Archives par mot-clé : 1925

LA POÉSIE RUSSE – LA LITTÉRATURE RUSSE

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Traduction Russe Jacky Lavauzelle
Жаки Лавозель
ARTGITATO
Французский перевод текстов на русском языке
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Traductions Artgitato Français Portugais Latin Tchèque Allemand Espagnol

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TRADUCTION RUSSE

Французский перевод текстов на русском языке

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 Анна Ахматова
Anna Akhmatova

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Innokenti Annenski
Иннокентий Анненский
La Poésie d’Innokenti Annenski
Поэзия Иннокенти Анненски

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Alexandre Blok
Алекса́ндр Алекса́ндрович Блок

LA POÉSIE DE BLOK

Les poèmes et les correspondances de Blok
de 1898 à 1921

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VALÉRI BRIOUSSOV
ВАЛЕРИЙ БРЮСОВ 

LA POÉSIE DE VALÉRI BRIOUSSOV
ВАЛЕРИЙ БРЮСОВ
СТИХИ

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Prince Alexandre Chakhovskoy

Le Cosaque poète
Saint-Pétersbourg – 1812

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Gavrila Derjavine

Le Fleuve du temps
РЕКА ВРЕМЁН В СВОЁМ СТРЕМЛЕНЬИ…
1816

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Sergueï Essénine
Сергей Александрович Есенин

LA POESIE de Sergueï Essénine
поэзия есенина  

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AFANASSI FET
Афана́сий Афана́сьевич Шенши́н

LA POÉSIE D’AFANASSI FET 
Поэзия Афанасси Фета 

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ZINAÏDA HIPPIUS
Зинаи́да Никола́евна Ги́ппиус

Poésie de Zinaïda Hippius
Поэзия Зинаиды Гиппиус

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VIATCHESLAV IVANOV
Вячеслав Иванович Иванов

LA POÉSIE DE VIATCHESLAV IVANOV
ПОЭЗИЯ ВЯЧЕСЛАВА ИВАНОВА

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VLADISLAV KHODASSEVITCH
VLADISLAV KHODASEVICH
ПОЭЗИЯ ВЛАДИСЛАВА ХОДАССЕВИЧА

Poésie

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Mikhaïl Kouzmine
Михаи́л Алексе́евич Кузми́н

Poésie- Poèmes

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Ivan Krylov

le Magasin à la mode

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Mikhaïl LERMONTOV
Михаил Юрьевич Лермонтов

La Poésie de Lermontov
Стихи Лермонтова

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Mirra Lokhvitskaïa
Мирра Лохвицкая

Poésie de Mirra Lokhvitskaïa
Поэзия Мирры Лохвицкой

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Vladimir Maïakovski
Владимир Владимирович Маяковский

Poèmes
Поэмы

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Ossip Mandelstam
О́сип Эми́льевич Мандельшта́м

Poésie de Ossip Mandelstam
Поэзии Осип Мандельштам





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B Okoudjava & V Kikabidze

  LES PEPINS DE RAISIN
Виноградную косточку

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Caroline Pavlova
Кароли́на Ка́рловна Па́влова

Poésie

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Sophia Parnok
Поэзия офии Парнок

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CAROLINE PAVLOVA

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Alexandre Pouchkine
Александр Сергеевич Пушкин

Poésie – Поэзия А. С. Пушкина
poemes-de-alexandre-pouchkine-artgitatopushkin-alexander

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Constantin SLOUTCHEVSKI 
Константин Константинович Случевский
Poèmes 

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 Anton Tchekhov
Антон Павлович Чехов

Les pièces de Théâtre – Театр

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Fiodor Tiouttchev
Федор Тютчев

La poésie de Fiodor Tiouttchev
стихи федор тютчев

Fiodor Tiouttchev Poèmes Poésie Artgitato Les poèmes de Fiodor Tiouttchev

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Ivan Tourgueniev
Иван Сергеевич Тургенев

Собака – Mon Chien (février 1878)
русский язык – La Langue Russe (juin 1882)

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Marina Tsvétaïéva
Марина Ивановна Цветаева

Poésie de Marina Tsvétaïéva
Поэзия Марины Чветаевой

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Vladimir Vyssotski
Владимир Семёнович Высоцкий

Les Coupoles – Купола

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Boulat Okoudjova
Булат Шалвович Окуджава

Tant que la terre continue de tourner

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Vladislav Ozerov
Владислав Александрович Озеров

Fingal
Tragédie en trois actes
1805

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 Denis Fonvizine
Денис Иванович Фонвизин

Le Dadais ou l’Enfant gâté
1782

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Французский перевод текстов на русском языке

TRADUCTION RUSSE

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DE L’ART DE TRADUIRE LE RUSSE

Je viens d’indiquer la double valeur des écrits de Pouchkine : l’auteur de Poltava a renouvelé, comme prosateur, la langue russe, en même temps qu’il ouvrait à ses contemporains, comme poète, des sources nouvelles d’inspiration. On sait aussi quel accueil la Russie a fait à cet interprète de la pensée nationale. Quant à l’Europe, il faut le dire, elle est restée trop indifférente au rôle que Pouchkine a joué dans son pays. La France surtout n’a eu longtemps qu’une idée vague de ce grand mouvement littéraire commencé et dirigé par un seul homme. Ici même cependant, une étude biographique sur Pouchkine avait déjà indiqué l’importance de ses travaux. Pendant longtemps, on a pu s’étonner qu’une plume française ne cherchât point à le traduire. Aujourd’hui cette tâche a été abordée ; mais peut-on la regarder comme remplie ? L’auteur de la traduction française de Pouchkine qui vient d’être publiée n’a point paru se douter des difficultés que présentait un pareil travail. Il y avait là des écueils et des obstacles qui imposaient au traducteur un redoublement d’efforts. L’art de traduire, surtout lorsqu’il s’applique à la poésie, suppose une sorte d’initiation qui ne s’achète qu’au prix de veilles laborieuses. Les vulgaires esprits seuls peuvent s’imaginer qu’il suffit, pour traduire un poète, de rendre ses vers dans un autre idiome, sans s’inquiéter d’ailleurs de la physionomie, du mouvement, des nuances infinies de la pensée, des mille finesses du style. Or, ce ne sont point-là des choses qui aient leur vocabulaire écrit et ce sont pourtant des choses qu’il faut traduire, ou du moins indiquer : elles demandent une intelligence vive et délicate pour les saisir, une plume habile et souple pour les rendre. Pour transporter d’ailleurs dans son propre idiome les richesses d’une langue étrangère, il y a une première condition à remplir ; est-il besoin de la rappeler ? C’est la connaissance parfaite de la langue dont on veut révéler à son pays les richesses littéraires. Qu’on y songe, l’idiome russe est le plus difficile des idiomes européens, il est difficile même pour les Russes qui n’en ont pas fait l’objet d’une étude sérieuse. C’est une langue dont le sens positif varie à l’infini et dont le sens poétique varie encore davantage : langue souple et rude, abondante et imagée, dont l’origine, les accidents, l’esprit, l’allure, les procédés, n’offrent aucune analogie avec nos langues d’Occident. Le traducteur français des œuvres de Pouchkine a échoué pour n’avoir point compris les exigences de sa tâche. Il importe qu’on ne l’oublie pas, une traduction de ce poète exige une connaissance intime et approfondie, non-seulement de la grammaire et du vocabulaire russes, mais des finesses et des bizarreries de la langue ; elle exige aussi un long commerce avec ce génie si original, si en dehors de toute tradition européenne. Tant que cette double condition n’aura pas été remplie, notre pays, nous le disons à regret, ne connaîtra qu’imparfaitement la valeur et l’originalité du poète russe.

Pouchkine et le mouvement littéraire en Russie depuis 40 ans
Charles de Saint-Julien
Revue des Deux Mondes
Œuvres choisies de Pouchkine, traduites par M. H. Dupont
T.20 18

TENDRES IMPÔTS A LA FRANCE Poèmes de Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke
Tendres impôts à la France 

Tendres impôts à la France 

Ecrits en Français

signature 2


LITTERATURE ALLEMANDE
Deutsch Literatur

Gedichte – Poèmes

 

RAINER MARIA RILKE
1875-1926

 Rainer Maria Rilke Portrait de Paula Modersohn-Becker 1906
Portrait de Rainer Maria Rilke
1906
Par Paula Modersohn-Becker

*








 

Tendres impôts à la France
de Rainer Maria Rilke

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

*

Tendres impôts à la France Rainer Maria Rilke Artgitato Le Cirque ambulant 1940 Musée d'Art de São Paulo
Paul Klee
Le Cirque ambulant
vers 1940
Musée d’Art de São Paulo

*

TENDRES IMPÔTS A LA FRANCE

LE DORMEUR

Laissez-moi dormir, encore…C’est la trêve
pendant de longs combats promise au dormeur;
je guette dans mon coeur la lune qui se lève,
bientôt il ne fera plus si sombre dans mon coeur.

