Cette dernière opinion est encore aujourd’hui la plus répandue, la plus généralement accréditée en Europe. En attendant que le grand redresseur de torts en cette matière, le temps, fasse prévaloir définitivement la vérité sur l’erreur, il suffirait d’un peu de réflexion pour découvrir ce qu’il y a d’exagéré dans ces jugements contradictoires. Une seule conviction résulterait, selon nous, d’un examen impartial de ces apologies et de ces attaques systématiques : c’est qu’un peuple qui depuis neuf siècles, à travers les vicissitudes les plus étranges, a donné les plus éclatants exemples de courage et de patriotisme, un tel peuple mérite d’être traité avec moins de légèreté.

Un fait puissant et terrible s’élève, nous le savons, entre l’Europe et l’empire des tsars. La Pologne accablée a mis la douleur et l’indignation dans toutes les âmes ; elle a réveillé toutes les colères contre ses ennemis. Ces sentiments sont nobles et légitimes, et il faudrait manquer d’entrailles pour ne pas les comprendre ; mais, sous l’influence d’une émotion généreuse, on oublie peut-être qu’envisagée des hauteurs historiques, la question de la Pologne échappe aux intérêts de la politique actuelle, pour ne laisser voir que la suite d’une guerre de peuple à peuple vieille de plusieurs siècles. Les Polonais commandèrent un jour au pied du Kremlin, où ils avaient amené un faux descendant des vieux tsars, insultant ainsi à la nationalité moscovite jusqu’en ses foyers. De là une haine mortelle vouée par les Russes à leurs fiers vainqueurs, de là une de ces vendetta corses qui ne se terminent que par l’extinction de la race ennemie. D’ailleurs, il est des accidents historiques dont il ne faut tenir compte qu’avec réserve, quand on veut apprécier sainement l’état d’un grand peuple. Or, la nation russe a son existence parfaitement indépendante de la politique extérieure de son gouvernement, et au lieu de la juger à priori et sans appel, suivant l’intérêt ou la passion, il conviendrait de remonter à son origine, de la suivre dans sa vie sociale, de pénétrer dans les secrets de sa vie domestique, d’étudier son caractère, ses mœurs, ses habitudes. C’est ce qu’on n’a pas suffisamment fait ; aussi peut-on dire que la Russie est restée, sous bien des rapports, inconnue à l’Europe, malgré les nombreux ouvrages que publient à l’envi des touristes de tout esprit et de toute condition.

 

On ne se fait pas une idée, dans nos pays de civilisation régulière, des éléments nombreux et opposés qui concourent à former ce qu’on pourrait appeler le tissu national de la race moscovite. Nous nous figurons, par exemple, qu’il n’existe que deux classes dans la société russe, les nobles et les esclaves, et nous croyons connaître les premiers pour avoir vu quelques Moscovites titrés promener à travers nos capitales leur inquiète curiosité, ou bien pour avoir rencontré dans le monde quelques-uns de ces élégants secrétaires d’ambassade dont une éducation spéciale a complètement transformé les manières et le langage. Quant aux esclaves, nous avons un modèle tout prêt : les serfs de notre moyen-âge. C’est se méprendre sur les uns comme sur les autres. En premier lieu, la noblesse russe, — depuis les familles qui remontent avec orgueil aux vieux boyards et se rattachent aux princes apanagés jusqu’aux dernières anoblies par quelques années de fonctions publiques, — se divise en une foule de classes, dont chacune a son centre d’action et de pensée, son caractère, ses mœurs et ses préjugés. En outre, l’espace qui sépare cette noblesse des hommes de la glèbe est comblé par plusieurs castes intermédiaires. Ce sont d’abord les petits employés du gouvernement, qui travaillent à s’anoblir, espèce de tiers-état craintif et mécontent. Après ceux-ci viennent les marchands, dont la corporation a acquis, sous le règne actuel, une importance manifeste et qui s’étend chaque jour davantage ; enfin, les bourgeois, dont l’existence se lie à celle des marchands, et qui ne tarderont pas à former avec eux une classe nombreuse et forte. Quant aux serfs, qui se montrent en dernier lieu, ce sont de véritables fermiers attachés au sol, auquel ils appartiennent, et dont ils partagent de diverses façons le produit avec les propriétaires. Ces différentes classes se subdivisent encore, se distinguent, se tranchent, si on peut le dire, en couches infinies, ce qui ne les empêche pas de se réunir, de former dans certaines circonstances un ensemble de parties parfaitement harmoniques. Alors les rivalités de caste et de rang, les jalousies, les ambitions, les mauvais vouloirs, si profonds et si vivaces qu’ils soient, tombent et s’éteignent pour faire place à un seul intérêt et à un seul sentiment : la nationalité. 

Nous venons de prononcer un mot qui explique tout le travail intérieur de la Russie, tout son mouvement littéraire depuis quarante ans. Le bon sens moscovite sait que l’esprit de nationalité peut seul donner à la Russie une valeur et une force réelles en présence de l’Europe. Seulement on pourrait se demander comment il se fait qu’un sentiment aussi légitime, aussi généreux, ait pu passer depuis quelques années à l’état de système mesquin et puéril, comment il se fait qu’il ait cru s’anoblir par une affectation de dédain, nous allions dire de mépris, pour tout ce qui est étranger. Le mot de nationalité est devenu une espèce d’enseigne obligée, de mot d’ordre et de ralliement à tout propos invoqué. La Russie ne craint-elle pas que ces appels systématiques au sentiment national soient mal interprétés, et qu’on ne lui rappelle à ce sujet certains gentilshommes d’autrefois, qui mettaient sans cesse en avant la noblesse de leur blason dans la crainte, quelquefois fondée, qu’on n’y crût point assez ? Hâtons-nous de le dire, ce pavillon patriotique si complaisamment déployé à tous les vents n’est pour ainsi dire que le symbole nouveau d’un fait ancien, d’une réaction depuis longtemps préparée contre l’influence étrangère, et conséquemment, à plusieurs égards, contre la rénovation sociale imposée au pays par Pierre Ier. Encore aujourd’hui, il est une question qu’on ne se lasse point d’agiter : le fondateur de Saint-Pétersbourg a-t-il réellement servi sa patrie en la poussant violemment dans la voie européenne ? De là, mille discussions, mille controverses, qui ne sauraient aboutir, malgré quelques exagérations fâcheuses, qu’à une conciliation désirable entre la civilisation de l’Europe et l’influence renaissante de la vieille nationalité moscovite.

Après avoir vu pendant un siècle et demi la docile obéissance de la Russie à l’impulsion étrangère, il semble qu’on doive s’étonner de la voir se livrer actuellement à l’examen des principes de ce qu’on appelle sa régénération sociale. En y réfléchissant un peu, on sera obligé de convenir que cet examen même pourrait bien indiquer des progrès assez marqués, un développement de l’esprit national dont la Russie a de plus en plus conscience, et qu’elle est jalouse de faire reconnaître à ceux qui l’instruisirent. D’ailleurs, cette opposition nationale contre une civilisation acceptée forcément ou d’office, cet esprit assez confiant en lui-même pour croire qu’il aurait tracé son sillon de lumière sans le secours de l’Occident, cette révolte longtemps contenue contre un ordre de choses qui n’avait pas été choisi, tout cela correspond à ce qu’il y a dans le sentiment public en Russie de plus jeune et de plus ardent. Il ne faut pas chercher ailleurs les causes et le principe du mouvement littéraire qui se continue aujourd’hui dans cet empire, mouvement que nous voudrions apprécier non-seulement dans ses productions récentes, mais dans celles du poète qui le prépara et le dirigea. Ce poète, on l’a nommé, c’est Alexandre Pouchkine.

 On sait que la littérature russe du dernier siècle était toute française et de cour, car, à l’exception de Lomonossoff, ce pauvre pêcheur d’Archangel qui devait être le Malherbe moscovite, et du prince Cantemir, célèbre par ses satires, elle n’avait rien qui fût national. C’était une gracieuse contrefaçon de la petite littérature de Versailles, dont le siège se tenait à l’Ermitage, cette solitude lettrée de la grande Catherine, où peu d’élus étaient appelés, même parmi les courtisans, mais dont tous les élus étaient gens d’esprit. Là un couplet du comte de Ségur, une épître du comte Schouvalof ou du prince Bélosselsky, étaient applaudis avec enthousiasme par les heureux et nobles habitués de l’impérial cénacle, au milieu duquel vint tomber un matin l’encyclopédiste Diderot, qui n’en changea ni l’esprit ni l’allure. Hors de ce cercle privilégié, les lettres marchaient d’un pas lent et boiteux. Le peu d’ouvrages qui se publiaient en Russie n’étaient guère que de faibles imitations françaises : la Pétréide de Kéraskoff ne vaut pas, à coup sûr, les fragments de Thomas qui nous sont restés sous le même titre ; ces pâles traductions du français n’étaient lues que parce qu’il n’y avait pas autre chose à lire. Quant à la littérature nationale, elle n’existait point encore, à moins qu’on ne veuille appeler ainsi quelques récits traditionnels, espèces de romans fantastiques, comme celui de Dobrine, l’enfant sans père, que les vieillards racontaient durant les longues soirées d’hiver à leur famille réunie autour du poêle de l’isba.

 Cependant un nouveau siècle et un autre règne commencèrent. Les armées de la Russie, entraînées par les événements européens, passèrent les Alpes, et, en même temps que le ciel d’Italie éblouit leurs regards, le spectacle de la civilisation moderne, frappant tout ce qu’elles renfermaient de jeunes imaginations, leur ouvrit une longue perspective d’idées et de sentiments nouveaux. Plus tard, ces mêmes armées se trouvèrent transportées au sein de la France, et le contact immédiat de notre vie publique ne fut pas perdu pour quelques esprits que ce grand mouvement initia au rôle, à la puissance de la pensée. Après cette campagne, éternel sujet d’orgueil pour les Russes, l’empereur Alexandre, saisi tout à coup d’idées plus généreuses que politiques, rêva l’affranchissement de son pays. La jeunesse exaltée se livra en même temps à l’examen des plus hardies questions de réforme sociale. Une société secrète prit naissance et trama dans l’ombre un grand projet de révolution ; mais le temps, qui seul peut mûrir certaines œuvres, manqua à celle-ci : la nation demeura impassible devant la tentative du 14 décembre 1825. Seulement la Sibérie et l’échafaud y gagnèrent quelques victimes. Plusieurs familles eurent à gémir, et tout fut oublié, ou plutôt on n’oublia point, on attendit. Les esprits plus calmes comprirent qu’on avait fait une grande faute, et se renfermèrent dans la discussion des principes. Qu’on ne croie pas cependant, comme il serait naturel de se l’imaginer d’après l’esprit connu de l’autocratie, que le gouvernement russe fermât dès cet instant la voie aux idées progressives ; ce serait une erreur. Jamais la censure n’avait été plus indulgente, et il est douteux qu’on eût permis en Autriche ou à Naples la libre circulation des écrits qui s’imprimaient à Saint-Pétersbourg ou qui y arrivaient. Peu d’ouvrages se sont publiés en France à cette époque qui n’aient eu leur libre entrée en Russie. Cette indulgence du gouvernement s’explique par la transformation même qui s’était accomplie dans les esprits. De violent et de fiévreux, le mouvement était devenu paisible et régulier ; il avait quitté le terrain de l’action brutale pour entrer dans la voie des études sérieuses. Les idées politiques avaient d’abord cédé la place aux idées générales de droit public ; puis ce fut le tour des idées littéraires. On comprit que le nonce te ipsum du philosophe doit s’appliquer également aux nations, et qu’un peuple ne saurait arriver à la connaissance de lui-même sans passer par la littérature, cette introduction obligée à tant de choses. Ce fut donc vers la littérature que se tourna l’activité des intelligences.

