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GUSTAVE FLAUBERT par Dimitri MEREJKOVSKI

Dimitri Sergueïevitch Merejkovski
(1865-1941)

Portrait photographique
de Dimitri Merejkovski
(Nijni Novgorod, v. 1890).

[Article publié en 1888. Lors de sa première publication,
l’article s’intitulait « Флобер в своих письмах – Flaubert dans sa correspondance ».]
[Avertissement : les citations sont traduites du russe]

Traduction Jacky Lavauzelle

Flaubert
« Флобер »

I


Balzac dans un de ses romans exprime la pensée suivante : « Le génie est une horrible maladie. Tout écrivain porte en son cœur un monstre qui, semblable au tænia dans l’estomac, y dévore les sentiments à mesure qu’ils y éclosent. Qui triomphera ? la maladie de l’homme, ou l’homme de la maladie ? Certes, il faut être un grand homme pour tenir la balance entre son génie et son caractère. Le talent grandit, le cœur se dessèche. À moins d’être un colosse, à moins d’avoir des épaules d’Hercule, on reste ou sans cœur ou sans talent. » (1)

Balzac, malheureusement, coupe ce raisonnement et ne dit pas ce qu’est exactement, à son avis, la maladie du génie : pourquoi le développement et la force d’une personnalité artistique sont à bien des égards inversement proportionnels au développement et à la force du type moral – de quelles raisons dépend leur antagonisme fondamental, si souvent observé dans l’expérience quotidienne ordinaire. Tout le monde sait, par exemple, que les écrivains, artistes, musiciens talentueux sont dans la plupart des cas des gens extrêmement peu pratiques, que leur excentricité et leur frivolité frisent souvent la dépravation morale totale, qu’ils sont de mauvais pères de famille et de mauvais conjoints, que, étant très sensibles et réactifs dans leurs œuvres, ils se révèlent en réalité trop souvent des égoïstes secs et insensibles. L’étude des raisons qui déterminent la profonde opposition entre la vision esthétique et morale du monde, l’artiste et l’homme, le génie et le caractère, est sans aucun doute l’une des pages les plus intéressantes de la psychologie de la créativité.

Rappelons la scène tragique de la mort de Laocoon, décrite dans l’Énéide. Les citoyens de Troie doivent, bien sûr, regarder avec dégoût et horreur alors que de gigantesques serpents étranglent Laocoon et ses fils. Le public éprouve de la peur, de la pitié et un désir de sauver les malheureux : si divers que soient leurs états mentaux, le moment de la volonté joue en eux un rôle très important : que ce soit dans le sens de l’auto préservation pour les plus timides, ou dans l’envie de venir au secours des plus courageux. Mais imaginez, dans cette foule excitée et choquée, un sculpteur qui considérait la terrible catastrophe qui se déroulait sous ses yeux comme le thème d’une future œuvre d’art. Lui seul reste un observateur calme au milieu de la confusion générale, des sanglots, des cris, des prières. Les instincts moraux sont noyés chez lui par la curiosité esthétique. Les larmes l’empêcheraient de regarder, et il les retient, car il a absolument besoin de voir quelles formes prendront les muscles sous la pression des énormes enroulements du serpent. Chaque détail de l’image, qui provoque le dégoût et l’horreur chez les autres, éveille en lui une joie incompréhensible pour les autres. Pendant que les autres pleurent et s’inquiètent, l’artiste est heureux de voir l’expression d’agonie sur le visage de Laocoon, heureux que le père ne puisse pas aider ses enfants, que les monstres serrent leur corps avec une telle force (2). Dans l’instant suivant, l’homme pourrait peut-être vaincre l’artiste. Mais le travail était accompli : ce moment de contemplation cruelle a réussi à laisser une marque indélébile dans le cœur.

Laocoon, par Le Greco

Un certain nombre de ces humeurs, tôt ou tard, devraient former dans l’âme de l’artiste l’habitude de se distraire de la vie, de la regarder de l’extérieur, non pas comme un personnage, mais comme un spectateur calme, cherchant dans tout un matériau pour une reproduction artistique. cela se passe sous ses yeux. À mesure que le pouvoir d’imagination et de contemplation augmente, la passion et la tension de la capacité volontaire nécessaire à l’activité morale diminuent. Si la nature n’a pas doté la volonté de l’artiste d’une persévérance inébranlable, n’a pas donné à son cœur une source inépuisable d’amour, alors l’abstraction esthétique peut peu à peu noyer les instincts moraux : le génie – pour reprendre l’expression de Balzac – peut « dévorer » le cœur. Dans ce cas, les catégories du bien et du mal sont effacées dans la vision du monde de l’écrivain par les catégories du beau et du laid, du typique et de l’inhabituel, intéressantes d’un point de vue artistique. et sans intérêt. Le mal et la dépravation attirent l’imagination du poète s’ils se revêtent de formes irrésistiblement attrayantes, s’ils sont beaux et puissants ; la vertu paraît incolore et insignifiante si elle ne fournit pas matière à l’apothéose poétique.

Mais l’artiste ne se distingue pas seulement par sa capacité à regarder objectivement et sans passion les sentiments des autres : il traite également ce qui se passe dans son propre cœur avec la curiosité esthétique non moins cruelle d’un observateur extérieur. Les gens ordinaires peuvent s’abandonner complètement, de tout leur être, à l’impulsion du sentiment qui s’est emparé d’eux : l’amour ou la haine, le chagrin ou la joie ; au moins, ils pensent qu’ils donnent tout. Un honnête homme, lorsqu’il jure son amour à une femme, croit à la sincérité de ses vœux ; il ne lui viendrait même pas à l’idée de douter s’il aime réellement comme il croit aimer. Le poète, en apparence, plus que les autres, semble capable de s’abandonner aux sentiments, de croire, de se laisser emporter, mais en fait dans son âme, aussi secouée par la passion, il restera toujours la capacité de s’observer même dans les moments d’ivresse totale, à contempler attentivement les courbes les plus subtiles et insaisissables de ses sensations et à les analyser sans pitié.

Les sentiments humains ne sont presque jamais complètement simples et homogènes : dans la plupart des cas, ils représentent un mélange de composants de valeurs très diverses. Et l’artiste-psychologue révèle involontairement tant de mensonges en lui-même et chez les autres, même dans les moments de passion sincère, qu’il perd peu à peu toute confiance en sa propre véracité et en celle des autres.

Portrait de Gustave Flaubert (1821-1880)
Portrait d’Eugène Giraud
Vers 1856.

II

Les « Lettres de Flaubert » (3), publiées en deux ouvrages, fournissent un riche matériau de recherche à partir d’un exemple vivant de la question de l’antagonisme de la personnalité artistique et morale.

« L’art est supérieur à la vie » : telle est la formule qui constitue non seulement la pierre angulaire de toute l’esthétique de Flaubert, mais aussi de sa vision philosophique du monde. A treize ans, il écrit à l’un de ses camarades de classe : « Si je n’avais dans la tête et au bout de ma plume une reine de France au XVe siècle, je serais totalement dégoûté de la vie, et il y aurait longtemps qu’une balle m’aurait délivré de cette plaisanterie bouffonne qu’on appelle la vie » (4). Un an plus tard, il invite le même camarade à travailler avec une rhétorique à moitié sincère et une passion juvénile : « nous nous consacrerons toujours à l’art, qui, étant plus majestueux que tous les peuples, couronnes et dirigeants, règne à jamais sur l’univers dans son diadème divin. » Quarante ans plus tard, au bord de sa tombe, Flaubert proclame avec plus d’acuité et d’audace encore la même devise : « L’homme n’est rien ; l’œuvre – « tout » ! » [« l’homme n’est rien, l’œuvre est tout ! », en français après la phrase en russe.]

