LE PRESIDENT -Verneuil- L’Europe de la Finance contre l’Europe du Travail

HENRI VERNEUIL
LE PRESIDENT
1961

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L’Europe de la finance
contre l’Europe du travail

Un film sur le politique, la politique, la morale en politique. Sur la montée de la finance et des lobbies de l’argent. Un film aussi sur un destin, celui d’un président du Conseil qui mouille le maillot pour ses idées, et qui persévère jusqu’à l’affrontement brutal du tout contre un homme. On ne vient pas dans ce film pour des artifices. Mais pour la parole. Franche et directe. Jamais simplette. Toujours belle. Celle de Verneuil. Celle d’Audiard.

  • UNE SEULE MAÎTRESSE : LA FRANCE

Un homme solide comme la maison qui trône au milieu du parc, fidèle dans ses idées comme dans ses amitiés. Un homme sans Rolex, bien dans ses baskets contre vents et marées. Une seule passion : la France. C’est le politicien que l’on regarde avec nostalgie, comme un concept.  « Je n’ai eu qu’une maîtresse, la France. Pour le reste, je me suis toujours adressé aux maisons closes et aux théâtres subventionnés…Envoyez donc la photo où je suis au gala des petits lits blancs avec le président Doumer et les Dolly Sisters ». Il se fout de la morale bourgeoise, mais pas de la morale en politique, un anticlérical, « un mélange d’anarchiste et de conservateur ».

  • « DES VOYOUS QUI NE SAVENT PAS FAIRE POUSSER DES RADIS »

Deux politiques s’affrontent, deux hommes les incarnent : l’ancien président du conseil, Jean Gabin et Chalamont, Bernard Blier, politicien, directeur de cabinet, qui monte, qui monte… Chalamont est le rusé, l’intelligent, le diplômé, celui qui fait marcher ses relations, qui a fait un beau mariage avec l’une des plus grosses fortunes, qui a « épousé une banque ». Jean Gabin, c’est l’honnête, le terrien, celui qui a su garder ses racines, être proche de son village, de ses anciens amis, celui qui a une vision. A son vieil ami agriculteur, qu’il croise pendant les labours et qui lui dit que « les lascars, les voyous qui fixent le prix des betteraves ne savent même pas faire pousser des radis », il reconnaît, en souriant, qu’il «  aurait refusé le portefeuille de l’agriculture pour ne pas se brouiller avec lui ».

  • « L’EUPOPE DE LA FORTUNE CONTRE CELLE DU TRAVAIL

La politique que Verneuil dénonce déjà c’est celle de la financiarisation de notre politique. Il dénonce « l’Europe de la fortune contre celle du travail ». Et il passe alors en revue le pédigrée de chaque député, par ordre alphabétique, devant une assemblée hors d’elle. Passent les présidents, les directeurs de groupe financier, passent les administrateurs de société et les fondés de pouvoir. « Les  partis ne sont plus que des syndicats d’intérêt.» En fait, c’est déjà « une constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression qui maintiendront sous leur contrôle non seulement le produit du travail, mais les travailleurs eux-mêmes. On ne vous demandera plus de soutenir un ministère, mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration ».

  • « LA POLITIQUE, AMORTISSABLE EN QUATRE ANS »

Que devrait être la politique ? « Une vocation! Mais pour le plus grand nombre, elle est un métier, un métier qui ne rapporte pas aussi vite que beaucoup le souhaiteraient et qui nécessite de grosses mises de fonds. Une campagne électorale coûte cher, mais pour certaines grosses sociétés, c’est un placement amortissable en quatre ans ; et pour peu que le protégé se hisse à la présidence du conseil, alors là !, le placement devient inespéré… Il vaut mieux régner à Matignon que dans l’Ougandi et que de fabriquer un député coûtait moins cher que de dédommager un roi nègre ! » Il parle de l’intérêt financier des colonies. Nous sommes en 1961 !

La politique deviendra donc exclusivement le langage des chiffres « qui a ceci de commun avec le langage des fleurs qu’on lui fait dire ce qu’on veut ».

Vinrent les stock-options et les paradis fiscaux.

Jacky Lavauzelle

 

GAS-OIL de Gilles GRANGIER – L’ODEUR DU CAFE & DE L’ANDOUILLETTE

GILLES GRANGIER
GAS-OIL
1955

Gas-Oil Gille Grangier Artgitato

L’ODEUR DU CAFE ET DE L’ANDOUILLETTE

« Or l’amitié exige que l’on soit au moins deux à l’éprouver et l’on ne saurait donner longtemps la sienne à qui ne vous la rend pas. C’est un échange qui par la même requiert un lieu. Quand je pense à un ami, je ne puis rester dans l’abstraction, j’évoque des situations, donc des cadres » (Antoine Blondin, Ma vie entre des lignes). Le lieu ici est le cœur de la France, près de Montjoie. Le cadre, le cœur des camionneurs.

LE SON DE LA GAZINIERE ET L’ODEUR DE L’ANDOUILLETTE

L’odeur est là. Pas celle du gas-oil et du moteur. L’odeur de l’école, de l’alcool du barbier. L’odeur des casquettes, des bretelles, du cuir des blousons et des grands pardessus, des chaussons à l’arrière retourné, des pyjamas fermés jusqu’au dernier bouton. L’odeur de la cour de récréation. L’odeur de ces repas en daube venue d’un temps ante-cholestérol, celui des sandwichs aux andouillettes, aux civets de lapin et de l’omelette aux lards.

FAUT LA CHATOUILLER POUR AVOIR L’ADDITION

Le son est là. De la cloche qui dit la rentrée aux boutons de la gazinière qui font clac. Le gros bruit du réveil au gros ronronnement du moteur de la Willeme bien ajusté. Les prénoms qui sonnent, c’est l’Ancien, c’est Jojo, Lulu ou Emile, quand ce n’est pas le Gros Robert. Le son des phrases que l’on entend plus : « envoyer la soudure », « faut la chatouiller pour avoir son addition ?», « J’en connais un qui serait bien resté dans les plumes », « La route ça creuse, c’est comme l’amour. Si je vous disais qu’à moi, ça me donne une vraie fringale l’amour. Y en a, aussitôt fini, c’est une cigarette, moi, faut que je mange ». Le son des enfants qui se lèvent quand l’institutrice rentre et du son de sa voix quand elle punit l’enfant qui s’est retourné pendant la dictée, et qui, pour la peine, fera un problème.

LE GROS GENTIL LOUP ET L’AGNEAU ROMANTIQUE

Quand Jeanne se déshabille, elle devient papillon. Et elle papillonne devant son Jean lisant le Loup et l’Agneau. Elle est légère, sort de sa chrysalide, papillonne. Lui, montre ses atours. Lui, plein, lourd, semble être son père. Il souhaite qu’elle vienne chez lui car « on mangerait mieux ». Bien sûr, Jeanne le reprend « ce qui est fou avec toi, c’est ton côté romantique, la poésie. T’es plein de mystère! ». Aujourd’hui, elle n’aurait même pas le temps d’essayer sa nouvelle robe, que l’on suivrait les ébats sur le parquet, dans une symphonie de râle en Rut majeur, la tête de madame dans le lavabo. Non, là, Jean parle de la femme moderne : « Elle est bachelière, elle est indépendante. Mademoiselle est de son époque. Aujourd’hui, elle vote et elle lit la Série Noire ». Et avant de s’endormir, il met le réveil car il sait qu’il « doit prendre des endives avant cinq heures chez Berthier ». Jeanne dans un éclair de lucidité se demande bien avant de se coucher pourquoi elle l’aime. « Parce que je suis beau même dans le noir ».