 C’était le moment où s’agitait en France le procès des deux écoles rivales ; le bruit de ce démêlé, auquel venait se joindre le bruit plus éclatant de la gloire de Byron, retentit sur les bords de la Néva, et les imaginations furent entraînées. La nouvelle école conquit d’abord toutes les sympathies. Des essais furent faits dans le sens de ses théories, et le public y applaudit. La jeunesse lettrée se mit à interroger curieusement le passé de son pays, qui lui offrit d’abord peu de richesses ; elle ne se découragea point et continua à fouiller les chroniques, à recueillir les traditions populaires. La Russie eut son historien dans Karamsine, et grace à son travail, malheureusement inachevé, sur les annales de l’empire, le culte de la nationalité put se retremper, se fortifier dans les souvenirs historiques. A partir de 1825 surtout, les salons de Pétersbourg présentèrent une physionomie singulièrement animée. De jeunes et ardens esprits y débattaient chaque soir toutes les théories dont l’influence féconde se faisait alors sentir en Europe. On examinait quel rapport pouvait exister entre ces théories et l’art national. Cet art, il ne s’agissait pas simplement de le raviver comme en France, mais de le faire naître, pour ainsi dire, en le demandant aux traditions et à l’histoire du pays. Le bruit des disputes françaises continuait à jeter ses incessans échos dans ces vives discussions. Comme l’Allemagne avait une large part dans nos études et nos sympathies, on était souvent amené à comparer entre eux les écrivains des deux pays, et, nous le disons à regret, ces comparaisons étaient presque toujours faites dans un esprit d’hostilité contre la France. Ces jeunes gens, dont les manières et le bon goût attestaient si clairement l’influence de nos mœurs et de nos écrits, se montraient le plus naïvement ingrats du monde, en se germanisant d’idées et d’opinions, de peur de paraître Français. C’était un parti pris, une sorte de mode ; pour paraître profond, il fallait dédaigner la France. Tout cela n’indiquait en définitive qu’un dépit mal déguisé. La France de Versailles, voire la France encyclopédique, avait long-temps régné à la cour ; l’éducation aristocratique avait été jusque-là, et n’a pas cessé d’être encore, sous bien des rapports, toute française. Il fallait mettre un terme à cette usurpation étrangère, il était temps de repousser les mœurs et les idées gauloises ; on était Slave avant tout ; les destinées de la Russie ne pouvaient s’accommoder de cette perpétuelle imitation. Par malheur, les aimables raisonneurs ne s’apercevaient pas que pour n’être point Français ils se faisaient Allemands.

 Parmi les salons dont les nobles habitués prenaient alors une si vive part au mouvement intellectuel du pays, il en est ’un surtout qui mérite d’être distingué, car il eut dans ce réveil littéraire son rôle brillant et même sa réelle influence. C’est celui de Mme la comtesse de Laval, épouse d’un ancien gentilhomme français, femme d’esprit et d’imagination, animée d’un goût réel pour les arts et les lettres. L’élite de la jeunesse de Saint-Pétersbourg, reçue chez Mme de Laval, était présidée par Kasloff, le Nestor des écrivains russes, poète distingué, que son âge et sa cécité complète rendaient doublement vénérable. Là on voyait le comte Kamarovsky, auteur de vers français où se révélait un talent aimable, formé à l’école du chantre des Méditations et des Harmonies ; le prince Odoevsky, d’une des plus vieilles familles moscovites, esprit délicat et rêveur, partisan du mysticisme germanique, qui depuis lors a pris rang parmi les écrivains les plus estimés de la Russie ; M. Vénévitinoff, qui promettait un grand poète à sa patrie, et que la mort a prématurément enlevé. Quelques nobles vétérans de l’armée poétique venaient apporter leurs encouragements aux jeunes novateurs. Parmi ceux-là on distinguait Gnéditch, le traducteur d’Homère, et Kriloff, le La Fontaine russe, comme le nôtre plein de finesse, de verve gracieuse, de sens et de philosophie pratique. Le comte de Laval représentait, au milieu de ses hôtes, l’esprit français du XVIIIe siècle, l’esprit du prince de Ligne, et son scepticisme indulgent trouvait toujours une observation fine et railleuse à placer au milieu des plus chaudes discussions. Le spirituel vieillard opposait aux fougueuses sorties des jeunes écrivains les leçons, l’expérience et les traditions d’une époque dont il avait gardé le bon sens ironique aussi bien que la grâce exquise. Mais l’âme secrète de ces réunions, l’homme qui, bien qu’absent de Pétersbourg, dominait ces vifs débats, c’était Pouchkine. Le poète était l’ami de la plupart de ces jeunes gens, qui professaient pour lui une admiration sans bornes, un respect sans limites. Quand on avait assisté à ces réunions littéraires, où il était sans cesse question de lui, à propos d’une lettre reçue, d’un poème annoncé, où d’ardents disciples rapportaient et commentaient toutes les opinions du maître avec un juvénile enthousiasme, on ne pouvait se méprendre ni sur la valeur du poète ni sur la portée de son influence. La vie de salon était alors liée trop étroitement à la vie intellectuelle du pays pour qu’on ne vît dans les éloges accordés à Pouchkine par tant de voix unanimes que l’expression d’une sympathie passagère et d’un engouement mondain. Il fallait bien reconnaître là plus que l’opinion d’une coterie. Évidemment l’esprit national émancipé ne voyait pas seulement dans Pouchkine un grand poète ; il voyait en lui sa propre personnification, il se reconnaissait et s’admirait dans un homme de génie.

 Ainsi, le mouvement, commencé d’abord sur le terrain politique, s’était porté sur le terrain littéraire. Cette transformation de l’esprit national avait été secondée par l’élite de la société russe, et les salons étaient devenus, à Pétersbourg, une noble arène où les plus hautes questions de poésie et d’art étaient soulevées et débattues. L’homme qui dirigeait ce mouvement, qui le personnifiait, était Alexandre Pouchkine. L’appréciation de ses écrits est donc en quelque sorte l’appréciation même de la littérature russe contemporaine dans ses débuts, dans sa jeunesse féconde et dans sa période la plus récente.

 I. 

Dans les pays d’ordre et de discipline militaire, l’indépendance de certains esprits dégénère quelquefois en une susceptibilité ombrageuse, intraitable. Leur imagination, excitée par mille entraves, les emporte à travers les champs d’une liberté impossible, renversant ou brisant dans sa course toutes les barrières que les mœurs, la bienséance et la morale tenteraient de lui opposer. Tel se présente Pouchkine au début de la vie. Le sang africain de son aïeul, pour être mêlé dans ses veines au sang moscovite, n’avait rien perdu de sa chaleur native. Ennemi du travail et de la réflexion, impérieux, léger, versatile, Alexandre Pouchkine rachetait ces défauts par les nobles élans d’une nature généreuse et passionnée. Dans ses traits mêmes, on reconnaissait, avec l’empreinte de la race africaine, tous les signes d’un caractère indomptable. Il avait la tête forte et le front ombragé d’une forêt de cheveux épais et crépus. Son nez, recourbé en bec de vautour, était brusquement aplati par le bout, ses lèvres étaient proéminentes ; mais le regard vif et impérieux donnait à l’ensemble de sa physionomie une singulière expression de grandeur et de fermeté. Mieux encore que le regard, la parole animée et brillante faisait dans Pouchkine reconnaître le poète.

 On comprend qu’il n’était pas donné à une nature semblable de se plier à la vie disciplinée et laborieuse de l’école. Entré en 1811 au lycée de Tsarkoe-Sélo, Pouchkine passa à lire en cachette Goethe et Voltaire le temps qu’il eût dû consacrer aux études classiques. Déjà il s’exerçait à l’épigramme et rimait quelques essais poétiques fort applaudis de ses condisciples ; la supériorité de son esprit et l’énergie de son caractère se révélèrent à la fois durant les sept années qu’il passa à Tsarkoe-Sélo. Subjugués par l’ascendant de cette vive intelligence, ceux qui entouraient Pouchkine acceptèrent sans trop d’opposition les prétentions de son caractère despotique, et le poète s’accoutuma ainsi de bonne heure à la domination et à l’indépendance. Bientôt sa renommée naissante franchit l’enceinte du lycée, pour le précéder dans les salons qui allaient s’ouvrir devant lui. Les relations de son père avec les écrivains célèbres de cette époque, Karamsine, Dmitrieff et Joukovski, ne furent point étrangères à cette précoce réputation. Les vers de l’écolier étaient reçus avec les plus vifs applaudissements, et, lorsque le jeune auteur se présenta dans le monde, les applaudissements redoublèrent. Ce fut une véritable ovation, et, l’on pourrait dire, le triomphe avant la victoire.

 Quelle était cependant la valeur réelle de ce jeune homme, sorti à peine de l’école, d’où il ne rapportait aucune des études qui, dans nos pays de civilisation latine, sont la condition presque indispensable des succès littéraires ? Pouchkine ne savait rien des littératures anciennes ; quant aux littératures modernes, elles ne lui étaient connues que par quelques auteurs qu’il avait lus à la dérobée. L’histoire n’avait laissé dans sa mémoire que des faits généraux et vagues ; toutes ses connaissances étaient incomplètes : rien, dans son esprit, de lié, de tissu, de coordonné ; mais ce jeune homme avait une imagination ardente, une intelligence merveilleuse, quoique éclairée de mille clartés confuses, un génie moqueur, une verve satirique : il était poète, poète né pour la lutte plutôt que pour la rêverie. Le monde l’accepta ainsi. Pouchkine lui paya sa bienvenue par une sorte de dithyrambe patriotique sur les derniers succès des armées russes et la glorification de l’empereur Alexandre ; après quoi, laissant la poésie venir à ses heures, il ne songea plus qu’à se plonger dans les plaisirs. Les fêtes du monde furent bientôt impuissantes à le satisfaire : il lui fallut l’orgie nocturne, bruyante, effrénée, le jeu avec ses émotions puissantes et fiévreuses, les duels, qui sont aussi un jeu, et qui, pour lui, variaient la monotonie de l’autre. Il aimait les duels : était-il averti par un pressentiment secret, et voulait-il se familiariser avec ce terrible hasard qui devait un jour lui être si fatal ?