Dans la fleur de l’âge, possédant l’intelligence, la beauté et le talent, il fuit le monde vers l’art, comme les ascètes dans le désert ; s’y enferme, tout comme les ermites chrétiens s’emmuraient dans des grottes. « Se lancer dans l’art pour toujours et mépriser tout le reste est le seul moyen de ne pas être malheureux », écrit-il à son ami ; « la fierté remplace tout si elle a une base suffisamment large… Bien sûr, il me manque beaucoup : je serais probablement capable d’être aussi généreux que les plus riches ; aussi tendre que les amants ; sensuel, comme les gens qui se sont livrés aux plaisirs… Et pourtant je ne regrette ni la richesse, ni l’amour, ni les plaisirs… Désormais et pour longtemps, je n’ai besoin que de cinq à six heures de paix dans ma chambre, l’hiver un grand feu dans la cheminée, le soir deux bougies sur la table« . Un an plus tard, il conseille au même ami : « Faites comme moi : rompez avec le monde extérieur, vivez comme un ours, comme un ours polaire ; allez au diable avec tout, tout et même vous-même, sauf vos pensées. Actuellement, il y a un tel abîme entre moi et le reste du monde que je suis souvent surpris lorsque j’entends même les choses les plus ordinaires, les plus simples… il y a des gestes, des intonations de voix, d’où je ne peux tout simplement pas sortir de mon esprit. mes sens, et certaines bêtises me donnent la nausée, presque le vertige. »

Même dans les moments d’ivresse de passion, il place sa vocation littéraire infiniment au-dessus du bonheur personnel, et l’amour pour une femme lui semble insignifiant en comparaison avec son amour pour la poésie. « Non, il vaut mieux aimer l’art que moi », écrit-il à sa bien-aimée, « cette affection ne te changera jamais, ni la maladie ni la mort ne pourront la détruire. Idolâtre l’idée, c’est seulement en elle qu’est la vérité, parce que seule l’idée est immortelle. »  » L’art, la seule chose vraie et précieuse dans la vie, peut-il être comparé à l’amour terrestre ? Est-il possible de préférer l’adoration de la beauté relative au culte de l’éternel ?  » Le respect pour l’art est la meilleure chose que j’ai ; C’est la seule chose que je respecte chez moi.« 

Il n’accepte pas de reconnaître du relatif dans la poésie, la considérant comme absolument indépendante, indépendante de la vie, plus réelle que la réalité ; il voit dans l’art « un principe autosuffisant qui a aussi peu besoin de soutien qu’une étoile ». « Comme une étoile, dit-il, l’art, brillant dans son ciel, observe calmement la rotation du globe ; la beauté ne disparaîtra jamais« . Dans l’ensemble des parties de l’œuvre, dans chaque détail, dans l’harmonie de l’ensemble, Flaubert sent « une sorte d’essence intérieure, quelque chose comme une puissance divine – aussi éternelle qu’un principe… » « Sinon, pourquoi y a-t-il un rapport nécessaire entre l’expression la plus précise et la plus musicale de la pensée ?« 

Un sceptique qui ne s’est arrêté devant aucune croyance, qui a nié et douté toute sa vie de l’idée de Dieu, de la religion, du progrès, de la science, de l’humanité, devient respectueux et croyant lorsqu’il s’agit d’art. Un vrai poète, selon lui, se distingue de tous les autres par la déification des idées, « la contemplation de l’immuable, c’est-à-dire la religion au sens le plus élevé du mot ». Il regrette de ne pas être né à cette époque où la foule adorait l’art, où il existait encore de vrais artistes, « dont la vie et la pensée n’étaient qu’un instrument aveugle de l’instinct de beauté. Ils étaient les organes de Dieu, à travers lesquels il se révélait son essence ; pour ces artistes, il n’y avait pas d’univers – personne ne connaissait leurs souffrances ; chaque soir, ils se couchaient tristes et regardaient la vie humaine avec un regard surpris, comme on regarde une fourmilière.« 

Pour la plupart des artistes, la beauté est un principe plus ou moins abstrait ; pour Flaubert, elle est un objet de passion aussi concret que l’or l’est pour l’avare, le pouvoir pour l’ambitieux ou une femme pour l’amant. Son travail était comme un lent suicide ; il s’y abandonna avec la ténacité invincible d’un homme possédé par la manie, avec la félicité mystique et la joie d’un martyr, avec l’inquiétude d’un prêtre s’approchant du sacrement. C’est ainsi qu’il décrit lui-même son travail : « Malade, irrité, vivant des milliers de fois par jour des moments de terrible désespoir, sans femmes, sans vie, sans le plus insignifiant de ces râles de la vallée terrestre, je continue mon lent travail, comme un bon ouvrier qui, les manches retroussées, les cheveux mouillés de sueur, frappe l’enclume, ne craignant ni la pluie, ni la grêle, ni le vent, ni le tonnerre« . Et voici un extrait de la biographie de Flaubert, écrite par Maupassant, l’un de ses disciples et disciples dévoués, qui décrit également l’énergie travaillante et le brillant écrivain : « la tête baissée, le visage et le cou rougis de sang, tendant tous ses muscles , comme un athlète lors d’un duel, il entre dans une lutte désespérée avec l’idée et le mot, les saisissant, les reliant, les enchaînant, comme dans un étau de fer, avec le pouvoir de la volonté, les serrant et petit à petit, avec des efforts, asservissant la pensée et l’enfermant, comme un animal en cage, dans une forme précise et indestructible. » .

III

Flaubert, plus que quiconque, a fait l’expérience du pouvoir destructeur d’une capacité analytique accrue. Avec une jubilation, dans laquelle se mêlent si étrangement le courage du byronisme alors à la mode et le vague pressentiment d’une catastrophe imminente, il commence, en tant que jeune de dix-sept ans, l’œuvre de destruction et d’effondrement interne. «Je m’analyse moi-même et les autres», dit-il dans une lettre à un ami, «je décortique constamment, et quand j’arrive enfin à trouver dans quelque chose que tout le monde considère comme propre et beau, un endroit pourri, une gangrène, je lève la tête et je ris. . J’en suis maintenant à la ferme conviction que la vanité est la base de tout, et que même ce qu’on appelle conscience n’est en réalité qu’une vanité intérieure. Vous faites l’aumône, peut-être en partie par sympathie, par pitié, par dégoût de la souffrance et de la laideur, voire par égoïsme, mais le motif principal de votre action est le désir d’acquérir le droit de vous dire : j’ai fait le bien ; il y en a peu comme moi ; Je me respecte plus que les autres. » Huit ans plus tard, il écrit à la femme qu’il aime : « J’aime analyser, cette activité me divertit. Bien que je n’aie pas de penchant particulier pour une vision humoristique des choses, je ne peux pas prendre ma propre personnalité très au sérieux, parce que je me trouve drôle – drôle non pas dans le sens d’une comédie théâtrale externe, mais dans le sens de cette ironie interne qui est inhérente à la vie humaine et se manifeste parfois dans les actions les plus apparemment naturelles, les gestes ordinaires… Il faut ressentir tout cela soi-même, mais c’est difficile à expliquer. Tu ne comprendras pas cela, car tout en toi est simple et entier, comme un bel hymne d’amour et de poésie. Alors que j’imagine quelque chose comme une arabesque de composition : il y a des morceaux d’ivoire, d’or et de fer, certains en carton peint, certains en diamant, d’autres en étain« .

