LA DENTELLIERE (Cl. Goretta) LA SOLITUDE AU CARRE

Claude GORETTA
LA DENTELLIERE (1977)
La solitude au carré

La Dentellière - Affiche - Claude Goretta - 1977

LE MYSTERE DE LA SOLITUDE

Le salon de coiffure qui ouvre le film laisse la caméra filer les angles durs des corps des « vieilles rombières, des  vieilles radoteuses » qui se curent, se manucurent, qui se nettoient et se noient dans les silences de la caisse. Coule la caméra. Passe la caméra comme coule l’eau sur des têtes de ces dames.  Nouveaux fonts baptismaux qui relavent encore et encore le poids du monde. Mais les mots qui pourraient s’échapper se calfeutrent, s’inhibent.  Le salon est silencieux du silence des mots qui chutent à l’ombre des vies oubliées. La parole est creuse. Personne ici ne se confesse. Le salon est triste, mécanique. « – Une couple, une mise en pli, une manucure. – Vous êtes précise à une minute près ! » Les gestes sont répétés, toujours identiques, chirurgicaux. Ce n’est pas l’âme que l’on répare. Les âmes se sont perdues, il y a longtemps déjà. Les corps, peut-être. A la surface.

La dentellière Claude Goretta Film 2

 « Il est plus d’un silence, il est plus d’une nuit, car chaque solitude a son propre mystère. » (Sully Prudhomme) Ici, nul mystère. Même pas des solitudes. La solitude. Seule. Générale. La précision a rendez-vous avec la technique, le vide, l’ennui, le néant. L’enfer n’est plus l’autre mais cet espace invraisemblablement vide et froid. L’humain n’est plus au milieu de ces êtres abimés par le rien ; il est ailleurs, peut-être. Rien ne flotte que l’ennui. Les êtres ne sont mêmes pas désespérés. Ils sont là par habitude, sans y prendre garde.

53 KG DE SOLITUDE

Béatrice, Isabelle Huppert, est pudique, timide. Elle travaille pour « mille balles par mois ». C’est « son monde ». Elle « ramasse les touffes de cheveux  et tend la main pour trois  francs de pourboire. » Les restes de ces restes. Par touffes.

Elle a honte de son corps et regarde avec étonnement celui de son amie, impudique et démonstrative. Cette amie de circonstance, si différente, sur le même radeau, Marylène, Florence Giorgetti, la patronne du salon, qui attend encore et toujours le prince charmant. 53 kg ! Depuis plusieurs années ! Elle est disponible. Elle attend. Jouer et faire semblant de s’en offusquer : « Il faudrait qu’on soit toujours prête avec eux ! » Mais elle n’attend que d’être prête. Sa vie s’éclaire de cette attente idéalisée. Dans l’océan, elle voit cette bouée si proche et toujours plus lointaine. Interminablement, presque du bout des doigts. Un cheval blanc et ce Prince charmant qui brille des feux de l’adultère. Le meilleur n’est pas en soi. La terre est tellement devenue aride que rien n’y pousse plus. Faire illusion, encore une fois. Tendre sa toile. Il vient de cet ailleurs que l’on ne connait pas mais auquel on croit aveuglément. De toutes les façons, quoi faire d’autre ?

Béatrice est seule, avec ce corps trop lourd pour elle, qu’elle cache. Béatrice s’ennuie, mais elle est gentille. Elle finit les plats que sa mère lui présente, en faisant bien attention à ne pas tacher son chemisier. Elle écoute son amie. Et elle attend.

QUAND LES ARBRES EUX-MÊMES CHANCELLENT

Une musique passe : « dans la forêt de notre enfance…des étoiles pleins les branches…puis des hommes sont venus…les arbres ont chancelé… » Les étoiles ont disparu et les hommes ne viennent pas. Un ciel sans lumière et sans vie. Si « la tristesse vient de la solitude du cœur » (Montesquieu), elle a dépassé ce stade. L’indifférence. Presque.

Béatrice fête sa dix-neuvième année avec sa mère et Marylène. Un gilet vert comme cadeau. « Il est vraiment très beau… » Une balade en bateau. C’est la fête ! Et le retour à sa chambre. Et de la chambre au salon. Elle attend le lendemain, où elle retrouvera Marylène et ses clientes.

Son amie se retrouve, encore une fois,  « larguée au téléphone. Ça fait trois ans… J’ai perdu trois ans, comme une imbécile…Espèce de salaud, tu as bousillé ma vie…Espèce de salaud, tu veux que je crève…Pauvre con !» Et elle en crève d’être prise ou d’attendre, d’espérer ou de désespérer ? Marylène a des ennuis, alors Béatrice s’occupe d’elle. Elle n’a rien d’autre à faire.

Marylène a de la chance ; dans sa  tristesse, elle vit. Des histoires glauques et médiocres. Mais des histoires quand même. S’énerver c’est se débattre. C’est se savoir en vie. Même si cette vie s’effondre. Béatrice la réconforte, sans y croire. Personne n’y croit plus. « Il va peut-être venir ! Tu veux que j’aille chercher ton ours ! » Béatrice se sent vivre aussi. Un peu.

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DE CABOURG A BALBEC

Et la mer ! Les corps nus, l’infini, le désir, l’impossible, la liberté, l’horizon si loin que l’espace s’y perd. Cabourg.  Seules, les deux filles sont sur la plage, même « s’il fait meilleur à Paris ».  Une plage infinie, «  elle va jusqu’où la plage ? » Les coquillages que l’on ramasse. Et la chambre triste. Derrière le mur, dans l’autre chambre d’à côté, un couple qui rit. Puis des ébats. Le malaise qui s’installe. Et nos deux filles qui rangent. A la radio, une publicité sur un champoing, pour changer du travail. Et les rires d’à côté qui embarrassent les filles. La chambre ne veut plus d’elles. « Tu viens ! On va prendre quelque chose de chaud. »

Cabourg. Balbec. Béatrice ou Swann. Une longue errance des sentiments introvertis. Swann analyse et décortique. Béatrice cherche sans comprendre. Elle passe. Béatrice est une anti-Swann- Pour Swann le presque-rien devenait un tout infini et complexe. Pour Béatrice, la totalité ne représente rien. Dans le grand restaurant, pas de clients. Elles se retrouvent naufragées sur le rivage normand « Ils sont où les gens ici? – Par ce temps, ils restent dans les villas ! – Et ceux qui n’ont pas de villa? … – Pour s’amuser vraiment, il faut aller jusqu’à Deauville ! C’est plutôt guindé ici, vous savez   !» Elles ne font pas non plus parties des cercles fermés. Elles ne sont d’aucun cercle. En dehors. Bien décalées. Exclues, elles suivent le mouvement des vagues en parcourant la plage. Une seule vaguelette pourrait les emporter loin dans les bas-fonds des océans. Mais elles y sont déjà au fond.

Béatrice apprend à nager. Elle qui déjà, dans le quotidien, se noie, se lance dans les éléments et dans l’infini. Marylène est là qui la supporte. Mais Marylène est fascinée par son obsession des hommes  jouant au ballon.

La boîte de nuit. Marylène danse quand Béatrice reste seule. Elle ne sait pas danser et elle baisse la tête. Béatrice s’agite encore, même quand la musique s’arrête. Il n’y a plus de temps à perdre. Il lui en faut un. Marylène ne voit plus Béatrice. Elle attend son homme. Malgré tout, personne ne veut d’elle. Abandonnée, elle fait sa crise sur la plage.

LE REFOULEMENT DES COEURS

Une autre boîte de nuit. Encore et encore. A la solitude proustienne qui drague la mort et le suicide, la solitude de Béatrice, dans les mains moites et en transe de Mylène, qui se saoule d’un triste divertissement. « N’ayant plus d’univers, plus de chambre, plus de corps que menacé par les ennemis qui m’entouraient, qu’envahi  jusque dans les os par la fièvre, j’étais seul, j’avais envie de mourir. Alors, ma grand-mère entra ; et à l’impression de mon cœur refoulé s’ouvrirent aussitôt des espaces infinis. » (Marcel  Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, II, Noms de pays : le pays)  293

Une musique plus langoureuse. Dans le slow, Marylène attrape enfin un homme dans ses filets. Le lendemain, elle est rayonnante. « – Il a demandé d’habiter chez lui ! – Tu seras mieux ! T’auras plus de place !» Il n’y a déjà plus de copine qui vaille. Son corps est ailleurs. Un autre en a pris possession. Elle vit enfin.

A la plage, le lendemain, Béatrice est seule au milieu des corps. Elle repart, mal à l’aise, dans un café. A manger des glaces, encore. « Je restai dans mon isolement comme un naufragé de qui a paru s’approcher un vaisseau, lequel a disparu ensuite sans s’être arrêté. » (Marcel  Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, II, Noms de pays : le pays)  Mais là, un autre, un être, un homme s’arrête. Elle ne le voit pas. Elle ne sait pas voir. Mais lui est intrigué par cette étrange créature qui ne ressemble à rien d’autre. Il vient de découvrir une nouvelle espèce. Proche de la sienne.