L’AMITIE PAR TOUS LES VENTS

Les amis sont soudés et prennent le temps de vivre comme de travailler. Le temps d’une sieste au bord de la route, le temps du beaujolais, le temps de s’arrêter à la moindre panne d’un routier. « T’as besoin d’un coup de main ? » Ils sont solidaires. Même le lapin est meilleur entre ami. « Permettez-moi de vous dire que du lièvre comme ça, vous n’en mangerez pas souvent. Faut pas seulement des herbes et des champignons. Il faut aussi de l’amitié. Ce qui compte dans la vie, c’est d’abord l’amitié. – L’amitié ? L’amitié ? L’amitié et le beaujolais, oui ! »

J’IRAIS LES CHERCHER DANS LE CHARBON, DANS LE CAMBOUIS, DANS LA MERDE !

Pour les truands, les petites-frappes, c’est le chef qui compte. « N’oublie pas que c’est toi qui tiens le volant, mais c’est moi qui conduit ». Les autres ne sont rien. « J’étais seule, une impression affreuse ». « Il est vrai qu’Antoine, il est déjà pas mal oublié ». Rien ne compte plus que de gagner de l’argent. Être riche et vite. Peu importe comment. « Ah ! Pourquoi ? Il vous faut du confort ? Cinquante briques, moi je les attendrais à quatre pattes dans la neige. J’irais les chercher dans le charbon, dans le cambouis, dans la merde.  Seulement, j’étais formé par une génération qu’avait le respect de l’osier. Alors, dites-vous bien que je suis aussi pressé que vous et que le camionneur, j’aime mieux ne pas être dans sa peau! »

LE FOND DE NOTRE COEUR

Les truands comme une verrue pleine de pus seront expurgés. L’Ancien sera soigné par un bon coup de gnole et partira se faire soigner dans un camion à bestiaux. L’amitié est là jusqu’au bout. Ils en parlent et au besoin font parler le cœur.

« Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre Le fond de notre cœur dans nos discours se montre, Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais sous de vains compliments. »  (Molière, Le Misanthrope)

Jacky Lavauzelle

LA METAMORPHOSE DES CLOPORTES

Pierre Granier-Deferre
LA METAMORPHOSE DES CLOPORTES
(1965)

La Métamorphose des cloportes Granier Deferre 1965 Artgitato Le Rappel des vieilles amitiés

LE RAPPEL DES VIEILLES AMITIES

 LA METAMORPHOSE DES CLOPORTES – L’amitié, ça eût payé, mais ça paye plus ! A quoi bon ? Quand tu n’as pas besoin, les amis s’agglutinent, se massent, se ruent, te couvrent de baisers, de bons mots, de trucs pas trop cher, quand même ! Tu fais une fête ? pas de problèmes ! Tu invites au restaurant ? Ok, ça marche ! Tu payes une tournée ? Pourquoi pas, j’ai cinq minutes. Bien volontiers !

FAUT PAS S’Y FIER, J’AI DES GROS OS !

C’est Charles Aznavour qui se dévoue pour aller voir le Lino . Bien assis, bien reconnu, avec sa poulette, à manger des huitres, à regarder d’autres poulettes picorer du blé aux vieux coqs assis et avachis en cercle, la crête bourgeoise et un peu flasque. On le cherche le Lino. On a besoin de lui. Pas chaud d’abord, il se laisse tenter. C’est normal, c’est un tendre. C’est un sensible, une fleur dans un corps gros comme ça. « Faut pas vous y fier, j’ai des gros os, mais ils sont friables ; j’ai pas de force ! »

ANQUETIL S’EN MÊLE

Pendant ce temps, « Anquetil remporte le Tour de France »…

Et c’est au rythme des Tour de France remportés par le Grand Jacques, que Lino file ses années. Le problème, c’est que Jacques, il en a remporté cinq de Tour de France ! Alors, c’est gentil, mais les nerfs de Lino commence à peloter, que le gilet il est déjà fait pour l’hiver, du genre suédois.

Alors pendant que les nerfs se mettent à démanger, Lino se rappelle ses vieilles amitiés, de celles un peu timides qui s’échappent au premier courant d’air.

Pendant ce temps, « l’homme essaie de la dernière attache : l’apesanteur »…

JE LUI REDUIS LA TRANCHE, JE LE MINIATURISE ?
JE LE DISSOUS

Alors, Lino fait le tour de ses potes, l’un après l’autre. Pas consciencieux, ils ont oublié les petits colis par la Poste et Lino, lui, c’est des choses auxquelles il est attaché. C’est bête, mais un petit geste par ci, par là, ça fait toujours du bien au moral. C’est donc normal qu’il baisse son moral. Ce n’est pas grave. Lino, il pense bien à eux quand même. C’est pour compenser. Et il compense. « Pas un mot, pas un colis, pas un mandat, rien ! C’est drôle quand vous êtes en forme : ils sont toujours là. Ça s’appelle des amis et dès que le temps se couvre, ils disparaissent sous les portes et dans le trou des murs, fuyants, furtifs, des cafards, des cloportes! Mais dès que je suis dehors, Monsieur Tonton, je lui réduis la tranche, je le miniaturise, je le dissous…Dans deux ans, la quille, je fonce et je l’emplâtre. Je lui mets la tête en bas, je lui fais vomir ses friandises et j’envoie sa nana se faire bronzer à Dakar. L’Arthur, c’est simple, je lui fais bouffer son passe-montagne. Je le plonge dans l’eau glacé et j’attends que ça gonfle. Quant à Edmond, mon ami Edmond, j’sais pas encore ce que je lui ferai, mais j’veux que ça fasse date ! Jacques Clément, 1589 ! Ravaillac, 1610 ! François Damien, 1757 ! Edmond Claude, 1965 ! »

L’ÂME D’UN MAÎTRE-NAGEUR ?

Alors quand on annonce qu’il est enfin libre, libre, libre, libre, on croit entendre le prisonnier crier : «Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! ». Et pendant que la caméra passe les grilles de la prison, des hommes s’apprêtent à faire la planche longtemps sur la Seine.

Malgré sa tendance à l’idéalisation, Lino ne se sent pas encore l’âme de devenir maître-nageur…

 

Jacky Lavauzelle

 

LA DUCHESSE DE LANGEAIS VS NE TOUCHEZ PAS A LA HACHE – L’Energie Balzacienne découpée à la hache de Rivette

BALZAC  &  Jacques RIVETTE

LA DUCHESSE DE LANGEAIS
& NE TOUCHEZ PAS A LA HACHE  (2007)

BALZAC RIVETTE La Duchesse de Langeais Artgitato peinture-ingres-la-grande-odalisque

L’ENERGIE BALZACIENNE
DECAPITEE PAR LA HACHE DE RIVETTE

Ne Touchez pas à la Hache de Rivette reprend le livre de Balzac paru d’abord sous ce titre en 1833 dans l’Echo de la Jeune France.

Comment Rivette a t-il pu faire d’un des plus beaux romans d’amour un film pesant et ennuyeux ?

Essayons de comprendre pourquoi les ingrédients prennent chez Balzac et pourquoi la sauce semble si lourde dans l’autre cas.

