SYLVAIN TESSON
SUR LES CHEMINS NOIRS Critique
Editions Gallimard -2016
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L’ANGELUS de JEAN-FRANÇOIS MILLET
1857-1859
Musée d’Orsay
Paris
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LA DIAGONALE DU LOUP
DANS LA BERGERIE
L’époque a changé.
UNE NATURE NEUVE ET SOLIDE
Le mouvement a toujours questionné l’homme. Ses origines aussi. Le plein se trouve parfois à partir du vide. Sylvain Tesson en disant que sa quête qui le conduit sur « un réseau de chemin campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vide » ne rejoint-il pas le désir taoïste : » Et vous croyez, dit Lao-tzeu, que cela se passe ainsi, de la main à la main ? Faire durer la vie suppose bien des choses. Êtes-vous capable de conserver votre intégrité physique, de ne pas la compromettre ? Saurez-vous toujours distinguer le favorable du funeste ? Saurez-vous vous arrêter, et vous abstenir, à la limite ? Pourrez-vous vous désintéresser d’autrui, pour vous concentrer en vous-même ? Arriverez-vous à garder votre esprit libre et recueilli ? Pourrez-vous revenir à l’état de votre première enfance ? Le nouveau né vagit jour et nuit sans s’enrouer, tant sa nature neuve est solide. Il ne lâche plus ce qu’il a saisi, tant sa volonté est concentrée. Il regarde longuement sans cligner des yeux, rien ne l’émouvant. Il marche sans but et s’arrête sans motif, allant spontanément, sans réflexion. Être indifférent et suivre la nature, voilà la formule pour faire durer sa vie. » (Œuvre de Tchoang-tzeu Chap. 23. Retour a la nature – traduit par Léon Wieger publié en 1913)
Mais Sylvain Tesson marche avec un but : partir à travers notre ruralité en longeant les chemins de France du sud vers le nord.
LE TRAVAIL DE L’ITINERANCE
L’homme a un besoin de retour, d’origine. Aujourd’hui plus fortement encore. Comme d’autres périodes de l’histoire qui agit en un balancier perpétuel.
Pierro Marcello sur son dernier film Bella e Perduta évoque son Italie : « J’ai appris à regarder l’Italie tout en contemplant depuis les trains, redécouvrant ainsi sa beauté et sa ruine. J’ai longtemps voulu faire un film itinérant qui traverserait des provinces pour décrire l’Italie : belle, oui, mais perdue. Leopardi l’a décrite comme une femme qui pleurait la tête dans ses mains à cause du poids de son histoire, et du mal ancestral lié à sa beauté. »
Le projet de Sylvain Tesson ne semble pas différent. A l’origine, une chute. Une petite chute. Huit mètres qui entraîneront l’auteur à couper la France de la frontière italienne du Col de Tende jusqu’au bout du Cotentin.
Une verticale qui engendrera une diagonale.
Quelques secondes de chute qui amèneront du 24 août au 8 novembre, à une marche initiatique dans ce que les parisiens appellent la France Profonde. En un mot, la France où nos citadins s’emmerdent sans Wi-Fi, sans autoroutes et sans TGV à travers l’hyper-ruralité par les chemins de traverses, les chemins noirs.
Nous sommes loin de cette fin du XIXe et du début du XXe siècle où la vitesse était l’objet de toutes les attentions, les peurs et les admirations. L’électron, la voiture ou la locomotive : »Le mécanicien dit alors au charretier : — Nous n’avons tué qu’un cheval et cassé qu’un chariot ; mais si je t’avais écouté, nous serions tous morts, nous et les voyageurs. Allant à toute vitesse, nous avons rejeté le chariot sans ressentir de secousse ; tandis que si nous avions ralenti, nous aurions déraillé. » (Léon Tolstoï La vitesse et la force Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky . Contes et fables, Librairie Plon, 1888 (pp. 93-94).) Passons sur l’Homme Pressé de Paul Morand, Un Jeune Homme bien pressé de Labiche, …
UNE MARCHE TGV
Le livre de Sylvain Tesson est une narration en marche rapide, forcée ?, à travers des paysages divers de notre France.
Six heures, sept heures par jour, parfois plus.
(Mince, je commence à rêver d’avion…, c’est pas bon signe)
Mais, malheureusement pour nous, nous n’avons donc jamais l’impression de profiter des lieux. De les déguster. De les sentir. De les humer. Plutôt de les ingurgiter. Quelques impressions. Quelques réflexions. Des départements, des régions passent en quelques lignes. Rapides. Sortes de LGV de la langue. « Nous passâmes des heures à ouvrir et à refermer des clôtures pour nous frayer passage dans les champs » nous dit Sylvain Tesson.