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UN ENNUI MONUMENTAL

Le jeune homme qui s’assied à ses côtés, installe sa raquette. C’est François, Yves Beneyton, « brillantes études de lettres à Paris ». C’est le premier homme qui la remarque. Enfin. Il faut briser la glace de cet iceberg. Au chalumeau. « – Beau temps pour manger des glaces ! Vous êtes en vacances ? Vous n’allez pas à la plage ? Vous n’aimez pas ? A cette heure-ci, c’est la fourmilière. La plage, il faut y aller tôt le matin, c’est complétement vide…Je passe mes vacances dans ce trou depuis ma plus tendre enfance, hélas !… Cabourg, perle de la côte normande. Sa digue de 1800 mètres, son casino et ses jardins aux parterres admirables couverts de fleurs. Son avenue de la Mer, son grand hôtel avec sa chambre de Marcel Proust. Ses spécialités de caramel mou. Son garden tennis-Club. Son golf à dix-huit trous. Pour les moins fortunés, son golf miniature. Son cercle hippique. Son marchand de cycles. Sa poste. Sa promenade des Anglais.  Son boulevard des Belges. Et puis surtout, son ennui monumental. »

LA VACANCE DE L’AMOUR

Lui aussi est seul. Riche, mais seul. Il joue au tennis contre un filet. Il se balade seul sur la plage. Et elle le cherche sur les courts de tennis. Et lui, sur la plage. Au café. Mais elle reste dans sa chambre. Et François passe le boulevard de la Mer au peigne fin, à la recherche de l’inconnue, le cœur battant. La rencontre enfin « –ça fait bien plaisir de vous revoir ! C’est vrai ! Si, si, c’est vrai ! » Ce n’est peut-être pas de l’amour mais une méconnaissance du sentiment amoureux à l’écoute de ce cœur qui depuis trop longtemps était devenu si calme. « J’étais dans une de ces périodes de la jeunesse, dépourvues d’un amour particulier, vacantes, où partout – comme un amoureux, la femme dont il est épris – on désire, on cherche, on voit la Beauté. Qu’un seul trait réel – le peu  qu’on distingue d’une femme vue de loin, ou de dos – nous permette de projeter la Beauté devant nous, nous nous figurons l’avoir reconnue, notre cœur bat, nous pressons le pas, et nous resterons toujours à demi persuadés que c’était elle, pourvu que la femme ait disparu ; ce n’est que si nous pouvons la rattraper que nous comprenons notre erreur. » (Marcel  Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, II, Noms de pays : le pays) 

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IN CASINO FORTUNA

Nos solitaires s’éloignent du monde. « – Ici, il n’y a déjà plus personne. Ils préfèrent s’entasser devant le casino – Vous n’aimez pas quand il y a du monde ? – Vous, non plus, non ? – Non, j’aime pas beaucoup !» Ils se sentent plus vivants et plus forts, ensemble.

In casino fortuna – La Chance est dans cette maison. La chance n’est pas au rendez-vous et le homard se transforme en boîte de conserve. Les corps se rapprochent. Mais ne se touchent pas. « – Vous voulez une pêche ? – Non, merci. Je ne supporte pas la peau. Ça me fait frissonner ! – Je vais vous en épluchez une ! » On pense alors à un vieux couple. « –rien que de vous voir l’éplucher, ça me donne la chair de poule ! » Mais à côté, les amants font du bruit, encore. Les corps du monde inondent la chambre dans un cri de jouissance interminable. Béatrice, mal à l’aise, met la musique. Lui préfère la musique classique. Alors elle cherche la bonne fréquence. Un livre sur les lits. Les contes de Maupassant. Elle sourit. Elle pense se rapprocher de lui. «Juste penchée au-dessus d’un désordre qui les abritait, l’oiseau s’égosillait toujours. Ils ne parlaient pas de peur de le faire fuir… » Elle ne fuira pas. Il y a trop longtemps qu’elle a perdu ses ailes et ses jambes.

ET TA VIE ? C’EST QUOI

Une route. Un cimetière américain. « Il y dix mille rien qu’ici ! Il n’y a pas que des baigneurs sur la plage ! ». Marylène retrouve son amie. « –C’est impressionnant tous ces américains. Qu’est-ce qu’ils étaient jeunes ! »  Au cœur de cette jeunesse abattue en plein vol, Marylène a rencontré John, le bon, peut-être ? Elle se rassure. C’est un américain. Marylène semble étonnée que Béatrice ai pu attraper un homme, elle si prude. «- Dans le fond, vous étiez venues à Cabourg pour draguer ? – On été venues pour voir la mer ! – Tu ne l’avais jamais vu ? – Ben non ! – Tu ne connais rien, alors ! Et ta vie, alors, c’est quoi ? – Le travail, et puis la maison – Et les garçons ? – Non ! – Tu n’en as jamais eu ? – Non, jamais ! – Tu es vierge, alors ? – Oui ! – Et avec Marylène, tu n’as jamais rencontré de garçons ? – Elle n’en connaît pas beaucoup, je crois ! – Et tes parents ? Qu’est-ce qu’ils font ? – Je vis avec ma mère, elle travaille dans un magasin. – Et les gars dans la rue, dans le métro, ils ne te baratinent pas ? – Si, ils essaient. – Ben, alors ? – Ben, rien ! Ils ne m’intéressent pas. Je ne les connais pas. -Et moi ? – Toi, c’est différent. Je ne sais pas, tu es poli ! »

Dans les terres, à la campagne. On dirait un tableau de Renoir. François semble jaloux. Un type semble s’intéresser à Béatrice. C’est un peintre. Il offre les deux dessins. Elle ne sait pas lequel prendre. En voulant déchirer son portrait, elle montre ses premiers sentiments.

La dentellière Claude Goretta Film

 

QUELLE GRÂCE DANS LE TRAVAIL

Dans sa chambre, elle se dénude et positionne sa robe au-dessus du lit. Le jeu de l’aveugle. De la confiance au bord du précipice. « –un quart de tour à gauche…un demi-tour à droite…Tu as peur…un petit pas…Tu peux ouvrir les yeux maintenant…tu as confiance en moi – Bien sûr. » Elle apprend à faire confiance. Elle se donne. La maison des parents. Les draps que l’on tend. Les regrets de ne pas se voir si souvent. « –viens m’aider à plier celui-là, on va voir ce que tu sais faire ! » Le drap se plie « –Quelle grâce dans le travail ! – Ne te moque pas ! » Elle a tant et tant plié, tant tendu et rangé. La grâce n’y est pour rien. Mais lui y trouve de la beauté.

FAIRE DES CHOSES INTERESSANTES

Le désir. L’envie de passer une nuit ensemble. « -si tu ne veux pas…je en veux pas que ça soit pour me faire plaisir…tu as froid. Tu veux ton châle. » Le châle que l’on pose à la nuit tombée.

La chambre. La lumière que l’on éteint. Que l’on rallume. Le désir. L’intimité. La honte. Une lumière glauque. François s’assied au bord du lit et découvre peu à peu Béatrice. Les bras s’enlacent.

La plage. Il fait froid. La visite chez la mère de Béatrice. Les petits gestes du quotidien. Les dessins de jeunesse que l’on feuillette et les photos anciennes que l’on passe.

Nouvel appartement. Nouvelle peinture. Elle a même marqué les livres qui étaient ouverts avant de les refermer pour les ranger. Ce poids devient lourd. Elle doit s’ouvrir. Elle n’est pas que ça. Il faut qu’elle fasse autres choses pour que sauver ce couple qui déjà patine. Il faut « faire des choses plus intéressantes, prendre des cours … – J’aime bien ma vie avec toi. J’apprends plein de choses. » C’est déjà plus qu’elle n’a jamais espéré. Pourquoi plus encore.

DU CARRE AU CARRE, ET TOUJOURS UN PEU PLUS DE SOLITUDE

Les amis. Les intellos. Les conceptuels. Et des mots qui enveloppent. Qui à force de vouloir dire et donner du sens politique, des mots qui restent-là sans ne plus servir à rien. On classifie, structure, range. C’est un nouveau salon de coiffure pour jeunes étudiants en mal d’affirmation. La caméra ne filme plus les corps du salon de coiffure mais les mots anguleux du salon où l’on cause et où l’on refait la vie « – Ça, c’est ta voiture, ça, c’est  ta maison, ton bureau, ton lit, le métro, l’avion, l’ascenseur, le cercueil. T’es toujours dans la boîte ! Regarde ! On n’a pas l’air gai là-dedans !  T’as tout là-dedans ! Le boulot, la bouffe, la baise !…Il y a eu l’âge d’or, l’âge de fer, maintenant l’âge de la boîte. L’âge de la boîte, de la standardisation. Si t’es pas conforme, si t’as pas la dimension, que tu ne rentres pas dans la boîte, t’as qu’à crever ! Sauf la boîte, c’est pourtant évident, l’âge de la boîte est venue…

SIMPLE EFFICACE IMPARABLE

…La boîte c’est 6 cloisons et 24 angles droits, c’est simple, efficace, imparable ! C’est la solution à tous tes problèmes ! Qu’est-ce qu’y reste comme place pour la promenade, plus d’horizon. Parce que  l’horizon, c’est pas droit, c’est fantaisiste. La vie, maintenant, c’est fait pour le rendement. Pas pour vivre ! Tu ne t’en rends même pas compte. Ça vient tout doucement. Un beau matin jour, tu découvres un nouveau feu rouge en bas de chez toi, une interdiction de stationner, un sens unique.  Tout ça, tu te dis, c’est pour faciliter la circulation…alors tu t’arrêts au feu, tu vas dans le bon sens …la boîte se referme sur toi. »

Mais les pensées éloignent les couples et les corps. Les mondes ne se croisent pas. Se sont-ils une fois croisés ? Mais la pensée de Béatrice implose. Elle ne comprend plus. Cet espoir qui est entré dans sa vie finira par la tuer. Sèchement. La raison vacille et flanche. Le corps n’a plus d’envies. Et le temps s’est arrêté. Elle est dans la boîte. Seule.

 Jacky Lavauzelle

La dentellière

JEAN DUBUFFET : DE L’ART BRUT AU BRUT DE L’ART TOTEMIQUE (L’ARBRE BIPLAN)

JEAN DUBUFFET
L’ARBRE BIPLAN 1968
résine de polyester
 Museu Colecção Berardo
(Lisbonne)
 DE BELEM A BETHLEEM
de La Terre à la Transcendance

 Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (3)Passent les œuvres glanées par le monde au rythme des deux saisons portugaises, l’été et ce qui précède l’été. Passent les toiles dans le ciel chaud lisboète de l’art mondial. Filent les sculptures torsadées. Passent les œuvres entre les visiteurs fatigués portant encore dans leur chair le poids de la chaleur, de cette chaleur qui enveloppe Berardo ; des visiteurs lourds du poids de la fatigue de cette marche harassante qu’il a fallu faire en partant du Bairro Alto, de l’Alfama ou de la Praça do Comércio ; longue traversée initiatique où l’on croise encore comme par magie les pas de Vasco de Gama ; interminable tapis où se tiennent entremêlés ces millions de pavés blancs glissants et aveuglants. 