Ô mort provisoire, douceur qui nous achève,
mesure de mes cimes, très juste profondeur,
limbes de tout mon sang, et innocence des sèves,
dans toi, à sa racine, ma peur même n’est pas peur.

Mon doux seigneur Sommeil, ne faites pas que je rêve,
et mêlez en moi mes ris avec mes pleurs ;
laissez-moi diffus, pour que l’interne Ève
ne sorte de mon flanc en son hostile ardeur.

*

PEGASE

Cheval ardent et blanc, fier et clair Pégase,
après ta course -, ah! que ton arrête est beau!
Sous toi, cabré soudain, le sol que tu écrases
avale l’étincelle et donne de l’eau !

La source qui jaillit sous ton sabot dompteur,
à nous, qui l’attendons, est d’un secours suprême ;
sens-tu que sa douceur impose à toi-même ?
Car ton cou vigoureux apprend la courbe des fleurs.

*

DEVENIR DIEU

Qu’est-ce que les Rois Mages
ont-ils pu apporter ?
Un petit oiseau dans sa cage,
une énorme Clef

de leur lointain royaume, –
et le troisième du baume
que sa mère avait préparé
d’une étrange lavande

de chez eux.
Faut pas médire de si peu,
puisque ça a suffi à l’enfant
pour devenir Dieu.

*

A UNE AMIE

Combien coeur de Marie est exposé,
non seulement au soleil et à la rosée:
tous les sept glaives l’ont trouvé.
Combien coeur de Marie est exposé.

Ton coeur pourtant me semble plus à l’abri,
malgré le malheur qui en a tant envie,
il est moins exposé que le cœur de Marie.

Le corps de Marie ne fut point une chose;
ta poitrine sur ton cœur est beaucoup plus close,
et même si ta douleur veut qu’il s’expose :
il n’est jamais plus exposé qu’une rose.

*

L’INDIFFERENT

(Watteau)

Ô naître ardent et triste,
mais, à la vie assiste,
tendre et bien habillé,

à la multiple surprise
qui ne vous engage point,
et, bien mis, à la bien mise
sourire de très loin.

*

PRIERE DE LA TROP PEU INDIFFERENTE

Prière de la trop peu indifférente
Aidez les coeurs, si soumis et si tendres, –
tout cela blesse !
Qui saurait bien la tendresse défendre
de la tendresse.

Pourtant la lune, clémente déesse,
ne blesse aucune.
Ah, de nos pleurs où elle tombe sans cesse,
sauvez la lune !

*

L’ANGE A TA TABLE

Reste tranquille, si soudain
l’Ange à ta table se décide;
efface doucement les quelques rides
que fait la nappe sous ton pain.

Tu offriras ta rude nourriture
pour qu’il en goûte à son tour,
et qu’il soulève à sa lèvre pure
un simple verre de tous les jours.

Ingénuement, en ouvrier céleste,
il prête à tout une calme attention ;
il mange bien en imitant ton geste,
pour bien bátir à ta maison.

*

LES CORDES MELODIEUSES

Il faut croire que tout est bien, si tant
de calme suit à tant d’inquiétude ;
la vie, à nous, se passe en prélude,
mais parfois le chant qui nous surprend
nous appartient, comme à son instrument.

Main inconnue …. Au moins est-elle heureuse,
lorsqu’elle parvient à rendre mélodieuses
nos cordes? – Ou l’a-t-on forcée
de mêler même aux sons de la berceuse
tous les adieux inavoués ?

*

FAIRE CHANTER LES ANGES

Ce soir mon cœur fait chanter
des anges qui se souviennent…
Une voix, presque mienne,
par trop de silence tentée,

monte et se décide
à ne plus revenir ;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s’unir ?

*

LAMPE DU SOIR

Lampe du soir, ma calme confidente,
mon coeur n’est point par toi dévoilé ;
on s’y perdrait peut-être; mais sa pente
du côté sud est doucement éclairée.

C’est encore toi, ô lampe d’étudiant,
qui veut que le liseur de temps en temps
s’arrête étonné et se dérange
sur son bouquin, te regardant.

(Et ta simplicité supprime un Ange.)

*

LES INVISIBLES PERSEVERANCES

Parfois les amants ou ceux qui écrivent
trouvent des mots qui, bien qu’ils s’effacent,
laissent dans un cœur une place heureuse
à jamais pensive…

Car il en naît sous tout ce qui passe
d’invisibles persévérances ;
sans qu’ils creusent aucune trace
quelques-uns restent des pas de la danse.

*

LE RUBAN FLOTTANT

L’aurai-je exprimé, avant de m’en aller,
ce coeur qui, tourmenté, consent à être ?
Étonnement sans fin, qui fus mon maître,
jusqu’à la fin t’aurai-je imité ?

Mais tout surpasse comme un jour d’été
le tendre geste qui trop tard admire ;
dans nos paroles écloses, qui respire
le pur parfum d’identité ?

Et cette belle qui s’en va, comment
la ferait-on passer par une image ?
Son doux ruban flottant vit davantage
que cette ligne qui s’éprend.

*

TOMBEAU

(dans un parc)

Dors au fond de l’allée,
tendre enfant, sous la dalle ;
on fera le chant de l’été
autour de ton intervalle.

Si une blanche colombe
passait au vol là-haut,
je n’offrirais à ton tombeau
que son ombre qui tombe.

*

L’UNIQUE UNIVERSEL

De quelle attente, de quel
regret sommes-nous les victimes,
nous qui cherchons des rimes
à l’unique universel ?

Nous poursuivons notre tort
en obstinés que nous sommes ;
mais entre les torts des hommes
c’est un tort tout en or.

 

Tendres impôts à la France
de Rainer Maria Rilke

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

VERGERS – Recueil de poèmes de RAINER MARIA RILKE – 1924-1925

Rainer Maria Rilke
VERGERS

VERGERS
1924-1925
Ecrits en Français

signature 2


LITTERATURE ALLEMANDE
Deutsch Literatur

Gedichte – Poèmes

 

RAINER MARIA RILKE
1875-1926

 Rainer Maria Rilke Portrait de Paula Modersohn-Becker 1906
Portrait de Rainer Maria Rilke
1906
Par Paula Modersohn-Becker

*








 

VERGERS
de Rainer Maria Rilke
1924-1925

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

*

Vergers Rainer Maria Rilke 1924 1925 Artgitato Paul Klee Mythe de Fleur 1918
Mythe de Fleurs Paul Klee 1918

*




VERGERS

1
MON COEUR FAIT CHANTER DES ANGES

Ce soir mon cœur fait chanter
des anges qui se souviennent
Une voix, presque mienne,
par trop de silence tentée,

Monte et se décide
à ne plus revenir;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s’unir ?

 

2
LAMPE DU SOIR

Lampe du soir, ma calme confidente,
mon coeur n’est point par toi dévoilé;
(on s’y perdrait peut-être;) mais sa pente
du côté sud est doucement éclairée.

C’est encore toi, ô lampe d’étudiant,
qui veux que le liseur de temps en temps
s’arrête, étonné, et se d´range
sur son bouquin, te regardant.

(Et ta simplicité supprime un Ange.)

3
L’ANGE A TA TABLE

Reste tranquille, si soudain
l’Ange à ta table se décide;
efface doucement les quelques rides
que fait la nappe sous ton pain.

Tu offriras ta rude nourriture,
pour qu’il en goûte à son tour,
et qu’il soulève à la lèvre pure
un simple verre de tous les jours.




4
LES ETRANGES CONFIDENCES

Combien a-t-on fait aux fleurs
d’étranges confidences,
pour que cette fine balance
nous dise le poids de l’ardeur.

Les astres sont tous confus
qu’à nos chagrins on les mêle.
Et du plus fort au plus frêle
nul ne supporte plus

notre humeur variable,
nos révoltes, nos cris -,
sauf l’infatigable table
et le lit (table évanouie).

5
LES DANGERS DE LA POMME

Tout se passe à peu près comme
si l’on reprochait à la pomme
d’être bonne à manger.
Mais il reste d’autres dangers.

Celui de la laisser sur l’arbre,
celui de la sculpter en marbre,
et le dernier, le pire :
de lui en vouloir d’être en cire.

