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Henry BATAILLE (LA TENDRESSE 1921) L’APPEL DES SENS

Henry Bataille
LA TENDRESSE
(1921, Théâtre du Vaudeville)
 L’APPEL DES SENS

Henry Bataille La Tendresse (2)

Monseigneur de Cabriac, joué lors de la première par A. Gildes, candidat à l’Académie, rencontre l’écrivain Barnac, joué par Félix Huguenet,  afin de savoir s’il pourra compter sur son soutien. Le religieux rencontre le laïc. Bataille appuie sur ce balancement, « après un sérieux ballotage car vous avez un concurrent terrible », « ça ne pèsera pas bien lourd dans la balance ! ».

MOITIE FIGUE, MOITIE RAISIN

Un balancement entre l’intime et le public, le profane et le sacré, « les premières pièces de théâtre ont pris naissance à l’ombre de l’autel », le passé de chacun, « jusqu’à l’âge de cinq ansà douze ans…les conseils de mon père »,  et les projets d’avenir, dans le comptage, le pour et le contre, « moitié figue, moitié raisin ».

 UN SOIR VIENDRA

Une alternance qui s’enracine dans un esprit  où l’animalité domine, dans l’évidence de l’immédiateté. Le livre se respire plus qu’il ne se lit, « je respire les livres comme on respire les roses…j’arrive très bien à me rendre compte de l’ouvrage, intuitivement »,  et les appartements reniflés, « je vous ai vu renifler avec surprise l’odeur de mon appartement. C’est un parfum au nom étrange, il s’appelle : ‘ un soir viendra ‘ ».

Henry Bataille La Tendresse (3)

L’émotion précède la raison, en restant mettre de chacun. La raison, cet accessoire de la société, reste secondaire. « – Le général Bachelard a sur vous un avantage considérable ! …Celui de n’avoir jamais rien écrit du tout. »    

OUVRE TON BEC ET FERME TES YEUX

Et la raison disparaît dès la venue de l’amie de Barnac, Marthe, jouée par Yvonne de Bray, femme de Bataille jusqu’à sa mort, l’année suivante, en 1922, « élégamment chapeautée », « accompagnée d’une femme moins élégante », Miss, jouée par Madame Descorval, « une noble parente dans la dèche de Carcassonne » de Barnac. Nous restons dans le règne animal : « Je t’ai apporté ça, gros jaloux. Ouvre ton bec et ferme les yeux… » (Marthe, Acte I, scène 2).

A l’érotisme du parfum de la première scène succède celui du corset : « Moi, je vais enlever mon corset. Il faut que je fasse cent soixante sauts à la corde dans la journée. » (Marthe, Acte I, scène 2)

Henry Bataille La Tendresse (4)

UNE ENVIE MALSAINE

De l’érotisme nous passons à une obscénité contrôlée et jouée entre Marthe et Barnac, un tantinet orgiaque : « c’est une vieille histoire obscène…Je ne te la raconterai pas…Ah ! Voilà la liqueur enchanteresse…Mais toi, pour te faire rougir…J’ai une envie malsaine…Je suis éreintée… Voilà la feuille du bananier…J’ouvrirai l’appareil… (Marthe, un doigt sur la bouche, se cale entre les jambes de Barnac) ça te gênera plus tard que je gratte l’allumette»,  à laquelle se rajoute l’ambiguïté érotique des jeux et des mots…

Henry Bataille La Tendresse (5)

 

LES JEUX DU CIGARE ET DU BICORNE

…  D’abord le jeu du cigare : « et mon cigare, petite voleuse…je savais bien que tu le laisserais, ton cigare », suivi du bicorne : « passe-moi la tasse de thé…la tasse de thé et le bicorne, c’est un assemblage qui fait admirablement en photographie… (Montrant le chapeau) Qu’est-ce que je vais faire de lui !» Et dans ce début de pièce, le jeu avec le Vérascope, l’appareil photo de l’époque, avec des ambiguïtés assumées : « l’appareil s’est ouvert tout seul… » (Miss, Acte I, scène 3). L’obscénité se change en acte de soumission quand il s’agit de Mlle Tigraine, la secrétaire amoureuse de Barnac, jouée par Mademoiselle Dancourt, « En tout cas, si j’ai une occasion de prouver ma reconnaissance infinie…Ordonnez, vous verrez…Tout…Tout…Vous avez paru satisfait ! C’est tout réfléchi, je vous suis entièrement dévouée… » (Acte I, scène 10)

La fin de l’acte se termine sur le doute qui s’immisce en lui et l’élaboration d’un stratagème qui sera développé dans l’Acte II. Marthe a un amant, dont le nom commence par un J. Il convie les deux connaissances qui pourraient être concernées le lendemain. S’absentant cette journée, ils seront donc reçus par Marthe elle-même, sans savoir qu’ils seront espionnés par Mlle Tigraine, dans le cagibi.