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (7)

 

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (6)Coulent les lignes entre le gothique flamboyant, les courbes mauresques, les façades de béton brut, les azulejos usés et de multiples tags politiques et engagés, plus insistants les uns que les autres. Craquent  les milliards de José Berardo qui reviennent en créations multiples, changeantes et multicolores. Suivent  les incontournables d’une visite, la Tour de Belém, les meilleurs pastéis de la pastéléria de Bélem bondée comme toujours par des flots de touristes armés de tongs et de bermudas, le monastère Mosteiro  dos Jerónimos, le Padrão dos Descobrimentos et encore un pastel pour la route longue où nos pieds s’enflamment. Passent les styles, du manuélin baroque au mauresque éclatant. Passent  les siècles, les époques de Manuel 1er, Afonso de Albuquerque au style post-colonial. Passent les grands mouvements dans les murs du Musée Berardo, Constructivisme, Abstraction, Digitale, Cubisme, Pop Art, Minimaliste, Art Brut, Surréalisme, les Warhol, Braque, Hamilton, Blake, Malevitch, Tinguely, de Kooning, Rodtchenko, Dalí,  Kline ou Ray…

Mais reste l’arbre posé devant l’entrée. Face aux éléments et aux turbulences des époques. Reste là, posé sur son tronc blanc, bigarré comme un platane, tagué lui-aussi, mais tagué  par des lianes noires et épaisses le fixant pour toujours dans la terre de Belém. Dubuffet trône là, dans sa blancheur éclatante. L’arbre, dans le bleu intense du ciel, brille. Et si, comme le souligne Bachelard, « tout ce qui brille voit », alors, nous sommes regardés de toutes parts, transpercés.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (8)

 C’est l’arbre biplan. L’arbre-avion, l’arbre qui plane. Un arbre qui devrait plutôt se nommer arbre sesquiplan au vu des deux parties inégales du branchage supérieur ; les deux hélices semblant se ramasser tel un ressort félicitant l’envol. Mais la terre résiste. L’arbre en fait ne semble pas vraiment vouloir décoler. Les lignes se multiplient sans savoir si elles viennent de l’arbre lui-même ou de la terre. Si la terre a engendré l’arbre ou si l’arbre lui-même n’est autre que le créateur de notre lieu.

Pour l’heure, c’est l’arbre qui trône entre le charme des lieux et les beautés du ventre du Musée. Eclats et beautés à ce point rassemblés. Pour Platon, la beauté est ce qui est le plus éclatant, de plus aimable, aimable parce qu’éclatant.

L’arbre Biplan en est l’Eclat.

Mais revenons à nos torsions et nos lignes, car, pour autant, la torsion s’arrête nette prise dans un espace-temps indéfini. Si en 1966, Jean Dubuffet s’engage dans des réalisations en volume, il passe rapidement au monumental. Les deux monuments, l’arbre et le musée, se regardent, se posent et s’opposent, l’un dans un mouvement figé dans l’élan et l’autre posé dans le gris de la masse. Nous voudrions pouvoir monter sur ses ailes improbables et découvrir le Tage lové dans la frondaison imaginaire.

Dans la cour chaude que frappent les vents venus de l’Atlantique ou du Tage, en fonction des heures de la journée, l’arbre se pose, mais sans offrir l’espace d’un repos, la quiétude de l’ombre dans la douceur de la sieste. Le repos et la fraîcheur sont à l’intérieur, notamment dans le hall large et serein.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (9)

Quand Dubuffet abandonne l’huile pour le marker, il découvre la force et les possibilités du polyester. Et cette force se place en toute modernité acceptée dans l’ouverture ou la clôture d’une visite qui ne sera jamais la dernière.

L’arbre donne une note finale à un parcours devenu initiatique. Une cerise sur le pastel de nata. L’arbre est l’entrée ou la sortie. L’alpha et l’oméga du Musée. Il est l’arbre au bout du champ sous lequel le paysan se repose et examine son travail accompli. Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (10)Il est la vraisemblance de la nature devenue polyester, une vraisemblance qui ouvre sa ramure sur l’entrée. Il est ce temps différent ; celui de la lenteur ; une lenteur qui se répand dans l’être et chasse la chaleur pour en créer une autre, plus douce et intense ; la chaleur d’une pensée au monde. Celle de l’attente et de l’ouverture. Celle de la lumière des pavés à notre éclairage intérieur.

Ce nouveau rayonnement, cette diffusion douce de chaleur se concentre à partir de L’Arbre biplan et se diffusera tout au long de la visite, comme le sachet au fond de la théière. C’est le parfum de l’arbre qui permettra le visible. Même si la visite se termine par la cour intérieure où l’arbre vous attend. Surtout si la visite se termine par là. Le visible rendu possible par l’invisible. La découverte se fera alors brusquement dans l’instantanéité. Alors et dans ce sens seulement, la visite prendra un autre sens. L’arbre permettra alors le dévoilement d’un mystère. Un mystère différent pour chacun.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (11)

Dans l’instant de la rencontre dans le mouvement entre ce blanc et ce noir de la ligne. Conforme au modèle sans modèle. Qui attend le spectateur et lui demande des comptes, dans le silence des quelques tongs qui frappent le pavé là-bas, au fond, au niveau des boutiques où trônent les reproductions indéfinies.

Dans le désordre des lignes du tronc et des branches, ni mélancolie, ni angoisse. De la sérénité d’abord. De la respiration aussi. Quand les yeux suivent les méandres et que le corps tourne autour de l’arbre, la chaleur extérieure aidant, le mouvement peut devenir hypnotique. Quand l’arbre termine la visite, le mouvement peut devenir, s’il n’y prête garde, extatique.Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (12)

L’arbre, devenu Totem, nous entraîne alors dans sa dimension propre. A ce moment seulement, le spectateur se rend compte que c’est l’arbre qui couvre le Musée. Que c’est l’arbre qui envahit la forêt des œuvres. Que c’est l’arbre qui compte et que le Musée n’est plus que ce presque-rien. Que l’Arbre est devenu l’œuvre, complète, totale. Une œuvre de foi.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (13)Bélem redevenu Bethléem.

Si la réduction est le « commencement » de la phénoménologie chez Husserl, entendu comme science des phénomènes purs. Nous entrons avec Dubuffet dans l’augmentation, la foi des phénomènes totémiques.

De la terre à la transcendance. Nouvelle célébration.

Comme le soulignait Jean-Louis Chrétien, dans l’Effroi du beau :  » A rester sans célébration, que manquerait-il à la beauté ? …Nul compliment n’est requis à cette plénitude et il n’y a pas de réponse à ce qui ne fait pas question. A la beauté notre chant est superflu. Mais il est de cette beauté le propre superflu et seul l’aveugle qui l’ignore pourrait consoler le muet.« 

Jacky Lavauzelle

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 Емил Димитров
Ако си дал

VOLVER (Almodovar) LA MORT ET SON OMBRE

Pedro ALMODOVAR
 VOLVER  2006
La Mort et son ombre Volver Artgitato
  •    LA MORT &
    SON OMBRE
    AU COMMENCEMENT ETAIT LA FIN 

  • La caméra part en mouvement inverse, de la droite vers la gauche. Elle montre le cimetière, la mort, et le générique se déroule dans l’autre sens. Au commencement était la fin. Au commencement était le désir, el Deseo. Almodovar …Un film de Almodovar…R…E…V…L…O…V. Nous sommes dans un film qu’on rembobine. Ce sont les enfants qui s’occupent des parents ; il est donc normal que la première scène soit celle du lieu de repos éternel. Mais un repos vivant et venteux. Les femmes s’activent sur chaque tombe, aucune n’est oubliée. Le vent s’amuse à remettre les feuilles et les femmes à astiquer le lopin de terre. Chacun son rôle, un jeu de chat et de souris.  «Je m’en occupe, ça me fait du bien », « on s’prend un petit bout de terrain et on l’entretient de son vivant comme une résidence secondaire ». A ce rythme-là, Augustina « ne voit pas passer les heures au cimetière ». C’est normal nous sommes hors du temps. Dehors, les enfants jouent, pas de pleurs ni de larmes. C’est la vie.  Tout peut maintenant commencer.
  • « C’ETAIT PLUS FACILE DE JOUER LEUR JEU QUE DE DIRE LA VERITE »

Il y a ce que l’on voit. Et il y a la vérité. Il faut parfois Revoir, volver, pour savoir que ce que l’on a vu n’était qu’une illusion. Ce que l’ont voit n’est qu’apparence ou jeu. « C’était plus facile de jouer leur jeu que de dire la vérité ». Pour que la vérité soit, il faut aussi du temps, il faut qu’il ait fait son travail, c’est le temps du retour.

C’est ce qu’on ne voit pas qui fait bouger les choses et les êtres. C’est ce qui se cache qui voit vraiment, sans être vu. Les pales des éoliennes tout au long du chemin, tournent avec la puissance de « ce vent d’est qui rend les gens fous ».  Nous ne voyons pas le vent et pourtant elles tournent. Carmen Maura voyant sa fille au restaurant. Voir l’absence et ne pas voir la présence.

Le meurtre du « père » que l’on voit par terre, ensanglanté, ne nous fait ni chaud ni froid. Il y a ce sang qu’il faut éponger, modeste signe de vie de cet homme. Ni sa femme, Raimunda, ni sa « fille », qui vient de le poignarder,  ne sont vraiment désolées. Mais la mort de Tante Paula, qu’elle apprend au téléphone, la touche, « ça sert à rien de pleurer. Elle avait pris ses dispositions. Elle avait choisi son cercueil et réglé les frais d’enterrement ». La mort de la vieille tante malade harponne beaucoup plus fortement que  l’assassinat du père. D’un côté, il y a l’histoire, une vie. De l’autre rien ou pas grand-chose, un poids.

BON SANG, QU’EST-CE QU’ELLE PETAIT !

Et il y a ce que l’on sent et qui ne ment pas : le vélo d’appartement, les pets généreux de la mère, « Quelle odeur de bête!  C’est comme si maman venait de lâcher des caisses à tout va. Vous ne sentez pas. Bon sang, qu’est-ce qu’elle pétait! ».

Les mots ne servent à rien, surtout pas à comprendre. Ils sont faits pour être détournés. Le père n’est pas vraiment le père. Les amoureux morts ne sont pas ceux qu’on croit. La morte n’est pas morte. La fille n’est pas vraiment la fille, elle est aussi sa sœur. Et quand la mère se fait aide-coiffeuse d’origine russe, elle communique avec les mains, « par signes, elle comprend tout ».