La violente nature de ce jeune homme ne tarda pas à se trahir au milieu des salons par d’imprudents discours. Quand une question d’émancipation politique était agitée en sa présence, le chantre de l’empereur Alexandre devenait un tribun dont l’éloquence hardie faisait trembler ses amis pour sa liberté. La Muse ne le visitait plus que pour lui inspirer des chants d’indépendance qu’on ne retrouve point dans ses œuvres, mais que la mémoire des contemporains a retenus. Les craintes de ses amis ne tardèrent pas à se justifier. Pouchkine reçut l’ordre de quitter Pétersbourg. Les provinces méridionales de l’empire lui furent assignées comme lieu de résidence.

En voyant une peine si sévère infligée à Pouchkine pour quelques déclamations irréfléchies, on serait tenté de partager une opinion qui a souvent entretenu le public français dans une fâcheuse indifférence à l’égard des poètes russes. On croirait volontiers qu’il y a incompatibilité entre le gouvernement absolu et le libre épanouissement d’une imagination poétique. La réputation de Pouchkine n’est encore arrivée jusqu’à nous que comme un écho affaibli, et n’a été acceptée qu’avec réserve : nous venons de dire pourquoi. On a posé en règle que la liberté est indispensable au développement de la poésie, et dès-lors on répugne à croire qu’un grand poète ait pu naître et s’épanouir sous le ciel de la Russie. Est-il besoin pourtant de faire remarquer que la poésie, dans son essence supérieure et divine, échappe complètement à l’influence d’une forme plus ou moins libérale de gouvernement ? Pouchkine et Mickiewicz chantèrent tous deux sur une terre privée d’indépendance ; qui oserait dire que leur imagination fut moins maîtresse d’elle-même, moins dégagée de toute entrave grossière que celle du chantre de Harold ? Qui oserait affirmer que leurs poèmes respirent moins vivement que ceux de Byron le sentiment de la liberté et de la dignité humaines ?

 Lorsque Pouchkine se vit en présence de cette sévère et puissante nature de l’antique Chersonèse, qu’il aperçut le Caucase à la cime souveraine, que ses regards se perdirent à l’horizon de ces steppes sans fin où l’on voit passer les chameaux des caravanes comme aux déserts de l’Arabie, alors le poète connut de nouvelles émotions. Ce fut pour lui un moment de recueillement profond et solennel ; s’interrogeant pour la première fois dans la solitude, il sentit ce qui manquait à son esprit encore inculte ; il appela au secours de son âme chagrine et désabusée l’étude et la réflexion. Jusqu’alors son génie n’avait obéi qu’à une fougueuse effervescence, à des colères subites et à des passions soudaines ; d’admirables instincts poétiques avaient donné à ses premiers accents la verve, la puissance et l’harmonie ; mais le flot de ces inspirations pouvait se tarir, si des études sérieuses n’en venaient entretenir et purifier la source. Pouchkine recommença donc son éducation lui-même. Il écrivait des lieux de son exil : « J’ai appelé dans la solitude le paisible travail et le goût de la réflexion. Le temps est à moi, et j’en use selon ma volonté ; mon esprit est devenu l’ami de l’ordre ; j’apprends à retenir mes pensées, je cherche à réparer en liberté le temps perdu : je me mets en règle avec le siècle. » Comme l’intelligence de Pouchkine était vive, cette éducation fut bientôt terminée. Alors l’inspiration lui arriva de nouveau, mais riche, abondante, et toute pénétrée de la chaleur du ciel qui rayonnait sur sa tête, tout étincelante des reflets de ses splendides horizons. On eût dit que le génie du poète avait retrouvé sa patrie dans cette terre méridionale et reconnu sa famille dans ses rudes habitans. Aussi imprima-t-il un cachet d’originalité locale remarquable aux trois poèmes qu’il composa dans ce temps-là : la Fontaine de Baktchisaraï, inspiré par le palais en ruine d’un ancien khan de Crimée ; le Prisonnier du Caucase, dont le sujet est emprunté à l’un de ces mille épisodes que fait naître chaque jour la guerre du Caucase, et les Bohémiens, que lui dicta la vue d’une de ces peuplades errant dans les plaines de la Bessarabie.

 

Dans ces trois poèmes, c’est une muse presque orientale qui se révèle. L’éducation européenne avait nourri l’esprit de Pouchkine sans lui enlever son originalité. L’auteur des Bohémiens resta toujours sans émotion devant les souvenirs classiques, et ne put leur demander des sujets d’inspiration sans laisser voir aussitôt une excessive infériorité. Si pendant cet exil il se rappelle qu’Ovide fut comme lui exilé aux mêmes lieux, sa muse reste froide et déclamatoire ; mais lorsque, obéissant à son génie, il décrit les mœurs libres et pittoresques de l’aoul (village circassien), ou traduit avec une verve sauvage les discours passionnés de la fille des Bohêmes, alors cette muse prend la taille des muses antiques et se fait admirer. On chercherait en vain dans ces poèmes écrits au pied du Caucase l’influence de notre littérature européenne avec ses sentiments délicats, ses passions retenues, ses élans de convention. Tout y est dédaigneux de notre bon goût, hardiment sacrifié à la vérité d’une nature que nous ignorons. Quelques-uns ont voulu trouver dans ces premiers poèmes une imitation de Byron. Ceux-là comprenaient mal la muse de Pouchkine. Byron, pair de la Grande-Bretagne, avait tracé des types empruntés à son imagination, et qu’il orientalisa à peu près comme aurait fait un habile costumier ; Pouchkine, descendant du nègre Annibal, peignit des types réels, des types vivants, qu’il voyait partout autour de lui ; puis il les anima de ses propres passions, qui étaient aussi les leurs, c’est-à-dire brûlantes, jalouses et cruelles. Or, si cette individualité tout orientale de Pouchkine se trouve portée quelque part à sa plus haute expression de vérité, c’est sans contredit dans le poème des Bohémiens.

Savez-vous d’où sortit cette race nomade,
Nation dont partout erre quelque peuplade,
Hommes au teint de cuivre, à l’œil noir, dont la peau
Se durcit à travers les trous d’un vieux manteau ;
Qui traînent après eux leurs bruyantes familles ;
Vendant selon les lieux leurs poignards ou leurs filles,
Mais ne campant jamais aux mêmes bords deux fois ?
Car leur plus grand besoin, à ces tribus sans lois,
C’est d’errer, de franchir steppe, désert aride,
Plaines ou monts, suivant qu’un caprice les guide,
Faisant le plus de mal qu’ils peuvent aux chrétiens.
Demandez-leur d’où vient leur race de païens,
S’ils sortirent des murs de Thèbes la divine,
De l’Inde, ce vieux tronc où pend toute racine,
On bien s’il faut chercher leur source, qu’on perdit,
Parmi les Juifs de Tyr, comme eux peuple maudit ?…
Ils l’ignorent. Pour eux, les temps sont un mystère ;
Comme l’oiseau des airs, ils passent sur la terre.
Qu’ont-ils besoin de plus, et que leur fait, au fond,
Qu’ils viennent de l’aurore ou du couchant ? Leur front
A pour toit le ciel pur où brillent les planètes ;
Pour lit, le bord du fleuve ou des mers inquiètes :
Et puis ils ont leurs chants, le soir, devant leurs feux,
Leurs chants d’amour, ardents, libres, impétueux,
Qui donnent au plaisir les accents du délire
Et demandent le bruit du fer au lieu de lyre.

Tels sont les Bohémiens de Pouchkine. Le camp d’une de ces peuplades nomades venait de se livrer au sommeil ; les feux s’éteignaient ; la lune, montée sur l’horizon, éclairait de ses blanches lueurs un vieillard assis devant des charbons fumants qu’il ranimait. Ce vieillard attendait le retour de sa fille, la jeune Zemphirine, attardée ce soir-là dans la campagne. Elle paraît bientôt, accompagnée d’un étranger qu’elle présente à son père. « Mon père, lui dit-elle, je t’amène un hôte. Je l’ai rencontré derrière un tertre dans le désert, et l’ai engagé à passer la nuit dans notre camp. Comme nous, il veut vivre en liberté ; la loi le proscrit, mais je serai son amie. Il se nomme Aléko ; il me suivra partout où je voudrai. » C’est bien là le langage d’une passion naïve et qui ne connaît pas d’obstacles. Zemphirine avoue son amour comme elle avouerait le plus innocent caprice ; elle parle d’Aléko comme elle parlerait d’un oiseau, d’une gazelle favorite. On devine la réponse du vieillard. L’étranger est reçu dans la tente, et devient l’heureux époux de l’alerte jeune fille. Deux ans se passent. Aléko est toujours amoureux de Zemphirine, lorsqu’un matin, celle-ci, auprès d’un berceau, se met à chanter une étrange chanson d’amour. La jalousie entre au cœur de l’époux ; il se plaint au vieillard : celui-ci lui rappelle quelles sont les mœurs des tribus bohémiennes et lui raconte sa propre histoire. La femme qu’il avait épousée, la mère de Zemphirine, l’a quitté, lui aussi, après avoir vécu un an sous sa tente, pour suivre un jeune Bohémien. On comprend qu’Aléko ne se laisse point désarmer par ce récit : le proscrit européen ne saurait partager la résignation philosophique du vieillard ; il surprend Zemphirine à un rendez-vous.nocturne, et frappe les deux amants. Le jour se lève ; la foule des Bohémiens entoure le meurtrier et ses victimes. Les femmes s’approchent pour baiser les yeux des morts ; puis, lorsque les cérémonies funèbres sont terminées, le père de Zemphirine aborde Aléko, qui regarde en silence : « Quitte-nous, homme orgueilleux, lui dit-il ; nous sommes sauvages, nous n’avons besoin ni de sang ni de soupirs, mais nous ne voulons pas vivre avec un assassin ! Tu ne comprends point la vie nomade, tu ne veux de liberté que pour toi ; ta vue nous ferait horreur ! Nous sommes timides et bons, tu es méchant et audacieux. Va, pars, que la paix t’accompagne ! »

 Ainsi finit le poème de Pouchkine. Tel qu’il est, il offre un ensemble dont l’unité est parfaite ; ce n’est qu’un épisode, si l’on veut, plutôt qu’un tableau complet et largement tracé ; mais le poète a su mettre dans cette composition tout ce qu’il nourrissait en lui de sauvage indépendance et de désirs effrénés. Il y peint la vie nomade, aventureuse, bruyante et passionnée des Bohémiens, avec une complaisance qui trahit à son insu ses sentiments les plus intimes. Lorsque Zemphirine, au matin de son amour, témoigne à Aléko la crainte qu’il ne regrette plus tard le séjour des villes, le poète épanche tout ce qu’il a de colère et d’indignation contre les hommes des cités

 « Si tu savais, si tu pouvais comprendre l’esclavage des villes, où l’on étouffe ! Là, les hommes sont entassés, sans pouvoir respirer jamais ni la fraîcheur du matin ni les parfums du printemps. Ils rougissent de l’amour vrai ; ils s’étourdissent, trafiquent de leurs pensées, se courbent devant des idoles, tendent la main, demandant de l’or et même des fers. Qu’ai-je quitté ? les tourmens de la trahison, la tyrannie des préjugés… – Mais on y trouve des palais magnifiques, reprend la Bohémienne, de superbes tissus, des jeux, des plaisirs, des festins… les parures des femmes y sont riches… – Qu’est-ce que la joie et le bruit des villes ? Là où l’amour n’est point, peut-il y avoir du plaisir ?… Quant aux femmes dont tu parles, tu l’emportes sur elles toutes !… »

 Il est facile de reconnaître dans ces expressions le sentiment d’un cœur indompté qu’irrite l’esclavage et que blessent les préjugés de la civilisation. Ce sentiment était celui de Pouchkine. Il s’est étourdi dans les orgies, il a cherché dans des transports passagers un semblant d’amour qui a sans cesse trompé son cœur avide d’amour, et pourtant ce cœur n’est point encore mort aux passions réelles ; c’est pourquoi, s’il maudit les villes, ce fier exilé, avec lequel Pouchkine s’est identifié tout entier, accepte sans hésiter la destinée des Bohèmes, cette destinée qui lui donne avec une liberté sans frein l’amour d’une jeune et belle compagne. Le dénoûment des Bohémiens ramène encore d’une façon saisissante l’expression de cet étrange mépris pour la société civilisée. La morale de ces tribus sauvages, qui laisse aux passions une liberté complète, n’est pas rapprochée sans intention de la morale inflexible qui verse le sang de la femme adultère. Dans ce poème, où respire le culte passionné de la vie indépendante, ce sont des Bohémiens qui repoussent l’homme des villes au nom d’une clémence infinie comme leur liberté même.