  • LA FRAGILITE ET L’INVULNERABILITE

Ce qui marque d’abord dans la Duchesse de Langeais c’est cette impression d’équilibre. La présentation du couvent de l’île de Majorque : «  Les tempêtes de tout genre qui agitèrent les quinze premières années du dix-neuvième siècle se brisèrent donc devant ce rocher…Une rigidité conventuelle que rien n’avait altérée recommandait cet asile dans toutes les mémoires du monde catholique …Nul couvent n’était d’ailleurs plus favorable au détachement complet des choses d’ici-bas exigé par la vie religieuse». « Nous sommes dans le lieu hors d’atteinte, hors du temps, hors des hommes, « ce roc est protégé de toute atteinte »

Ce qui marque d’abord dans le film de Rivette, c’est sa faille, sa fragilité (que l’on retrouve après dans Balzac), son déséquilibre, marqué par la jambe en bois du Général Arnaud de Montriveau (Guillaume Depardieu) ; alors que la voix du chœur pendant la messe le submerge, il sort, claudiquant, le bruit de la jambe sur le dallage, et se remet face à la mer. Je pense que c’est le meilleur moment du film.

  • L’ENERGIE DU CONTRASTE BALZACIEN CONTRE LA SIMILITUDE MOLLE DE RIVETTE

Balzac agrémente son récit d’oppositions et de différences constantes.  Ce sont celles-ci qui dynamisent le récit : « de la femme, il savait tout ; mais de l’amour, il ne savait rien », « A Paris, tous les hommes doivent avoir aimé. Aucune femme n’y veut de ce dont aucune n’a voulu », « Semblable à tous les gens réellement forts, il était doux dans son parler », « Il voyait d’un côté l’enfer des sables, et de l’autre le paradis terrestre de la plus belle oasis qui fut en ces déserts », « Cette velléité de grandeur, cette réalité de petitesse, ses sentiments froids et ces élans chaleureux », « Et se voyant tous égaux par leur faiblesse, ils se crurent tous supérieurs », « Leurs calculs ne se rencontrent jamais, les uns sont la recette et l’autre est la dépense. De là des mœurs diamétralement opposées ». Reprendre la Duchesse de Langeais sans reprendre ces oppositions, c’est ne pas reprendre la vie du texte, c’est un peu l’amoindrir.

Dans le film, les deux acteurs qui jouent la duchesse et le Général se ressemblent. Ils ont l’air frère et sœur. Nous sommes dans le drame bourgeois triste. Ce qui fait la force des personnages balzaciens c’est déjà de les inscrire dans une histoire, pour le Général, celle des guerres napoléoniennes, la Restauration, la disgrâce, le retour en grâce et pour la duchesse, son histoire familiale, celle du faubourg Saint-Germain, de la mode. La rencontre est toute dans ces oppositions. C’est ce qui en fait la force.

Qui est le général ? Comment est-il ? « Il était petit, large de buste, musculeux comme un lion. Quand il marchait, sa pose, sa démarche, le moindre geste trahissait et je ne sais quelle sécurité de force qui imposait et quelque chose de despotique ». Tout le contraire de la duchesse, plongée dans la frénésie de la mode et des bals et de l’apparence. « Elle vivait dans une sorte de fièvre de vanité, de perpétuelle jouissance qui l’étourdissait. Elle allait assez loin en conversation, elle écoutait tout, et se dépravait à la surface du cœur ». « Elle était coquette, aimable, séduisante jusqu’à la fin de la fête, du bal » Comment un tel animal et une beauté coquette, comment cette Belle et cette Bête ont pu tomber amoureux ? Certainement pas comme dans le film de Rivette, avec la discussion sur le canapé et le rendez-vous à son domicile, ce qui n’est pas réellement passionnant. Dans la Belle et la Bête, comme dans Balzac, nous sommes dans l’effroi : « Elle sentit en le voyant une émotion assez semblable à celle de la peur ».

La rencontre pour la duchesse est préparée, anticipée. Dans le film, une rencontre, un récit à l’écart, des séries de rendez-vous, je t’aime mais tu ne m’aimes pas, renversement des rôles…

  • LA STRUCTURE DES TRIANGLES DANS BALZAC

Des triangles structurants de Balzac, un seul est cité au début du film et le cinéaste ne jouera que de celui-ci. Le récit n’a plus de force, ni de présence. Il devient plat.

LE TRIANGLE DIVIN
C’est celui qui est repris chez Rivette : « La religion, l’amour et la musique ne sont-ils pas la triple expression d’un même fait, le besoin d’expansion dont est travaillée toute âme noble ? Ces trois poésies vont toutes à Dieu, qui dénoue toutes les émotions terrestres. Ainsi cette sainte trinité humaine participe-t-elle des grandeurs infinies de Dieu, que nous ne configurons jamais sans l’entourer des feux de l’amour, des sistres d’or de la musique, de lumière et d’harmonie. N’est-il pas le principe et la fin de nos œuvres ? »

LE TRIANGLE SOCIAL
Ce triangle, qui donne du fond à la lecture et du corps aux personnages. « L’art, la science et l’argent forment le triangle social où s’inscrit l’écu du pouvoir, et d’où doit procéder la moderne aristocratie. Un beau théorème vaut un grand nom. Les Rothschild, ces Fugger modernes, sont princes de fait. Un grand artiste est réellement un oligarque, il représente tout un siècle, et devient presque toujours une loi »

LE TRIANGLE MORAL DU GENERAL
«  Quel homme, en quelque rang que le sort l’ait placé, n’a pas senti dans son âme une jouissance indéfinissable, en rencontrant chez une femme qu’il choisit, même rêveusement, pour sienne, les triples perfections morales, physiques et sociales qui lui permettent de toujours voir en elle tous ses souhaits accomplis ? Si ce n’est pas une cause d’amour, cette flatteuse réunion est sans contredit un des plus grands véhicules du sentiment. Sans la vanité, disait un profond moraliste, l’amour est un convalescent. »

LE TRIANGLE DU PARAÎTRE DE LA DUCHESSE

La coquetterie de la mode (« Une coquetterie naturelle »), le jeu de la représentation (« Elle paraissait devoir être la plus délicieuse des maîtresses en déposant son corset et l’attirail de sa représentation » ; « Sans qu’elle n’est eût l’air de jouer » ; « Elle déploya cette chatterie de paroles, cette fine envie de plaire » ; « N’était-ce pas chez une femme de cette nature un délicieux présage d’amusement » ; « La duchesse de Langeais avait reçu de la nature les qualités nécessaires pour jouer les rôles de coquette »  et le bal (« Depuis dix-huit mois, la duchesse de Langeais menait cette vie creuse, exclusivement remplie par le bal, par des triomphes sans objet, par des passions éphémères, nées et mortes pendant une soirée »)

La rencontre se fait sur une base guerrière et stratégique. Sur la base du jeu et du paraître pour la duchesse.

« Il y eût un moment où elle comprit que la créature aimée était la seule dont la beauté, dont l’esprit pussent être universellement reconnus » ; « Un amant est le constant programme de ses perfections personnelles. Madame de Langeais apprit, jeune encore, qu’une femme pouvait se laisser aimer ostensiblement sans être complice de l’amour, sans l’approuver, sans le contenter autrement que par les plus maigres redevances de l’amour, et plus d’une sainte-nitouche lui révéla les moyens de jouer ces dangereuses comédies » Lui, le général, est aussi dans la conquête guerrière, plus naturelle pour lui, quoique « de l’amour, il ne savait rien ». « Cette difficile, cette illustre conquête… Ces niaiseries flattèrent, à son insu, le général… » « J’aurai pour maîtresse madame de Langeais »

La suite, la rencontre, les jeux, les feux et les dangers de l’amour, c’est en reprenant le livre que vous aurez des émotions réelles.