Les deux hommes, Carlos, joué par P. Juvenet, et  Jalligny, joué par G. Mauloy, se suivent à l’heure prévue. Suit un jeune homme…

 

Henry Bataille La Tendresse (1)

IMBECILES ET FATS

…Enfin, arrive le bon, c’est Sergyll, joué par André Luguet. Marthe ne l’attendait pas. Dans la scène 6, Marthe lui explique ses sentiments pour Barnac  et donne en quelques lignes la thématique principale de la pièce et les pensées intimes de l’auteur : «Imbéciles et fats que vous êtes tous, qui croyez, quand une femme se donne, quand ses désirs ont parlé plus haut que son cœur, qu’elle efface en même temps des années d’immense affection, d’une affection où les sens trouvent peut-être une place restreinte, mon Dieu, oui ! c’est certain, mais où la tendresse n’a pas de bornes !…

C’EST LÂCHE…TRES LÂCHE…

Oui, il est possible que certains matins, à de certaines heures, on éprouve le besoin de se sentir étreinte par des bras jeunes, touchée par une bouche de vingt ans, comme on éprouve le besoin de se griser d’été, de courir dans le soleil…Cela s’appelle tromper…et c’est tromper, en effet, misérablement !…Mais dans ce cas, nous savons bien, nous autres femmes, à quoi nous en tenir !…Cela m’empêche-t-il  de boire ses paroles à cet homme-là…de le chérir avec passion, et d’éprouver un vrai plaisir physique à vivre tout près de lui, une sympathie perpétuelle de la peau et de l’esprit…Je n’ai pas su lui faire certains sacrifices, celui de ma liberté…c’est lâche…très lâche…Cependant si cet homme-là, si âgé soit-il, me demandait de me jeter par la fenêtre, je crois que je le ferais sans hésiter une seconde…Comprends si tu veux, mon petit, mais ça c’est la vérité et qui part de là… »

TOUT METTRE EN VALEUR…

Bien entendu, le retour de Bernac sera anticipé et Sergyll repartira vite.  Le cadeau empoisonné de Bernac sera cette nouvelle pièce que celui vient d’écrire le jour-même et qu’il fera jouer sadiquement à Marthe, car le texte restitue les propos qu’elle a tenus avec Sergyll. Devant l’émotion et la stupeur de Marthe, Bernac enfoncera un peu plus le poignard : « Décidément, tu es figée, Marthon !…Tu ne comprends pas bien la scène ? Elle est très belle pourtant, je t’assure…très pathétique…Seulement, il y a quelque chose qui la rend humaine…terriblement…quelque chose que je ne t’ai pas raconté, et qui va t’éclairer…tout mettre en valeur… » (Acte II, scène 8)

JE SUIS CE MONSTRE !

Elle avouera. Elle confessera avoir « senti à nouveaux les appels des sens », « je n’ai point voulu que le cœur eût la moindre trace dans ces caprices ». « Je suis un monstre affreux », dira-t-elle, « je suis ce monstre : la femme qui a des sens !…Oui, voilà ! Quelle misère ! Je le sais bien, une femme qui cède à des attirances purement physiques est une femme méprisée et méprisable ! »

La Tendresse de Henry Bataille

UN ATTACHEMENT EXTRAORDINAIRE

Elle lui criera son amour : « Paul, entends-tu, je t’adore ! De quel mot plus vrai, puis-je appeler l’attachement extraordinaire qui me lie à toi… » Mais rien n’y fera. Elle partira avec des adieux déchirants et douloureux. 

Le dernier acte prend une direction apaisée qui se retrouve d’emblée dans le changement de mobilier. Celui-ci devient plus moderne et fonctionnel. « La chambre de Barnac, très ‘dernier genre’ et neuve à donner la nostalgie de la poussière. Elle fait contraste avec l’ameublement qu’on a connu dans son cabinet de travail. »

FAIRE DU TRANSCENDANTAL

Mais cet apaisement s’accompagne d’une structure plus philosophique, morale, ouvertement kantienne. Les livres qui sont posés dans le bureau de Bernac donnent le tempo : (Guérin, lisant les titres) « La Critique de la raison pure…La monadologie…L’Impératif catégorique… ». Et Bernac de répondre : « Une pièce en deux actes sur l’impératif catégorique ». Même Lagardier  s’y met : « Tout de même, ne te fatigue pas trop à faire du transcendantal  avec tes deux philosophes. »

Henry Bataille

JE SUIS A L’ETAPE DU DEVOIR MAINTENANT

Pour être morale, l’action de Bernac devrait donc être sans condition. Je ne dois pas faire pour ou afin de, je dois faire parce que la morale l’exige. « Voilà, petite Marthe…Ne reste pas stupéfaite ainsi…écrasée…Je suis à l’étape du devoir maintenant. Si tu savais, de là-haut, quand on y est parvenu, de quelle sereine pitié on regarde les passions humaines. » Quelle action désintéressée va donc commettre Bernac ? Il rappelle donc  Marthe et Sergyll, enfoncé dans des différends juridiques sur une œuvre utilisée dans un de ses films sans payer de droits à l’auteur. Bernac, membre de la Société des auteurs, ne veut pas que l’on pense qu’il puisse en être à l’origine.  « L’irrémédiable a apporté dans mon esprit, avec l’apaisement, un esprit de justice et d’impartialité qui me permet à vous de penser sans rancune. »                

Jacky Lavauzelle

                                                                                                                           

La Petite Illustration n°55 du 9 juillet 1921

La Tendresse a été représentée pour la première fois, le 24 février 1921 au Théâtre du Vaudeville.