 Qu’on ne cherche point dans les Bohémiens ces préoccupations de systèmes et d’écoles qui agitaient alors l’Europe littéraire. Pouchkine avait adopté sans arrière-pensée l’existence que lui avait faite son exil. Il vivait un peu de la vie de ces peuplades, dont il retraçait avec tant d’énergie les mœurs aventureuses. Aussi cette vie, qui avait pour lui le double charme de l’indépendance et de l’inattendu, l’avait-elle rendu complètement indifférent à tout le reste. La politique était morte dans sa pensée. Que voulait-il ? La liberté ? Il l’avait trouvée telle que son âme la demandait, ou telle qu’il la fallait à sa nature inquiète. Quant à la liberté politique, à l’émancipation de son pays, il pensa sans doute que le temps n’était pas encore venu, et il ne s’en occupa plus. Il est même à croire qu’il eût complètement oublié les bords de la Néva, s’il n’y avait laissé des amis qui s’intéressaient à son sort, qui lui écrivaient, et auxquels il envoyait le fruit de ses inspirations. C’est ainsi que les trois poèmes qu’il avait composés en Bessarabie furent successivement publiés à Saint-Pétersbourg et accrurent sa célébrité. Le poète sut d’ailleurs mettre à profit les cinq années qu’il passa dans cet exil, soit à errer sur les grèves du Pont-Euxin, dont il aspirait avec bonheur les brises vivifiantes, soit à s’égarer parmi les vallons parfumés de l’antique Tauride, soit à fatiguer ses chevaux à travers les steppes herbeuses de la Russie-Blanche. Il lut, il médita, il apprit à contenir, à dominer ses pensées.

 Ce fut en 1824 que Pouchkine quitta le lieu de son exil, et en 1826 qu’il rentra complètement en grâce. Revenu à Pétersbourg, il se lança avec plus de fougue que jamais dans le tourbillon des orgies nocturnes. Ces tristes fêtes laissaient le poète pâle, inquiet, mécontent, insatiable surtout de bruit et de renommée. Le bruit et la renommée ne lui manquèrent pas. Ses vers, à peine échappés de sa plume, étaient répétés d’un bout à l’autre de l’empire. Cependant il finit par se lasser même de la gloire : à peine avait-il trente ans, et il se sentait arrivé au découragement, au dégoût. Que se passa-t-il alors dans son esprit ? Quelle fut la cause de la brusque révolution qui s’opéra en lui ? Céda-t-il aux conseils d’une sagesse vulgaire ? ou bien son âme s’ouvrit-elle simplement à l’un des rayons de cet astre impérial devant lequel il ne saurait y avoir de glace en Russie ? Quoi qu’il en soit, la société apprit un matin qu’Alexandre Pouchkine, ce poète si jaloux de son indépendance, avait reçu le titre de gentilhomme de la chambre. Dès cet instant, son esprit d’opposition changea d’objet : la polémique littéraire devint le canal par lequel s’épancha sa verve satirique. Une seule fois encore, son humeur inquiète devait l’arracher à cette existence nouvelle et doucement occupée. Pouchkine désira retourner en Asie. Il partit et prit la route du Caucase, qu’il allait revoir, mais cette fois en poète officiel qui suit une armée victorieuse. Il poussa, avec les troupes russes, jusqu’à Erzeroum. Au retour de ce voyage, un dernier changement se prépara dans sa vie : le poète railleur, l’homme blasé qui ne croyait plus à rien, vit une jeune fille et crut à l’amour. Son âme avait un moment retrouvé la sérénité, si l’on en juge par une lettre où il dit que le souvenir de son ami Delvig, dont il pleurait la perte, était le seul nuage qui vînt alors jeter une ombre sur sa limpide existence. Il offrit sa main à la jeune fille qu’il aimait. Devenu gentilhomme de la chambre et père de famille, le poète vit commencer dans son existence littéraire une période heureuse et féconde. Pendant l’automne de 1831, de nombreux ouvrages attestèrent l’activité constante de l’imagination qui avait créé les Bohémiens. Pouchkine termina d’abord son bizarre poème d’Onéguine. La curiosité de son esprit se partageait à la même époque un peu capricieusement entre les littératures antiques et les littératures étrangères. Parmi les études où se révèle cette double tendance, on remarque l’Hôte de pierre, Mozart et Salieri, le Festin durant la peste, l’Épître à Licinius, la Fête de Bacchus, et un morceau sur André Chénier, avec qui on a voulu lui trouver de l’analogie. Le poète russe n’a cependant de l’antiquité grecque et latine qu’un sentiment assez confus. Pouchkine a beau épuiser les couleurs pour décrire le triomphe de Bacchus, les transports des nymphes échevelées, le bruit des thyrses et des tambours ; il a beau flétrir, dans son Epître à Licinius, la dépravation de Rome : on peut signaler dans ses vers quelques allusions contemporaines à son pays, mais à coup sûr la Grèce et Rome n’ont qu’une faible part à revendiquer dans ses inspirations. Ce n’était guère à la lyre qui avait célébré la Fontaine de Baktchisaraï, à la lyre qui devait célébrer Boris Godounoff et Poltava, d’imiter les accords de Pindare et de Juvénal. Ce poète de race africaine, qui s’épanouissait au milieu d’un peuple slave, connaissait mal et goûtait peu la littérature mesurée et savante des vieilles civilisations latines. Pouchkine partageait d’ailleurs en ceci la prévention de son pays. Les langues et les littératures classiques sont généralement négligées en Russie, malgré les efforts des hommes qui sont à la tête de l’instruction publique. Nous aurions tort, à cet égard, de juger les Russes trop sévèrement et à notre point de vue. Notre civilisation, à nous, est toute latine, nous pouvons même ajouter qu’elle est un peu grecque. C’est de la langue latine que sort notre langue, du droit latin que sort notre droit, des municipes latins que sortent nos communes : il est donc naturel que l’étude de la latinité forme la base de notre éducation ; mais qu’y a-t-il de semblable en Russie ? Ce pays est séparé de l’antiquité classique par plus de huit siècles de mœurs et d’éducation slaves ; sous Pierre Ier, une civilisation nouvelle, d’origine étrangère, lui arriva brusquement, d’abord d’Allemagne, ensuite de France ; en l’acceptant, il accepta les langues française et allemande sans s’inquiéter des influences grecque et latine qu’elles avaient subies. Cela est parfaitement naturel. La seule langue classique des Russes est la langue slavone, c’est la langue de leurs premiers aïeux, la langue de leur culte, la langue d’où celle qu’ils parlent est sortie, comme la nôtre de la latine. C’est ce qu’ils répondent lorsqu’on leur reproche de négliger les langues anciennes.

 Ce n’est pas seulement à l’antiquité, c’est aussi, nous l’avons dit, aux littératures modernes que Pouchkine demandait quelquefois des inspirations. Nous avons nommé quelques-uns de ces essais ; on comprend qu’il n’y faut point chercher ses vrais titres littéraires. Voyez, entre autres, l’Hôte de pierre (don Juan) : le don Juan de Pouchkine est fort peu espagnol, c’est un Russe qui joue au Castillan ; la gaieté de Leporello est forcée, et l’amour de dona Anna n’inspire aucune sympathie. Le seul don Juan possible pour Pouchkine, c’était le héros de son poème satirique d’Onéguine, car Onéguine, c’était Pouchkine lui-même, c’est-à-dire l’homme blasé, non pas celui de notre vieille Europe : celui-là est, comme elle, vieux d’expérience ; la vie n’est plus pour lui qu’un fruit desséché dont il a exprimé le dernier suc, qu’un livre sans secrets, dont il a lu la dernière page ; son intelligence est blasée comme son cœur ; l’abus du raisonnement a tué la raison dans son esprit. Onéguine est au contraire l’enfant d’une civilisation naissante ; c’est le jeune Russe que de rapides et trop faciles plaisirs ont bientôt enivré ; l’écorce du fruit a suffi pour porter le trouble dans ses sens. Il a pris notre dévorante civilisation à la surface, et, parce qu’il en est ébloui, il ferme les yeux et la nie. Les plaisirs ont détruit sa santé, dévoré l’héritage de ses ancêtres : il nie les plaisirs. Son cœur s’est flétri avant de s’épanouir sous le soleil fécond d’un amour honnête, la pensée même s’est desséchée dans son cerveau : il nie l’amour, il nie la pensée ; en effet, tout cela désormais est mort pour lui, et, s’il veut encore se procurer une émotion, il faut qu’il tue son meilleur ami. La commotion sociale avait été grande et brusque au temps de Pouchkine ; elle avait jeté une fermentation fébrile dans tous les esprits. Les passions montaient à la surface ; s’échappant ensuite par les pentes faciles du plaisir, elles arrivaient à l’excès. De là le dégoût, la satiété ; de là l’ennui d’Onéguine, ou plutôt de Pouchkine, car le héros de son étrange poème, nous le répétons, était sa personnification la plus parfaite.