Dans Rivette, j’ai senti l’ennui, la lourdeur, la nuit. Ce que je ressens en reprenant Balzac, c’est ce regard sur la vie, cette analyse dans le temps donc hors du temps, intemporelle et toujours belle. Dire vite ce que la vie met longtemps à nous dire. Chaque page est belle. Et il y a quelque chose dans chaque phrase, dans chaque respiration de la phrase. Il y a une pensée en action, qui regarde, qui analyse, qui structure.

Il faudrait reprendre le cheminement de la voix de la Duchesse dans le couvent et le jeu, toujours le jeu, entre les ombres et les lumières, entre l’intérieur et l’extérieur, entre ce qui s’entend et ce qui se laisse voir, pour devenir certitude. La certitude que c’est elle, bien elle, uniquement elle. « Cette voix, légèrement altérée par un tremblement qui lui donnait toutes les grâces que prête aux filles leur timidité pudique, tranchait sur la masse du chant, comme celle d’une prima donna sur l’harmonie d’un final ». Comment filmer cette impression dite en une phrase : « La musique, passant du majeur au mineur, sut instruire son auditeur de la situation présente ».

« Il n’y a que le dernier amour d’une femme qui satisfasse le premier amour d’un homme »

Jacky Lavauzelle

SPIRITUS d’Ismail KADARE

Ismail Kadaré SPIRITUS

Ismail Kadare Spiritus Artgitato

ENTENDRE L’INAUDIBLE

Dans Spiritus, Ismail Kadaré utilise les mouvements qui vont vers l’intérieur, qu’est-ce que la chose, qui est l’être en face de moi, est-il mon ennemi ? Et ces mouvements qui vont vers le bas, vers ce qui est enfoui, caché. Nous rentrons en Albanie, quand le Guide encore montrait le chemin. Chacun regarde chacun. « Depuis les villas gouvernementales, des dizaines de regards suivaient à coup sûr leur promenade. Avec des jumelles, si ce n’était à l’œil nu, on pouvait se rendre compte de leur silence ».

  • L’ART DE LA PENETRATION
    DU DEHORS VERS LE DEDANS

Pénétrer dans un des pays les plus fermés du monde, « nous pénétrâmes sur le sol albanais par la frontière orientale »

Pénétrer dans l’une des langues les plus complexes et atypiques d’Europe. « L’angoisse de la langue albanaise cherchant à se protéger de la tourmente » ; « Nous pensions qu’il n’aurait jamais osé s’attaquer au difficile parler des Albanais…Dieu sait où il avait débusqué certaines locutions intraduisibles et surtout un mode verbal qui les sous-tendait et n’avait cours qu’en albanais, peut-être aussi en grec ancien. D’après lui, ce mode servait à charger les verbes albanais d’une intention, autrement dit à leur conférer un pouvoir soit bénéfique, soit maléfique »

LES OREILLES DU PARTI

Pénétrer l’intimité de l’autre par les écoutes par la pose des princes, « réussir à percer leurs intentions ». Les ennemis sont partout. Tout le monde peut être coupable. Une dotation pour les « oreilles du Parti » des « princes », des « frelons », écouteurs nouvelle génération sont arrivés. « La pression des ennemis du dehors et du dedans s’accentuaient ».

RIEN N’EST OUVERT

Pénétrer car tout est difficile d’accès, le pays, les âmes, le brouillard, « tout était enveloppé d’un épais brouillard. La tombe même de Shpend Guraziu était restée inaccessible … ». On ne peut rentrer facilement nulle part. Rien n’est ouvert. Le regard scrute partout.

Pénétrer dans le noir, dans la nuit, dans les tréfonds de la Terre.

L’ART DE LA DESCENTE
DU HAUT VERS LE BAS, LA STRUCTURE DE LA PHRASE

 « CETTE NEIGE EST BON SIGNE. JE CROIS AUX BIENFAITS DE TOUT CE QUI VIENT DU CIEL »

Le mouvement vers le bas, les morts, parti d’en haut, du ciel, domaine des esprits. C’est la structure même de la phrase de Kadaré dans Spiritius. On écoute les esprits pour savoir ce que les morts cachent et ce qu’il y a à connaître chez les vivants.

PAREIL A UN DEMON

Toujours un mouvement de haut en bas, de droite à gauche (ils rentrent en Albanie par la frontière Orientale, donc de l’Est vers l’Ouest, de la droite vers la gauche), de l’extérieur vers l’intérieur (il faut rentrer dans, pénétrer, quand, parfois, il se fait vers l’extérieur, il y a malaise : « Tout en parlant, il remarqua que la plupart de ces auditeurs ne le regardaient pas en face. Leur position, la tête plutôt penchée, le regard tourné vers l’extérieur, lui parut tout aussi bizarre »), parfois un arrêt au centre, puis, pour finir, une impossibilité, une impuissance, une interdiction, une séparation, un inaccessible infini, voire la mort : « Quiconque descend aux enfers, là où tout est différent, où les formes, les sons, les mots mêmes sont transfigurés. Pareil à un démon, il parcourait ces espaces pied à pied… Sans doute émanait-elle de la zone interdite ».

ENTENDRE L’INAUDIBLE

Ou encore : « Il allait être amené à descendre dans les abîmes de la vie. Là où il faisait si froid, si noir. Il entendrait l’inaudible, les turpitudes, les râles amoureux, les prières secrètes à des saints depuis longtemps interdits ».

A L’EXTERIEUR DE L’ECORCE

Ou : « Nous étions encore en haut, tout en haut, à la surface de la Terre, alors que le mystère, lui, était tapi en bas, au-dessous d’horribles et infranchissables crevasses. Nous étions, si l’on peut dire, à l’extérieur de l’écorce qui enveloppait l’évènement, et des couches entières de boue, de pierraille, de craie, peut-être aussi de charbon, nous en séparaient… »

DECOUVRIR LA FAILLE

Ou « Nous sentions bien qu’il nous manquait peu de chose pour découvrir la faille par laquelle nous pourrions nous glisser sous l’écorce terrestre. Peut-être un flair analogue à celui des chevaux pour deviner un mort enfoui sous terre, ou celui des rats pour pressentir les secousses, un sixième sens dont le Créateur n’avaient pas équipé les humains pour une raison qu’Il était seul à connaître »

Ou « Un mystère qui concernait une sphère supérieure, donc à eux inaccessible. Leur pouvoir s’arrêtait ici-bas. …Alors que les forces du Mal qui le poursuivaient restaient à terre. Eux aussi, hagards, demeuraient au bord de l’infini ».

Ou  « si les avions avaient pour précurseur le tapis volant, la télévision, le miroir magique des contes permettant de voir chaque recoin du globe, et, ainsi de suite, ces répugnants frelons, eux, ne pouvaient avoir été préfigurés que par les voix des fantômes et des esprits, l’occultisme, la magie noire, le spiritisme, tous ces vestiges poussiéreux de ce vieux monde ».