6
L’INVISIBLE

Nul ne sait, combien ce qu’il refuse,
l’Invisible, nous domine, quand
notre vie à l’invisible ruse
cède, invisiblement.

Lentement, au gré des attirances
notre centre se déplace pour
que le cœur s’y rende à son tour:
lui, enfin Grand-Maître des absences.

7
LES PLIS DES ETOILES DORMANTES

À Mme et M. Albert Vulliez.

Paume, doux lit froissé
où des étoiles dormantes
avaient laissé des plis
en se levant vers le ciel.

Est-ce que ce lit était tel
qu’elles se trouvent reposées,
claires et incandescentes,
parmi les astres amis
en leur élan éternel?

Ô les deux lits de mes mains
Abandonnés et froids,
légers d’un absent poids
de ces astres d’airain.

8
LES DERNIERS MOTS

Notre avant-dernier mot
serait un mot de misère,
mais devant la conscience-mère
le tout dernier sera beau.

Car il faudra qu’on résume
tous les efforts d’un désir
qu’aucun goût d’amertume
ne saurait contenir.




9
LE SILENCE DIVIN

Si l’on chante un dieu,
ce dieu vous rend son silence.
Nul de nous ne s’avance
que vers un dieu silencieux.

Cet imperceptible échange
qui nous fait frémir,
devient l’héritage d’un ange
sans nous appartenir.

10
C’EST LE CENTAURE QUI A RAISON

C’est le centaure qui a raison,
qui traverse par bonds les saisons
d’un monde à peine commencé
qu’il a de sa force comblé.

Ce n’est que l’Hermaphrodite
qui est complet dans son gîte.
Nous cherchons en tous les lieux
la moitié perdue de ces Demi-Dieux.

11
CORNE D’ABONDANCE

Ô belle corne, d’où
penchée vers notre attente?
Qui n’êtes qu’une pente
en calice, déversez-vous!

Des fleurs, des fleurs, des fleurs,
qui, en tombant font un lit
aux bondissantes rondeurs
de tant de fruits accomplis!

Et tout cela sans fin
nous attaque et s’élance,
pour punir l’insuffisance
de notre cœur déjà plein.

Ô corne trop vaste, quel
miracle par vous se donne !
Ô cor de chasse, qui sonne
des choses, au souffle du ciel !

12
COMME UN VERRE DE VENISE

Comme un verre de Venise
sait en naissant ce gris
et la clarté indécise
dont il sera épris,

ainsi tes tendres mains
avaient rêvé d’avance
d’être la lente balance
de nos moments trop pleins.

13
DOUX PÂTRE

Doux pâtre qui survit
tendrement à son rôle
avec sur son épaule
un débris de brebis.
Doux pâtre qui survit
en ivoire jaunâtre
à son jeu de pâtre.
Ton troupeau aboli
autant que toi dure
dans la lente mélancolie
de ton assistante figure
qui résume dans l’infini
la trêve d’actives pâtures.

14
LA PASSANTE D’ETE

Vois-tu venir sur le chemin la lente, l’heureuse,
celle que l’on envie, la promeneuse?
Au tournant de la route il faudrait qu’elle soit
saluée par de beaux messieurs d’autrefois.

Sous son ombrelle, avec une grâce passive,
elle exploite la tendre alternative:
s’effaçant un instant à la trop brusque lumière,
elle ramène l’ombre dont elle s’éclaire.




15
SUR LE SOUPIR DE L’AMIE

Sur le soupir de l’amie
toute la nuit se soulève,
une caresse brève
parcourt le ciel ébloui.

C’est comme si dans l’univers
une force élémentaire
redevenait la mère
de tout amour qui se perd.

16
PETITE ANGE EN PORCELAINE

Petit Ange en porcelaine,
s’il arrive que l’on te toise,
nous t’avions quand l’année fut pleine,
coiffé d’une framboise.

Ça nous semblait tellement futile
de te mettre ce bonnet rouge,
mais depuis lors tout bouge
sauf ton tendre tortil.

Il est desséché, mais il tient,
on dirait parfois qu’il embaume;
couronné d’un fantôme,
ton petit front se souvient.

17
LE TEMPLE DE L’AMOUR

Qui vient finir le temple de l’Amour?
Chacun en emporte une colonne;
et à la fin tout le monde s’étonne
que le dieu à son tour

de sa flèche brise l’enceinte.
(Tel nous le connaissons.)
Et sur ce mur d’abandon
pousse la plainte.

18
EAU QUI PRESSE

Eau qui se presse, qui court -, eau oublieuse
que la distraite terre boit,
hésite un petit instant dans ma main creuse,
souviens-toi!
Clair et rapide amour, indifférence,
presque absence qui court,
entre ton trop d’arrivée et ton trop de partance
Tremble un peu de séjour.

19
EROS

I
Ô toi, centre du jeu
où l’on perd quand on gagne;
célèbre comme Charlemagne,
roi, empereur et Dieu, –

tu es aussi le mendiant
en pitoyable posture,
et c’est ta multiple figure
qui te rend puissant. –

Tout ceci serait pour le mieux;
mais tu es, en nous (c’est pire)
comme le noir milieu
d’un châle brodé de cachemire.

II
Ô faisons tout pour cacher son visage
d’un mouvement hagard et hasardeux,
il faut le reculer au fond des âges
pour adoucir son indomptable feu.

Il vient si près de nous qu’il nous sépare
de l’être bien-aimé dont il se sert;
il veut qu’on touche, c’est un dieu barbare
que des panthères frôlent au désert.

Entrant en nous avec son grand cortège,
il y veut tout illuminé, –
lui, qui après se sauve comme d’un piège,
sans qu’aux appâts il ait touché.

III
Là, sous la treille, parmi le feuillage
il nous arrive de le deviner:
son front rustique d’enfant sauvage,
et son antique bouche mutilée …

La grappe devant lui devient pesante
et semble fatiguée de sa lourdeur,
un court moment on frôle l’épouvante
de cet heureux été trompeur.

Et son sourire cru, comme il l’infuse
à tous les fruits de son fier décor;
partout autour il reconnaît sa ruse
qui doucement le berce et l’endort.

IV
Ce n’est pas la justice qui tient la balance préciser
c’est toi, ô Dieu à l’envie indivise,
qui pèses nos torts,
et qui de deux cœurs qu’il meurtrit et triture
fais un immense cœur plus grand que nature,
qui voudrait encor

grandir…Toi, qui indifférente et superbe,
humilies la bouche et exaltes le verbe
vers un ciel ignorant…
Toi qui mutiles les êtres en les ajoutant
à l’ultime absence dont ils sont des fragments.

20
QUE LE DIEU SE CONTENTE DE NOUS

Que le dieu se contente de nous,
de notre instant insigne,
avant qu’une vague maligne
nous renverse et pousse à bout.

Un moment nous étions d’accord :
lui, qui survit et persiste,
et nous dont le cœur triste
s’étonne de son effort.




21
DANS LA MULTIPLE RENCONTRE

Dans la multiple rencontre
faisons à tout sa part,
afin que l’ordre se montre
parmi les propos du hasard.

Tout autour veut qu’on l’écoute -,
écoutons jusqu’au bout;
car le verger et la route
c’est toujours nous !

22
LA DISCRETION DES ANGES

Les Anges, sont-ils devenus discrets !
Le mien à peine m’interroge.
Que je lui rende au moins le reflet
d’un émail de Limoges.

Et que mes rouges, mes verts, mes bleus
son œil rond réjouissent.
S’il les trouve terrestres, tant mieux
pour un ciel en prémisses.

23
LE MOUVANT EQUILIBRE

Combien le pape au fond de son faste,
sans être moins vénérable,
par la sainte loi du contraste
doit attirer le diable.

Peut-être qu’on compte trop peu
avec ce mouvant équilibre;
il y a des courants dans le Tibre,
tout jeu veut son contre-jeu.

Je me rappelle Rodin
qui me dit un jour d’un air mâle
(nous prenions, à Chartres, le train)
que, trop pure, la cathédrale
provoque un vent de dédain.

24
CE QU’IL NOUS FAUT CONSENTIR

C’est qu’il nous faut consentir
à toutes les forces extrêmes;
l’audace est notre problème
malgré le grand repentir.

Et puis, il arrive souvent
que ce qu’on affronte, change:
le calme devient ouragan,
l’abîme le moule d’un ange.

Ne craignons pas le détour.
Il faut que les Orgues grondent,
pour que la musique abonde
de toutes les notes de l’amour.