 Les poèmes de Boris Godounoff et de Poltava contrastent singulièrement avec Onéguine. Boris Godounoff est un drame historique, dont le terrible épisode du faux Dmitri a fourni la donnée. Cette œuvre est conçue dans le système de Shakespeare ; mais, comme elle n’était point destinée à la représentation, l’auteur s’attacha moins à l’effet dramatique de l’ensemble qu’à l’effet et au caractère de chaque scène en particulier. Ce qui frappe dans Boris Godounoff, c’est l’inspiration nationale, c’est la puissance de reproduction historique, et la vérité de ces rudes figures dans lesquelles revit le vieux génie moscovite avec toute son énergie et son âpreté sauvage. L’ambition joue dans ce drame le rôle de la fatalité antique ; c’est elle qui domine et entraîne tous les personnages, depuis ce tsar qu’un crime a mis sur le trône, jusqu’au jeune moine Otrépieff dont le caractère est grand comme les projets, jusqu’à Marina, cette belle Polonaise, qui connaît l’imposture de son amant et lui reste dévouée par intérêt. Où trouver une plus vivante expression de cette sombre époque qui vit tant de révolutions et tant de meurtres se succéder au pied du Kremlin ? Poltava est, comme Boris Godounoff une œuvre que domine une pensée nationale ; mais le titre de Poltava convient-il réellement à ce poème ? N’est-ce pas plutôt Mazeppa qu’il devrait se nommer ? Mazeppa est en effet le héros du récit. Il n’est point ici question de la légende lithuanienne, du Mazeppa si magnifiquement chanté par lord Byron et Victor Hugo, de ce jeune page amoureux qu’une vengeance inouie attache à la croupe d’un étalon sans frein. Le page, dans l’œuvre de Pouchkine, a revêtu la pelisse d’un hetman de l’Ukraine ; c’est aujourd’hui un vieillard souverain, à la tête haute et blanche, au front plissé sous des rêves d’ambition, et pourtant ici comme dans le poème de Byron il s’agit d’une histoire d’amour. Le riche, le puissant Kotchoubey, l’ancien ami de l’hetman, avait une fille qui était « la reine des fleurs de Poltava. » Marie faisait la joie et l’orgueil de son père. Toute la jeunesse de l’Ukraine l’avait poursuivie de ses hommages et s’était vu dédaigner. Cependant, lorsque Mazeppa vint à son tour lui offrir sa main et que la mère de la jeune fille eut repoussé le vieillard avec mépris, Marie pâlit et pleura. Quelques jours plus tard, elle avait disparu. On ne tarda pas à apprendre qu’elle avait suivi l’hetman. Kotchoubey pourrait aisément armer tout le pays contre le ravisseur de sa fille ; il aime mieux dénoncer au tsar Pierre les vues ambitieuses de Mazeppa, qui nourrissait effectivement le projet de secouer la suzeraineté de la Russie. Un jeune Cosaque, dont Marie avait dédaigné l’amour, se charge de porter la lettre accusatrice ; mais le tsar estime trop l’hetman pour croire à une dénonciation, et c’est à Mazeppa lui-même qu’il renvoie l’écrit de Kotchoubey. A la vue de ce papier, Mazeppa rugit de fureur ; toutefois, habile et rusé, il impose bientôt silence à sa colère, et adresse au tsar une longue épître pleine de protestations hypocrites, pour demander la tête de son ennemi. Cette demande lui est accordée. L’amour de Marie, la fille de Kotchoubey, gêne seul la vengeance de Mazeppa, car Marie n’a pas cessé de l’aimer follement. Mazeppa sait profiter de cette aveugle passion, et, dans une scène dialoguée, que le poète a merveilleusement conduite, il arrache à l’imprudente l’assurance qu’entre son père et lui, s’agît-il de mort, elle ne balancerait pas. Cet aveu obtenu, le supplice de Kotchoubey est décidé. Le lendemain, l’échafaud se dresse dans la plaine. Pendant la nuit qui précède ce jour, Marie est réveillée par sa mère, qui, baignée de larmes et suppliante, vient lui demander d’intercéder en faveur de la victime livrée à la vengeance de l’hetman. D’abord Marie ne comprend pas ; mais, lorsque la vérité a frappé son esprit, elle pousse un grand cri et perd connaissance. Cependant le soleil s’est levé : la plaine est couverte de cavaliers qui entourent le lieu du supplice. Le peuple accourt, comme pressé d’assister à une fête. Bientôt paraît un char qui s’arrête devant l’échafaud. Kotchoubey en descend pour monter les marches fatales. Quelques moments se passent, et la foule se retire en silence. Tout à coup l’on voit accourir deux femmes éperdues et couvertes de poussière ; l’une d’elles est jeune et belle ; elles arrivent trop tard : déjà l’hetman est rentré dans son palais. Il demande Marie à ses serviteurs ; aucun d’eux n’a vu la jeune femme, et on la cherche en vain.

 Cependant le temps est arrivé pour Mazeppa de jeter le masque, de donner carrière à son ambition impatiente. Dans ce suprême moment, le vieillard prévoit les désastres qui se préparent et sa ruine certaine ; mais la fatalité le pousse. Il prend les armes contre le tsar, et c’est le tsar qui triomphe à Poltava. Charles XII est en fuite, et le prince de l’Ukraine, vaincu comme lui, galope à ses côtés à travers les steppes désertes. Tout à coup ce dernier s’arrête brusquement ; il se trouve devant une habitation trop connue, et vient d’en voir sortir une jeune femme. Cette femme est folle ; c’est Marie. Elle a tout oublié excepté son amour pour Mazeppa, à qui, aveuglée par la démence, elle parle longtemps sans le reconnaître. Après ce triste entretien, l’hetman rejoint le roi de Suède et passe la frontière avec lui.

 On voit ce qu’il y a d’historique dans ce poème et ce qu’il y a de romanesque ; on voit aussi la faute où le désir de rappeler une grande victoire des Russes a jeté Pouchkine ; l’orgueil national a été cette fois pour lui un mauvais conseiller. Quoi qu’il en soit de ce défaut, que le goût russe ne condamne pas, le poème de Poltava renferme assez de beautés originales pour mériter une place parmi les chefs-d’œuvre de Pouchkine. C’est une heureuse création que celle de ce vieillard ambitieux et cruel, espèce de figure homérique aux passions africaines. On sent néanmoins que le développement manque à cette œuvre ; les péripéties en sont trop hâtées ; le poète semble pressé d’arriver au terme de sa course. En général, l’imagination de Pouchkine, toujours ardente, se fatiguait aisément et s’affaissait dans les œuvres de longue haleine ; ainsi doit s’expliquer, selon nous, ce que laissent à désirer ses premières compositions.

 Les littératures jeunes ne savent mettre en scène que des passions simples et pour ainsi dire à l’état primitif ; ignorantes qu’elles sont des nuances, des distinctions, des analyses fines et délicates, elles les peignent à larges traits et toujours sans mélange ; aucun combat de sentiments opposés, rien qui fasse contrepoids à l’entraînement instinctif. Telle est un peu l’antiquité. S’il est question d’amour,

  C’est Vénus tout entière à sa proie attachée ; 

s’il s’agît de vengeance, c’est la coupe ou le poignard des Atrides, et, si les poètes veulent adoucir tant d’horreur, ils inventent la fatalité. A ce point de vue, Pouchkine aussi est antique ; seulement il se passe de la fatalité. La fatalité ici, c’est l’aveuglement de la passion, c’est l’amour de Zemphirine, la haine de Kotchoubey, la vengeance de Mazeppa. La littérature russe, telle que Pouchkine la représente, est encore étrangère à l’analyse philosophique, mais tout y est jeune, ardent, impétueux ; l’expression même participe de cette rudesse primitive. L’auteur de Poltava a su ressaisir et transporter dans son style toute l’originalité de l’ancienne poésie slave. La littérature russe doit à Pouchkine d’avoir repris possession de cette grâce et de cette naïveté toutes nationales qu’elle avait perdues sous l’influence de l’imitation étrangère. N’oublions pas non plus que le poème de Poltava, comme celui de Boris Godounoff, en ouvrant l’histoire nationale, cette source féconde, à l’imagination des poètes, confirmait les jeunes théories, désormais victorieuses, et déterminait solennellement pour ainsi dire, l’entrée de la littérature russe dans les voies nouvelles de sa destinée. 

C’est particulièrement dans les poésies légères de Pouchkine, dans ses ballades slaves, dans toutes ces fantaisies adorables, que se trouvent répandues avec une profusion royale les qualités d’originalité exquise qui feront à jamais de cet écrivain mi des grands maîtres de la poésie russe ; c’est également dans ces pièces détachées qu’il faut chercher la seconde et peut-être la plus brillante expression de la nationalité de sa muse. Ici les vers de l’auteur de Poltava roulent sur les sujets les plus variés, et forment dans leur ensemble un faisceau d’arabesques dont les mille détails sont autant de petits chefs-d’œuvre. Le poète a su y mettre en relief, avec un bonheur infini, tous les trésors et toutes les graces de sa langue. Il faut se rappeler que la nation russe est bien jeune encore, plus jeune même en poésie qu’en politique. Elle est restée fidèle à ses vieilles traditions, et on retrouve dans ses mœurs une foule de superstitions charmantes. De tous les peuples de race slave, ce sont peut-être les Russes qui, dans leur vie sociale comme dans leur langue, ont gardé le plus pieusement le culte des antiques origines. De là ces récits où le merveilleux joue un si grand rôle, et que le peuple écoute aussi sérieusement que jadis le calife bercé par les merveilleux récits de Sheherazade : le conte du Roi Saltan, celui de la Reine et sept héros, du Coq d’or, du Pécheur et le petit poisson, etc. Il y en a qui n’ont ni fées, ni magiciens, et qui n’en sont pas moins fantastiques ; voyez celui de Boudris et ses trois fils. Ce Boudris fait venir ses trois fils et les envoie chercher fortune à la guerre ; l’un doit aller à Novogorod ravir aux Russes leurs roubles et leurs pierres précieuses ; l’autre doit aller enlever aux Prussiens leur ambre parfumé et leur drap clair ; le troisième enfin doit aller faire la conquête d’une jeune et belle Polonaise. Les trois frères partent ; Boudris attend leur retour. Les jours, les mois se passent, et ses fils ne reviennent pas. Il les croit morts. Enfin, aux premières neiges, voici le premier de retour. Son manteau enveloppe une lourde charge. Le second survient bientôt, chargé comme son frère. Le troisième paraît à son tour avec une charge égale. Or, ce n’étaient point les roubles de Novogorod, ni l’ambre de la Prusse, qu’ils apportaient ; c’étaient, avec une jeune et belle Polonaise, deux autres jeunes et belles Polonaises. Boudris prit son parti ; il invita ses amis à trois noces. 

Il n’est pas un chant national qui n’ait, en Russie, une note mélancolique, pas une mélodie qui ne renferme un soupir ou une larme. Il en est de même de la poésie populaire, de celle qui demande ses inspirations aux croyances publiques, aux mœurs les plus intimes du foyer domestique. Or, cette larme, ce soupir, cette note mélancolique, acquièrent sous la plume de Pouchkine un charme d’une douceur infinie. Nous allons essayer de traduire littéralement deux ou trois de ces morceaux. Le parfum d’une liqueur précieuse ne saurait se perdre tout entier en passant dans un autre vase.