Les couleurs en disent tout autant que certains mots. Elles disent les humeurs, les passions, la tristesse, le deuil. Augustina espère en ce dialogue avec l’au-delà. Son appartement est vert : les chaises, le canapé, le pull, les plantes. Il n’y a que l’herbe qu’elle fume qui n’est pas verte. Pénélope Cruz est sur des tons mauve-violet, elle est l’équilibre, la tempérance. Quand Carmen Maura revient du monde des « morts », elle se teint les cheveux blancs cadavériques. Là voilà de retour.

LES MORTS A L’AIDE DES VIVANTS

Les morts reviennent. Ils ne sont pas hostiles. Si la mère revient, c’est pour aider Tante Paula. Quand celle-ci meurt, « c’est quelqu’un ou quelque chose qui m’a prévenue. Elle serait revenue pour veiller sur sa Tante Paula. Quand mon grand-père, après son décès, est apparu à ma grand-mère, c’est qu’il avait une promesse à accomplir…et il a enfin pu retrouver sa paix éternelle et il ne s’est plus manifesté ».

  • LES FEMMES : DE LA VIE JUSQU’APRES LA MORT

Elles donnent la vie, accompagnent les mourants et s’occupent des morts. Elles veillent, « Après ce que j’ai fait à sa mère, c’est normal que je veille sur elle », « J’ai besoin de toi, maman, je me demande comment j’ai fait depuis ces années. » Elles s’engagent. Même au-delà de la mort qui n’arrête rien, surtout pas leur volonté, « même si j’étais morte, je te promets que je serais revenue ». Elles vivent entre avenir et passé. « Je venais du passé où elle-même vivait ». « Revenir, le front fané, les tempes argentées par les neiges du temps, sentir que la vie n’est qu’un souffle, que vingt ans ne sont rien».

Les exceptions : la présentatrice de télévision bien plus vulgaire que la prostituée du quartier. Mais c’est la télé. Elles sont solidaires. Elles s’entraident, habituées par l’absence des hommes. Un simple et timide espoir suffit pour relancer la machine : « et bien que l’oubli, qui tout détruit, ait tué mes vieilles illusions, je garde cachée une timide espérance qui est toute la fortune de mon cœur ». Des petits boulots, des démerdes, des échanges, des conseils. Elles creusent, déménagent entre elles, sans les hommes…

  • LES HOMMES, INCAPABLES D’ASSUMER L’AVENIR

Les hommes, eux vivent au présent. Ils n’existent presque pas. Que par légères touches, pas toujours si légères.  Le chômage n’est pas important quand le foot, le canapé et la bière sont là. Personne ne les regrette. « Il avait fait le malheur des femmes qui l’ont adoré », « Une telle monstruosité pareille sous mon toit. Incapable d’assumer ce qu’il avait fait et incapable d’assumer sa honte ». Incapable aussi de pardonner. Individualistes et égoïstes… Quand ils ne sont pas en train de violer ou de forniquer.

Bien sûr, ça doit rester entre nous, ces histoires.

Jacky Lavauzelle

ACTEURS
Pénélope Cruz : Raimunda
Carmen Maura : Irène, la mère de Raimunda et de SoleBlanca Portillo : Agustina
Lola Dueñas : Sole ou Soledad, la grande soeur de Raimunda
Yohana Cobo : Paula

 

 

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Keisuke Kuwata
桑田佳祐
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Fukuyama Masaharu 福山雅治
squall

Naotarō Moriyama 森山直太朗 森山直太朗
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Kondo Masahiko 近藤真彥 Matchy
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Akihiro Miwa 美輪 明宏
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MICHEL BOUVET : L’ART DUPLICITAIRE

Michel BOUVET
Affichiste

Michel Bouvet Portrait

L’ART DUPLICITAIRE

ou la Question
du Vide & du Plein

 L’affiche familière est là, face à nous, en pulsion.

Elle est toujours familière, passionnément. Elle doit se montrer. C’est sa raison d’être.

« L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. » (Baudelaire, Correspondances).  Elle glisse autour de nous pour mieux se montrer, pour mieux agripper, comme une liane sur son arbre. Elle nous guette, tel un fauve sur son territoire, La ville, La route, Le carrefour. Elle n’attend que le moment pour nous flécher, nous pénétrer. Elle sait capter toujours l’inconscient et l’esprit parfois. Attirer un instant de notre temps. Elle ne prétend pas  fleureter avec le familier, elle est Le familier. Quoi de plus proche qu’une affiche. C’est notre décor. Notre pollution, même.

Elle devient ce familier décalé, un ailleurs qui nous attrape le regard.

Nous rentrons dans le règne des paradoxes. Le proche et le lointain. Le familier et l’étrange. L’affiche est là qui nous saute à la figure. Nous tort et nous essore. Nos yeux y portent souvent une attention particulière. L’affiche qui semble inoffensive veut faire vibrer en nous plus d’une corde. Du vertige à la panique des silhouettes insondables hantent alors nos lieux. Et le familier s’évapore. Définitivement.

Le dessin d’abord. Il est l’essentiel, la forme première des grottes aux murs de nos cités. D’une autre manière, l’image est vocale et olfactive. Elle s’offre comme la sensation pure, passive et offerte. Posée contre un mur ou un panneau. Elle ne survivra ni aux intempéries ni aux autres spectacles. Papillon qui se pose sur les parpaings et le gris des villes. Hegel parlait de la « supériorité » de l’art vis-à-vis de la nature. Par la nature-même de cet art, l’affiche rend l’art naturel, tellement présent.

Pour autant, cet art se doit d’être autre, différent ; l’affiche doit par nature se faire remarquer, sinon elle n’a plus lieu d’être. Faire tendre l’affiche vers ce naturel qui n’en n’est pas un. Faire tendre le cœur de l’affiche vers la question,  c’est la tendre vers l’infini. L’infini des possibles. Rendre visible les possibles du questionnement ; entr’apercevoir un début de réponse. Car l’affiche en un sens répond. A une question par des multiples questions. Et attirer le voyeur vers la salle où l’imperceptible de l’interrogation pourra prendre forme.

L’affiche à la différence du tag est commanditée par un tiers. Elle est l’œuvre d’un compromis entre l’artiste et la salle de spectacle. Entre l’esprit et le périssable. Entre l’éternité et la poubelle. L’affiche finira en bouillie mais avant elle a fait vivre une idée et l’a enracinée du macadam à notre cerveau.

Alors que le mythe dévoile et que le rite voile, l’art balance entre ce que je vois et ce qui se cache. L’affiche dans la rue paraît évidente.

Elle pourrait être dévoilement. Mais son cœur ne se montre jamais.

C’est quand l’œil s’approche de l’intérieur qu’il n’a jamais été aussi loin, qu’il se retrouve si loin, dans le temps et dans l’espace.  Plus l’œil se perd dans l’affiche, plus il s’éloigne et s’approche du spectacle vivant.

L’affiche nous montre ce qu’elle veut bien montrer. Uniquement. Pas plus et beaucoup plus que ça.

Si « la sonorité d’une phrase non prononcée emplit toute la scène » (Paul Claudel), c’est le non-dit de l’affiche qui emplit toute sa représentation. « Alors que la peinture est un art d’expression, l’affiche est un art de communication, mais dont la qualité réside dans sa capacité artistique le simple fait de communiquer. » (Michel Bouvet, Affiches Culturelles de Michel Bouvet) Une communication entre le mur et soi, entre l’Idée et une conscience.

Cassandre, le créateur d’affiche, a souligné que « la communication est un but en soi, l’affiche n’est qu’un moyen de communication entre le commerçant et le public, quelque chose comme le télégraphiste : il n’émet pas de messages, il les transmet ; on ne lui demande pas son avis, on lui demande simplement d’établir une communication claire, nette, puissante, précise. » C’est vrai de nombreux affichistes. Mais il y a les Mucha, les Koloman-Moser, Cassandre lui-même, Alain Weill, Kauffer ou Kirchner. Il y a plus près de chez nous, plus proche de nous, Michel Bouvet. L’homme qui illumine les affiches des théâtres depuis quelques décennies déjà. Un regard qui transparaît au-delà des commandes, des discussions et des choix du donneur d’ordres. Les artistes sont entrés dans l’affiche. Il faudrait donc distinguer les artistes publicitaires des artistes duplicitaires. Les premiers répondant à une commande et remplissant consciencieusement le cahier des charges. Les seconds, plutôt travaillant pour l’art et spectacle, et apportant une touche personnelle, à l’image de Michel Bouvet. La duplicité, entendue dans le sens de dédoublement ;  le double de l’artiste répondant d’un côté à la raison de la commande et à l’irrationnel non de la séduction, mais d’une accroche, et de l’autre à l’histoire personnelle de l’artiste, sa formation, ses goûts.

Michel Bouvet a découvert sa vocation lors d’un voyage de l’autre côté du Mur, à Prague. Il a gardé de cette époque, les couleurs et les motifs. Comme il a su les emprunter à Mai 68, aux mouvements féministes,  écologiques, des droits de l’homme, etc. Michel Bouvet est un affichiste totalement engagé. Il récupère de ces décennies d’art de propagande les outils et les traits pop art d’un Rauschenberg qu’il admire, voire plus près de nous des dessinateurs de Fluide Glacial. Les marteaux, les poings fermés, les yeux bandés, les sexes cloutés, une arme avec un svastika, etc. Michel Bouvet concentre sa création avec les festivals et les théâtres, lieux où sa voix peut-être vue. 