26
LA FONTAINE

Je ne veux qu’une seule leçon, c’est la tienne,
fontaine, qui en toi-même retombes, –
celle des eaux risquées auxquelles incombe
ce céleste retour vers la vie terrienne.

Autant que ton multiple murmure
rien ne saurait me servir d’exemple;
toi, ô colonne légère du temple
qui se détruit par sa propre nature.

Dans ta chute, combien se module
chaque jet d’eau qui termine sa danse.
Que je me sens l’élève, l’émule
de ton innombrable nuance!

Mais ce qui plus que ton chant vers toi me décide
c’est cet instant d’un silence en délire
lorsqu’ à la nuit, à travers ton élan liquide
passe ton propre retour qu’un souffle retire.

27
MON CORPS

Qu’il est doux parfois d’être de ton avis ;
frère aîné, ô mon corps,
qu’il est doux d’être fort
de ta force,
de te sentir feuille, tige, écorce
et tout ce que tu peux devenir encor,
toi, si près de l’esprit.

Toi, si franc, si uni
dans ta joie manifeste
d’être cet arbre de gestes
qui, un instant, ralentit
les allures célestes
pour y placer sa vie.

28
LA DEESSE

Au midi vide qui dort
combien de fois elle passe,
sans laisser à la terrasse
le moindre soupçon d’un corps.

Mais si la nature la sent,
l’habitude de l’invisible
rend une clarté terrible
à son doux contour apparent.

29
LE VERGER
I

Peut-être que si j’ai osé t’écrire,
langue prêtée, c’était pour employer
ce nom rustique dont l’unique empire
me tourmentait depuis toujours: Verger.

Pauvre poète qui doit élire
pour dire tout ce que ce nom comprend,
un à peu près trop vague qui chavire,
ou pire: la clôture qui défend.

Verger: ô privilège d’une lyre
de pouvoir te nommer simplement;
nom sans pareil qui les abeilles attire,
nom qui respire et attend…

Nom clair qui cache le printemps antique,
tout aussi plein que transparent,
et qui dans ses syllabes symétriques
redouble tout et devient abondant.

II

Vers quel soleil gravitent
tant de désirs pesants?
De cette ardeur que vous dites,
où est le firmament?

Pour l’un à l’autre nous plaire,
faut-il tant appuyer?
Soyons légers et légères
à la terre remuée
par tant de forces contraires.

Regardez bien le verger:
c’est inévitable qu’il pèse;
pourtant de ce même malaise
il fait le bonheur de l’été.

III

Jamais la terre n’est plus réelle
que dans tes branches, ô verger blond,
ni plus flottante que dans la dentelle
que font tes ombres sur le gazon.

Là se rencontre ce qui nous reste,
ce qui pèse et ce qui nourrit
avec le passage manifeste
de la tendresse infinie.

Mais à ton centre, la calme fontaine,
presque dormant en son ancien rond,
de ce contraste parle à peine,
tant en elle il se confond.

IV

De leur grâce, que font-ils,
tous ces dieux hors d’usage,
qu’un passé rustique engage
à être sages et puérils?

Comme voilés par le bruit
des insectes qui butinent,
ils arrondissent les fruits;
(occupation divine).

Car aucun jamais ne s’efface,
tant soit-il abandonné;
ceux qui parfois nous menacent
sont des dieux inoccupés.

V

Ai-je des souvenirs, ai-je des espérances,
en te regardant, mon verger?
Tu te repais autour de moi, ô troupeau d’abondance
et tu fais penser ton berger.

Laisse-moi contempler au travers de tes branches
la nuit qui va commencer.
Tu as travaillé; pour moi c’était un dimanche, –
mon repos, m’a-t-il avancé?

D’être berger, qu’y a-t-il de plus juste en somme?
Se peut-il qu’un peu de ma paix
aujourd’hui soit entrée doucement dans tes pomme
Car tu sais bien, je m’en vais…




VI

N’était-il pas, ce verger, tout entier,
ta robe claire, autour de tes épaules?
Et n’as-tu pas senti combien console
son doux gazon qui pliait sous ton pied?

Que de fois, au lieu de promenade,
il s’imposait en devenant tout grand;
et c’était lui et l’heure qui s’évade
qui passaient par ton être hésitant.

Un livre parfois t’accompagnait…
Mais ton regard, hanté de concurrences,
au miroir de l’ombre poursuivait
un jeu changeant de lentes ressemblances.

 

VII

Heureux verger, tout tendu à parfaire
de tous ses fruits les innombrables plans,
et qui sait bien son instinct séculaire
plier à la jeunesse d’un instant.

Quel beau travail, quel ordre que le tien!
Qui tant insiste dans les branches torses,
mais qui enfin, enchanté de leur force,
déborde dans un calme aérien.

Tes dangers et les miens, ne sont-ils point
tout fraternels, ô verger, ô mon frère?
Un même vent, nous venant de loin,
nous force d’être tendres et austères.

30
TOUTES LES JOIES DES AÏEUX

Toutes les joies des aïeux
ont passé en nous et s’amassent;
leur cœur, ivre de chasse,
leur repos silencieux

devant un feu presque éteint…
Si dans les instants arides
de nous notre vie se vide,
d’eux nous restons tout pleins.

Et combien de femmes ont dû
en nous se sauver, intactes,
comme dans l’entr’acte
d’une pièce qui n’a pas plu -,

parées d’un malheur qu’aujourd’hui
personne ne veut ni ne porte,
elles paraissent fortes
appuyées sur le sang d’autrui.

Et des enfants, des enfants!
Tous ceux que le sort refuse,
en nous exercent la ruse
d’exister pourtant.

 

31
PORTRAIT INTERIEUR

Ce ne sont pas des souvenirs
qui, en moi, t’entretiennent;
tu n’es pas non plus mienne
par la force d’un beau désir.

Ce qui te rend présente,
c’est le détour ardent
qu’une tendresse lente
décrit dans mon propre sang.

Je suis sans besoin
de te voir apparaître;
il m’a suffi de naître
pour te perdre un peu moins.

32
LA DOUCE VIE

Comment encore reconnaître
ce que fut la douce vie?
En contemplant peut-être
dans ma paume l’imagerie

de ces lignes et de ces rides
que l’on entretient
en fermant sur le vide
cette main de rien.

33
LE SUBLIME EST UN DEPART

Le sublime est un départ.
Quelque chose de nous qui au lieu
de nous suivre, prend son écart
et s’habitue aux cieux.

La rencontre extrême de l’art
n’est-ce point l’adieu le plus doux?
Et la musique: ce dernier regard
que nous jetons nous-mêmes vers nous !

34
COMBIEN DE PORTS

Combien de ports pourtant, et dans ces ports
combien de portes, t’accueillant peut-être.
combien de fenêtres
d’où l’on voit ta vie et ton effort.

Combien de grains ailés de l’avenir
qui, transportés au gré de la tempête,
un tendre jour de fête
verront leur floraison t’appartenir.

Combien de vies qui toujours se répondent;
et par l’essor que prend ta propre vie
en étant de ce monde,
quel gros néant à jamais compromis.

35
L’OFFRANDE

N’est-ce pas triste que nos yeux se ferment ?
On voudrait avoir les yeux toujours ouverts,
pour avoir vu, avant le terme,
tout ce que l’on perd.

N’est-il pas terrible que nos dents brillent ?
Il nous aurait fallu un charme plus discret
pour vivre en famille
en ce temps de paix.

Mais n’est-ce pas le pire que nos mains se cramponnent,
dures et gourmandes ?
Faut-il que des mains soient simples et bonnes
pour lever l’offrande !

36
LA MELODIE PASSAGERE

Puisque tout passe, faisons
la mélodie passagère ;
celle qui nous désaltère,
aura de nous raison.

Chantons ce qui nous quitte
avec amour et art ;
soyons plus vite
que le rapide départ.

37
L’ÂME-OISEAU

Souvent au-devant de nous
l’âme-oiseau s’élance;
c’est un ciel plus doux
qui déjà la balance,

pendant que nous marchons
sous des nuées épaisses.
Tout en peinant, profitons
de son ardente adresse.

38
VUE DES ANGES

Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être
sont des racines, buvant les deux;
et dans le sol, les profondes racines d’un hêtre
leur semblent des faîtes silencieux.

Pour eux, la terre, n’est-elle point transparente
en face d’un ciel, plein comme un corps?
Cette terre ardente, où se lamente
auprès des sources l’oubli des morts.

39
LES INCONNUS

Mes amis, vous tous, je ne renie
aucun de vous; ni même ce passant
qui n’était de l’inconcevable vie
qu’un doux regard ouvert et hésitant.