 LE PETIT OISEAU

 « J’obéis avec respect à la bonne vieille coutume : voici un petit oiseau auquel je rends son libre vol au retour du printemps. Et maintenant je suis devenu accessible à la consolation. Pourquoi murmurerais-je contre Dieu, lorsque j’ai pu rendre la liberté à l’une de ses créatures ? »

 Le peuple russe croit généralement au démon familier. Il n’est pas un paysan qui ose révoquer en doute la présence invisible, mais réelle, de cet être fantastique et bienfaisant qui protège mystérieusement et avec amour sa maison et son jardin. Cette croyance superstitieuse a quelque chose d’antique et de touchant. Voici le morceau qu’elle a inspiré à Pouchkine : 

LE DÉMON FAMILIER 

« Invisible protecteur de ma paisible campagne, je te conjure, ô mon bon démon familier ! garde mes champs, mes bois, et mon petit jardin sauvage, et la modeste demeure de ma famille ! Fais que les froides pluies, que les vents tartifs d’automne ne ruinent point mes champs, et que les neiges bienfaisantes couvrent à temps l’humble engrais de mes terres. Ne quitte point, gardien secret, le vestibule héréditaire ; frappe de crainte et de faiblesse le voleur nocturne, et de tout mauvais regard préserve mon heureuse petite maison. Rôde autour de ses murs comme une inquiète patrouille ; aime mon jardinet et la rive des eaux dormantes qui le baignent, et ce potager commode avec sa petite porte délabrée et son enclos mal joint. Aime le vert penchant des collines, et les prairies que foule mon errante paresse, et la fraîcheur des tilleuls, et la voûte bruyante des érables : ils ne sont point étrangers à l’inspiration. »

Nous citerons encore la bizarre et gracieuse ballade de la Naïade. Pouchkine a laissé deux poèmes qui portent ce titre. Le premier est une sorte de drame auquel la mort l’empêcha de mettre la dernière main. 

Il y est question de l’amour d’un prince pour la fille d’un meunier, de l’abandon de celle-ci, qui, de désespoir, se précipite dans les flots du Dniéper où elle est changée en naïade, de la folie de son père et des remords du prince. Le second est la ballade qu’on va lire.

 LA NAÏADE

 « Sur les bords d’un lac, caché dans une sombre forêt, s’était réfugié un moine, dont la vie se passait dans des pratiques austères, le travail, la prière, le jeûne. Déjà le saint vieillard creusait sa fosse avec une humble pelle, et ne s’adressait à ses divins patrons que pour leur demander la mort.

 « Un jour, au seuil de la porte de sa chaumière affaissée, l’anachorète priait Dieu. La forêt commençait à s’assombrir, le brouillard s’élevait sur les eaux, et l’on voyait à travers les nuages la lune rouler avec lenteur dans le ciel. Le moine porta ses regards sur le lac. 

« Il demeura éperdu… et douta un instant de lui-même. Les ondes bouillonnent, se calment, bouillonnent encore, et soudain, légère comme une ombre du soir, blanche comme la neige matinale des collines, une femme aux pieds nus en sort, et, silencieuse, vient s’asseoir sur le rivage.

 « Elle regarde le vieux moine en secouant ses tresses humides. Le saint ermite, tremblant d’émotion, contemple ses beautés. Elle, cependant, l’appelle de la main, lui fait de rapides signes de tête ; puis, semblable à une étoile qui file, elle disparaît dans les eaux dormantes. 

« Cette nuit le morne vieillard ne dormit point, et le jour suivant il oublia de prier. Toujours, devant lui, involontairement il voyait l’ombre de l’étrange jeune fille. Les bois se revêtirent encore de ténèbres, la lune s’éleva sur les nuages, et, de nouveau, belle et pâle, la nymphe apparut sur la surface de l’eau. 

« Elle regarde le vieillard en lui faisant signe de la tête ; elle feint en souriant de l’embrasser de loin, puis se joue sur les ondes qui rejaillissent autour d’elle, rit, pleure comme un enfant mutin, appelle le moine en soupirant avec tendresse : « Moine, moine, viens à moi, viens à moi… » Et soudain elle se plonge dans les ondes limpides, et tout rentre dans le silence. 

« Le troisième jour, l’ermite passionné vint s’asseoir sur les rives enchantées et attendit la jeune fille ; mais l’ombre enveloppa les bois, l’aurore chassa les ténèbres de la nuit, et l’on ne retrouva plus le moine. Seulement de petits garçons aperçurent sa barbe grise qui flottait entre deux eaux. »

Pouchkine et le mouvement littéraire en Russie depuis 40 ans
Charles de Saint-Julien
Revue des Deux Mondes
Œuvres choisies de Pouchkine, traduites par M. H. Dupont
T.20 1847

VILLA BORGHESE – Nizami GANJAVI- Poète Persan – Poeta azerbaigiano

ROME – ROMA
LA VILLA BORGHESE

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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Flag_of_Lazio

MONUMENTO A
Nizami Ganjavi
نظامی گنجوی
Poeta azerbaigiano
Poète Perse
(1141-1209)

« Dans les vastes jardins qui entouraient d’ombrages ce palais, dit le poète persan Nizami, les oranges et les grenades étaient en si grand nombre, qu’on croyait « voir une illumination. Partout les jasmins dressaient leurs tentes parfumées, partout les bassins de marbre et les ruisseaux d’eau sinueuse étaient encadrés par une telle profusion de rosiers, que les eaux limpides semblaient des roses coulantes… Rien qu’en faisant cette description, il me semble, ajoute le poète, que ma plume s’agite dans les fleurs. Cependant mes paroles sont au-dessous de la réalité. C’était enfin une image du paradis. » Au centre de ces jardins, un kiosque se dressait sur une éminence ; le toit, soutenu par des colonnes de marbre et d’or, abritait une grande coupe de porphyre d’où sortait au lieu d’eau une gerbe de vif-argent, sur laquelle venait se décomposer le prisme solaire, produisant ainsi une éblouissante pluie de feu. Les bains et les réservoirs, en marbre rose ou vert, étaient ornés d’animaux d’or sur lesquels des arabesques de pierreries imitaient les yeux et les dents, les plumes et les aigrettes. L’eau coulait par leur bouche entr’ouverte. Des tentures de soie tramées d’or et des tapis de Perse représentaient des forêts et des fleurs qui semblaient naturelles. »

ADALBERT DE BEAUMONT
L’ARCHITECTURE MODERNE EN PERSE (II)
Arts décoratifs en Orient et en France
REVUE DES DEUX MONDES Tome 65
1866

Villa Borghese Rome Roma Monumento a Nizami Ganjavi 1

« NIZAMI, poëte persan, né à Candjeh, dans la prov. d’Harran, vers 1100, mort en 1180, a composé un poëme formé de 28 000 distiques, nommé en arabe le Khamseh et en persan le Pentch-Gandj (les Cinq trésors), dans lequel se trouve une Histoire romanesque d’Alexandre. La 1re partie de cet ouvrage a été imprimée à Calcutta en 1812 : l’ouvrage entier a été trad. en franç. par M. Charmoy, St-Pétersb., 1845. On a aussi de lui quelques apologues, qui ont été imprimées dans le tome II des Asiatic Miscellanies, 1786. Quelques-uns égalent Nizami à Ferdoucy.  »
DICTIONNAIRE UNIVERSEL D’HISTOIRE
ET DE GEOGRAPHIE
BOUILLET CHASSANG
1878

Villa Borghese Rome Roma Monumento a Nizami Ganjavi 2 Villa Borghese Rome Roma Monumento a Nizami Ganjavi 3

« On y remarque le célèbre manuscrit en lettres d’or des Khamsas des deux poètes Nizami et Amir Khosro qui fut exécuté par ordre d’un petit-fils de Tamerlan, — divers manuscrits en langue kashnieri, langue aryenne mêlée de mots persans, — une copie authentique de Sahi Bokhari, — un opuscule en sanscrit qui a pour auteur le magicien Goraksh, et où se trouve indiqué non-seulement le moyen de voler dans l’air par l’effet d’une extase, mais encore celui de se faire enterrer vivant pour un temps voulu. « 

ANONYME
ESSAIS & NOTICES
LES PEUPLE DU NORD DE L’INDE
REVUE DES DEUX MONDES
2ème Période
Tome 108
1873

 

HERODIADE (sonnet) Poème de Gabriele d’ANNUNZIO – ERODIADE – Sonetto

Gabriele D’Annunzio
prince de Montenevoso

Traduction – Texte Bilingue
Poesia e traduzione

LITTERATURE ITALIENNE

 Gabriele d'Annunzio Traduction Artgitato Proses et Poèmes Italiens

Letteratura Italiana

Gabriele D’Annunzio
1863-1938

Traduction Jacky Lavauzelle

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Hérodiade

Sonnet

ERODIADE

Sonetto

Dicebat enim Joannes Herodi:
Non licet tibi habere uxorem fratris tui.


Su ’l suo letto di cedro e d’oro è insonne
Sur son lit de bois de cèdre et d’or sans sommeil
Erodiade al fianco del Tetrarca,
Se trouve Hérodiade aux côtés du Tétrarque,
pavida se gemendo l’aura varca
Elle a peur quand le vent gémit dans
i profondi atrii selve di colonne.
les profonds atriums tels des forêts de colonnes

*

 

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HELENE (Sonnet) Poème de Gabriele d’ANNUNZIO – Poesia & traduzione – ELENA (sonetto)

Gabriele D’Annunzio
prince de Montenevoso

Traduction – Texte Bilingue
Poesia e traduzione

LITTERATURE ITALIENNE

 Gabriele d'Annunzio Traduction Artgitato Proses et Poèmes Italiens

Letteratura Italiana

Gabriele D’Annunzio
1863-1938

Traduction Jacky Lavauzelle

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HELENE

Sonnet

ELENA

Sonetto

λένα‚ τᾶς πάντες ἐπ᾿ ὄμμασιν μεροι ἐντί.

Le vele eran di porpora splendenti
Les voiles étaient d’un pourpre splendide
come fiamme; d’avorio era la prora
comme des flammes ; d’ivoire était la proue
scolpita; la carena era sonora
sculptée ; la coque était sonore
 come il legno vocal de gli stromenti.
comme le bois vocal des instruments

*

 

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Rubén Darío A ROOSEVELT Texte Espagnol & Traduction Française

 Rubén Darío
(1867-1916)
A ROOSEVELT

Rubén Darío A ROOSEVELT Artgitato Traduction Française et Texte Espagnol

Modernismo
Literatura en español

 

RUBEN DARIO A ROOSEVELT
A Roosevelt

¡Es con voz de la Biblia, o verso de Walt Whitman,
Il y a une voix de la Bible, ou un vers de Walt Whitman,
 que habría que llegar hasta ti, Cazador!
que je devrais posséder pour venir à toi, Chasseur !
  con un algo de Washington y cuatro de Nemrod.
Avec quelque chose de Washington et un peu plus de Nemrod.
Primitivo y moderno, sencillo y complicado,
Primitif et moderne, simple et compliqué,
Eres los Estados Unidos,
Tu es les Etats-Unis,
eres el futuro invasor
tu es le futur envahisseur
de la América ingenua que tiene sangre indígena,
de l’Amérique ingénue qui a du sang indigène,
que aún reza a Jesucristo y aún habla en español.
qui prie encore Jésus-Christ et parle encore en espagnol….
 