Il prend de ces mouvements l’urgence d’une action et la lucidité du symbole. Il trouve l’évidence qui au préalable se refuse. L’évidence ne nie pas la complexité. Elle la dévie. Ainsi la complexité du regard qui peut nous aveugler est cachée. Les affiches de Bouvet ne scintillent pas, ne brillent pas, elles pourraient paraître ternes. « Pour moi, l’objectif d’une affiche ne doit pas être de séduire. La séduction d’une image apparaît lorsque le créateur commence à édulcorer, voire appauvrir le message d’une affiche au profit d’un aspect formel plus conforme à la bienséance, au goût commun de ses contemporains. Il n’y a pas de traces d’audace, d’irrespect ou de détournement dans une image séduisante parce que la démagogie ou l’intérêt commercial poussent à réduire les champs d’investigation de l’artiste et son esprit critique. L’affiche doit être le terrain de la remise en question des valeurs esthétiques dominantes, du questionnement de l’artiste face à la société et contribuer à la réflexion et à la curiosité des autres. » (Michel Bouvet, Affiches Culturelles de Michel Bouvet) Ces regards de l’affiche sont le plus souvent aveugles. Les yeux sont rares. Ils existent pourtant, francs comme ceux de l’homme enturbanné dans Djebels de Daniel Lemahieu, dans 1794 avec un portrait franc et droit de l’Abbé Grégoire (exposition Musée National des Techniques), Marylin pour la Saison 89/90 du Théâtre de Longjumeau. Mais ce sont des icônes à part entière. Le regard ne rajoute rien et n’enlève rien. Ce sont des mythes. Les expressions sont sans cela absentes. Dans le portrait de Monsieur Vitrac quand l’ombre mange les ¾ du visage. Dans les Yeux d’Encre  (Spectacle d’Arlette Mamiand) l’homme à gauche, en négatif, a des yeux bleutés, aveugles. La femme à droite, les yeux bandés d’un rectangle bleu. Ni l’un, ni l’autre ne voient. Mais l’absence de leurs regards nous fait sentir le nôtre plus fort encore.

Dans Fragment (Mise en espace de Catherine Diverrès), l’affiche est aussi coupée en deux verticalement. A gauche, un regard serein, méditant, de femme, les yeux baissés ; à droite les yeux d’une sculpture de femme identique. La similitude dans la différence nous interpelle. Dans Danae Marguerite (Chorégraphie d’Hervé Jourdet) nous nous retrouvons avec deux personnes en chapeau et anorak. L’une nous tourne le dos quand l’autre semble nous regarder. Mais, en fait, elle se cache. Et le seul fait qu’elle ne souhaite pas être reconnue, nous attire encore plus. Dans Les Saisons de l’Europe, un arbre nous regarde au travers d’un masque. Un regard absent plus expressif encore. Dans La Dupe de Georges Ancey, les lunettes de la femme qui nous fait face sont rayées de sparadrap. Un jeu de dupe qui nous entraîne à savoir ce qu’il y a à penser. A connaître ce qui se cache derrière. A lever le doute en levant le voile. Dans le Don Juan de la Comédie de Genève, les yeux du séducteur sont devenus des bouches pulpeuses et langoureuses. Dans l’attente de ces désirs à voir, nous sommes là dans l’attente.
En fait l’affiche ne brille pas, elle réfléchit.

L’affiche de Michel Bouvet ne cherche pas l’individu mais le groupe. L’affiche n’a pas de voix à entendre, mais une musique ; elle doit donc nous couper le souffle. Un sexe de femme en pointe, un point d’interrogation pris dans le bois de l’instrument (Comment jouer ensemble ? Centre de Pratique Instrumentale des Musiciens Amateurs d’Île de France), une blanche alouette tranquille et blanche sur son feu de bois (L’Alouette d’Anouilh, aux Tréteaux de France) L’affiche de Bouvet met en question, elle cristallise. Moins qu’un résumé de l’œuvre, l’affiche pose la question que l’affichiste, fin lecteur, après deux à trois lectures du texte, se pose. Elle vient souvent d’une incompréhension ou d’une trop grande compréhension, ce qui revient au même.

Le dépouillement, la simplicité – revenir à l’objet, au concept.

Dans simplicité nous trouvons la vérité. Une pensée, attribuée à Lao Tseu, dit que : « Je n’ai que trois choses à enseigner: la simplicité, la patience, la compassion. Ces trois sont vos plus grands trésors. » Pour cela, il faut encore et encore élaguer. Sans pour autant devenir simpliste. Sans pour autant enlever du mystère. Comme l’artisan enlevant par couche fine le bois de la statue afin de lui donner l’expression juste. Une couche de trop et l’œuvre est dévoyée, trahie. Quoi de plus simple qu’un trait, qu’une ligne. Quoi de plus évident qu’un dessin. Plus direct. « Le dessin me paraît le point de départ nécessaire, inévitable. Car le dessin c’est avant tout : le vide et le plein, l’ombre et la lumière qui nous rendent intelligibles les formes. Le dessin est l’expression la plus remarquable de la simplicité, de l’unicité par le dépouillement de ses moyens et le caractère immédiat de sa forme (Matisse, par exemple). » (Michel Bouvet, Affiches Culturelles de Michel Bouvet)

Jacky Lavauzelle

TEMPO DI VIAGGIO (TARKOSKI & GUERRA) : LA JALOUSIE DE L’ART

Andreï Tarkovski
& Tonino Guerra
Tempo di Viaggio (1983)

LA JALOUSIE DE L’ART

 Le visage d’Andreï et la voix de Toni, Tonino Guerra. Ce visage qui se cache d’un soleil trop ardent quand la voix parle de voyages, de notes et de listes. Cette voix de Toni qui s’envole dans les airs et libère  ses mots dans la légèreté de l’été. Est-elle triste ? Oui et non. Est-elle belle ? Oui, elle est belle comme est splendide Sorrente qui s’offre sans se donner.

Tempo di Viaggio

DANS LE CREUX DES VERS

La réalité s’immisce dans le creux du vers, dans le velouté et les rondeurs des coteaux italiens, sur les rondeurs d’une fausse nonchalance du poème. Un poème qui renvoie Andreï à sa Russie et à son père, loin là-bas. Si loin ? Les mots de russe se mélangent à l’italien, sans se fracasser. A la limite des mots, s’ouvre le voyage. Ce sont les mots qui le permettent. Les mots s’envolent et circulent du fauteuil à la terrasse. Si bien que le livre peut bien se livrer nu, fragile et puissant, ouvrant son corps aux vents, clamant sa liberté au pied de la cage. Un vent léger fait basculer un luminaire. Ce sont les mots qui passent et repassent, se donnent et ne se rendent pas ; ils gardent une saveur unique et nous partons un peu plus bas. Nous revoyons les images du mystérieux Nostalghia et nous entrons par les portes entrebâillées du road movie.   

LA FORCE D’UN ULYSSE

Les impressions paraissent confuses, telle une brume en hiver, mais ce ne sont que des impressions. Fugaces et précaires. Elles ne se mettent jamais à vif, les impressions. Elles temporisent et donnent une couleur pastel à l’instant. Et ces sensations semblent altérer le temps et l’espace. Elles résistent au néant, au chaos, au rien. Elles font que demain, des souvenirs seront possibles, que les futurs s’ébaucheront et que les rencontres s’emballeront. Entre la beauté de Capri et la fusion de l’énergique Naples. Entre Naples et Pompéi, entre l’agitation chaude des rues et le calme de l’après catastrophe. Le temps se mélange enfin à l’espace, comme dans un point unique, qui pourrait être l’archipel Li Galli, repère des sirènes, où la vie s’arrête, brisée sur des rochers que portent les voix angéliques et diaboliques. La voix ici n’est pas neutre. C’est une voix qui dévore, qui ingère. Il faut la force d’un Ulysse ou le talent d’Andreï pour y échapper.

La chaleur encore se pose et Andreï ne l’aime pas, elle le transperce. Chaque rayon en aiguille, longue et pénétrante, se transforme. Ce n’est plus une superficialité

UNE ARCHITECTURE DECIDEMENT TROP BELLE

Des paysages qui parlent de lui. Telle la vallée des Truli qui lui rappelle la Russie. Une ligne de cet horizon et des vallées que l’on croit être des tas de farine. Le Quichotte voyait bien des moulins dans son pays ibérique. Dans ces espaces, les lignes se mélangent et s’interpénètrent, le temps s’amuse encore.

Tarkosvki Tempo di Viaggio

Andreï toujours, tel un animal apeuré par le soleil, se blottit contre le mur.

AMALFI ! ATRANI ! FURORE !

Nous longeons des  côtes, chaussées par les dieux, du golfe de Salerne, sages dans le soleil puissant et envoûtant, et découpées comme les oreilles du diable. Une côte amalfitaine belle, décidèment trop belle, trop photogénique,  trop touristique. Le temps du voyage n’est pas celui du farniente et des vacances. Le cœur n’est pas au travail, mais l’œil veille encore. Il ne faut pas perdre la boussole et tenir le cap. Amalfi, là où les marins pour la première fois utilisèrent cette boussole, à force, peut-être, de se perdre dans le dédale de ses rues anciennes ;  plonger des montagnes et courir sur Atrani où l’on aperçoit et la mer et la crique et l’église, ou la Furore, magnifique, plein de mystère où s’attardent Andreï et Toni à regarder les bateaux et à laisser partir la caméra là-bas, loin après que le vieux pont enjambe fièrement les deux rives escarpées.

D’AVANT DANTE !

Au soleil, Andreï fait la grimace. Décidément, il ne s’habitue pas. Et il est temps de ne pas parler de tout. Ce tout qui a envahi de ses beautés la tête des deux artistes.

Tarkoski et Tonino Guerra

Il faut désormais élaguer, éliminer. Il faut laissez tomber Lecce et son baroque, ses bizarreries. Laisser tomber seulement car oublier est impossible. Personne ne peut oublier la Basilica di Santa Croce, personne, son foisonnement, ses courbes et sa blancheur, l’imposante rosace de la façade. Personne. Mais Andreï vient en repérage pour un film et non pour un documentaire. Son œuvre à lui impose et s’impose. Tout le monde attendra de voir les magnifiques quarante-huit colonnes, celles qui datent d’avant Dante. Eh non ! Le cadre ne doit pas être grandiose, de peur qu’il phagocyte le film. Andreï impose son point de vue à Tino. Et la voiture roule vers Lecce, roule vers la basilique. Vers ces aigles de pierre sur la proue de la façade s’en allant conquérir les âmes.  Vers cette pierre de Lecce à la fois fragile et résistante. A la fois douce et tonique, et qui brille dans les feux de l’Europe depuis des siècles. Et au fond de cette montagne blanche murît un arbre longiligne, un arbre qui parle forcément à l’âme d’Andreï. Un arbre couché, mais plein de vie, sur lequel se développent, en mosaïques infinies, des personnages et des contes.

Et Andreï, petit short blanc improbable et jambes longilignes et blêmes, se protège au milieu de ce baroque foisonnant.