UN SUSPECT ENTERRE VIVANT

L’envol, la magie, les fantômes, la poussière, la terre. « L’un des plus éminents avait perdu l’ouïe en espionnant des aviateurs là où ceux-ci s’étaient justement sentis le plus en sûreté : à proximité du moteur en marche. Près de lui se trouvait Lulla Bella qui avait consenti à se couler dans une fosse, à côté d’un suspect enterré vivant. »

 L’ART DE L’ECLAIRAGE 
DU NOIR, DU NOIR ET UN PEU DE LUMIERE LUGUBRE

L’affaire est « ténébreuse », l’histoire « vraiment obscure », « la nuit semblait avoir avalé le rai de lumière qui avait tout juste filtré », « cette nuit terrible, inoubliable dans laquelle son esprit s’était englué », « les sombres capotes des sentinelles de la cour », « le visage de l’homme s’était assombri »…

AU COEUR DES TENEBRES

…Le noir, constamment. Même la lumière reste noire, « les rares lampadaires paraissaient osciller tristement », « l’escalier faiblement éclairé par une ampoule unique », « les petites flammes des bougies tremblotaient comme apeurées », « l’obscurité tomba lugubrement, quasiment comme un coup, jusqu’à ce qu’au cœur des ténèbres une fraction de la lumière perdue ne réapparût encore que très faiblement »

Jusqu’au Guide suprême qui rentre peu à peu dans le noir, « Le Guide devenait aveugle…Jamais il n’aurait imaginé entendre prononcer la condamnation de sa vue ».

UNE CELEBRATION FUNEBRE

La mort, donc n’est jamais loin et se tapisse partout, dans chaque intervalle. « A nouveau il revit, comme pour une célébration funèbre, les princes étendus sur leur velours rouge. Ce n’était pas pour rien qu’ils paraissaient avoir été placés dans un cercueil. Ils allaient bel et bien répandre la mort », « l’atmosphère était si lugubre qu’un mort inhumé depuis trois ans avait réussi à envoyer un message sur terre » ; « la peur immémoriale, primaire, celle des fantômes, de l’enfer, de la mort » ; « les dents, les orbites, tout cela baignant dans l’ombre de la mort », « à voix feutrées comme pour une visite de condoléances »,

UN MOT ENTERRE

Le noir et la mort, puis l’oubli. La peur du Chaos pour remonter comme le noyé qui remonte vers la lumière d’un seul coup de pied. Le noir et la mort, puis le silence. « Au fond ce qu’on cherche, c’est avant tout à empêcher les gens de parler », « ce mot depuis si longtemps enterré, tombé en désuétude »

LE CHAOS TOURNOYANT

Les mouvements, l’arrière et l’avant, L’avant et l’après (« Notre erreur avait été de ne pas avoir fait la distinction entre l’avant et l’après »),  le noir. C’est donc un aller-retour entre ombres et lumières noircies. Entre le chaos et la révélation avortée et banale, incertaine encore. « Le chaos tournoyant qui se déployait devant nous paraissait parfois s’apaiser, mais pour bientôt s’exaspérer, enfler à nouveau »

LA RECHERCHE DE LA VERITE

Bien sûr il y a le chaud, le lumineux, le clair. Mais il fait mal. Il pénètre dans notre chair. Il nous ouvre. « Chaque fois qu’il y pensait, une bouffée de chaleur l’envahissait, comme traversée par un poignard»

Bien sûr, il y a parfois la vérité. Mais comment est-elle ? Il y a si longtemps, que pour l’heure, elle fait peur. « A l’évidence, nous cherchions la vérité et la redoutions tout autant »

Jacky Lavauzelle

MORTE NATURE de PAUL DELVAUX

PAUL DELVAUX

MORTE NATURE PERDUE
Dans la perspective

 Delvaux eloge de la mélancolie

Dans l’Eloge à la mélancolie (1948), la seule plante de la toile est maîtrisée, contrôlée. Elle reste dans un coin derrière le sofa. Son utilité n’est plus que décorative. Elle prolonge la coiffure de la dame couchée, dans les mêmes tons. Elle atténue encore une fois, comme une ombrelle, la lumière un peu crue de la lampe. Elle ne la regarde pas, elle l’ignore.

Dans la Prière du soir (1966), l’arbre est scellé dans le macadam. Les racines sont maîtrisées. Pas une oncePaul-Delvaux-Pri-re-du-soir de terre ne permettra à l’arbre de grandir. Il est donc condamné à mourir. Il est resté là au même titre que les lampadaires qui donne de la lumière, lui donne de l’ombre. Il en a la même verticalité pour un usage inversé. Jour-Nuit, Ombre-Lumière.  

    • L'Acropole, 1966 1acLe même procédé se retrouve dans l’Acropole (1966) ou dans Promeneuses et Savant (1947).
    • La nature, quand elle apparaît, chez Delvaux est, le plus souvent, ravagée, lunaire, faite de rochers volcaniques au loin. Comme après une grande catastrophe. Tout est le plus souvent à nu comme les corps. Le gris renforce la sensation de froid. Les corps ne sont jamais lascifs. Ils sont couchés comme dans
      La Vénusdelvaux la Venus endormie endormie (1942), ou morts. Dans celle de 1932, Paul Delvaux montre des personnages en deuil autour de la Vénus.
    • delvaux l auroreDans l’Aurore (1937), l’arbre et la femme fusionne, comme un nouvel animal mythologique. Mais ce n’est pas la Terre qui se féminise, c’est la femme, l’homme, qui se fige déjà, qui se mortifie. Les corps ne sont pas libres. Ils sont là déjà dans la terre de ce cimetière. Une partie de leur corps ne leur appartient plus. La mort est dans le corps, envahissante. Le feuillage n’existe plus. Exit le cycle des saisons. Exit les couleurs, les tons. Exit la vie.
    • Dans le Pygmalion (1939), la végétation est là, la fleur aussi. Pour une fois, la nature bouge et vit. Mais cedelvaux pygmalion n’est plus de la nature, c’est de la parure. Le feuillage n’est rien d’autre qu’un chapeau, comme plus haut dans l’Eloge à la mélancolie. La tige de la fleur part des jambes, tourne autour de la cuisse, comme le lierre tourne autour de l’arbre affaibli et malade déjà. La tige ne vient d’aucune terre, d’aucun pot. Elle va donc mourir, se faner, rapidement. Elle vient d’être coupée au service d’un désir superficiel de la femme. La nature est comme le diamant ou l’or. Après l’avoir détruite, la prendre comme parure.  
  • delvaux le miroir Le Miroir (1936), montre de l’autre côté une image différente. A la femme habillée répond la nudité, à l’intérieur délabré à la tapisserie tombante, un paysage. C’est ce que la dame au premier plan veut voir d’elle-même. Non une femme, mais son désir, ses fantasmes ; non un paysage gai et frivole, mais une nature maîtrisée donnant plus de relief à la courbe de ses seins et de tons à sa chevelure blonde. Il n’y a nulle envie de retour vers une phase originelle, bien au contraire. La nature, elle l’imagine mais ne la voit pas, ne la regarde plus. A quoi bon ?
  • L’homme remplace le soleil par sa lumière incandescente. L’homme s’élève au-dessus des arbres, comme dans Le Viaduc (1963). La ligne du train surmontera toujours les derniers arbres encore sauvages qui résistent encore. Les lumières sont partout, celles des hommes, en dessous par le lampadaire, au-dessus par la lampe et l’éclairage du chemin de fer. Dedans par les lumières vives de la maison. La nature est englobée, ne reste plus qu’à l’asphyxier.