J’aurais aimé un chapitre entier sur ces clôtures bancales, rénovées, en bois, métallique, rouge et rouillée, verte et huilée. Quels champs ? Aucun champ ne se ressemble. Aucune herbe non plus. Il y a tant dans chaque motte de terre. Et quelle terre ? Calcaire, pierreuse, boulbène. Il eût fallu cent pages sur une feuille et une feuille sur une nervure ou sur une teinte entre le vert et le rouge. Un silence entre les phrases. Se poser. Un moment, respirer. Mais les pas entraînent les pas. Les sept ou huit heures de marches sont là. Et ça gâche ! Terriblement !
Ce n’est pas un catalogue qu’il aurait fallu. Mais une visite des lumières de l’aurore, des teintes du crépuscules. Ressentir la rosée qui s’éteint et celle qui se pose. Que le froid du petit matin nous passe dans le dos relevant, un à un, chacun de nos poils réveillés.
Un bon repas ne peut et ne doit être mangé comme une salade dans un fast-food.
Ce n’est pas un catalogue… Peut-être quelques mots. Quelques vers suffisent à Lermontov pour ressentir ce que nous dit le chemin, ce que nous disent les vibrations d’une feuille ou d’une mousse : « Je me penche et longtemps j’écoute : Je crois entendre sur la route Le son qu’un pas léger produit… Non, ce n’est rien ! C’est dans la mousse
Le bruit d’une feuille que pousse, Le vent parfumé de la nuit. » (Mikhaïl Lermontov, L’attente)
POUR LA LIBERTE DE SE TAILLER LE MAILLOT EN PLEINE RURALITE
« Traverser ces villages donnait l’impression de passer la revue des façades en berne…Les commerces florissants étaient des salons esthétiques. » Oui, la France profonde n’est pas que joie et gaieté. Nous le savons tous. L’exode-rural pour rejoindre les villes n’a pas été qu’un simple souhait de s’agglutiner dans des périphéries, mais le souhait de trouver du travail, souvent moins pénible, offrir un avenir différent à ses enfants. Et ceux qui restent n’ont-ils pas le droit de se faire le maillot ou un gommage de peau ? Nos dames rurales doivent-elles garder la source noire ?
Doivent-ils rester nos ruraux devant leur ballon de blanc ou leur byrrh ?
Nous avons donc, tout au long du livre, cette impression de vitesse et, comme dans un train, nous voyons tout et nous ne voyons rien.
Sylvain est en marche et la continue.
LA CAMPAGNE OUI MAIS AVEC LA CULTURE DU MONDE
Parler de ces espaces qui luttent ou qui n’intéressent tout simplement pas la mondialisation en comparant des paysages au plaines mongoles, ou passer à raconter de « la Russie des forêts« . Amener des quantités de référence et mélanger Pessoa, Béatrice von Rezzori, Bruegel, etc. Le monde dans ses bagages. Un peu comme celui qui voyage et souhaite retrouver son hamburger et son café, comme à la maison.
POURQUOI SE FATIGUER A NOUS FATIGUER
Le livre se termine en une petite centaine de pages. Trop rapides. Ok il a rencontré des bobos et hippies hollandais, anglais, des allemands et des chasseurs gros et gras, bêtes et débiles.
Mais quand il semble être fatigué de sa route, et que Sylvain Tesson avoue « il y allait avoir beaucoup de ponts à passer dans les prochaines heures. » On le sens épuisé. Fallait pas ! Rien n’oblige !
C’est dommage. Les ponts c’est beau.
C’est symbolique. Et comme les barrières, ils sont tous différents. Ils font se rejoindre les hommes et les territoires… Il ne faut pas se forcer, ni se donner du mal. La France est belle quand elle se découvre humblement, dans le temps. Mais dans cette beauté, il y a de la solitude non désirée, de la misère, de la pauvreté, de l’isolement non désiré aussi. Pour certains, ça la rend plus désirable encore.
Le noir se couche sur les chemins. Les rocades et les ronds-points gagnent. Et les salons esthétiques aussi.
Et alors ?
J’ai dû me tromper d’histoire…
Jacky Lavauzelle
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SUR LES CHEMINS NOIRS CRITIQUE