Nous traversons, côté Adriatique, pour nous retrouver dans les Pouilles. Nous quittons les lignes accidentées pour se calmer auprès des plaines de Tavoliere delle Puglie. Une route fuit à travers une musique populaire et des maisons blanches, au sein des murets de pierre, au seuil des champs à foison. L’entrée de Locorotondo sur son rocher, qui trône, dans toute sa largeur et sa hauteur. Sa limitation à 50 km/h et son interdiction de klaxonner, que personne, certainement ne respecte. La musique s’accélère et cesse d’un coup comme pour donner un volume, une structure à la ligne. Le calme d’un patio. Un oiseau factice dans la brise légère. D’autres oiseaux en bois dans une case.

L’ART EST JALOUX

La Madone del Parto, des reproductions, un rouge qui n’existe pas. La tension avec le mur.

Andreï a chaud, encore. Le soleil l’agresse, il cache son visage afin de protéger ses yeux. Toni est dans son élément. Sa main passe sur ses cheveux et attrape le cou. Andreï grimace en tournant les pages. Toni ne croit pas que la poésie puisse se traduire, que les tableaux puissent se reproduire sur des pages. L’art est jaloux. Mystères, formes et silences…

Andreï à l’ombre, assis par terre, lit. Toni lit des requêtes de jeunes personnes pour Andreï. Que lui ont-ils apporté ? Alexandre Dovjenko, la Terre, la poésie ;  l’ascétisme et la simplicité de Robert Bresson ; Antonioni, l’avventura, le sens de l’action pure ; la générosité de Fellini ; Mizoguchi et tous les autres. Ils sont nombreux qui irriguent chaque souffle d’Andreï.

L’IMAGINAIRE, TOUJOURS PLUS FORT

Quelle importance accorder à l’ensemble de ces beautés souveraines et éternelles. Andreï pense que l’essentiel, c’est le voyage qu’il fait en lui-même. C’est l’essentiel. En lui-même des projets aussi. Des films qui ne verront jamais le jour et qui resteront dans l’aube de l’âme. Les films qui sont restés à l’état de projet, ceux qui n’ont pas pu être réalisés, permettent au réalisateur de rester libre. Avoir des idées que l’on garde en réserve, même si on ne peut les filmer. Une fin à la Jeanne d’Arc. Un arbre, le feu, puis plus rien. Une mère morte et un fils à la recherche de la tombe. Un fils qui porte la pierre tombale comme d’autres portent leur croix. La quête impossible. Cette boucle qui ne se boucle pas. Et l’imaginaire toujours plus fort, toujours vainqueur. Celui qui plante la pierre sur une tombe au hasard et qui y croit dur comme fer.

Aller loin, au-delà, dans l’évidence. Ne pas se conformer ou s’enfermer dans le genre, dans un genre, n’importe lequel. Un film de science-fiction ne doit pas se servir des codes de ce genre. C’est pour cela qu’Andreï préfère Stalker à Solaris.

«  Pour moi, le cinéma est un art qui peut tout exprimer, le tragique, le comique, la tristesse ou la gaieté. C’est comme cela qu’il reflète la vie. Je m’applique à éliminer le moindre signe qui permettrait de l’assimiler à un genreIl faut apprendre à se mettre au service du cinéma, sans se sacrifier»

Jacky Lavauzelle

MONSIEUR BROTONNEAU (1914) LE BONHEUR COMME PERIL SOCIAL

Gaston Arman de Caillavet
& Robert de Flers

Monsieur Brotonneau (1914)
Le Bonheur comme péril social

La première de Monsieur Brotonneau, comédie en trois actes, a eu lieu au théâtre de la Porte-Saint-Martin, à la veille de la guerre de 1914, moins de trois mois avant l’attentat de Sarajevo. La reprise eu lieu après la guerre, en 1925, à la Comédie Française avec dans le rôle de Louise, une jeune première, Madeleine Renaud. « Mlle Madeleine Renaud, qui abordait pour la première fois un rôle important du répertoire moderne, a fait apprécier sa jeunesse, sa fraicheur et son ingénuité. » (Robert de Beauplan, La Petite Illustration, n°152) Cette pièce fut scénarisée pour le cinéma par Marcel Pagnol dans un film d’Alexander Esway, avec Raimu dans le rôle de Brotonneau et dans le rôle de Louise, une jeune première aussi, Josette Day. Et le film sortira un mois avant la seconde guerre mondiale…

Mr Brotonneau Robert de Flers et de Caillavet L'illustration n°152 (1)

IL Y A VINGT-ANS QUE CA N’A PAS BOUGE !

Brotonneaux symbolise l’homme intègre et aveugle. Intègre dans son rapport aux valeurs, à son travail, à ses principes. « Quant à M Brotonneau, à neuf heures, mais vous savez, pas de ces neuf heures comme il y en a tant, à neuf heures précises, à neuf heures craquant, pendant que ça sonne, il arrive et il s’installe là dans ce fauteuil, et il y a vingt-huit ans que ça n’a pas bougé… » Aveugle, il est totalement incapable de voir ce qui se passe tout à côté de lui ; ni avec sa femme, Thérèse, ni à son travail, avec Louise. Il est comptable et il comptabilise tout. C’est un métronome. Être juste avant tout, pourrait-être sa devise. La vie est un long et calme fleuve, entre les nombres, les chiffres des bilans et des livres de comptes. C’est un rouage indispensable, incontesté et respecté de la banque, ce que tout le monde reconnaît. Il vit pour son entreprise en laissant filer sa vie.

UN EVENEMENT TRES GRAVE !

La découverte de l’adultère de sa femme avec son amant va introduire un bug dans ses données rangées et si bien classées, dans cette mécanique trop bien huilée. Et ce hasard, inconcevable dans le déroulement linéaire de son existence, suite à une multitude de microéléments perturbateurs, va survenir et permettre la découverte d’une nouvelle terre, d’une audace sans nom, d’une émotion terrible et rassurante : le bonheur. « Depuis vingt-huit ans que j’appartiens à la maison Herrer, c’est la première fois que je ne suis pas arrivé à mon bureau à l’heure précise et j’espérais que cela n’arriverai jamais. Vous le pensez bien, messieurs, pour bouleverser ainsi mes habitudes, il a fallu un évènement très grave… » De cet énorme traumatisme, de ce chaos va émerger une nouvelle existence lumineuse, baignée dans une absolue sérénité. Calme, bonheur et volupté  deviendront aussitôt cette nouvelle hérésie insupportable à ceux qui les entourent.

Mr Brotonneau Robert de Flers et de Caillavet L'illustration n°152 (2)

 

 

LE BONHEUR ET RIEN D’AUTRE

La société aime l’ordre et la rigueur. Mais comment l’ordre bienheureux dans lequel vit Brotonneau peut-il donc faire peur et inquiéter la société ? Son  bonheur, peut-il devenir un poison puissant capable de renverser l’ordre établi et ce qu’il loge en son sein d’hypocrisie ? Le bonheur de Brotonneau est alors révolutionnaire. Lui seul ne s’en doute pas. Qu’ai-je fait de mal ? Semble-t-il susurrer. Paul Eluard disait qu’ «il ne faut pas de tout pour faire un monde ; il faut du bonheur et rien d’autre. » Ce bonheur est fondamentalement égoïste, il se suffit à lui-même. Il libère toutefois sa créativité et la satisfaction avec des choses modestes et non marchandes. Il dit le vrai et n’a pas besoin de subterfuges, de tromperies et de faux-semblants. La société n’y survivrait pas. Plus besoin de se cacher, de créer de coûteux stratagèmes. C’est l’épanouissement individuel. La reprise au pas de la société ne se fera pas attendre. Mr Brotonneau Robert de Flers et de Caillavet L'illustration n°152 (3)

UNE PARTIE DES BEAUTES DU MONDE

Le péché est dans l’acte vertueux de Monsieur Brotonneau. Il effraie les autres par sa passion partagée, qui le bannisse  de facto du paradis bourgeois. Il a péché non contre la Morale, mais contre la morale bourgeoise du groupe. Il a goûté aux joies de la pomme, en découvrant tout ce que l’amour pouvait lui apporter d’épanouissement. Il n’a pas plongé dans la luxure, il a découvert une partie de la vérité et de la grandeur du monde. C’est trop ! Beaucoup trop !

Brotonneau est donc littéralement anormal, en dehors des autres et de leurs habitudes. Il rond le pacte social des relations bien comprises. La puissance du groupe se retourne alors contre lui, avec violence et détermination. Il courbera l’échine si souvent courbée. Les habitudes reviendront dans un ciel sans espoir.

Reprenons le déroulé de la pièce en trois actes. Le premier acte se focalise sur les conséquences de l’adultère. Dans le second, le nouveau couple se découvre avec un amour à deux, suivi d’une relation à trois. Enfin, le dernier acte, la décomposition du couple et le retour inéluctable aux habitudes, aux rancœurs et aux haines. La boucle est bouclée et les bouches ne s’ouvriront que pour pleurer et crier.  