Dans Exil, le poème que Paul Eluard dédicace à Paul Delvaux, parle de ces femmes « Loin de l’odeur destructrice des fleurs, Loin de la forme explosive des fruits ». La nature doit être repoussée, oubliée. C’est elle ici qu’il faut tuer. Place à la ligne directrice, à l’ordonnancement des droites et des lignes de fuites…

 … comme dans Trains du soir (1957) ou dans La nuit de Noël : pas de rouge (à l’exception encore de la robe), paspaul-delvaux-train-du-soir de vifs. Non du gris-bleu au gris-vert pour aller vers le gris-gris. Pas un arbre, pas une fleur. Juste une petite fille toujours sur le côté. Si petite dans ce noir ici et au bout de la perspective. Si petite et si impuissante, qu’elle nous tourne le dos.

Jacky Lavauzelle

CORALINE : LE PUITS ET LE TUNNEL

Henry SELICK
CORALINE
2009

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LE PUITS ET LE TUNNEL
Les rites du passage

 Coraline n’est plus une enfant. Elle est dans ce début d’adolescence où l’on évoque les tensions, les fossés qui se creusent. Des volontés d’émancipation. Des désirs d’ailleurs.  Coraline veut élargir son horizon. D’abord avec le puits, le grand saut, puis par la traversée du tunnel, plus progressif. Sera-t-il moins dangereux ?

LE MOUVEMENT  VERS LE BAS
Dès que Coraline arrive dans sa nouvelle demeure, elle se met à la recherche d’un puits. Le puits est le lieu le plus obscur et le plus terrifiant. La solution est extrême ; elle est à la mesure de l’attente de changement de Coraline.

Elle doit le localiser, savoir où il est, pour enfin développer son imaginaire. Le puits doit se contourner. Il ne se pénètre pas. C’est le mouvement vers le bas. Tomber dans le puits, c’est tomber dans l’oubli, dans le néant. On ne remonte pas du puits. C’est notre dernière expérience. Le lieu où naissent de très nombreux cauchemars. Le puits s’entoure de maléfice. Rien qu’à son approche, Coraline est entourée d’une baguette de sorcier de sumac vénéneux, d’un monstrueux cavalier masqué, en plein orage.

UN CIEL ETOILE AU-DESSUS DE NOS TÊTES

Armée pour trouver le puits, Coraline est à deux doigts de tomber dedans. « Si tu ne fais pas attention, tu vas tomber dedans. Il est si profond que si on tombe dedans et qu’on regarde en haut, on voit un ciel étoilé même en pleine journée » lui raconte Wyborne, son voisin.
Cette scène est reprise de Tarkovski dans l’Enfance d’Ivan où la mère du jeune Ivan, regardant le fond du puits, dit : « – Quand un puits est profond, on peut voir une étoile en plein jour« . « – Quelle étoile ? » demande Ivan. « – N’importe laquelle » lui répond-elle. Le visage d’Ivan s’éclaire : « J’en vois une, maman ! Pourquoi brille-t-elle ?« . Parce que « C’est la nuit, pour elle, en ce moment. Elle brille comme dans la nuit« . Mais alors que le soleil brille dans un ciel sans nuage, le petit Ivan s’étonne : « on n’est pas dans la nuit, on est en plein jour ! » La mère avec un sourire lui répond : « Pour toi, c’est le jour, pour moi aussi. Pour elle, c’est la nuit. »
Ivan essaie de la toucher, touche la surface de l’eau, en douceur. Il se retrouve au fond du puits. Le seau remonte. La mère est seule en haut.

J’AI FAILLI MOURIR ! – C’EST BIEN !

Revenons à Coraline. Elle l’évite et peut rentrer chez elle raconter sa frayeur à sa mère inattentive : « J’ai failli tomber dans un puits hier, j’ai failli mourir ». « C’est bien ! », lui répond sa mère. Sa peur n’est pas celle de sa mère, beaucoup plus ennuyée quand elle lui parle de sortir par une pluie battante et donc de rentrer sale.

Le puits localisé, Coraline pense avoir fait le plus dur et le plus risqué. C’est sans compter sur le tunnel.

Le tunnel ne se cherche pas. Il arrive par hasard lors des fouilles minutieuses de Coraline qui s’ennuie. Le tunnel, à la différence du puits, symbolise le passage, d’un lieu à un autre, d’un temps ou d’une représentation à autres choses. Il se pénètre et laisse toujours la possibilité du retour. Le tunnel ne se contourne pas, on s’engouffre dedans, espérant trouver quelques secrets. L’herbe est toujours plus verte ailleurs.

ON GARDERA UN OEIL SUR CORALINE

Coraline, de l’autre côté, trouve la famille idéale, attentionnée, gaie, cuisinant tout ce qu’elle aime. C’est le lieu du même et de l’autre. Du même en mieux. Les mêmes parents, mais différents. On garde le meilleur et on y met tous ses désirs. « Elle est chouette, adorable, c’est une bonne copine. Elle est mignonne comme un chou. On le répète partout…C’est ce que pensent tous ceux qui ont vu Coraline. Quand elle vient explorer, maman et moi n’allons jamais l’ennuyer. On gardera un œil sur Coraline ».

BIENTÔT, TU VERRAS LES CHOSES COMME NOUS !

Le tunnel, cet incontournable lieu de passage et d’échange de l’enfant. La perfection qu’on lui promet, « tu pourrais rester ici pour toujours si tu voulais. On chantera et on jouera à des jeux. Maman cuisinera tes plats préférés », n’est rien au regard de sa liberté.

Au « bientôt tu verras les choses comme nous », Coraline crie : « Jamais ! On ne me coudera pas de boutons à la place des yeux ! ».

Du passage dans le tunnel, ce n’est pas l’aller le plus difficile…

Jacky Lavauzelle

ALIAS THE DOCTOR- La Force du destin

Michael CURTIZ & Llyod BACON

Lloyd Bacon & Michael Curtiz Alias the doctor Artgitato
ALIAS THE DOCTOR
(1932)

LA FORCE DU DESTIN

 LE MALHEUR IMMINENT

Le passage de l’enfance à l’âge adulte, de la nature au monde urbain, de la ruralité à la modernité, de l’enracinement des valeurs traditionnelles aux turpitudes et aux excès de la nuit s’opère sur deux images. La première, une roue en bois, qui laisse la place à la roue fumante de la locomotive. Yorik, le crâne affublé d’une casquette annonce à plusieurs reprises une mort ou un malheur imminent. La salle d’interrogatoire après le décès de la copine de Stephan, son frère, se trouve barrée par une immense grille oblique métallique qui scelle le sort de notre héros, Karl Brenner (Richard Barthelmess), et qui le conduira à la prison.

AU SON DES ORGUES

La remise des diplômes a lieu au son d’un orgue qui semble sortir des diplômes superposés les uns contre les autres. Comme si la musique sentencieuse sortait des parchemins. Ceux-ci scelleront la vie d’étudiant, les plongeant dans le sérieux des carrières médicales. Pendant que Stephan reçoit son diplôme, passe le convoi pénitentiaire de Karl. La même musique conduira Karl jusqu’au cœur de la prison annonçant donc la reprise prochaine de son activité médicale.

L’AVENIR SEMBLE RADIEUX

A sa sortie, Karl se retrouve dans la ferme de son enfance ; sa nostalgie est renforcée par la musique enfantine qui s’installe et les rayons du soleil qui traversent la pièce. Il sourit. Ses meilleurs souvenirs sont ici. Il se pose.
De suite, le crâne à casquette.
La lumière baisse.
Karl se met à pleurer.