La vie des rêves, de l’imagination, est si riche en lui qu’elle obscurcit les impressions du monde réel ; ils sont réfractés et reçoivent une couleur particulière lorsqu’ils traversent ce milieu. « L’antithèse apparaît constamment devant mes yeux : la vue d’un enfant éveille inévitablement en moi la pensée de la vieillesse, la vue d’un berceau, la pensée d’un cercueil. Quand je regarde une femme, j’imagine son squelette. C’est pourquoi les spectacles heureux me bouleversent, les tristes me laissent indifférent. Je pleure tellement dans mon âme, en moi-même, que les larmes ne peuvent pas sortir ; ce que j’ai lu dans le livre m’inquiète plus que le chagrin réel. » Nous rencontrons ici un trait distinctif de la plupart des natures dotées d’un fort tempérament artistique. « Autant je me sens doux, tendre, sympathique, capable de pleurer, de m’abandonner aux sentiments dans une souffrance imaginaire, autant les vrais restent secs, durs, morts dans mon cœur : ils s’y cristallisent. » C’est l’état spirituel décrit par Pouchkine :

« …En vain j’ai alors éveillé mes sens :
De lèvres indifférentes j’ai entendu la nouvelle de sa tragique mort,
Et je les écoutais sans aucune émotion.
C’est donc elle que j’ai aimée d’un cœur si ardent
Dans une telle tension,
Avec une mélancolie si tendre et langoureuse,
Avec tant de folie et de tourments !
Où était donc le tourment, où était l’amour désormais ? Hélas, dans mon âme,
Pour la pauvre ombre crédule,
Pour le doux souvenir des jours heureux,
Je ne trouve ni larmes ni chagrin ».
(5)


Alexandre Pouchkine peint en 1827
par Vassili Tropinine.

L’état d’indifférence incompréhensible face au malheur d’un être cher, le désespoir non pas du chagrin, mais de sa propre froideur, de l’absence de tristesse et de pitié, n’était que trop familier à Flaubert, et, comme d’habitude, il analyse hardiment ce trait, tandis que presque tous les artistes tentent de le cacher non seulement aux autres, mais aussi à eux-mêmes, le prenant pour un égoïsme contre nature. Il parle de son humeur devant le cercueil de sa sœur bien-aimée : « J’étais sec comme une pierre tombale et seulement terriblement irrité. » Que fait-il à un tel moment, quand une personne ordinaire, sans penser à rien, s’abandonne à son chagrin ? Avec une cruelle curiosité, « sans rien enlever à ses sentiments », il les analyse, « comme un artiste ». « Cette activité mélancolique a apaisé ma tristesse, écrit-il à un ami, vous pouvez me considérer comme une personne sans cœur si je vous avoue que ce n’est pas mon état actuel (c’est-à-dire la tristesse suite à la mort de ma sœur) qui semble pour moi le plus difficile de ma vie. À une époque où il n’y avait apparemment rien à redire, je devais me sentir encore plus désolé pour moi-même.» Vient ensuite une longue discussion sur l’infini, sur le nirvana – une discussion dans laquelle l’auteur montre beaucoup de poésie sublime, mais très peu de ce simple chagrin humain.

Dans la lettre où Flaubert décrit les funérailles de son ami d’enfance, son attitude esthétique face au deuil atteint même les sommets de la contemplation philosophique. « Le corps du défunt présentait des signes de décomposition terrible ; nous avons enveloppé le cadavre dans un double linceul. Sous cette forme, il ressemblait à une momie égyptienne enlacée de bandages funéraires, et je ne peux exprimer le sentiment de grande joie et de liberté que j’ai ressenti pour lui à ce moment-là. Le brouillard est devenu blanc, les forêts se détachaient dans le ciel, deux bougies de pierre tombale brillaient dans la blancheur du jour naissant, les oiseaux se mirent à chanter et je me souvins d’un vers de son poème : « Il volera comme un oiseau fringant pour rencontrer le soleil levant dans une forêt de pins », ou, pour mieux dire, j’entendais sa voix prononcer ces paroles, et toute la journée elles me hantaient de leur charme. Il a été placé dans le couloir, les portes ont été retirées de leurs gonds et l’air frais du matin a pénétré dans la pièce avec la fraîcheur de la pluie, qui a commencé à couler à ce moment-là… Des sentiments inconnus ont traversé mon âme et, comme des éclairs, des pensées inexplicables s’y enflammèrent : des milliers de souvenirs du passé volèrent vers moi avec des vagues d’arômes, avec des accords de musique… » Et ici l’artiste, par distraction esthétique, transforme le vrai chagrin en beauté, et en forme éclairée, la mort d’un être cher non seulement ne lui cause aucune souffrance, mais donne au contraire une réconciliation mystique, une extase incompréhensible pour les gens ordinaires, un bonheur étrange, détaché de la vie, désintéressé.

Lors de son séjour à Jérusalem, Flaubert rendit visite aux lépreux. Voici une description de ses impressions : « Cet endroit (c’est-à-dire un terrain réservé spécialement aux lépreux) est situé en dehors de la ville, près d’un marais, d’où s’élevaient des corbeaux et des milans à notre approche. Les malheureux malades, femmes et hommes (une douzaine de personnes au total), gisent tous ensemble en un seul tas. Les voiles ne cachent plus les visages, il n’y a plus de différence entre les sexes. Sur leur corps, on peut voir des croûtes purulentes, des dépressions noires – au lieu de nez ; J’ai dû mettre un pince-nez pour voir ce qui pendait au bout des bras de l’un d’eux : soit ses mains, soit des chiffons verdâtres. C’étaient des mains. (C’est ici qu’il faut amener les coloristes !) Le patient s’est traîné jusqu’à la fontaine pour boire de l’eau. Par la bouche, sur laquelle il n’y avait pas de lèvres, comme à cause d’une brûlure, le palais était visible. Il a une respiration sifflante, nous tendant des lambeaux de son corps pâle comme la mort. Et tout autour, c’est une nature sereine, des ruisseaux de source, la verdure des arbres, tout tremblant d’un excès de jus et de jeunesse, des ombres fraîches sous le soleil brûlant ! » Ce passage n’est pas tiré d’un roman, où le poète peut s’obliger à être objectif, mais de notes de voyage, d’une lettre à un ami, où l’auteur n’a aucune raison de cacher le caractère subjectif de ses sentiments. Pendant ce temps, à part deux épithètes assez banales : « pauvres misérables », il n’y a pas un seul trait d’adoucissement, pas une once de pitié.

IV

« Je ne suis pas chrétien » [en russe et en français dans le texte], dit Flaubert dans une lettre à George Sand. Selon lui, la Révolution française a échoué précisément parce qu’elle avait un lien trop étroit avec la religion de la pitié : « L’idée d’égalité, qui est l’essence de la démocratie moderne, est une idée essentiellement chrétienne, contraire aux principes de justice … Voyez à quel point la miséricorde (la grâce) prévaut à l’heure actuelle. Le sentiment est tout, le bien n’est rien. « Nous périssons par excès de condescendance, de compassion et de mollesse morale. » « Je suis convaincu, note-t-il, que les pauvres détestent les riches et que les riches craignent les pauvres ; ce sera pour toujours ; ils prêchent l’amour en vain ».

Flaubert veut justifier son antipathie instinctive à l’égard de l’idée de fraternité par le fait que cette idée est en contradiction irréconciliable avec le principe de justice : « Je déteste la démocratie (au moins au sens où on l’entend en France), c’est-à-dire la exaltation de la miséricorde en atteinte à la justice, déni des droits, en un mot l’anti sociabilité. » Le droit de grâce (en dehors du domaine de la théologie) est la négation de la justice : de quel droit peut-on interférer avec l’exécution de la loi ? Mais il ne croit guère à ce principe, auquel il se réfère uniquement pour avoir un point d’appui pour réfuter l’idée de fraternité. C’est du moins ce qu’il dit dans un moment de toute franchise, dans une lettre à un vieux camarade : « La justice humaine me paraît la chose la plus clownesque du monde. Le spectacle d’un homme qui juge son prochain me ferait rire jusqu’à en tomber, s’il n’évoquait une pitié dégoûtante, et si à l’heure actuelle (il étudiait alors les sciences juridiques) je n’étais pas obligé d’étudier le système des absurdités en vertu duquel les gens se considèrent comme juges. Je ne connais rien de plus absurde que le droit, à part peut-être l’étudier« . Dans une autre lettre, il avoue qu’il n’a jamais pu comprendre l’idée abstraite et sèche du devoir et qu’elle « ne lui semble pas inhérente à la nature humaine (ne me paraît pas inhérente aux entrailles humaines). » Il est évident qu’il a aussi peu confiance en la justice qu’en l’idée de fraternité. En substance, il n’a aucun idéal moral.