Combien de fois un être, malgré lui,
arrête de son œil ou de son geste
l’imperceptible fuite d’autrui,
en lui rendant un instant manifeste.

Les inconnus. Ils ont leur large part
à notre sort que chaque jour complète.
Précise bien, ô inconnue discrète,
mon cœur distrait, en levant ton regard.

40
LE CYGNE

Un cygne avance sur l’eau
tout entouré de lui-même,
comme un glissant tableau;
ainsi à certains instants
un être que l’on aime
est tout un espace mouvant.

Il se rapproche, doublé,
comme ce cygne qui nage,
sur notre âme troublée…
qui à cet être ajoute
la tremblante image
de bonheur et de doute.

41
NOSTALGIE DES LIEUX

Ô nostalgie des lieux qui n’étaient point
assez aimés à l’heure passagère,
que je voudrais leur rendre de loin
le geste oublié, l’action supplémentaire !

Revenir sur mes pas, refaire doucement
– et cette fois, seul – tel voyage,
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc…

Monter à la chapelle solitaire
que tout le monde dit sans intérêt;
pousser la grille de ce cimetière,
se taire avec lui qui tant se tait.

Car n’est-ce pas le temps où il importe
de prendre un contact subtil et pieux ?
Tel était fort, c’est que la terre est forte;
et tel se plaint: c’est qu’on la connaît peu.

42
LE SORT IMMOBILE

Ce soir quelque chose dans l’air a passé
qui fait pencher la tête;
on voudrait prier pour les prisonniers
dont la vie s’arrête.
Et on pense à la vie arrêtée…

À la vie qui ne bouge plus vers la mort
et d’où l’avenir est absent ;
où il faut être inutilement fort
et triste, inutilement.

Où tous les jours piétinent sur place,
où toutes les nuits tombent dans l’abîme,
et où la conscience de l’enfance intime
à ce point s’efface,

qu’on a le cœur trop vieux pour penser un enfant
Ce n’est pas tant que la vie soit hostile;
mais on lui ment,
enfermé dans le bloc d’un sort immobile.

43
TEL CHEVAL QUI BOIT A LA FONTAINE

Tel cheval qui boit à la fontaine,
telle feuille qui en tombant nous touche,
telle main vide, ou telle bouche
qui nous voudrait parler et qui ose à peine -,

autant de variations de la vie qui s’apaise,
autant de rêves de la douleur qui somnole:
ô que celui dont le coeur est à l’aise,
cherche la créature et la console.




45
LUMIERE

Cette lumière peut-elle
tout un monde nous rendre ?
Est-ce plutôt la nouvelle
ombre, tremblante et tendre,
qui nous rattache à lui ?
Elle qui tant nous ressemble
et qui tourne et tremble
autour d’un étrange appui.
Ombres des feuilles frêles,
sur le chemin et le pré,
geste soudain familier
qui nous adopte et nous mêle
à la trop neuve clarté.

46
LA BLONDEUR DU JOUR

Dans la blondeur du jour
passent deux chars pleins de briques ;
ton rosé qui revendique
et renonce tour à tour.

Comment se fait-il que soudain
ce ton attendri signifie
un nouveau complot de vie
entre nous et demain.

47
LE SILENCE UNI DE L’HIVER

Le silence uni de l’hiver
est remplacé dans l’air
par un silence à ramage;
chaque voix qui accourt
y ajoute un contour,
y parfait une image.

Et tout cela n’est que le fond
de ce qui serait l’action
de notre cœur qui surpasse
le multiple dessin
de ce silence plein
d’inexprimable audace.

 

48
LA NATURE

Entre le masque de brume
et celui de verdure,
voici le moment sublime où la nature
se montre davantage que de coutume.

Ah, la belle! Regardez son épaule
et cette claire franchise qui ose …
Bientôt de nouveau elle jouera un rôle
dans la pièce touffue que l’été compose.

49
LE DRAPEAU

Vent altier qui tourmente le drapeau
dans la bleue neutralité du ciel,
jusqu’à le faire changer de couleur,
comme s’il voulait le tendre à d’autres nations
par-dessus les toits. Vent impartial,
vent du monde entier, vent qui relie,
évocateur des gestes qui se valent,
ô toi, qui provoques les mouvements interchangeables
Le drapeau étale montre son plein écusson, –
mais dans ses plis quelle universalité tacite !

Et pourtant quel fier moment
lorsqu’un instant le vent se déclare
pour tel pays: consent à la France,
ou subitement s’éprend

des Harpes légendaires de la verte Irlande.
Montrant toute l’image, comme un joueur de cartes
qui jette son atout,
et qui de son geste et de son sourire anonyme,
rappelle je ne sais quelle image
de la Déesse qui change.

50
LA FENÊTRE

I

N’es-tu pas notre géométrie,
fenêtre, très simple forme
qui sans effort circonscris
notre vie énorme?

Celle qu’on aime n’est jamais plus belle
que lorsqu’on la voit apparaître
encadrée de toi; c’est, ô fenêtre,
que tu la rends presque éternelle.

Tous les hasards sont abolis. L’être
se tient au milieu de l’amour,
avec ce peu d’espace autour
dont on est maître.

II

Fenêtre, toi, ô mesure d’attente,
tant de fois remplie,
quand une vie se verse et s’impatiente
vers une autre vie.

Toi qui sépares et qui attires,
changeante comme la mer, –
glace, soudain, où notre figure se mire
mêlée à ce qu’on voit à travers ;

échantillon d’une liberté compromise
par la présence du sort ;
prise par laquelle parmi nous s’égalise
le grand trop du dehors.

III

Assiette verticale qui nous sert
la pitance qui nous poursuit,
et la trop douce nuit
et le jour, souvent trop amer.

L’interminable repas,
assaisonné de bleu -,
il ne faut pas être las
et se nourrir par les yeux.

Que de mets l’on nous propose
pendant que mûrissent les prunes;
ô mes yeux, mangeurs de rosés,
vous allez boire de la lune !

51
A LA BOUGIE ETEINTE

À la bougie éteinte,
dans la chambre rendue à l’espace,
on est frôlé par la plainte
de feu la flamme sans place.

Faisons-lui un subtil
tombeau sous notre paupière,
et pleurons comme une mère
son très familier péril.

52
L’APPROCHE

C’est le paysage longtemps, c’est une cloche,
c’est du soir la délivrance si pure -;
mais tout cela en nous prépare l’approche
d’une nouvelle, d’une tendre figure…

Ainsi nous vivons dans un embarras très étrange
entre l’arc lointain et la trop pénétrante flèche;
entre le monde trop vague pour saisir l’ange
et Celle qui, par trop de présence, l’empêche.

53
LA ROSE

On arrange et on compose
les mots de tant de façons,
mais comment arriverait-on
à égaler une rosé ?

Si on supporte l’étrange
prétention de ce jeu,
c’est que, parfois, un ange
le dérange un peu.

54
L’IMPERTUBABLE NATURE

J’ai vu dans l’œil animal
la vie paisible qui dure,
le calme impartial
de l’imperturbable nature.

La bête connaît la peur ;
mais aussitôt elle avance
et sur son champ d’abondance
broute une présence
qui n’a pas le goût d’ailleurs.

55
OBJETS OBSCURS

Faut-il vraiment tant de danger
à nos objets obscurs?
Le monde serait-il dérangé,
étant un peu plus sûr?

Petit flacon renversé,
qui t’a donné cette mince base?
De ton flottant malheur bercé,
l’air est en extase.

56
LA DORMEUSE

Figure de femme, sur son sommeil
fermée, on dirait qu’elle goûte
quelque bruit à nul autre pareil
qui la remplit toute.

De son corps sonore qui dort
elle tire la jouissance
d’être un murmure encor
sous le regard du silence.




57
LA BICHE

Ô la biche : quel bel intérieur
d’anciennes forêts dans tes yeux abonde ;
combien de confiance ronde
mêlée à combien de peur.

Tout cela, porté par la vive
gracilité de tes bonds.
Mais jamais rien n’arrive
à cette impossessive
ignorance de ton front.

58
SOUS CES BEAUX ARBRES

Arrêtons-nous un peu, causons.
C’est encore moi, ce soir, qui m’arrête,
c’est encore vous qui m’écoutez.

Un peu plus tard d’autres joueront
aux voisins sur la route
sous ces beaux arbres que l’on se prête.

59
LES ADIEUX

Tous mes adieux sont faits. Tant de départs
m’ont lentement formé dès mon enfance.
Mais je reviens encor, je recommence,
ce franc retour libère mon regard.