Huit ans avant le Dictateur de Charlie Chaplin, Karl et Stephan, avant la reconnaissance officielle et la remise des titres, jouent avec le globe terrestre au bowling avec des bouteilles vides. Stephan fait un strike. L’avenir semble radieux et le monde à leurs portées.

LA FORCE DU DESTIN

Le passé demeure un moment révolu. Jamais, il ne sera possible de retrouver cette paix et cette quiétude. Une fois le mouvement commencé, rien ne l’arrêtera.

Lotte qui l’attend dans sa ferme, y croit. Elle pense que le retour est possible. Que l’on est libre de reprendre sa route où elle s’était interrompue. « -Quand tu seras chirurgien, tu t’y remettras – Ce sera différent. J’aurai changé. J’aurai la tête farcie de sciences. – Tu penseras au pays. Si célèbre sois-tu, tu reviendras là. – Tu crois posséder la réussite, c’est la réussite qui te possède ».

Alors que Karl, major de sa promotion, répète son discours d’intronisation : «il est peu probable que ce groupe se reconstitue jamais, au grand jamais. Nous acceptons une lourde charge. Certains seront chirurgiens. D’autres, médecins… Devant vos visages familiers, une pensée m’attriste… ». Arrive Stéphan, qui va briser sa carrière.

DE L’AUDACE

Karl, conscient de ce qui lui arrive, subit tout le temps son destin. Il endosse l’accident de son frère, puis purge cinq ans sous les verrous. Il est prisonnier de ses capacités : « Un homme de votre valeur, égaré dans la campagne…Vous n’allez pas vous défiler ? La nature vous a comblé. L’humanité doit en bénéficier…Préparez-vous et suivez-moi. Vous n’avez pas le choix ! » (Le chirurgien). Propos relayés par sa mère : « Tu l’as entendu comme moi : ‘la nature t’a comblé. L’humanité doit en bénéficier’. Si tu as commis un crime hier soir, recommence ! Récidive !…Tiens, tu t’appelles Stéphan et tu y vas…Tu dérobes à ton devoir…Courage. De l’audace. Ne crains rien. »

LA TERRE COMME UN REFUGE OU UN LIEU D’OUBLI ET DE MORT

La première scène rattrape la dernière. Karl trace son sillon. « C’est ton dernier sillon » lui dit Lotte au début du film. Cette terre qui l’appelle et sur laquelle il ne peut se fixer. Elle le chasse et l’attire. Quand il revient, il a « hâte d’empoigner une charrue ». Le chirurgien l’attire à nouveau vers la ville : «  un homme de votre valeur égaré dans la campagne ».  Sa mère rajoute : « Il est venu tout droit ici. Il aime la vie à la ferme. Quel gâchis ! Ici ! ». Quand épuisé par la ville, il songe à tout quitter et repartir vers sa terre. « Je voulais te voir seule. Lotte, je vais démissionner. Je le veux depuis longtemps. Je suis épuisé, Lotte. A bout. Je n’en peux plus, sans toi ! – Mais la carrière ? – Il y a plus important dans la vie – Mais ta tâche n’est pas finie…- J’ai fait ma part. Vingt-cinq ans de bagne en cinq ans.».

NOUS SOMMES VOUES A LA TERRE

C’est la terre qui l’aide à vivre et à supporter la prison. «  L’idée de retrouver les champs m’a fait supporter la prison ».

La terre qui tue aussi. C’est celle qui a tué le père : « quand j’ai épousé ton père, il avait ton âge à peu près, il rêvait d’être un grand chirurgien, quand il est tombé raide à côté de sa charrue. Il voulait payer ses études pour qu’enfin nous cessions d’être des forçats de la terre »

Après sa sortie de prison, Karl est accueilli par sa mère : «  J’ai eu tort, je voulais t’arracher à la ferme. Je suis punie de mon égoïsme…Nous sommes voués à la terre, nous ne pouvons pas la quitter. La main de Dieu nous retient ici. Mais ce n’est pas juste ! »

UNE CONFUSION DANS LES PERSONNAGES

Karl est le fils adoptif de Martha Brenner. Il se substitue au vrai fils, qui boit et s’amuse pendant ses études. Voilà comment Martha parle à son vrai fils, Stéphan : «Tu es mon fils, malgré tout… Tu ne vaux pas mieux qu’un paysan ! Pas fichu d’être un médecin de campagne convenable ! » .

Karl est amoureux de Lotte, la fille de Martha. Quand il se substitue à Stéphan, il devient son frère. Son amour devient incestueux et impossible. « Désormais, il sera mon frère. Uniquement. »

TON PROJET N’EST QUE CHIMERE

La scène d’amour entre Karl et Lotte est suivie immédiatement d’une scène de rupture. De la rupture des lieux se substituent la rupture des sentiments. Une scène avant, Lotte : « J’ai l’impression de vivre un rêve ». Suivi juste après par : «  Il m’a fallu t’oublier. Ton projet n’est que chimère. J’ai le devoir de t’oublier. »

Deux scènes se suivent entre Lotte et Martha, sa mère. Les rôles sont diamétralement inversés dans les deux. La première, Martha domine Lotte. « Veux-tu te taire ! Voyons ! Tu n’épouseras pas Karl…Hors mariage ? Tu n’oseras pas ! Honte à toi ! Tu ne partiras pas ! ». On passe juste après à : « On s’en fait une montagne. Pourquoi ne pas l’épouser ?  Qu’importe à ces médecins qu’il soit Karl ou Stéphan ? Il est meilleur qu’eux tous. Ils passeront sur un acte commis à ses tout débuts. Tu vois, tout peut s’arranger pour Karl et toi, finalement ! », nous dit la même mère.

ET LA MORT QUI TOUJOURS RODE…

Dans la ferme, comme dans la loge d’étudiant, dans les couloirs de l’hôpital, rode la mort. Elle prend les traits de Yorik, le crâne à casquette, ou celui « du type de l’autopsie », à qui il ne manque plus que la faux et qui apparaît dans l’embrasure des portes dès que le fil de la vie se coupe.

VOUS RAMPERIEZ !

La plus belle scène est celle où Karl opère sa mère. Après le plaidoyer auprès des administratifs et autres collègues où il implore qu’on lui laisse faire sa dernière opération. « Mon sort m’importe peu. J’admets tout. Je reconnais tout ! Mais il s’agit de ma mère…Elle n’a confiance qu’en moi. Qui prendra cette responsabilité ? Vous ? Vous  … Si c’était votre mère, vous me supplieriez d’opérer…Vous ramperiez ! Messieurs, accordez-moi une chance de la sauver ! Imaginez son désarroi si je ne revenais pas ! Ne me retenez pas ! C’est inhumain ! Mettez-moi en prison après ! Mais laissez-moi l’opérer ! ». Viens l’opération, moment émouvant et magique. C’est le soufflet qui rythme la respiration qui est filmé. Le ballon se dégonfle. Le type de l’autopsie qui arrive. Qui tend la main au porte-manteau. Des regards entre infirmières. Des gouttes. Le ballon s’arrête de bouger. Et tout repart. « Il a réussi ! »

« Je suis fier de vous ! »

Jacky Lavauzelle

Nuits Blanches (Luchino Visconti) – 1957- Le notti bianche – LE LONG VACILLEMENT DE L’ÊTRE

LUCHINO VISCONTI
Nuits blanches (Le notti bianche)

Nuits Blanches Visconti Long vacillement des êtres Artgitato Nuits blanches (Le notti bianche)
NUITS BLANCHE
Le Notti Bianche
1957

LE LONG VACILLEMENT DE L’ÊTRE

L’attente de l’être dans la tranquille sauvagerie. Tout le monde espère. Natalia espère dans la promesse du locataire (Jean Marais), Mario espère le bonheur simple dans la fraîcheur de Natalia, la prostituée espère un moment de douceur, un plaisir d’un soir. La blancheur de la neige et de l’attente. L’attente tout au long de ces nuits abrutissantes.