BIEN FAIRE SON TRAVAIL

 Le premier acte montre notre monsieur Brotonneau, caissier principal à la banque Herrer, ponctuel à la minute près, incapable de commettre la moindre faute et la plus petite erreur. Ces patrons le respectent pour cette autorité qu’il a acquise depuis des années. Il est respecté de tous et aimé en cachette par Louise, « pourvu qu’il ne soit pas malade…Vous avez été encore si bon pour moi…Oui…Oui…merci, monsieur Brotonneau, merci… »

Mr Brotonneau Robert de Flers et de Caillavet L'illustration n°152 (4)

Mais Brotonneau n’est pas heureux. Il vient de comprendre que sa femme couchait avec le baron de Berville, qui travaille dans le même bureau, sous ses ordres. Brotonneau fait la part des choses ; il reste digne et remercie même le baron pour son travail, mettant de côté les querelles privées. Le travail avant tout : « parce qu’il le méritait. On doit toujours féliciter les employés quand ils ont bien fait leur travail…C’est comme ça qu’on se les attache. »

DES ARMES ET UN CRI DE GUERRE

Même dans son analyse, Brotonneau reste froid et donne des circonstances atténuantes à sa femme : « je comprends parfaitement ce qui a séduit cette pauvre femme ! Elle est un peu vaniteuse, un peu snob, dans la mesure de ses moyens. Ainsi, dans notre maison, elle ne veut pas voir les gens qui habitent sur la cour. Un jour qu’elle m’attendait ici, en bas, je suis descendu avec M. de Berville. Je l’ai présenté. Nous l’avons invité à Dîner. Il est venu en habit, Mme Brotonneau a été étourdie. Il a parlé beaucoup, un peu bêtement comme tout le monde, mais il paraissait spirituel parce qu’il était en habit…Le lendemain, tout ça me revient peu à peu à la mémoire. Il a écrit pour remercier sur du papier avec ses armes et son cri de guerre. Moi, je n’en ai pas, qu’est-ce que j’en ferais ? »

VOUS AVEZ ETE SOUVENT AIME

Brotonneau ne peut accepter le divorce ni continuer de vivre avec sa femme sous le même toit. L’heure du choix est arrivé. « Je vais donner le choix à Madame Brotonneau…Je vais prier Madame Brotonneau de choisir entre vous et moi…Je sais que ça ne se fait pas, mais je veux le faire…Je ne me fais pas d’illusion. Il est probable que c’est vous qu’elle choisira…Vous avez été souvent aimé. Vous avez eu des histoires, des aventures, ça vous a donné l’allure de la séduction. Moi, je n’ai de prestige auprès de personne. Alors, je crois bien que c’est vous qu’elle suivra. C’est tout. Merci, Monsieur ! »

Mr Brotonneau Robert de Flers et de Caillavet L'illustration n°152 (5)

C’EST TOUT DE MÊME UNE HISTOIRE D’AMOUR !

Et Thérèse Brotonneau choisira l’amant plutôt que le mari. Et pendant ce temps, la belle et attentionnée Louise déclare sa flamme sans plus attendre. « Oui…quand vous marchiez, là, de long en large, la tête levée…avec des gestes si dignes…si nobles…je vous trouvais, il faut me le pardonner, monsieur Brotonneau, je vous trouvais beau…ça ne fait rien, monsieur être trompé, c’est tout de même une histoire d’amour…si vous aviez du chagrin, j’en aurais aussi… »

LE BEAU TEMPS POUR TOUJOURS

Nous retrouvons dans le second acte, Brotonneau et Louise en couple heureux, trois mois plus tard. Le bonheur est complet, les deux amants baignent dans la joie et la félicité. «J’y suis bien…vous avez fait un miracle…je suis content de tout. J’ai confiance dans tout…je ne prends plus jamais mon parapluie. Je crois toujours qu’il fera beau temps. Je vous assure, être aimé, c’est fantastique…Oui, c’est fantastique…J’ai retrouvé mes vingt ans…Moi aussi, j’ai retrouvé les miens. »

EN ETAT DE PECHE MORTEL

Mais revoilà, au milieu de ce bonheur impeccable, Thérèse. Une Thérèse « très fatiguée », au bout du rouleau. La belle histoire n’a duré qu’un temps. Elle veut revenir sur le choix de son compagnon de vie. Elle reconnaît que Brotonneau était la gentillesse même, et fait son mea culpa. « J’ai eu de grands torts envers toi, c’est vrai, je les reconnais…tous, tous…Veux-tu que je les énumère ? » La lune de miel a été de courte durée ; « depuis deux mois, c’est un enfer…Jamais d’histoires, jamais de scènes…lui est autoritaire, tatillon, entêté !…Il ne vous laisse pas parler. Il m’humilie tout le temps ; il ne me présente à personne et il passe ses soirées à me dire que nous sommes dans une situation fausse et que je le fais vivre en état de péché mortel…Ce matin, enfin, nous avons eu une querelle épouvantable. »

La rencontre entre Brotonneau et de Berville se passe mal, à la limite de la correction. Brotonneau ose un « Polisson ! Polisson ! » C’est dire s’il est hors de lui.

LA LOYAUTE VIS-A-VIS DE TOUT LE MONDE

Il va reprendre Thérèse sous sa protection en lui accordant de vivre sous le même toit, mais pas dans le même appartement. Brotonneau continue d’agir loyalement : « je tiens absolument à ce que tu restes. Je veux agir loyalement vis-à-vis de tout le monde. »

L’acte se termine dans cette atmosphère de grandeur d’âme, de loyauté, où Brotonneau « éprouve une satisfaction faite de sincérité et d’honnêteté… » ; Atmosphère que l’on retrouvera amplifiée dans le début du troisième et dernier acte. Nous nageons en plein bonheur. Ils s’estiment, se respectent et font attention les uns aux autres : « de bon cœur », « vous êtes vraiment gentille », « c’est que vous êtes très bienveillante pour moi », « mes compliments pour votre déjeuner », « je ne me méfie pas, j’ai confiance, je suis heureux et je n’ai peur de rien, parce que je vous aime ». Même la bonne rayonne, ravie de trouver une Thérèse moins acariâtre et plus sociable.

DEVENIR UN PERIL SOCIAL !

Mais William Herrer, un des patrons de la banque, avertit Brotonneau. Ça ne peut plus durer. Il ne peut continuer de vivre ouvertement avec deux femmes. Tout le monde a une maîtresse, c’est bien normal, mais vivre heureux avec sa femme et sa maîtresse, voilà que ça dépasse l’entendement bourgeois bienveillant. Brotonneau devient un véritable terroriste, « vous devenez une espèce de péril social. »

Brotonneau, bien entendu, ne voit pas le mal à se faire du bien et à le faire autour de lui ; il ne comprend plus rien, « Je nuis à la société parce que j’ai essayé de diminuer autour de moi la somme de peine et de souffrance ? ». Brotonneau vient de comprendre la force et l’importance des apparences sociales. Le monde est jaloux de lui, car Brotonneau vit en harmonie quelque chose que ce monde ne pourra jamais connaître. « Dans notre monde, un écart ne peut être toléré ! »

LES GENS NE VEULENT PAS QU’ON SOIT HEUREUX

Ce bonheur enlève un peu de la superbe perfection mathématique du Brotonneau du début. Il fait des erreurs comme tout le monde. Il s’est humanisé. Mais son orgueil de comptable perfectionniste en prend un coup. « Non…non…mais non, c’est impossible…Une erreur ?…moi ? …non… non… non… non… Voyons, non… »

Il faut désormais annoncer à Louise que cette communauté à trois ne peut plus perdurer. Louise comprend de suite cette pression sociale qui s’impose, qu’elle est de trop, « les gens ne veulent pas qu’on soit heureux. »

LA PRISON D’UNE VIE MONOTONE ET REGULIERE

Le constat de Brotonneau est défaitiste et désespéré : « Je n’aurais pas dû vous aimer… ou, au moins, j’aurais dû avoir la force de ne pas vous le dire. Un homme comme moi ne peut pas s’échapper de la vie monotone et régulière. » Il faut revenir dans le rang et la norme.

Il reste ce bonheur fugitif, partagé quelques journées. C’est peu et c’est déjà tellement. « Tout ce que j’ai eu de bonheur, au monde, m’est venu de vous. Alors, si vous avez du chagrin… un peu de chagrin, dites-vous ça…J’ai été bien contente… ici …bien contente… »

Voilà Brotonneau de nouveau seul avec Thérèse, comme avant. Le naturel revient vite au galop. A la fin de l’acte, Thérèse s’en prend violemment à la bonne et remontre sa nature autoritaire : « Vous pourriez faire attention, tout de même, à fermer votre porte. C’est toujours la même chose ! … Je vous prie de vous taire et de ne pas parler sur ce ton-là. » Revoilà un couple bourgeois ordinaire comme les autres aiment, fait de rancœur et de haine.

Le reste d’humanité est là. « L’orgue de  Barbarie se remet à jouer dans la cour l’air des ‘Petits paniers’ qu’il joua au second acte. Brotonneau, les yeux fixés devant lui, les mains appuyés sur les genoux, pleure silencieusement. Le rideau tombe lentement. »

Jacky Lavauzelle

 

Textes et photos dans la Petite Illustration n°152 du 7 juillet 1923

Sverige LES PLUS BELLES CHANSONS SUEDOISES

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SUEDE
LES PLUS BELLES CHANSONS SUEDOISES

Drapeau suede Sweden

 Sveriges bästa låtar
The best songs of Sweden

Lisa Ekdahl
Åh gud 

Lars Winnerbäck (Feat Miss Li)
Om Du Lämnade Mig Nu

Lisa Ekdahl
Nästa dag

Melissa Horn & Lars Winnerbäck
Som jag hade dig förut

Lars Winnerbäck och Lisa Ekdahl
Tvivel

 

Thorsten Flinck 
Jag Reser Mig Igen

Melissa Horn
Lät du henne komma närmre

Lisa Ekdahl
Ljug för mig älskling

Thorsten Flinck
här och nu

Lisa Ekdahl
Vem Vet

Joakim Thåström
Keops pyramid

Lars Winnerbäck och Lisa Ekdahl
Kom Änglar

Lars Winnerbäck
Kom ihåg mig då

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Lisa Ekdahl
Att älska är större

Joakim Thåström
Fanfanfan
**

Totta Näslund
E
n clown i mina kläder

Pugh Rogefeldt
Vandrar I Ett Regn 

 

Joakim Thåström
Om Black Jim

 

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Eva Dahlgren
Vem Tänder stjärnorna

Lisa Ekdahl
Där ser du själv hur högt du når

Joakim Thåström
Flicka Med Guld

Melissa Horn
Vår Sista Dans

Ulf Lundell
Öppna Landskap

Joakim Thåström
Alla vill till himmlen

Nordman
Laglöst land

Joakim Thåström
Släpp aldrig in dom

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Petra Marklund
Händerna mot himlen

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Lars Winnerbäck och Hovet
Söndermarken

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Eva Dahlgren
Ängeln i rummet

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Lars Winnerbäck
Tror jag hittar hem

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LE SACRIFICE (Offret) LE RITUEL DU CAFARD

Andreï TARKOVSKI
LE SACRIFICE
Offret (1986)Andreï Tarkovski LE RITUEL DU CAFARD Offret 1986

Le Rituel
du Cafard 

La période n’est plus à l’optimisme. Un voile recouvre le monde et les lumières qui montrent un chemin se font rares. Très rares. Elles se sont envolées. Les individus errent sur terre. Dans l’attente de la mort et du chaos. L’obscurité règne. Le visible s’est retiré. Comment désormais dépasser cet invisible qui est là. Comment sortir de notre caverne où quelques ombres encore éclairent encore notre présent. Comment retrouver ce réel qui a fui, qui s’est esquivé à jamais. Première image. Ecran noir. Seule l’aria de la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach pénètre ce noir total et apporte la lumière sur la toile. C’est le son qui le premier déchire la toile. Car le son est primordial.