 

 

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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DON QUICHOTTE Chapitre 1 Traduction Française Capítulo primero

 DON QUICHOTTE CHAPITRE 1

Don Quijote Don Quichotte Chapitre Premier Miguel de Cervantes Capitulo 1 Chapitre Premier Artgitato Traduction Française

 DON QUIJOTE DE LA MANCHA
El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha
DON QUICHOTTE de la Manche

Miguel de Cervantès

Capítulo primero
Chapitre Premier

 Que trata de la condición y ejercicio del famoso y valiente hidalgo don Quijote de la Mancha
Qui traite de la condition et des activités du célèbre et brave hidalgo Don Quichotte de la Manche

En un lugar de la Mancha, de cuyo nombre no quiero acordarme, no ha mucho tiempo que vivía un hidalgo de los de lanza en astillero, adarga antigua, rocín flaco y galgo corredor.
Dans un village de la Manche, dont je ne veux pas me souvenir le nom, il y a encore peu de temps vivait un hidalgo, de ceux qui vivent avec lance au râtelier et bouclier antique, bidet maigre et lévrier.
Una olla de algo más vaca que carnero, salpicón las más noches, duelos y quebrantos los sábados, lantejas los viernes, algún palomino de añadidura los domingos, consumían las tres partes de su hacienda. 
Un pot avec plutôt plus de boeuf que du mouton, une salade presque toutes les nuits, des morceaux de viande les samedis, des lentilles les vendredis, et quelques pigeonneaux en supplément le dimanche, tout ça faisant disparaître les trois quarts de son revenu.
El resto della concluían sayo de velarte, calzas de velludo para las fiestas, con sus pantuflos de lo mesmo, y los días de entresemana se honraba con su vellorí de lo más fino.
Le reste partait dans l’achat d’une tunique, des culottes de velours pour les jours de fête, de chaussons, et pour les jours de semaine il honorait de la serge la plus fine qui se puisse trouver.
Tenía en su casa una ama que pasaba de los cuarenta y una sobrina que no llegaba a los veinte, y un mozo de campo y plaza que así ensillaba el rocín como tomaba la podadera.
Il avait dans sa maison une gouvernante d’une bonne quarantaine d’années, une nièce qui n’avait pas encore vingt ans, et un garçon à tout faire autant pour les travaux des champs, pour seller la rosse que  pour manier la serpe.

Frisaba la edad de nuestro hidalgo con los cincuenta años. Era de complexión recia, seco de carnes, enjuto de rostro, gran madrugador y amigo de la caza.
 Notre hidalgo, lui, frisait la cinquantaine. Il était de construction robuste, sec de corps, la figure maigre, matinal et ami de la chasse.
Quieren decir que tenía el sobrenombre de «Quijada», o «Quesada», que en esto hay alguna diferencia en los autores que deste caso escriben, aunque por conjeturas verisímiles se deja entender que se llamaba «Quijana».
On dit qu’il avait le surnom de « Quixada » ou « Quesada », les auteurs qui écrivent à son sujet sont en désaccord, mais de vraisemblables conjectures donnent un  avantage à « Quijana. »
Pero esto importa poco a nuestro cuento: basta que en la narración dél no se salga un punto de la verdad.

Mais cela n’a que peu d’importance pour la suite de notre histoire : il suffit, en tous points, que la narration ne s’écarte pas d’un cheveu de la vérité.

 

Es, pues, de saber que este sobredicho hidalgo, los ratos que estaba ocioso —que eran los más del año—, se daba a leer libros de caballerías, con tanta afición y gusto, que olvidó casi de todo punto el ejercicio de la caza y aun la administración de su hacienda;
Il est, ensuite, nécessaire  de savoir que cet hidalgo, chaque fois qu’il était inactif, ce qui était le cas une grande partie de l’annéese consacrait à dévorer des livres de chevalerie avec tant d’ardeur et d’avidité qu’il en oubliait ce qui concerne la pratique de la chasse et tout ce qui touche à l’administration de son hacienda ;
y llegó a tanto su curiosidad y desatino en esto, que vendió muchas hanegas de tierra de sembradura para comprar libros de caballerías en que leer, y, así, llevó a su casa todos cuantos pudo haber dellos;
et sa curiosité et son engouement atteignirent un tel point qu’il vendit plusieurs parcelles de bonne terres afin d’acheter des livres de chevalerie à lire, et ramena à la maison tout ce qu’il put trouver ;
y, de todos, ningunos le parecían tan bien como los que compuso el famoso Feliciano de Silva, porque la claridad de su prosa y aquellas entricadas razones suyas le parecían de perlas, y más cuando llegaba a leer aquellos requiebros y cartas de desafíos, donde en muchas partes hallaba escrito: «La razón de la sinrazón que a mi razón se hace, de tal manera mi razón enflaquece, que con razón me quejo de la vuestra fermosura».

et, de tous les livres qu’il possédait, aucun ne lui paraissait mieux fait que ceux écrits par le célèbre Félicien de Silva, tant pour la clarté de sa prose que pour ces arguties alambiquées comme autant de perles, et surtout quand il vint à lire ces lettres d’amour et de défis chevaleresques  et où il put lire à plusieurs reprises : « la raison de la déraison qui est ma raison, en affaiblit ma raison, qu’avec raison, je me plains de votre beauté.« 
Y también cuando leía: «Los altos cielos que de vuestra divinidad divinamente con las estrellas os fortifican y os hacen merecedora del merecimiento que merece la vuestra grandeza…»
Ou encore, « des hauts cieux, ceux de votre divinité, vous fortifient divinement avec les étoiles et vous rendent digne du mérite que mérite votre grandeur ... »

Con estas razones perdía el pobre caballero el juicio, y desvelábase por entenderlas y desentrañarles el sentido, que no se lo sacara ni las entendiera el mesmo Aristóteles, si resucitara para solo ello.
Avec ces raisonnements, le pauvre gentilhomme en perdit la tête, et se trouva fort interrogé par eux afin d’en comprendre le sens, ce qu’Aristote lui-même n’aurait pu comprendre, s’il fût ressuscité à cette occasion.
No estaba muy bien con las heridas que don Belianís daba y recebía, porque se imaginaba que, por grandes maestros que le hubiesen curado, no dejaría de tener el rostro y todo el cuerpo lleno de cicatrices y señales.
Il critiquait les blessures que don Bélianis donnait et prenait, car il imaginait que, malgré ces grands maîtres qui l’avaient guéri, il devait porter tant sur le visage que sur tout le corps plein de cicatrices et de stigmates.
Pero, con todo, alababa en su autor aquel acabar su libro con la promesa de aquella inacabable aventura, y muchas veces le vino deseo de tomar la pluma y dalle fin al pie de la letra como allí se promete; y sin duda alguna lo hiciera, y aun saliera con ello, si otros mayores y continuos pensamientos no se lo estorbaran.
Mais encore, il louait cet auteur qui, à la fin de son livre,  avec la promesse d’achever cette aventure interminable, et il lui venait souvent le désir de prendre la plume et de la terminer ; et certainement il l’eût fait, et ne s’en serait pas si mal sorti, si des pensées de plus en plus absorbantes ne l’en avait empêché.
Tuvo muchas veces competencia con el cura de su lugar —que era hombre docto, graduado en Cigüenza— sobre cuál había sido mejor caballero: Palmerín de Ingalaterra o Amadís de Gaula; mas maese Nicolás, barbero del mesmo pueblo, decía que ninguno llegaba al Caballero del Febo, y que si alguno se le podía comparar era don Galaor, hermano de Amadís de Gaula, porque tenía muy acomodada condición para todo, que no era caballero melindroso, ni tan llorón como su hermano, y que en lo de la valentía no le iba en zaga.
Il avait, à plusieurs reprises , ergoté avec le curé de la contrée qui était un savant, un diplômé de Sigüenza- sur celui qui avait été le meilleur chevalier, Palmérin d’Angleterre ou Amadis de Gaule ; maître Nicolas, le barbier du village, déclara qu’aucun n’avait atteint le chevalier de Phébus, et que si quelqu’un pouvait lui être comparé, il ne pouvait s’agir que de don Galaor, frère d’Amadis de Gaule, parce qu’il était très accommodant et qui n’était pas grincheux ou larmoyant comme son frère, et que, pour ce qui touche à la question de la bravoure, il n’était pas derrière lui.

En resolución, él se enfrascó tanto en su letura, que se le pasaban las noches leyendo de claro en claro, y los días de turbio en turbio; y así, del poco dormir y del mucho leer, se le secó el celebro de manera que vino a perder el juicio.
En bref, il devint tellement absorbé dans sa lecture, qu’il passa ses nuits à lire jusqu’à la lumière du jour, et ses journées à lire jusqu’à la tombée de la nuit, qu’il s’en sécha le cerveau jusqu’à en perdre son jugement.
Llenósele la fantasía de todo aquello que leía en los libros, así de encantamentos como de pendencias, batallas, desafíos, heridas, requiebros, amores, tormentas y disparates imposibles;
Sa fantaisie grandit avec tout ce qu’il lût dans des livres, enchantements, querelles, batailles, défis, blessures, galanteries, amours, tempêtes et absurdités impossibles ;
y asentósele de tal modo en la imaginación que era verdad toda aquella máquina de aquellas soñadas invenciones que leía, que para él no había otra historia más cierta en el mundo.
et il pensait qu’étaient vraies toutes les inventions qu’il lisait, si tant est que, pour lui, il n’y avait pas d’autres histoires plus véridiques dans le monde.
 Decía él que el Cid Ruy Díaz había sido muy buen caballero, pero que no tenía que ver con el Caballero de la Ardiente Espada, que de solo un revés había partido por medio dos fieros y descomunales gigantes.
Il disait que le Cid Ruy Diaz était sans aucun doute un très bon chevalier, mais qu’il n’égalait en rien le Chevalier de l’Epée Ardente qui avec seulement un revers avait réduit de moitié deux féroces géants monstrueux.
Mejor estaba con Bernardo del Carpio, porque en Roncesvalles había muerto a Roldán, el encantado, valiéndose de la industria de Hércules, cuando ahogó a Anteo, el hijo de la Tierra, entre los brazos. 
Meilleur était Bernardo del Carpio, car à Roncevaux il tua Roland, l’enchanté, en utilisant l’artifice d’Hercule quand il  étrangla Antée, fils de la Terre, dans ses bras.
Decía mucho bien del gigante Morgante, porque, con ser de aquella generación gigantea, que todos son soberbios y descomedidos, él solo era afable y bien criado.
Il a approuvé l’éloge du géant Morgant, parce que, bien que de la race des géants, qui sont tous arrogants et peu commodes, lui seul était affable et bien élevé.
Pero, sobre todos, estaba bien con Reinaldos de Montalbán, y más cuando le veía salir de su castillo y robar cuantos topaba, y cuando en allende robó aquel ídolo de Mahoma que era todo de oro, según dice su historia. 
Mais, surtout, il y avait Renaud de Montauban, surtout quand il sortait de son château et qu’il volait tous ceux qu’il rencontrait, et qu’il déroba cette image de Mahomet qui était toute en or, selon son histoire.
Diera él, por dar una mano de coces al traidor de Galalón, al ama que tenía, y aun a su sobrina de añadidura.
Il aurait donné, pour frapper ce Ganelon de traître, sa femme de ménage, et même sa nièce, dans l’affaire.