« Il n’y a pour moi qu’une chose au monde : une belle poésie, un style élégant, harmonieux et mélodieux, des couchers de soleil, des paysages pittoresques, des nuits de lune, des statues anciennes et des profils caractéristiques… Je suis un fataliste, comme un vrai mahométan, et Je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité n’est rien. Quant à ce progrès, mon esprit se refuse à accepter des idées aussi vagues. Toutes sortes de bavardages sur ce sujet m’ennuient énormément… J’ai un profond respect pour l’ancienne tyrannie, car je trouve qu’elle est la plus belle expression de l’humanité qui ait jamais existé ». « Je n’ai pas beaucoup de convictions, écrit-il à George Sand, mais l’une d’elles est inébranlable : c’est la conviction que le nombre, la masse, est toujours constitué d’idiots. Mais il faut respecter la masse, aussi absurde soit-elle, car en elle se trouvent les germes (d’une fécondité incalculable (en français dans le texte)). »

Flaubert tente, en plaisantant, d’opposer la doctrine socialiste à son propre idéal d’un futur système politique. « Le seul résultat raisonnable est un gouvernement composé de mandarins – que seuls ces mandarins aient une certaine connaissance et même, si possible, cela sera significatif. Le peuple restera toujours mineur et occupera toujours la dernière place dans la hiérarchie des groupes sociaux, puisqu’il représente un nombre, une masse, illimitée… Dans cette aristocratie légale, à l’heure actuelle, tout notre salutL’humanité n’a rien de nouveau. Son insignifiance irréparable a rempli mon âme d’amertume même dans ma jeunesse. C’est pourquoi je ne me sens pas déçu maintenant. Je suis convaincu que la foule, le troupeau, sera toujours haï… Jusqu’à ce que le peuple s’incline devant les mandarins, jusqu’à ce que l’Académie des sciences remplace le Pape, toute politique, toute société jusqu’à ses dernières racines, ne seront qu’un recueil d’outrages. mensonges et mensonges (de blagues écœurantes (en français dans le texte))« . Néanmoins, dans le roman « Bouvard et Pécuchet », 1881 (en français et en russe dans le texte, «Бувар и Пекюше»), Flaubert dirige tous ses efforts pour détruire la croyance en l’inviolabilité des principes scientifiques et pour prouver que la science moderne est le même édifice fragile, le même système de contradictions et de superstitions, comme la théologie médiévale. Flaubert, cependant, s’était déjà montré méfiant à l’égard de la science : ainsi, ayant connu le positivisme d’Auguste Comte, il trouva ce système « insupportablement stupide (c’est assommant de bêtise) ».

V

Ainsi, comme nous le voyons, la tentative de Flaubert d’établir une sorte de compromis avec l’humeur dominante de l’époque a échoué. Dans ses discussions sur les questions sociales, une seule chose est sincère : le mépris de la foule. « Peu importe combien vous engraissez la bête humaine, peu importe combien vous dorez son écurie, peu importe la literie douce et luxueuse que vous lui donnez, il restera toujours une bête. Le seul progrès que l’on puisse espérer est de rendre la bête moins sanguinaire. Mais élever le niveau des idées, donner aux masses une idée plus large de Dieu, je doute fort que cela soit possible

Dans une autre lettre, il avoue ouvertement qu’il n’a ni foi, ni principe moral, ni idéal politique, et dans cet aveu jaillissant du plus profond de son cœur, on entend déjà le désespoir : « Je vois à l’heure actuelle aussi peu possibilité d’établir un nouveau principe, ainsi que de respecter les anciennes croyances. Alors je cherche et je ne trouve pas l’idée dont tout le reste devrait dépendre« . Ces quelques mots éclairent le mieux l’ambiance des dernières années de la vie de Flaubert. Auparavant, il avait trouvé cette idée dans l’art ; maintenant il suppose qu’il existe un autre principe, plus élevé, auquel l’art lui-même doit être subordonné, mais il est incapable de trouver ce principe. Il cherche l’oubli dans le travail, mais en sort brisé et encore plus insatisfait. Il est conscient de sa solitude et il est tiré de la contemplation objective vers cette vie incompréhensible dont il nie le sens.

Le drame de sa situation est qu’il se retrouve seul dans un monde étranger. Et peu à peu son désespoir atteint ses dernières limites. «Quand je ne tiens pas de livres dans mes mains ou que j’écris, je suis envahi par une telle mélancolie que je suis prêt à simplement crier», avoue-t-il dans une lettre à George Sand. « Il me semble que je me transforme en animal fossile, en créature privée de tout lien avec l’univers qui l’entoure. » « Un sentiment de destruction universelle, d’agonie m’envahit et je suis mortellement triste. Quand je ne suis pas épuisé par le travail, je suis triste pour moi-même. Personne ne me comprend, j’appartiens à un autre monde. Mes camarades de métier sont si peu nombreux pour moi… Je passe des semaines entières sans échanger un mot avec un seul être humain, et à la fin de la semaine j’ai du mal à me souvenir d’un seul jour, ou d’un seul événement dans tout le temps. Le dimanche, je vois ma mère et ma nièce, c’est tout. Une bande de rats dans le grenier est ma seule compagnie : ils font un sacré bruit au-dessus de moi quand l’eau ne rugit pas et que le vent ne hurle pas. Les nuits sont plus noires que le charbon et un silence sans limites m’entoure, comme dans le désert. Dans un tel environnement, la sensibilité s’aggrave terriblement, le cœur se met à battre pour chaque bagatelle…Je me perds dans les souvenirs de ma jeunesse, comme un vieil homme. Je n’attends plus de la vie que quelques feuilles de papier recouvertes d’encre. Il me semble que je marche dans un désert sans fin, que je vais Dieu sait où, que je suis à la fois un voyageur, un désert et un chameau…Le seul espoir qui me console, c’est que bientôt je dirai au revoir à la vie et, bien sûr, je n’en commencerai pas une autre, ce qui pourrait être encore plus triste… Non, non ! Assez de fatigue !« 

Toutes ses lettres à George Sand sont un martyrologe stupéfiant de la « maladie du génie ». Parfois une plainte naïve lui échappe, et en elle, à travers l’orgueil implacable d’un combattant, on peut sentir quelque chose de doux, de déchiré, comme dans la voix d’un homme trop épuisé. La fureur des ennemis, les calomnies des amis, l’incompréhension des critiques n’offensent plus son orgueil : «Toute cette avalanche d’absurdités ne m’irrite pas, mais elle m’attriste. Il vaudrait quand même mieux inculquer de bons sentiments aux gens.« 

Finalement, sa dernière consolation – l’art – le trahit. « Je regroupe mes forces en vain, mais le travail ne va pas, ne va vraiment pasTout me tourmente et m’irrite. En public, je me retiens encore, mais parfois en privé, j’éclate en larmes si convulsives et si folles que je crois que j’en mourrai ». Dans ses années de déclin, où il est impossible de revenir vers le passé, où il est impossible de corriger la vie, il se pose la question : et si la beauté, au nom de laquelle il a détruit la foi en Dieu, dans la vie, en l’humanité, était le même fantôme, une tromperie, comme tout le monde ? Et si cet art, pour lequel il a donné sa jeunesse, son bonheur, son amour, le trahissait au bord de sa tombe ?

« L’ombre m’embrasse« , dit-il en sentant la mort. Cette exclamation est semblable au cri d’angoisse sans bornes qu’échappa avant la mort d’un autre artiste, le frère de Flaubert dans l’idéal, la souffrance et le génie, Michel-Ange :

Io parto a mano, a mano,
Crescemi ognor più l’ombra,
l’e sol vien manco,
E son presso al cadere, infermo e stanco
Je pars peu à peu…
Les ombres grandissent,
Le soleil s’éclipse.
Et je suis prêt à tomber, épuisé. (6)

La mort le trouva à son bureau, aussi se produit qu’un coup de tonnerre. Lâchant la plume de ses mains, il tomba sans vie, tué par sa grande et unique passion : l’amour de l’art.