Ce qui me reste, c’est de le remplir,
et ma joie toujours impénitente
d’avoir aimé des choses ressemblantes
à ces absences qui nous font agir.

 

VERGERS
de Rainer Maria Rilke
1924-1925

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

*

Vergers Rainer Maria Rilke 1924 1925 Artgitato Paul Klee Mythe de Fleur 1918

LA POESIE de RAINER MARIA RILKE – Werk des Dichters Rainer Maria Rilke

signature 2Rainer Maria Rilke

LITTERATURE ALLEMANDE
Deutsch Literatur

Gedichte – Poèmes
Texte

 

RAINER MARIA RILKE
1875-1926

 Rainer Maria Rilke Portrait de Paula Modersohn-Becker 1906
Portrait de Rainer Maria Rilke
1906
Par Paula Modersohn-Becker

*

 

La Poésie
de Rainer Maria Rilke
Werk des Dichters
Rainer Maria Rilke

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

*

DIE ARMEN WORTE
Les Pauvres Mots
1897

 Die armen Worte, die im Alltag darben,
Les pauvres mots, aux teintes du quotidien,
die unscheinbaren Worte, lieb ich so.
ô ces mots discrets, comme je les aime.

*

MOTTO
DEVISE
1897

Das ist die Sehnsucht: wohnen im Gewoge
Le désir est ainsi : vivre dans la vague
und keine Heimat haben in der Zeit.
et sans patrie dans le temps qui passe.

Ernst Ludwig Kirchner, Baigneuses entre pierres, 1912, musée Städel, Francfort-sur-le-Main

*

Das Buch vom mönchischen Leben 
Le livre de la vie monastique
 1899

Da neigt sich die Stunde und rührt mich an
Comme se pose l’heure et me touche
mit klarem, metallenem Schlag:
par son clair impact métallique :

Le Livre de la vie monastique Das Buch vom mönchischen Leben Artgitato Rainer Maria Rilke Jean II Restout Moine en Prière





*

EINSAMKEIT
SOLITUDE
1902

 Die Einsamkeit ist wie ein Regen.
La solitude est comme la pluie.
Sie steigt vom Meer den Abenden entgegen;
Elle monte de la mer vers les soirées ;

*

LES VAGUES DU CŒUR 
Einmal nahm ich zwischen meine Hände

Einmal nahm ich zwischen meine Hände
Une fois, je pris dans mes mains
dein Gesicht. Der Mond fiel darauf ein.
ton visage. La lune alors tomba sur lui.

*

HERBST
AUTOMNE
1902

Die Blätter fallen, fallen wie von weit,
Les feuilles tombent, elles tombent venant de loin,
als welkten in den Himmeln ferne Gärten;
comme venant des jardins desséchés lointains du ciel ;

*

LE PARFUM
DER DUFT

Wer bist du, Unbegreiflicher: du Geist,
Qui es-tu, élément incompréhensible : ô toi, esprit,
wie weißt du mich von wo und wann zu finden,
comment sais-tu où et quand me trouver,

*

LES FENÊTRES

Il suffit que, sur un balcon
ou dans l’encadrement d’une fenêtre
celle que nous perdons
en l’ayant vue apparaître.

Les Fenêtres Rainer Maria Rilke Artgitato Van Gogh La Charcuterie 1888

*
BLANCHES ÂMES
Weiße Seelen

Weiße Seelen mit den Silberschwingen,
Âmes blanches aux ailes d’argent,
Kinderseelen, die noch niemals sangen,-
Âmes d’enfants qui jamais encore n’ont chanté,

*

AVENTE
L’AVENT

Es treibt der Wind im Winterwalde
Le vent souffle dans la forêt d’hiver
die Flockenherde wie ein Hirt
Un blanc troupeau de flocons tel un berger


Maslenitsa, Boris Koustodiev, 1916
*

EINGANG
L’ARBRE NOIR DANS LE CIEL
1906

Wer du auch seist: am Abend tritt hinaus
Qui que tu sois : sors le soir
aus deiner Stube, drin du alles weißt;
de ta chambre, dans laquelle tu sais tout ;

*

PROMENADE
Spaziergang
1924

Schon ist mein Blick am Hügel, dem besonnten,
Mon regard est déjà sur la colline, le soleil en face,
dem Wege, den ich kaum begann, voran.
Sur ce chemin, qu’à peine je commence.

*

LES QUATRAINS VALAISANS
36 poèmes
36 Gedichte
1926

Les Quatrains Valaisans Rainer Maria Rilke Blumenfamilie 1922 Paul Klee

*

LES ROSES
RECUEIL DE 24 POEMES

LES ROSES RAINER MARIA RILKE artgitato Vase avec des tulipes, roses et d'autres fleurs avec des insectes 1669 de Maria van Oosterwijk

*

Sonette aus dem Portugiesischen (Rilke)
Sonnets from the Portuguese  (Elizabeth Barrett Browning)
Sonnets Portugais (trad. Jacky Lavauzelle)

Elizabeth-Barrett-Browning Sonnets from the Portuguese Elizabeth Barrett Browning Sonette aus dem Portugiesischen RILKE

*

Les SONNETS de Louise Labé
Die Sonette von Louise Labé 
Louise Labé Les Sonnets Giovanni Bellini Jeune Femme à sa toilette 1515 Musée d'histoire de l'Art de Vienne

*

TENDRES IMPÔTS A LA FRANCE
RECUEIL DE 15 POEMES

Tendres impôts à la France Rainer Maria Rilke Artgitato Le Cirque ambulant 1940 Musée d'Art de São Paulo

*




VERGERS
RECUEIL DE POEMES
1924 – 1925

Vergers Rainer Maria Rilke 1924 1925 Artgitato Paul Klee Mythe de Fleur 1918

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signature 2

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RAINER MARIA RILKE
LE REDEMPTEUR DES PAUVRES MOTS

Disons maintenant quelques mots des moyens employés par Verhaeren pour atteindre la vision, pour traduire la passion dans les phénomènes intérieurs et pour éveiller l’enthousiasme. Examinons d’abord s’il est vrai de dire que Verhaeren soit un artiste au point de vue de la langue. Ses moyens verbaux ne sont nullement restreints. Si, dans ses termes ou dans ses rimes, on peut constater des retours fréquents qui confinent parfois à la monotonie, on remarque chez lui dans l’emploi du mot une étrangeté, une nouveauté, un inattendu qui sont presque sans exemple dans la lyrique poésie française. Une langue ne s’enrichit pas uniquement de néologismes. Un mot peut acquérir une vie nouvelle en prenant une place et un sens qu’il n’avait pas, par une transvaluation de sa signification, comme fit Rainer Maria Rilke dans la poésie allemande. « Être le rédempteur par la vie poétique des pauvres mots qui se meurent d’indigence dans la vie journalière », voilà peut-être qui est supérieur à la création de nouveaux vocables.

Stefan Zweig
Émile Verhaeren : sa vie, son œuvre
Traduction par Paul Morisse et Henri Chervet.
 Mercure de France, 1910
pp. –360

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LES CAHIERS DE MALTE LAURIDS BRIGGE

 A vouloir commenter ce livre, on risque de prouver surtout que pour l’avoir trop compris on l’a mal deviné, tant on sent qu’il se veut irréductible à l’entendement. Ce serait là sans doute un truisme s’il s’agissait d’une pure œuvre d’art. Mais précisément chez cet authentique poète qu’est Rilke, le plus original peut-être et l’un des plus richement doués parmi les Allemands de sa génération, la pente de l’esprit, l’inclinaison morale est si forte qu’elle détermine la vision, de telle sorte qu’on lui ferait tort d’une part essentielle en ne se préoccupant point de la signification de ses écrits.

Les deux petits volumes de prose dont il est question révèlent pleinement une richesse secrète, un sens d’intimité que les œuvres précédentes ne décelaient encore que par affleurements. Dans ce recueil de souvenirs et d’impressions, qui tient autant d’un traité de la vie intérieure que d’une étude de psychologie, nous sommes d’abord frappés par la prédominance d’une sensualité attentive et déliée, d’où se dégage par une sorte d’intuition immédiate, une image étendue de la vie. Rilke ose les déductions les plus lointaines et les plus compliquées sans prendre le détour de la combinaison intellectuelle ; il ne quitte pas sa sensation et, si son cœur est tourmenté d’une soif d’absolu toute pascalienne, il ne souhaite pas  » trouver Dieu ailleurs que partout.  »  Il l’y cherche avec une ferveur exaltée, avec un soin méticuleux, avec une inquiétude qui n’est pas sans péril. Il est comme un chien sur la piste du divin.