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En efeto, rematado ya su juicio, vino a dar en el más estraño pensamiento que jamás dio loco en el mundo, y fue que le pareció convenible y necesario, así para el aumento de su honra como para el servicio de su república, hacerse caballero andante y irse por todo el mundo con sus armas y caballo a buscar las aventuras y a ejercitarse en todo aquello que él había leído que los caballeros andantes se ejercitaban, deshaciendo todo género de agravio y poniéndose en ocasiones y peligros donde, acabándolos, cobrase eterno nombre y fama.
En effet, ayant perdu ses esprits, il en vint à donner dans la notion plus étrange que jamais, en pensant qu’il serait  juste et nécessaire, tant pour son honneur que pour servir son pays, à devenir un chevalier errant, à aller partout dans le monde avec ses armes et son cheval à la recherche d’aventures, à mettre en œuvre tout ce qu’il avait pu lire sur les chevaliers errants, défaisant toutes sortes de périls afin qu’il récolte une renommée et une gloire éternelle.
Imaginábase el pobre ya coronado por el valor de su brazo, por lo menos del imperio de Trapisonda; y así, con estos tan agradables pensamientos, llevado del estraño gusto que en ellos sentía, se dio priesa a poner en efeto lo que deseaba.
Il s’imaginait, le pauvre, couronné par la valeur de son bras, au moins de par l’empire de Trébizonde [Trabzon] ; et ainsi, dans le flux de ses pensées, mené par cette jouissance intense qu’il ressentait, il se hâta de mettre son projet en œuvre.
 Y lo primero  que hizo fue limpiar unas armas que habían sido de sus bisabuelos, que, tomadas de orín y llenas de moho, luengos siglos había que estaban puestas y olvidadas en un rincón.
Et la première chose qu’il fit fut de nettoyer une armure qui avait appartenue à ses grands-parents, qui, prise par la rouille et couverte de moisissures  depuis les siècles où elle reposait, oubliée dans un coin.
Limpiólas y aderezólas lo mejor que pudo; pero vio que tenían una gran falta, y era que no tenían celada de encaje, sino morrión simple; mas a esto suplió su industria, porque de cartones hizo un modo de media celada que, encajada con el morrión, hacían una apariencia de celada entera.
Il la dégraissa et la nettoya du mieux qu’il put ; mais il s’aperçut qu’il manquait quelque chose et qu’au lieu du heaume complet, il ne possédait qu’un simple casque. Mais il le compléta ingénieusement avec des cartons en guise de visière et le tout donna l’apparence d’un heaume complet.
Es verdad que, para probar si era fuerte y podía estar al riesgo de una cuchillada, sacó su espada y le dio dos golpes, y con el primero y en un punto deshizo lo que había hecho en una semana;
Il est vrai que, pour tester la force de sa composition et son aptitude à essuyer des coupures, il tira son épée et lui a donné deux coups de tranchant ;  le premier coup détruisit ce qu’il avait fait en une semaine ;
y no dejó de parecerle mal la facilidad con que la había hecho pedazos, y, por asegurarse deste peligro, la tornó a hacer de nuevo, poniéndole unas barras de hierro por de dentro, de tal manera, que él quedó satisfecho de su fortaleza y, sin querer hacer nueva experiencia della, la diputó y tuvo por celada finísima de encaje.
et cette facilité avec laquelle il l’avait brisé, et, pour à coup sûr se protéger d’un éventuel danger, il retourna à l’ouvrage, mis des barres de fer à l’intérieur, de sorte qu’il était satisfait de sa force et sans le soumettre à une nouvelle expérience, il déclara qu’il possédait-là un heaume de la plus fine perfection et finesse.

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Fue luego a ver su rocín, y aunque tenía más cuartos que un real y más tachas que el caballo de Gonela, que «tantum pellis et ossa fuit», le pareció que ni el Bucéfalo de Alejandro ni Babieca el del Cid con él se igualaban.
Il est ensuite allé voir sa monture, et même si celle-ci avait plus de tares que de parties et plus de défauts que le cheval de Gonèle qui  «tantum pellis et ossa fuit » [il n’avait plus que la peau et les os], il lui  semblait que ni le Bucéphale d’Alexandre ni le Babiéca  du Cid ne pouvaient l’égaler.
Cuatro días se le pasaron en imaginar qué nombre le pondría; porque —según se decía él a sí mesmo— no era razón que caballo de caballero tan famoso, y tan bueno él por sí, estuviese sin nombre conocido;
Quatre jours passèrent en pensant au nom qu’il lui donnerait ; car, dit-il en lui-même- il est nécessaire que la monture d’un si fameux cavalier, et aussi bon par lui-même, porte un nom distinctif ;
y ansí procuraba acomodársele, de manera que declarase quién había sido antes que fuese de caballero andante y lo que era entonces;
et ainsi il chercha un nom qui indiquerait le chevalier errant qu’il était ;
pues estaba muy puesto en razón que, mudando su señor estado, mudase él también el nombre, y le cobrase famoso y de estruendo, como convenía a la nueva orden y al nuevo ejercicio  que ya profesaba;
car il est raisonnable que son maître changeant d’état, il devait prendre un nom, plus célèbre et pompeux, comme le voulait l’étiquette associée à son nouvel ordre et à sa nouvelle profession ;
y así, después de muchos nombres que formó, borró y quitó, añadió, deshizo y tornó a hacer en su memoria e imaginación, al fin le vino a llamar «Rocinante», nombre, a su parecer, alto, sonoro y significativo de lo que había sido cuando fue rocín, antes de lo que ahora era, que era antes y primero de todos los rocines del mundo.
et ainsi, après de nombreux noms formés, effacés puis éliminés, ajoutés, construits et déconstruits dans sa mémoire et son imagination, finalement il vint à l’appeler «Rossinante» nom, à son avis, noble, sonore et qui signifiait ce qu’elle avait été quand elle était une rosse avant et ce qu’elle était maintenant, elle était d’abord, et avant tout, la première de toutes les rosses du monde.

Puesto nombre, y tan a su gusto, a su caballo, quiso ponérsele a sí mismo, y en este pensamiento duró otros ocho días, y al cabo se vino a llamar «don Quijote»;
Depuis qu’il donnât un nom, à son goût, à son cheval, il était impatient de s’en donner un à lui-même, et cette pensée dura huit jours, après lesquels il s’arrêta sur « Don Quichotte« ;
de donde, como queda dicho, tomaron ocasión los autores desta tan verdadera historia que sin duda se debía de llamar «Quijada» , y no «Quesada», como otros quisieron decir.
où, comme indiqué ci-dessus, les auteurs de cette histoire vraie ont pris l’habitude de l’appeler « Quijada » et non « Quesada » comme d’autres l’auraient fait croire.
Pero acordándose que el valeroso Amadís no sólo se había contentado con llamarse «Amadís» a secas, sino que añadió el nombre de su reino y patria, por hacerla famosa, y se llamó «Amadís de Gaula», así quiso, como buen caballero, añadir al suyo el nombre de la suya y llamarse «don Quijote de la Mancha», con que a su parecer declaraba muy al vivo su linaje y patria, y la honraba con tomar el sobrenombre della.
Mais se souvenant que le valeureux Amadis ne se contentait pas de simplement s’être appelé «Amadis» tout simplement, mais avait ajouté le nom de son royaume et pays pour le rendre plus célèbre encore, et s’était appelé « Amadis de Gaule », il souhaitait, comme tout bon chevalier, ajouter le nom de la sienne et s’appeler ainsi « Don Quichotte de la Manche« , ce qui, à son avis, décrivait avec précision son origine et le pays, et qu’il lui faisait honneur de le prendre comme nom de famille.

  Limpias, pues, sus armas, hecho del morrión celada, puesto nombre a su rocín y confirmándose a sí mismo, se dio a entender que no le faltaba otra cosa sino buscar una dama de quien enamorarse, porque el caballero andante sin amores era árbol sin hojas y sin fruto y cuerpo sin alma. Decíase él:
Ayant donc nettoyé les armes, et fait un heaume du morion, mis un nom à a monture et confirmé le mien, laissant entendre qu’il ne manquait rien mais seulement une dame et d’en tomber amoureux, parce qu’un chevalier errant sans amour serait comme un arbre sans feuilles ni fruits et un  corps sans âme. Il se dit :
—Si yo, por malos de mis pecados, o por mi buena suerte, me encuentro por ahí con algún gigante, como de ordinario les acontece a los caballeros andantes, y le derribo de un encuentro, o le parto por mitad del cuerpo, o, finalmente, le venzo y le rindo, ¿no será bien tener a quien enviarle presentado, y que entre y se hinque de rodillas ante mi dulce señora, y diga con voz humilde y rendida:
Si moi, par mes péchés, ou par ma bonne fortune, je me trouve devant un géant, comme il arrive souvent aux chevaliers de mon espèce, et que je le démolisse, ou que je le fende par la moitié de son corps, ou finalement qu’il m’implore une reddition, il serait souhaitable de l’envoyer en offrande, afin qu’il se présente et tombe à genoux devant ma douce dame, et lui dise d’une voix humble et soumise :
«Yo, señora, soy el gigante Caraculiambro, señor de la ínsula Malindrania, a quien venció en singular batalla el jamás como se debe alabado caballero don Quijote de la Mancha, el cual me mandó que me presentase ante la vuestra merced, para que la vuestra grandeza disponga de mí a su talante»?
«Moi, madame, je suis Caraculiambro le géant, seigneur de l’île Malindrania, qu’ a vaincu, en combat singulier, le chevalier jamais suffisamment vanté Don Quichotte de la Manche, qui m’a ordonné de me présenter devant Votre Grâce, que Votre Altesse dispose de moi selon son bon plaisir ? »

¡Oh, cómo se holgó nuestro buen caballero cuando hubo hecho este discurso, y más cuando halló a quien dar nombre de su dama!
Oh, combien notre chevalier jouissait quand il fit ce discours, et plus particulièrement quand il trouva comment appeler sa Dame!
Y fue, a lo que se cree, que en un lugar cerca del suyo había una moza labradora de muy buen parecer, de quien él un tiempo anduvo enamorado, aunque, según se entiende, ella jamás lo supo ni le dio cata dello.
Et c’était, à ce qu’on croit, dans un lieu proche sien que vivait une paysanne de très bonne apparence, de qui, un temps, il fut amoureux, même si, comme de bien entendu, elle n’en su jamais rien.
Llamábase Aldonza Lorenzo, y a esta le pareció ser bien darle título de señora de sus pensamientos;
Elle s’appelait Aldonza Lorenzo, c’est à elle qu’il jugea bon de lui conférer le titre de Dame de ses pensées ;
y, buscándole nombre que no desdijese mucho del suyo y que tirase y se encaminase al de princesa y gran señora, vino a llamarla «Dulcinea del Toboso» porque era natural del Toboso : nombre, a su parecer, músico y peregrino y significativo, como todos los demás que a él y a sus cosas había puesto.
et la recherche d’un nom en harmonie avec le sien, se devait de suggérer et d’indiquer une princesse et une grande dame, il  décida de l’appeler « Dulcinée du Toboso » parce qu’elle était originaire du village de Toboso, et qui, à son avis, était musical, rare et distingué, comme toutes les choses qui formaient son équipage.

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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