Platon, dans l’un de ses mythes (7), raconte les âmes des gens sur des chars, sur des chevaux ailés, errants dans la voûte céleste ; comment certaines parviennent pendant une courte période à s’approcher du lieu d’où est visible la région des Idées ; elles scrutent avidement, et quelques rayons de lumière isolés les pénètrent profondément. Puis, lorsque ces âmes s’incarnent pour souffrir sur terre, tout ce qu’il y a de meilleur dans le cœur humain les excite comme un reflet de lumière éternelle, comme un vague souvenir d’un autre monde dans lequel elles ont réussi à regarder un instant.

Un rayon de beauté trop éclatant a dû pénétrer dans l’âme de Flaubert dans le brillant royaume des Idées.

**

Notes


(1)
Discussion entre Lucien de Rubempré Claude Vignon à la fin de la deuxième partie des Illusions Perdues – Honoré de Balzac, Un grand homme de province à Paris, Illusions perdues, Vve A. Houssiaux, 1874 (p. 119-393)


(2)
Sur Laocoon et ses deux fils
« Laocoon, que le sort avait fait grand prêtre de Neptune, immolait en ce jour solennel un taureau sur l’autel du dieu. Voilà que deux serpents (j’en tremble encore d’horreur), sortis de Tenédos par un calme profond, s’allongent sur les flots, et, déroulant leurs anneaux immenses, s’avancent ensemble vers le rivage. Le cou dressé, et levant une crête sanglante au-dessus des vagues, ils les dominent de leur tête superbe : le reste de leur corps se traîne sur les eaux, et leur croupe immense se recourbe en replis tortueux. Un bruit perçant se fait entendre sur la mer écumante : déjà ils avaient pris terre ; les yeux ardents et pleins de sang et de flammes, ils agitaient dans leur gueule béante les dards sifflants de leur langue. Pâles de frayeur, nous fuyons çà et là ; mais eux, rampant de front, vont droit au grand prêtre : et d’abord ils se jettent sur ses deux enfants, les enlacent, les étreignent, et de leurs dents rongent leurs faibles membres. Armé d’un trait, leur père vient à leur secours ; il est saisi par les deux serpents, qui le lient dans d’épouvantables nœuds : deux fois ils l’ont embrassé par le milieu, deux fois ils ont roulé leurs dos écaillés autour de son cou ; ils dépassent encore son front de leurs têtes et de leurs crêtes altières. Lui, dégouttant de sang et souillé de noirs poisons, roidit ses mains pour se dégager de ces nœuds invincibles, et pousse vers le ciel des cris affreux. Ainsi mugit un taureau, quand, blessé devant l’autel par un bras mal assuré, il fuit, et a secoué la hache tombée de sa tête. Mais les deux dragons, glissant sur leurs écailles, s’échappent vers le temple de la terrible Pallas, gagnent la citadelle, et là se cachent sous les pieds de la déesse et sous son bouclier… »
Virgile – L’Énéide
Traduction par Charles Nisard.
Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus – Œuvres complètes, Firmin Didot, 1868 (p. 245-262).

(3)
Deux livres édités sous le titre « Correspondance »
La Première Série pour les correspondances de 1830 à 1850
La Deuxième série pour celles de 1850 à 1854.
Paris, G. Charpentier et Cie, 1887


(4)
Correspondance, 29 août 1834 ; « En voilà un qui n’a pas attendu pour maudire la vie ! C’est déjà le thème auquel Flaubert reviendra sans cesse dans ses lettres familières, — si familières ! — et qu’il reprendra en cent façons au cours de toute son œuvre. A défaut de Cardenio et de la reine de France du XVe siècle, on a retrouvé une Mort du duc d’Enghien qui date de 1835. Ce récit en dix pages est le plus ancien écrit de Flaubert. Puis voici Deux mains sur une couronne ou Pendant le XVe siècle, épisode du règne de Charles VI. Il est permis de ne voir dans ces compositions d’histoire qu’un prolongement des exercices scolaires du collégien. Mais la note est plus originale dans Un parfum à sentir ou les Baladins, conte philosophique, moral ou immoral ad libitum. Le jeune auteur dépeint la misère de la vie des saltimbanques, déplore la cruauté de la société, prend parti pour les parias. La Peste à Florence et Bibliomanie, sujets lugubres et terribles, attestent l’influence d’Hoffmann. Le genre fantastique et macabre se continue par Rage et impuissance qui met en scène un homme enterré vivant, La dernière heure qui est celle d’un jeune homme à l’instant de se tuer, le Rêve d’enfer, la Danse des morts. Voilà, au témoignage de M. E. W. Fischer, le Flaubert des débuts. « Ce sont la mort, le suicide, la fin de la vie sous des circonstances affreuses et ridiculement grotesques, la détresse, la haine, les crimes, la folie, qu’il traite de préférence. C’est presque toujours un avortement de l’individu, jamais un essor, quelque chose qui monte, qui s’épanouit, qui jouit…. » (René Doumic – Revue littéraire – Les Premiers écrits de Flaubert – Revue des Deux Mondes, 5e période, tome 51, 1909 (p. 446-457)).

(5)
Vers issus du poème d’Alexandre Pouchkine
« Под небом голубым страны своей родной…
Sous le ciel azuré de sa terre natale
… »
Poème de 1826 (25-31 juillet 1826).

(6)
Poème de Michel-Ange « Oimè, oimè, che pur pensando » (Michelangelo Buonarroti)
« OIMÈ, oimè. che pur pensando
Agli anni corsi, lasso non ritrovo
Fra tanti un giorno che sia stato mio!
Le fallaci speranze e ’l van disio,
Piangendo, amando, ardendo e sospirando
— Chè affetto alcun mortal non m’è più novo —
M’hanno tenuto, ora il conosco e provo,
E dal vero e dal ben sempre lontano.
Io parto, a mano a mano
Crescemi ognor più l’ombra, e ’l sol vien manco,
E son presso al cadere, infermo e stanco. »

(7)
Phèdre
« Parmi les autres âmes, celle qui suit le mieux les âmes divines, et qui leur ressemble le plus, élève la tête de son cocher au-dessus des régions supérieures, et les parcourt ainsi emportée par le mouvement circulaire ; mais en même temps troublée par ses coursiers, elle a beaucoup de peine à contempler les essences. Une autre tantôt s’élève et tantôt s’abaisse ; la fougue irrégulière de ses coursiers leur fait apercevoir certaines essences, mais l’empêche de les contempler toutes. Les dernières suivent de loin, brûlant du désir de contempler la région supérieure du ciel, mais ne pouvant y atteindre ; le mouvement circulaire les emporte dans l’espace inférieur ; elles se renversent, se précipitent l’une sur l’autre pour tâcher de se devancer ; on se presse, on combat, on sue, et par la maladresse des cochers, beaucoup de ces âmes sont estropiées, beaucoup d’autres perdent une grande partie des plumes de leurs ailes, et toutes, après de pénibles et inutiles efforts, s’en vont frustrées de la vue de l’être, et se repaissent de conjectures pour tout aliment. La cause de leur empressement à voir où est la plaine de la vérité, c’est que l’aliment convenable à la partie la meilleure de l’âme se trouve dans les prairies fertiles renfermées dans l’enceinte de cette plaine, et que la nature des ailes qui portent l’âme s’en nourrit… »
Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome sixième
PHÈDRE, OU DE LA BEAUTÉ.


ENTHOUSIASME DE LA HAINE -Poème de Miguel Hernández – Entusiasmo del odio – 1938/1941

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Miguel Hernández
(30 octobre 1910 Orihuela, province d’Alicante – 28 mars 1942 Alicante)
(Orihuela, 30 de octubre de 1910-Alicante, 28 de marzo de 1942)

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TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

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Cancionero y romancero de ausencias
1938-1941


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ENTUSIASMO DEL ODIO
ENTHOUSIASME DE LA HAINE

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Francisco de Goya, La Procession à l’ermitage Saint-Isidore,1819-1823 (détail)

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Entusiasmo del odio,
Enthousiasme de la haine
ojos del mal querer.
volonté des yeux du mal.
Turbio es el hombre,
Nuageux est l’homme
turbia la mujer.
nuageuse est la femme.