Une Livourne approximative entremêlée de ruelles et de ponts, de canaux et de quais, de passants et de clochards. Tout ne semble tenir que par les ponts arcboutés sur les êtres vides, livides et transhumants. Les murs défoncés et les ruines posent. Elles sont le décor et l’âme des personnages, décentrés et perdus.

LES RAYONS DE SUAVES ARDEURS

La lente et profonde désarticulation de l’être. Les êtres se chevauchent, se déhanchent, s’arcboutent aussi, se plient, tombent parfois et se relèvent enfin comme dans le rock endiablé de la taverne.

La blondeur enfantine, juvénile, fraîche de Natalia (Maria Schell). Un visage lumineux qui embarque Mario et le locataire.

La blondeur dans l’amour de la loge à l’écoute du Barbier. Une tête sur une épaule. « Et les fleurs exhalaient de suaves odeurs  Autant que les rayons de suaves ardeurs ; Et l’on eût dit des voix timides et flûtées Qui sortaient à la fois des feuilles veloutées ; Et comme un seul accord d’accents harmonieux, Tout semblait s’élever en chœur jusques aux cieux » (Alfred de Vigny, Les Amants de Montmorency).

LES LAIDEURS PARTICULIERES

Le film se pose. Natalia restera toujours dans l’attente d’un autre bonheur. Elle a trouvé. Elle sait. Pourquoi chercher ailleurs. Il n’y a plus qu’à attendre même dans le bruit des larmes, dans le bruit des soupirs.

La noirceur et la poisse de la prostituée (Clara Calamai) à la recherche d’un peu de lumière. Mario se laisse prendre, désabusé. « L’éclat des yeux peut tromper au premier moment. Mais on rencontre souvent des laideurs particulières, vicieuses, psychiques » (Henri Michaux, Un Barbare en Inde). Elle se perd dans les profondeurs, entraîne Mario sur des quais interlopes. Mario d’un dernier coup de reins remonte à la lumière et quitte la malédiction des profondeurs.

IL ABUSE DE LA NUIT

Mario revit. Il est là et dans ses bras Natalia. Tout est beau, trop beau, jusqu’à cette neige recouvrant toutes les misères, toutes les noirceurs et les bassesses. La neige illumine ces deux êtres seuls dans la ville, seuls mais qui la dépassent et la survolent. Ils crient, jouent et s’embrassent dans de longs projets d’avenir joyeux et soyeux.

Le « C’est lui » final, claquant dans la neige et cassant le rêve monté par Mario.  Le personnage accuse le coup, se courbe. La tête tombe. Le mur seul peut encore le retenir. Le manteau sur l’épaule, Mario (Marcello Mastroianni)  se retourne et part en caressant le chien au fond de la nuit. « Il n’abusera pas trop de la lumière des lampes. Il abusera plutôt de la nuit » (Henri Michaux, Un Barbare en Inde).

 

Jacky Lavauzelle

 

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Nuits blanches (Le notti bianche)

LE CRIME DE MONSIEUR LANGE (Renoir)

JEAN RENOIR
LE CRIME DE MONSIEUR LANGE
(1935)

Le Crime de Monsieur Lange Renoir 1935 Artgitato

LA LIBERTE DERRIERE LES DUNES

Le passage de la frontière. Amédée Lange (René Lefèvre) et Valentine (Florelle) arrivent au café-hôtel de La Frontière afin d’échapper à la police qui les recherchent pour le crime du crapuleux Batala (Jules Berry).

APRES LES DUNES, LA FRONTIERE !

Derrière, le monde libre. « Là-bas, vous avez les dunes et derrière les dunes, la frontière, et la frontière passée, c’est la liberté ! ». Valentine raconte et se livre aux clients du Bar. C’est la parole qui sauve, plus forte que l’envie et que la récompense. Comme dans toutes les grandes épopées, ici comme dans Les Mille et Une nuitsoù le peuple est sauvé par l’ardeur et la puissance du conte et du verbe de Schéhérazade. C’est ici la solidarité d’un monde qui se retrouve unie dans les mêmes souffrances d’avant le Front Populaire.

LA SOLUTION EST DANS LE COLLECTIF

La frontière est à quelques mètres, à quelques dunes de là. Pourtant cette distance minimale devra être franchie avec le consentement de la communauté du bar. La liberté se pense par le collectif. Les autres rendent possible un autre départ dans la vie. Ce sont les autres qui autorisent la fuite à l’imprimerie comme à la frontière. L’être égoïste, c’est Batala, le tout pour moi, sans moralité.

LA-BAS, C’EST LA LUTTE AU COUTEAU ! ET ICI ?

La frontière c’est l’Arizona qu’Amédée a dans sa tête. La vie est trop triste, trop ennuyante. Il faut lui donner d’autres couleurs. « Ici, vous avez le désert de la mort. La frontière du Mexique et tout ça : l’Arizona ! Là-bas, des outlaws, des bandits qui détroussent ! Là-bas, la vie est dure, effroyable, c’est la lutte au couteau ! » A son excitation, Valentine le reprend :« – Et la vie ici, comment est-elle ? Et le pauvre monde qui c’est qui le détrousse ? – Je ne sais pas moi, je sors jamais, enfin rarement. ». Amédée recrée d’autres lieux si lointains et pourtant si conformes. Se libérer, n’est pas partir, c’est lutter.

UNE BULLE DE NAÏVETE DANS UNE TENDRE FRAÎCHEUR

Ce film respire cette bulle de naïveté qui explose de-ci de-là, remplissant l’atmosphère de cette tendre fraîcheur. Amédée est dans son monde, dans sa chambre, sur sa machine à écrire. Il est seul, ne voyant même pas Valentine qui lui tourne autour comme un papillon. Il va découvrir l’autre, l’amour, le groupe, la coopérative, la solidarité.

Le passage de l’argent de l’entreprise d’imprimerie dans les poches de Batala à des fins personnelles ; celui de l’argent et de la réclame des pilules Ranimax dans le roman Arizona Jim d’Amédée.

L’ARGENT, C’EST L’ARGENT. IL FAUT PASSER PAR LA !

La loi des affaires : « L’argent, c’est l’argent. Il faut passer par là ! ». Le passage d’une économie de marché pourrie à la solidarité de la coopérative. Le passage des fins de mois difficiles, aux sourires et aux chants. Tous ensemble et Noël tous les jours.

ET MOI, EST-CE QUE JE SUIS VIVANTE ?

Le passage enfin de la vie à la mort pour revenir à la vie. « – Drôle de mort ! Quand je pense que cet après-midi … – …Il était vivant, on dit toujours ça quand il y a un mort ! Et moi, est-ce que je suis vivante ? – Toi, tu es la plus vivante ! »

Jacky Lavauzelle

 

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