Il nous introduit dans une atmosphère moite et enfiévrée où un monde à venir semble en éclosion continuelle. La vie s’y tient inachevée et trop serrée comme à l’intérieur d’un bourgeon.

Un jeune homme de ces temps-ci, le dernier descendant d’une vieille famille aristocratique du Danemark, fait à Paris, dans la misère et l’isolement, l’expérience d’un déracinement bien autre- ment grave que s’il se détachait, simplement, de sa terre et de ses morts. Déracinant son cœur, il passe d’une époque à une autre, il entreprend de se quitter lui-même pour parcourir dans la solitude l’espace très long qui sépare de la sympathie l’amour. Il ne continue pas sa lignée. Les temps nouveaux sont entrés en lui, il a élargi son cadre, il a laissé là sa maison et ce qu’il possédait.


C’est là ce qui donne au lyrisme de Rilke son accent unique, sa force, son importance. Peut-être faut-il rapporter ce trait si particulier à ses influences ou à ses origines slaves. Il fait fréquemment penser à Dostoïevski dont il est loin pourtant par la nature de son talent comme par sa volonté d’artiste. Il a, à un haut degré, la faculté de contact avec la matérialité des choses qui manque au grand romancier russe. C’est au point qu’il donne l’impression de posséder quelque sens supplémentaire lui permettant des relations plus variées et plus intimes avec le monde des phénomènes. Son style très imagé prend presque toutes ses expressions dans des termes de mouvement. Les choses chez lui ne sont pas, elles deviennent et l’on pourrait dire qu’il a l’adjectif dynamique. Il obtient par là une adhérence si intime entre la pensée et la forme que celle-ci suggère l’idée d’une peau bien plus que d’un vêtement. Son invention verbale est sans bornes, mais il lui arrive parfois d’outrepasser les limites du possible, et son goût qui est fin, à certaines fâcheuses défaillances… Il est juste cependant de dire que quand il se contorsionne en d’invraisemblables acrobaties, ce n’est jamais que par nécessité, et comme pour atteindre un objet hors de sa portée.

Ce lyrique qu’on dirait tout absorbé par ses grands événements à ses moments perdus se révèle observateur remarquable, psychologue subtil et narquois. Il a la vision impeccablement concrète, le trait original, sûr et concentré, un don amusant de la charge et peut-être l’étoffe d’un romancier.

Les notes de M. L. Brigge ne sont pas un livre beau, bien fait, réussi. Elles ont quelque chose de trop vert, de trop foisonnant, de trop jeune, un tremblement trop peu dominé ; elles ne sont que délicieuses et importantes, et lourdes du mystère des œuvres vivantes.

La Nouvelle Revue Française
NRF, 1911
Tome V

Jan Štursa EVE – EVA – 1909 – BRNO – Moravská galerie v Brně

TCHEQUIE
Česká republika
捷克共和国
République tchèque
BRNO

—-
Sculptures Tchèques
Jan Štursa

——

 

 

Photo Jacky Lavauzelle

*

 


Moravská galerie v Brně
Galerie Morave de Brno

EVE – EVA
Jan Štursa
1880-1925

Jan_Stursa_1915 Jan Štursa 1880-1925 Jihlava 1915

Moravská galerie v Brně

Jan Stursa Eva Eve Brno 1909 Artgitato (1) Jan Stursa Eva Eve Brno 1909 Artgitato (2) Jan Stursa Eva Eve Brno 1909 Artgitato (3)

******

FIDELI FIDELIS

ÈVE

Jésus parle.

 Ômère ensevelie hors du premier jardin,
Vous n’avez plus connu ce climat de la grâce,
Et la vasque et la source et la haute terrasse,
Et le premier soleil sur le premier matin.

Et les bondissements de la biche et du daim
Nouant et dénouant leur course fraternelle
Et courant et sautant et s’arrêtant soudain
Pour mieux commémorer leur vigueur éternelle,

Et pour bien mesurer leur force originelle
Et pour poser leurs pas sur ces moelleux tapis,
Et ces deux beaux coureurs sur soi-même tapis
Afin de saluer leur lenteur solennelle.Et les ravissements de la jeune gazelle
Laçant et délaçant sa course vagabonde,
Galopant et trottant et suspendant sa ronde
Afin de saluer sa race intemporelle.

Et les dépassements du bouc et du chevreuil
Mêlant et démêlant leur course audacieuse
Et dressés tout à coup sur quelque immense seuil
Afin de saluer la terre spacieuse.

Et tous ces filateurs et toutes ces fileuses
Mêlant et démêlant l’écheveau de leur course,
Et dans le sable d’or des vagues nébuleuses
Sept clous articulés découpaient la Grande Ourse.

Et tous ces inventeurs et toutes ces brodeuses
Du lacis de leurs pas découpaient des dentelles.
Et ces beaux arpenteurs parmi ces ravaudeuses
Dessinaient des glacis devant des citadelles.

Une création naissante et sans mémoire
Tournante et retournante aux courbes d’un même orbe.
Et la faîne et le gland et le coing et la sorbe
Plus juteux sous les dents que la prune et la poire.Vous n’avez plus connu la terre maternelle
Fomentant sur son sein les faciles épis,
Et la race pendue aux innombrables pis
D’une nature chaste ensemble que charnelle.

Vous n’avez plus connu ni la glèbe facile,
Ni le silence et l’ombre et cette lourde grappe,
Ni l’océan des blés et cette lourde nappe,
Et les jours de bonheur se suivant à la file.

Vous n’avez plus connu ni cette plaine grasse,
Ni l’avoine et le seigle et leurs débordements,
Ni la vigne et la treille et leurs festonnements,
Et les jours de bonheur se suivant à la trace.

Vous n’avez plus connu ce limon qui s’encrasse
À force d’être épais et d’être nourrissant ;
Vous n’avez plus connu le pampre florissant,
Et la race des blés jaillis pour votre race.

Vous n’avez plus connu l’arbre chargé de pommes
Et pliant sous le faix dans la mûre saison ;
Vous n’avez plus connu devant votre maison
Les blés enfants jaillis pour les enfants des hommes.Ce qui depuis ce jour est devenu la fange
N’était encor qu’un lourd et plastique limon ;
Et la Sagesse même et le roi Salomon
N’eût point départagé l’homme d’avecque l’ange.

Ce qui depuis ce jour est devenu la somme
S’obtenait sans total et sans addition ;
Et la Sagesse assise au coteau de Sion
N’eût point dépareillé l’ange d’avecque l’homme.

Vous n’avez plus connu ni cette plaine rase,
Ni le secret ravin aux pentes inclinées,
Ni le mouvant tableau des ombres déclinées.
Ni ces vallons plus pleins que le flanc d’un beau vase.

Vous n’avez plus connu les saisons couronnées
Dansant le même pas devant le même temps ;
Vous n’avez plus connu vers le même printemps
Le long balancement des saisons prosternées.

Vous n’avez plus connu les fleurs nouvelles-nées
Jaillissant des sommets en énormes cascades ;
Vous n’avez plus connu les profondes arcades,
Et du haut des cyprès les ombres décernées.Vous n’avez plus connu les naissantes années
Jaillissant comme un chœur du haut du jeune temps ;
Vous n’avez plus connu vers un jeune printemps
Le chaste enlacement des saisons alternées.

Vous n’avez plus connu les saisons discernées
Par un égal bonheur au creux d’un même temps ;
Vous n’avez plus connu vers un égal printemps
L’égal déroulement des saisons gouvernées.

Vous n’avez plus connu les saisons retournées
Vers un égal bonheur et vers le même temps ;
Vous n’avez plus connu vers le même printemps
Le souple enroulement des saisons détournées.

Vous n’avez plus connu de l’un à l’autre pôle
La terre balancée ainsi qu’une nacelle ;
Et le désistement et le retrait d’épaule
D’une saison périe encor que jouvencelle.

Vous n’avez plus connu de l’un à l’autre pôle
La terre balancée ainsi qu’un beau trois-mâts ;
Et le renoncement, l’effacement d’épaule
De la saison qui meurt au retour des frimas.

Vous n’avez plus connu de l’un à l’autre pôle
La terre balancée ainsi qu’un bâtiment ;
Et le détournement et la blancheur d’épaule
D’une saison qui meurt pour éternellement.

Ce qui depuis ce jour est devenu la boue
Était alors le suc de la féconde terre.
Et nul ne connaissait la peine héréditaire.
Et nul ne connaissait la houlette et la houe.