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POEMES DE MIGUEL HERNANDEZ
POEMAS DE MIGUEL HERNANDEZ

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TON VENTRE -Poème de Miguel Hernández – Menos tu vientre – 1938/1941

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Miguel Hernández
(30 octobre 1910 Orihuela, province d’Alicante – 28 mars 1942 Alicante)
(Orihuela, 30 de octubre de 1910-Alicante, 28 de marzo de 1942)

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TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

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Cancionero y romancero de ausencias
1938-1941


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MENOS TU VIENTRE
TON VENTRE


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Francisco de Goya, La Maja desnuda, 1790-1800



Menos tu vientre,
En dehors de ton ventre,
todo es confuso.
tout est confusion.
Menos tu vientre,
En dehors de ton ventre,
todo es futuro
tout est futur…



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POEMES DE MIGUEL HERNANDEZ
POEMAS DE MIGUEL HERNANDEZ

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L’OLIVIER – Sonnet de Miguel Hernández – SONREÍR CON LA ALEGRE TRISTEZA DEL OLIVO

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Miguel Hernández
(30 octobre 1910 Orihuela, province d’Alicante – 28 mars 1942 Alicante)
(Orihuela, 30 de octubre de 1910-Alicante, 28 de marzo de 1942)

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POEMAS ÚLTIMOS
(1939-1941?)

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TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

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SONREÍR CON LA ALEGRE TRISTEZA DEL OLIVO
L’OLIVIER


SONETO- SONNET

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Ramón CasasFlores deshojadas – 1894

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Sonreír con la alegre tristeza del olivo.
Sourire semblable à la tristesse joyeuse de l’olivier.
Esperar. No cansarse de esperar la alegría.
Attendre. Ne jamais se fatiguer d’attendre la joie.
Sonriamos. Doremos la luz de cada día
Sourions. Nous allumerons la lumière de chaque jour…

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POEMES DE MIGUEL HERNANDEZ
POEMAS DE MIGUEL HERNANDEZ

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LATIFF MOHIDIN KERIS (KRISS) KUALA LUMPUR 1987 MENARA MAYBANK

‘Keris’ arca yang telah dihasilkan oleh Lattif Mohidin

Malaysia
Voyage en Malaisie
PHOTO JACKY LAVAUZELLE




 

 

LATIFF MOHIDIN
KERIS
1987


 Visiter Kuala Lumpur
Meneroka kota Kuala Lumpur
Melawat Kuala Lumpur
吉隆坡
Куала-Лумпур

 

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LATIFF MOHIDIN
KERIS
KRISS
1987

Pengarca – Sculpteur – Sculptor
Ecrivain et Peintre

Né le 20 août 1941 à Seremban
20 Ogos 1941 di Seremban

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Année – Year – Tahun 1987
Hauteur – Height – Tinggi 17 m
Poids – Weight – Berat 2024kg
Métal inoxydable – Stainless metal – Keluli Berkilat
Fabrique – Fabricator – Fabrikator Tajima Metalwork

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Le sculpteur Latiff Mohidin a travaillé l’espace d’une manière remarquable. Il s’est intégré totalement dans le décor de la modernité de la ville de Kuala Lumpur en habillant de son Kriss/Keris traditionnel une des tours les plus emblématiques de Kuala Lumpur : la MayBank, reconnaissable de très loin, posée entre la modernité des quartiers d’affaires et ChinaTown.

Mais la sculpture ne s’offre pas ainsi au passant. Il faut rentrer dans les jardins de la MayBank où nous attendent de multiples restaurants d’entreprise dans un cadre de verdure et de tranquillité propice à la pause méridienne des secrétaires, des comptables et commerciaux.

Latiff Mohidin a marié ce métal inoxydable avec la brillance de la tour et ainsi personnifie la Menara Maybank comme un chevalier ou noble Malais qui porterait à la ceinture son Keris / Kriss traditionnel.

Le pourpoint du guerrier vient moins rappeler le côté combattant que l’esprit de la tradition. Il glorifie la Menara, la sacralise en sorte et donne un prestige à l’ensemble.

Cette fusion dans ce cœur de la ville, dans l’écrin de verdure ne donne pas son sens non plus dans l’immédiateté. Cette tour ressemble plus à une Tour Eiffel quand on l’aborde la première fois. Mais le Kriss/Keris n’est plus une arme depuis longtemps mais un des symboles fondamentaux de la culture et de la vie Malaise.

En ce sens son œuvre se pose en une structure classique, c’est-à-dire globalisante, assertive, une somme en somme. Il interprète l’objet dans un esprit de totalité : modernité et tradition, symbole et concept, légèreté et massification, fonctionnalité de la tour et esthétisme de la sculpture, identité nationale et mondialisation, lignes courbes et lignes droites, la souplesse et la rigidité…

Charles Baudelaire précisait que “La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien.” (Le Peintre de la vie moderne). Latiff Mohidin, en intégrant tant d’éléments qui constituent en partie l’âme Malaise, dans cette voie largement ouverte sur la modernité, dans ce respect profond et sincère de la tradition, construit ce pont vers l’éternel et l’immuable.

Jacky Lavauzelle

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« This sculpture inspired by Malay Keris symbolises the fusion of tradition, strengh and vitality which are reflected in Menara Maybank. »
« Arca yang diilhamkan dari keris ini melambangkan gabunkan unsur tradisional, kekuatan dan daya hidup sepertimana tercemin di Menara Maybank. »
« Cette sculpture inspirée du Kriss Malay symbolise la fusion de la tradition, de la force et de la vitalité qui se reflètent dans la Tour  Maybank ».

    

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LATIFF MOHIDIN

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Markus Lüpertz JUDITH BILBAO

Markus Lüpertz JUDITH BILBAO
markus-lupertz-judith-bilbao-espagne-artgitato-2

« Mais Judith reste là, l’épiant en silence,
Ecoutant s’affaiblir les élans de ce cœur ;
Elle est là, se courbant jusqu’au lit du vainqueur,
La main droite crispée au cuivre de sa lance. »
Jean Bertheroy – Judith

 Markus Lüpertz JUDITH BILBAO

Euskal Herria






Pays Basque
EUSKADI

BILBAO
毕尔巴鄂
ビルバオ
билбао
——

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Photos Jacky Lavauzelle




Estatua Statue 雕像 статуя 彫像

Judith
Markus Lüpertz
1995

Paseo de la Memoria
Oroitzapenaren Ibilbidea
Route de la Mémoire
Parque de Ribera
Bilbao

Bronce modelado
Bronze

markus-lupertz-judith-bilbao-espagne-artgitato-1

« Ce n’est plus cette femme ondoyante et soumise
Qui se pâmait aux bras de son maître d’un jour ;
C’est l’héroïne au sein glacial, sans amour,
Méditant avec Dieu la vengeance promise  »
Jean Bertheroy – Judith

markus-lupertz-judith-bilbao-espagne-artgitato-3

« Il la voit maintenant, debout, près de sa couche,
Telle qu’elle accourut des hauteurs du Liban :
Les cheveux dénoués, le front ceint du turban,
Belle d’une beauté surprenante et farouche « 
Jean Bertheroy – Judith

markus-lupertz-judith-bilbao-espagne-artgitato-2

« Elle a gagné le faîte ; et dominant la ville,
Les temples, les palais qui sommeillent sans bruit,
Dans la vapeur sereine et pâle de la nuit
Son corps drapé de blanc nettement se profile. »
Jean Bertheroy – Judith

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Markus Lüpertz
né le 25 avril 1941 à Reichenberg – Liberec
jaio April 25, 1941 Reichenberg-Liberec hasi
Nacido el 25 de abril de 1941 en Reichenberg – Liberec

 

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Markus Lüpertz JUDITH BILBAO

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Poème de Jean Bertheroy
Judith

I

Sous le haut pavillon tendu d’or et de soies,
Dont l’éclat à son front jette un reflet vermeil,
Holopherne, dormant d’un fébrile sommeil,
Rêve à l’heure passée en d’accablantes joies.