J’AI TOUJOURS EU PEUR DE LEONARD C’est le seul qui a la force et la vitesse, la dynamique, pour enfanter au-delà de la plénitude du néant. « Quand brille la lune, le plus malheureux, dit un poème japonais, n’est pas l’aveugle mais le muet. La splendeur qui ne veut rien appelle pourtant notre chant » (Jean-Louis Chrétien, L’Effroi du beau). Comme une respiration, un champ des possibles. Otto (Allan Edwall) devant le tableau de Leonard : « Qu’est-ce que ça représente ? …Le tableau. Sur le mur. Qu’est-ce que c’est ? Je ne vois pas bien. Il est sous verre. Et il fait sombre… Mon Dieu, comme c’est lugubre… J’ai toujours eu très peur de Léonard. » C’est la musique qui d’abord transperce, puis la peinture. Est-ce que l’image qu’offre l’art est vraie. Est-ce que la visibilité de l’art, cette première lumière, nous apporte un brin de vérité. Cette offrande, cet offret, ce sacrifice déjà de l’œuvre ne s’offre pas en toute simplicité, en toute évidence. La route sera longue et demandera de douleurs efforts et du temps. Comme dans toute quête, la recherche de cette simple immédiateté, de cette fulgurance sera longue. « Je pioche beaucoup, je m’entête à une série d’effets différents, mais à cette époque le soleil décline si vite que je en peux le suivre…Je deviens d’une lenteur à travailler qui me désespère, mais plus je vais, plus je vois qu’il faut beaucoup travailler pour arriver à rendre ce que je cherche : «instantanéité» (Monet, Lettre à Geoffroy, 7 octobre 1890)

Tout autour se détruit, la guerre gronde et le temps que nous connaissons s’effrite. Ce n’est qu’une question de minutes. Les ombres parcourent le monde, indéfiniment. La terre tremble et l’onde destructrice du mal parcourt le monde. Dès le commencement, Le Sacrifice se livre, se donne à travers l’Annonciation à Marie, de Léonard. C’est l’annonciation qui permettra au souffle de se régénérer, de se revitaliser. La révélation reste mystérieuse. L’impossible, la venue du Christ dans le corps de Marie, rend le futur possible. Le monde pourra alors être sauvé. Maria, Gudrún Gísladóttir, ainsi sauvera le monde en se donnant à Alexandre, Erland Josephson.  C’est entendu. C’est l’arbre de vie qui irrigue, qui nourrit l’histoire, qui relie Alexander et Otto, l’alpha et l’oméga. Cet arbre de l’annonciation autant que l’arbre du commencement et du recommencement. Ce cercle qui illumine en son centre une autre annonciation de  Frans Pourbus dit le Jeune, plus flamboyante.

Déjà dans sa structure, le film se découpe en dix tableaux comme le tableau de Léonard en dix planches encollées.

TOUJOURS LE MÊME DESESPOIR, LA MÊME ABSURDITE Structure qui se conjugue avec le retour nietzschéen évoqué dans la première partie. Otto, le facteur-collectionneur le dit aussi à sa manière, abordant l’histoire du nain bossu d’Ainsi parlait Zarathoustra : « que tout recommence mais pas tout à fait de la même manière ou alors la même chose avec une représentation différente ; mais c’est toujours le même désespoir et la même absurdité».

Le cycle du Sacrifice,  lui, pourrait se lire dans la respiration circulaire suivante :

 1-      L’arbre Ouverture
2-      Méditation dans la forêt –  Si seulement quelqu’un voulait cesser de parler
3-      Discours sur le théâtre
4-      L’explosion
5-      La dernière chance
6-      La rencontre avec Maria
7-      Le monde est sauvé !
8-      L’Incendie de la maison
9-      L’incendie de la maison ou l’importance de se taire 10-   L’arbre Epilogue (Musique) Au commencement était le verbe.

 Il y a ce dérèglement de l’humanité. Quelque chose ne fonctionne plus. La belle horloge ne marque plus la bonne heure. La nature, le cycle, la répétition, la spiritualité permettent de revenir à un unisson bienfaiteur. « Refaire tous les jours la même chose aux mêmes heures et le monde serait changé. Comme au japon les ikebanas. » L’enjeu est fondamental et nos êtres sur ce bout de terre au bout du monde peuvent encore sauver ce bout d’humanité qui résiste encore.

SI JE CROIS A UNE CHOSE, ELLE DEVIENDRA REALITE Ces personnes ne sont pas là par hasard. Ils ont une mission divine. Comme Otto qui longtemps a attendu son heure.  « Toute ma vie j’ai attendu. Toute ma vie, je me suis senti comme sur un quai de gare. Et toujours, j’ai eu le sentiment que ce qui se passait n’était pas la vraie vie mais une attente de la vie, une attente de quelque chose de réel, d’important» Le tout est d’y croire, avec ses tripes. Otto : « et si je crois vraiment à une chose, elle deviendra réalité. »  Croyez que cela vous est donné, et il en sera ainsi. »  Alexander : « qu’as-tu à gémir ? Tu sais, « au commencement était le verbe. » Mais toi, tu es muet, comme un poisson. Une petite truite. »

Le lieu lui-même n’a pas été choisi au hasard. C’est par une intervention divine qui  a orienté le couple et découvre le site « Idéal ». C’est un nouvel Eden. « Comment Alexander a découvert son île, bien avant la conception de l’enfant. Nous n’étions jamais venus auparavant et nous avions oublié la carte. Et nous n’avions plus d’essence. Nous avons arrêté la voiture par ici et continué à pied. Nous étions complétement perdus. Il s’est mis à pleuvoir une pluie fine et glaciale. Nous sommes arrivés près du pin desséché. A ce moment, le soleil a reparu. La pluie a cessé…tout a été inondé de lumière. Alors, nous l’avons vue. Soudain, j’ai regretté de ne pas vivre ici, je veux dire ta mère et moi, dans cette maison sous les pins, au bord de la mer. Un emplacement idéal. Il m’a semblé que si on vivait là, on serait heureux jusqu’à la mort. »… « Nous étions là, comme ensorcelés, ta mère et moi, nous regardions cette beauté, sans pouvoir nous en détacher…Le silence, la paix ! Il était clair que cette maison avait été créée pour nous. Il se trouve qu’elle était à vendre. Un vrai miracle. Et c’est là que tu es né. »

C’EST L’AILE D’UN MAUVAIS ANGE QUI M’A TOUCHE Mais qui dit Eden dit sortie de l’Eden, dans le désordre et la foudre. Entouré de démons. Quand Otto tombe comme foudroyé : « C’est l’aile d’un mauvais ange qui m’a touché ! » Et, au ton désinvolte de Victor, Otto lui répond : « Cela n’a rien d’une plaisanterie, M. le docteur. Il n’y a pas de quoi plaisanter ! » Dans le feu de la régénération. Détruire pour créer. L’homme peut retrouver sa place et vivre à nouveau. Le lieu, Alexandre se sont sacrifiés. Pour nous. Nous pouvons quitter le film, reconnaissant de cette offrande. L’arbre planté, au début du film, l’arbre mort, tenu par quelques tristes galets, peut enfin se remettre à bourgeonner. Alexander a tenu et a perdu la raison. Il a eu la foi, cette foi qui habitait le moine orthodoxe Pamve demandant à son disciple Kolov d’arroser  avec persévérance l’arbre continuellement.

La nature se remet à vivre. Il faudra bien que l’homme la protège un peu plus. L’Ecologie n’est pas un parti, c’est notre partie, notre être. La nature c’est nous et beaucoup plus que nous « L’homme s’est toujours défendu contre les autres hommes, contre la nature qui l’entoure. Il a toujours violenté la nature. Il en est sorti une civilisation fondée sur la force, le pouvoir, la peur et la dépendance. Tout ce qu’on appelle le progrès technique n’a jamais servi qu’à produire confort, standardisation, et les armes pour garder le pouvoir. Nous sommes des sauvages. Nous utilisons le microscope comme une massue. Les sauvages ont une bien plus grande vie spirituelle. Chaque découverte scientifique nous en faisons immédiatement un mal…
WORDS ! WORDS ! WORDS ! … Quant au confort, un sage a dit que le péché, c’est tout ce qui n’est pas nécessaire. Si c’est vrai, toute notre civilisation se fonde sur le péché. Nous sommes arrivés à une discordance et un déséquilibre terribles entre le développement matériel et le spirituel. Notre culture, ou plutôt notre civilisation est gravement malade, mon garçon. Tu penses qu’on pourrait étudier le problème et trouver une solution. Peut-être, s’il n’était pas si tard. Trop tard. Mon Dieu, que je suis las de ces bavardages ! « Words, words, words… »Je ne comprends qu’à présent ce que voulait dire Hamlet. Il ne supportait pas les discoureurs. C’est aussi mon cas. Pourquoi parler, alors ? Si seulement quelqu’un voulait cesser de parler pour faire quelque chose ! Au moins essayer !
« 

Nous sommes sauvés. Une fois encore. Quant à la vérité, c’est tout autre chose.   » – (Otto) Quelle vérité ? Vous êtes obsédés par cette idée de la vérité. Il n’y a pas de vérité ! Nous regardons mais nous ne voyons rien ! Tenez, un cafard…Un cafard qui tourne en rond sur une assiette, en imaginant qu’il se dirige vers un but… – (Victor) Comment savez-vous à quoi pense le cafard ? Peut-être que c’est un rituel. Un rituel de cafard. –  (Otto) Oui, peut-être. Tout « peut » être.  Sans quoi nous restons avec notre  « vérité « »

 

Jacky Lavauzelle

 Erland Josephson : Alexander Susan Fleetwood : Adélaïde Valérie Mairesse : Julia Allan Edwall : Otto Tommy Kjellqvist :Gossen Gudrún Gísladóttir : Maria

artgitato@yahoo.com