Ce qui depuis ce jour est devenu la mort
N’était qu’un naturel et tranquille départ.
Le bonheur écrasait l’homme de toute part.
Le jour de s’en aller était comme un beau port.

Charles Péguy
Ève
Cahiers de la Quinzaine
 Quatrième cahier de la Quinzième série, 1914
pp. —-395

До свиданья, друг мой, до свиданья -Sergueï Essénine- Сергей Александрович Есенин Poème Adieu mon ami

русской поэзии
Сергей Александрович Есенин
ARTGITATO
До свиданья, друг мой, до свиданья

русский поэт- Poète Russe
русская литература
Littérature Russe

 

Traduction Jacky Lavauzelle

Sergueï Essénine

Сергей Александрович Есенин
1895-1925

стихотворение в прозе
Poème en prose
Июнь 1882
Juin 1882


До свиданья, друг мой, до свиданья

Adieu mon ami

1925

До свиданья, друг мой, до свиданья.
Adieu, mon ami, sans une poignée de main, sans un mot,
Милый мой, ты у меня в груди.
Ne sois pas triste, n’aie pas le regard abattu.
Предназначенное расставанье
Dans cette vie, mourir n’est pas chose nouvelle,
Обещает встречу впереди.
Vivre, bien sûr, n’est pas nouvelle chose aussi.

*

До свиданья, друг мой, без руки, без слова,
Adieu, mon ami, adieu.
Не грусти и не печаль бровей,-
Mon cher, tu es dans ma poitrine.
В этой жизни умирать не ново,

Que naturelle soit notre séparation
Но и жить, конечно, не новей.
Qui promet une rencontre prochaine.

**********************
Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
*******************

До свиданья, друг мой, до свиданья
Сергей Александрович Есенин
1925

LAZYBONES (Borzage)

FRANK BORZAGE
LAZYBONES

1925

Lazybones Borzage Artgitato

 UNE LANGUEUR DECONCERTANTE 

 

COUVE, LONGTEMPS APRES SA NAISSANCE

Être dans le temps n’est pas chose facile. Regarder le temps passé, non plus. Les autres ne comprennent pas et méprisent ceux qui s’adonnent à la contemplation. Il y a ceux qui s’activent, qui bougent tous azimuts. Steve Tuttle (Buck Jones), lui se blottit sur une branche, jusqu’à se confondre avec elle, jusqu’à être l’écorce, au bord de la rivière. Il rêve. Steve reste un grand enfant. Sa mère, Ma Tuttle (Edythe Chapman), «était une de ces mères poules qui couvent leurs petits longtemps après la naissance ».

IL EST JUSTE FATIGUE D’AVOIR GRANDI TROP VITE

Steve ne grandit plus. Contrairement à Oskar, l’enfant Kachoube du Tambour de Schlöndorff, qui a décidé d’arrêter de grandir, il y a chez Steve un manque de volonté. Une absence de but précis. Il ne décide pas, il subit. « Mon garçon n’est pas un fainéant. Il est juste fatigué d’avoir grandi trop vite ». 

– ENGLUE DANS LA MELASSE DE L’HIVER

Steve laisse couler sa vie, comme la rivière coule près de l’arbre où il laisse filer le poisson, comme la mélasse en hiver. La mélasse c’est autant ce résidu sirupeux que la boue collante ou le brouillard épais – Le sucré ou le désagréable. L’hiver a son importance. En été, elle coule trop vite et déborde de tous côtés. En hiver, elle se solidifie, prend le temps de sortir autour d’elle-même, de suivre les contours de la paroi rugueuse et sortir lentement mais régulièrement et venir s’enrouler au cœur de la tartine et bien se répartir tranquillement. « Steve était d’une langueur déconcertante, comme s’il était englué dans la mélasse en hiver ». L’image montre le lourd sirop qui tombe lentement.

– TU ES SI PARESSEUX 

Le temps passe au-dessus de Steve. Les toiles d’araignées des premiers plans sont énormes et datent de plusieurs jours, voire plus. Le corps pourrait paraître mort. Il dort. Ce n’est pas un refus d’agir. Mais pourquoi maintenant prévoir pour demain. Il se lève quand Agnès (Jane Novak) arrive. Il est amoureux. Ça suffit à le réveiller de sa torpeur. Non sans casse d’ailleurs, puisque en s’asseyant il écrase l’œuf qu’il avait précédemment posé avec soin. Sa paresse est là qui interdit l’union. « Oh ! Steve ! Tu es si paresseux ! Tu ne pourrais pas au moins réparer le toit ?  _ Pour quoi faire ? Il ne devrait pas pleuvoir ! Je sais que je ne suis qu’un bon à rien, mais je t’aime, Agnès, et je te rendrais heureuse. J’ai plus d’un tour dans mon sac, ça oui ! ». Le portail en bois, complètement disloqué rythme le film, « Darn the Gate ! Satanée porte ! »

MÊME SON ANGE GARDIEN Y AVAIT LAISSE DES PLUMES

La mère d’Agnès, la terrible Madame Rebecca Fanning (Emily Titzroy) au début du film casse volontairement le calme et le repos de Steve. Mouvement brusque et linéaire du vélo-tandem, de la droite vers la gauche ; donc mouvement pénétrant, intrusif et agressif. « Sa mère (d’Agnès) était une femme si difficile à satisfaire que même son ange gardien y avait laissé les plumes ». Madame Fanning sera son ennemie jusqu’à sa folie finale.Steve sera trop faible pour lutter contre ce roc de méchanceté et de dureté. « Je ne laisserai pas ce fainéant de Lazybones traînasser autour de ma fille » dit-elle. Ruth, son autre fille (Zasu Pitts) parle d’elle en ces termes : « Je sais que tu vas me croire. Tu n’es pas comme maman. Elle est très dure et tellement soupçonneuse…Mais j’ai eu peur d’écrire à ma mère pour le lui annoncer ».Steve n’est pas un homme d’action, il s’est forgé un autre monde imaginaire. Il agit dans l’instant. Il n’hésite donc pas une seconde à se jeter dans la rivière pour secourir Ruth. Il n’hésite pas non plus pour récupérer le bébé et le reconnaître de suite : « je vais prendre le bébé et le ramener à la maison ». Quand il agit en héros pendant la première guerre mondiale, c’est tout-à-fait par hasard. Dans son sommeil, alors que les autres se battent, Steve tire une balle qui le réveille. Surpris et seul dans la tranchée, il sort à la recherche des autres soldats. Se retrouvant derrière la ligne ennemie, les allemands, se croyant cernés,  se rendent tous ensemble. N’ayant pas la force ou ne sachant pas écrire, il rentre chez lui. « Steve était bien trop paresseux pour écrire chez lui et dire aux siens qu’il était bien vivant. Alors, un soir, il est tout simplement rentré ».

– RAPPELLE-MOI DE REPARER CETTE PORTE

Steve fonctionne comme s’il n’avait pas de mémoire. Le passé ne s’incruste pas dans sa tête. A chaque fois qu’il passe devant la porte, c’est comme s’il s’agissait de la première fois. Quand il part au combat, il dit à sa mère : « rappelle-moi de réparer cette porte à mon retour », comme s’il ne le savait pas, s’il allait encore oublier. Quand il retrouve Kit, sa fille adoptive (Madge Bellamy), jeune fille déjà, il en tombe amoureux, comme s’il s’agissait d’une nouvelle rencontre et en oubliant son rôle de père. Sa mère le remarque : « Steve, tu es amoureux de Kit !». De retour de la guerre, les cheveux ont blanchi. Quand il se regarde, il voit encore un jeune homme : « Je fais encore assez jeune, tu ne trouves pas, Maman ? Je me sens si heureux. Je vais travailler pour m’acheter des vêtements flambants neufs ! »

LA MORT EST UNE CHOSE NATURELLE

De cette absence de temporalité, la notion de mort devient relative. Un évènement de l’instant, ni plus  ni moins. Ruth s’éteint aux côtés de sa fille Kit. Steve lui explique ce qu’est la mort : « La mort est une chose naturelle. Les gens commencent à se sentir las et fatigués. Alors, ils sont appelés au ciel ».

DEBARASSE DE CES FICHUES CHAUSSURES

Kit, amoureuse de Dick Ritchie (Leslie Fenton), se marie. La voiture qui s’éloigne entraîne avec des ficelles  les chaussures de Steve. Il pleure. « De toute façon, je me suis débarrassé de ces fichues chaussures ». L’arbre retrouve Steve dans la même position de rêveur. D’un coup, il se jette dans la rivière, attrape un poisson pour le relâcher aussitôt. La nature l’a retrouvé.

Jacky Lavauzelle