Sur son lit large et bas, son corps aux tons bronzés
Repose maintenant dans la paix de sa force
Et ses muscles, saillant aux contours nus du torse,
Vibrent au souvenir des transports apaisés.

Lui que, jusqu’à ce jour, les filles d’Hyrcanie
Ont vainement bercé de leur lente chanson,
Pour la première fois a connu le frisson,
Le long frisson d’amour et l’extase infinie,

Aussi comme il frémit, le rude Assyrien !
Un soupir, par instans, soulève sa poitrine,
Et sa lèvre, où se joue une ombre purpurine,
Sourit à la clarté du songe aérien.

Loin, bien loin, par-delà les tremblantes étoiles,
Par-delà les flots verts des océans sans fond,
Il rêve de voguer dans cet azur profond
Dont la main d’une femme a déchiré les voiles ;

Il rêve… et sur sa chair il croit sentir encor,
Dans l’engourdissement des pesantes ivresses,
Voltiger les baisers et courir les caresses
De la Juive, — qu’encadre un triomphant décor.

Il la voit maintenant, debout, près de sa couche,
Telle qu’elle accourut des hauteurs du Liban :
Les cheveux dénoués, le front ceint du turban,
Belle d’une beauté surprenante et farouche ;

Son bras, pour la saisir, se tend avec effort ;
Un souffle parfumé vient effleurer sa face…
Enfin la vision se confond et s’efface,
Et d’un sommeil plus lourd, Holopherne s’endort.

II

Mais Judith reste là, l’épiant en silence,
Ecoutant s’affaiblir les élans de ce cœur ;
Elle est là, se courbant jusqu’au lit du vainqueur,
La main droite crispée au cuivre de sa lance.

Son regard inquiet, se voilant à demi,
S’arrête sur le front du soldat qui repose :
L’amour lui fait un nimbe ardent d’apothéose ;
Et surprise, Judith songe à son ennemi ;

Pendant quelques instans, morne, elle le contemple.
— Qu’il est tranquille et beau ! — Dans le calme du soir
Il dort ; — et sur lui flotte un parfum d’encensoir
Comme sur la victime au pronaos du temple.

— Adonaï le veut ! « Pour sauver Israël
Tu répandras le sang, fécondante rosée. »
Et froidement sur lui son arme s’est posée
Interrogeant la mort en un défi cruel.

Ce n’est plus cette femme ondoyante et soumise
Qui se pâmait aux bras de son maître d’un jour ;
C’est l’héroïne au sein glacial, sans amour,
Méditant avec Dieu la vengeance promise ;

Dans le marbre luisant ses membres sont sculptés.
Telle qu’une hautaine et mouvante statue,
Elle semble évoquer l’Esprit maudit qui tue
Et les démons épais des sombres voluptés.

Aux veines où sa vie étroitement s’infiltre
A-t-elle assez versé le magique poison ? ..
Et dans les baisers lents qui troublent la raison
A-t-elle assez offert son âme comme un philtre ? ..

— Oui, sans doute, — il est temps d’agir ; — d’un geste court,
Saisissant les cheveux d’Holopherne, elle frappe ;
Un flot rouge l’aveugle ; et le corps du satrape
Vient rouler à ses pieds avec un écho sourd.

III

Promptement, à travers les plaines, elle emporte
Le ruisselant trophée enfoui dans son sein.
Il faut, pour consommer son tragique dessein,
Rentrer à Béthulie : « Ouvrez, ouvrez la porte !

« Le dieu que nous servons, le grand dieu Jéhova
« A, cette fois encor, manifesté sa gloire :
« Aux enfans d’Abraham il donne la victoire ;
« Contre ses ennemis sa Droite se leva.

« Or, pour vous assurer le jour des représailles,
« Voici que j’ai conquis un précieux butin :
« Demain, les fils d’Assur, dans les feux du matin,
« Verront pendre une tête aux créneaux des murailles.

— Et rapide, passant devant les chefs anciens,
Les bras serrés au cœur, impassible prêtresse,
Seule, elle va gravir la haute forteresse ;
D’en bas tous les regards sont suspendus aux siens.

Elle a gagné le faîte ; et dominant la ville,
Les temples, les palais qui sommeillent sans bruit,
Dans la vapeur sereine et pâle de la nuit
Son corps drapé de blanc nettement se profile.

Et déjà ses deux mains ont fixé sans trembler
A la tige de fer la dépouille sanglante.
Mais horreur ! elle croit entendre une voix lente,
Comme un râle de mort par son nom l’appeler.

Est-ce un rêve ? ô seigneur d’Israël, est-ce un rêve ? ..
La tête se retourne et parle en frissonnant ; —
Dans l’orbite les yeux se meuvent, maintenant ;
En un rictus amer la bouche se relève.

Holopherne s’éveille : au fond de son cerveau
Palpitent les derniers battemens de la vie ;
Et la voix dit : « Ma soif ne s’est pas assouvie ;
Juive, de ton baiser endors-moi de nouveau. »

Alors, obéissant à ce vouloir suprême,
Inconsciente, ainsi qu’un fantôme hagard,
On crut voir sous le ciel la fille de Mérar
Aux lèvres de l’époux coller sa lèvre blême.

Jean Bertheroy
Judith
Revue des Deux Mondes
3e période, tome 97
1890 pp. 463-466

Eckhard Schembs die Ziege La Chèvre Ladenburg

Allemagne
Deutschland
Германия – 德国 – ドイツ

LADENBURG
Altstadt

Eckhard Schembs

 

—-
Sculptures Allemandes
Deutsch Bildhauer
Eckhard Schembs

né en 1941

——

 

 

Photo Jacky Lavauzelle

*

 


die Ziege
La Chèvre
Eckhard Schembs

 

Eckhard Schembs die ziege la chevre ladenburg artgitato (1) Eckhard Schembs die ziege la chevre ladenburg artgitato (2)


LA CHÈVRE

Ma bonne chèvre limousine,
Gentille bête à l’œil humain,
J’aime à te voir sur mon chemin,
Loin de la gare et de l’usine.

Toi que la barbe encapucine,
Tu gambades comme un gamin,
Ma bonne chèvre limousine,
Gentille bête à l’œil humain.

 Je vais à la ferme voisine,
Mais je te jure que demain
Tu viendras croquer dans ma main
Du sucre et du sel de cuisine,
Ma bonne chèvre limousine.

Maurice Rollinat
Dans les brandes, poèmes et rondels
Charpentier, 1883
pp. 202-203
LXVII – La chèvre

********

LA CHÈVRE ET L’ÂNE

Un homme nourrissait une chèvre et un âne. Or la chèvre devint envieuse de l’âne, parce qu’il était trop bien nourri. Et elle lui dit : « Entre la meule à tourner et les fardeaux à porter, ta vie est un tourment sans fin, » et elle lui conseillait de simuler l’épilepsie, et de se laisser tomber dans un trou pour avoir du repos. Il suivit le conseil, se laissa tomber et se froissa tout le corps. Son maître ayant fait venir le vétérinaire, lui demanda un remède pour le blessé. Le vétérinaire lui prescrivit d’infuser le poumon d’une chèvre ; ce remède lui rendrait la santé. En conséquence on immola la chèvre pour guérir l’âne.

Quiconque machine des fourberies contre autrui devient le premier artisan de son malheur.

Fables d’Ésope
Traduction d’Émile Chambry

Gernot Rumpf – Heidelberger Brückenaffe- Affe Skulptur – Affe an der alten Brücke – Le Singe du Vieux-Pont- Heidelberg – 海德堡 – 1979

Allemagne
Deutschland
Германия – 德国 – ドイツ

Heidelberg
海德堡 – ハイデルベルク

Affe Skulptur
Heidelberger Brückenaffe
Alte Brücke – Le Vieux Pont

—-
Sculptures Allemandes
Deutsch Skulpturen
Gernot Rumpf

né le 17 avril 1941 à Kaiserslautern
17 April 1941

 

——

 

 

Photo Jacky Lavauzelle

*

 


Heidelberger Brückenaffe
Affe
Skulptur
Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux Pont
Affe mit Spiegel, Gedicht und zwei Mäusen
Le Singe au miroir, la Poésie et les deux Souris
1979

Gernot Rumpf

Heidelberger Brückenaffe

Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (1) Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (2)

Texte de
Martin Zeiller
Martin Zeiller17 Avril 1589-6 Octobre, 1661
17 avril 1589-6 octobre 1661

Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (4)

« Was thustu
Mich hie angaffen?
 Hastu nicht gesehen
Den alten Affen
 Zu Heydelberg
Sich dich hin unnd her 
 Da findestu wol
Meines gleichen mehr »

Martin Zeiller
Werk Itinerarium Germaniae
1632

Que faites-vous
Ebahis ainsi devant moi ?
N’avez-vous pas vu
Le vieux singe
de Heidelberg
Regardez ici et là
Vous trouverez bien
de fortes ressemblances

Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (5)

La main droite forme avec ses doigts le symbole qui doit combattre le mauvais œil
L’index et l’auriculaire sont tendus
Position appelée le Signe des Cornes ou les Cornes du Diable 

Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (7) Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (8) Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (9)

Zwei kleine Mausfiguren erinnern an das kurfürstliche Kornhaus
Deux petites souris se trouvent à la gauche du chat à l’endroit où se trouvait l’ancienne halle aux grains

Gernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (10)

La tête du singe est creuse
Elle permet a chacun de l’utiliser comme un masque grecque à la LeonidasGernot Rumpf Heidelberger Brückenaffe Affe Skulptur Affe an der alten Brücke Le Singe du Vieux-Pont Heidelberg Artgitato (11)

Heidelberger Brückenaffe

Kurt Gebauer – Mozart – Zelný trh v Brně- Brno

TCHEQUIE
Česká republika
捷克共和国
République tchèque
BRNO

—-
Sculptures Tchèques
Kurt Gebauer
Mozart – Zelný trh v Brně- Brno

 

——

 

 

Photo Jacky Lavauzelle

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Zelný trh
Marché aux Légumes
Vegetable Market
kapucínské náměstí

Mozart
Mozart au piano
Mozart on a piano
2006-2007
Kurt Gebauer

Divadlo Reduta
Theâtre de Brno

Kurt Gebauer
18. srpna 1941 Hradec nad Moravicí
Né le 18 août 1941 à Hradec nad Moravicí

 

Kurt Gebauer - Mozart - Zelný trh v Brne- Brno Artgitato 2 Kurt Gebauer - Mozart - Zelný trh v Brne- Brno Artgitato

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MOZART & SALIERI
PAR POUCHKINE

 Par une persévérance obstinée, pleine d’efforts, j’atteignis enfin un haut degré dans l’art infini. La gloire vint me sourire. Je trouvai dans le cœur des hommes un écho à mes créations. J’étais heureux ; je jouissais paisiblement de mes travaux, de mes succès, de ma gloire, ainsi que des travaux et des succès de mes amis, de mes compagnons dans l’art éternel. Non, jamais je n’avais connu l’envie, jamais ; ni lorsque Piccini sut enchanter l’oreille des sauvages Parisiens, ni même quand j’entendis les premiers accents de l’Iphigénie. Qui aurait pu dire que le fier Salieri deviendrait un misérable envieux, un serpent foulé aux pieds, qui, dans son abaissement, n’a plus de force que pour mordre la poussière et le sable ? Personne… Et maintenant, c’est moi-même qui le dis, je suis un envieux ; oui, j’envie profondément, cruellement. O ciel ! où donc est ta justice, quand le don sacré, le génie immortel, n’est pas envoyé en récompense de l’amour brûlant, de l’abnégation, du travail, de la patience, des supplications enfin, mais quand il illumine le front d’un viveur insouciant ! O Mozart ! Mozart !… (Entre Mozart.)

je suis choisi pour l’arrêter. Sans cela nous sommes tous perdus, nous les prêtres de la musique, non pas moi seulement avec ma sourde renommée. À quoi peut-il servir que Mozart vive encore, et atteigne des hauteurs nouvelles ? Élèvera-t-il par là notre art ? Non, l’art tombera dès que Mozart aura disparu sans laisser d’héritier. Comme un chérubin, il nous aura apporté quelques chants du paradis, pour, après avoir ému en nous, fils de la poussière, le désir sans ailes, s’envoler de nouveau. Envole-toi donc… plus tôt ce sera, et mieux ce sera…
Voici ce poison, dernier présent de mon Isaure. Il y a dix-huit ans que je le porte constamment sur moi. Et bien souvent, depuis cette époque, la vie m’a paru comme une plaie insupportable ; et bien souvent je me suis assis à la même table avec un ennemi sans défiance. Mais jamais je ne me suis laissé aller aux murmures de la tentation, quoique je ne sois pas un lâche, quoique je ressente profondément toute offense, quoique j’estime peu la vie. J’hésitais toujours. Quand la soif de la mort venait me prendre : mourir, me disais-je ! mais peut-être la vie m’apportera des dons inattendus ; peut-être l’enthousiasme viendra me visiter ; une nuit créatrice et l’inspiration… peut-être un nouveau Haydn fera-t-il quelque chose de grand, et j’en jouirai. Ou bien, quand j’étais assis dans un repas avec un convive détesté : peut-être, me disais-je, trouverai-je un ennemi encore plus mortel ; peut-être une offense viendra fondre sur moi d’une hauteur plus orgueilleuse… En ce cas, tu ne te perdras pas en vain, présent de mon Isaure. Et j’avais raison, j’ai trouvé enfin l’ennemi auquel je ne puis pardonner. Un bien autre que Haydn m’a abreuvé de jouissances ineffables. Il est temps. Dernier legs de l’amour, passe aujourd’hui dans la coupe de l’amitié !

Alexandre Pouchkine
Poèmes dramatiques
Traduction par Ivan Tourgueniev et Louis Viardot.
 Hachette, 1862
1, pp. 180-195
Mozart et Salieri

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Kurt Gebauer – Mozart – Zelný trh v Brně- Brno

I mörkret Karin BOYE Traduction du poème Suèdois DANS L’OBSCURITE

Dikter av Karin Boye

Traduction – Texte Bilingue
Karin Boye dikter
Boye poet
I mörkret BOYE Poesi
DANS L’OBSCURITE Karin Boye Poésie


LITTERATURE SUEDOISE
POESIE SUEDOISE

svensk litteratur
svensk poesi

KARIN BOYE
1900-1941

Traduction Jacky Lavauzelle


I mörkret

Dans l’Obscurite

I mörkret ligger jag och hör,
Dans l’obscurité, je me couche et j’entends,
hur klockor dånar utanför
le son des cloches
med långa, tunga, jämna slag,
avec de longues, de lourdes, de régulières ondes,
som mörkrets djupa andetag.
comme la profonde respiration des ténèbres.

*

De dövar allt och söver allt
Qui amortit tout et assoupit tout
och löser tingens dimgestalt
et résout les choses imbriquées
i långa, tunga, jämna dån,
dans de longs, de lourds, de réguliers rugissements ;
 som tanken aldrig lossnar från.
dont la pensée ne se détache plus.

*

Jag är bland dem som knappast finns
Je suis parmi eux à peine
och bara vet och bara minns
et il me suffit de savoir et de me rappeler seulement
det gamla mörkrets hjärteslag,
le battement de cœur de l’ancienne ombre,
som väntar ingen morgondag.
n’attendant pas de lendemain.

*

som fruktar ingen morgondag.
et ne craignant pas le lendemain.

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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I mörkret Karin Boye
Dans l’Obscurité Karin Boye