LE TARN-ET-GARONNE par EMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

LE TARN-ET-GARONNE
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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LE PRINTEMPS
Nos plaines habitées par la brume

Le saule est mon ami

CORRESPONDANCE
DE 1891 à N.D.

Et moi je n’ose plus vous parler de nos ciels brouillés, de nos plaines vides habitées par la brume. Et cependant ces choses grises me parlent ; elles sont pleines de l’attente de ce qui va être, de la promesse sacrée du printemps. Et même c’est déjà bien tel quel, ce que je vois tous les jours. Il y a des aubes d’une tendresse exquise et des crépuscules fleuris de verts et de roses plus délicats que les plus belles fleurs du printemps. Et du bord de la prairie que je visite tous les matins, le long de la Garonne, il y a un saule pleureur qui frissonne déjà, prêt à sortir ses feuilles, ses longs chapelets de verdure tendre. Ce saule est mon ami ; il est mon inquiétude quand il gèle et ma joie quand la douceur de l’autan passe sur le visage des choses…
C’est peut-être un peu enfantin, tout cela ; tant pis ! Je serai toujours dans la vie celui qui s’intéresse à un saule.

L’AUTOMNE A CAPDEVILLE
Les mélancolies attendrissantes de l’automne
Son dépouillement et son silence
Faire une toilette à son âme

CORRESPONDANCE
DE 1894 à N.D.
A CAPDEVILLE

Chère amie,
Voici les M… installés depuis hier. Ils seront sans doute partis le 4 octobre. Et vous viendrez ! Quelle joie de vous avoir, de vous garder un peu, d’entendre trotter dans la maison et dans le jardin les pas menus des Tototes. Comme on va causer, comme on va se promener à travers les mélancolies attendrissantes de l’automne. Elles m’attendrissent cette année un peu plus que d’habitude et j’ai bien joui autrefois de cette concordance momentanée ; mais elle me pénètre davantage à mesure que je la sens presque définitive. Car c’est bien l’automne pour moi et son dépouillement et son silence où des plaintes vibrent. Et tantôt j’y cède, et tantôt je résiste. Vous me verrez en ce tourment que je vous raconterai peut-être plus en détail, si vous avez assez d’amitié pour moi pour l’écouter. La gravité de cet état, c’est qu’il m’empêche tout à fait de travailler et quand je ne travaille pas, je ne vaux pas grand’chose. Enfin je tâcherai de faire une toilette à mon âme avant que vous veniez, afin qu’elle ne vous désagrée pas trop. J’attends vos œillets. J’ai gardé d’Argelès une poignée de gentianes qui ne veulent pas mourir. Leur bleu un peu dur serait curieux à marier avec le rose pâle des œillets d’Hendaye.

« NOS PROMENADES A CAPDEVILLE »

CORRESPONDANCE
Paris 1895 à N.D.

Hélas ! ceci décolore cela, c’est-à-dire la vie, après, qui vous paraît inutile et plate et ne vous laisse que la ressource languissante un peu du souvenir et du rêve.
Encore si nous pouvions reprendre nos promenades à Capdeville, inaugurer ensemble de nouveaux paysages. Je ne peux pas renoncer à l’espérer.

CAPDEVILLE
« Une grisaille irrémédiable et définitive »
« La ronde des saisons tourne devant moi, mais je n’entre plus dans la danse« 

CORRESPONDANCE
Capdeville
30 juillet 1896
à N.D.

Que nos existences sont différentes ! Pendant que vous cueillez au fil de l’heure les images rares et les sensations exquises, je m’enlise ici dans une grisaille irrémédiable et définitive. Sauf de très brèves minutes où je revois les heures anciennes, la vie ne me dit plus rien. Mon pouvoir d’évoquer s’anémie, s’abolit de jour en jour ; il me semble que ce n’est plus pour moi, les spectacles si passionnants jadis de la nature. La ronde des saisons tourne devant moi, mais je n’entre plus dans la danse. C’est fort triste à éprouver, tout cela, et un peu ridicule à exprimer aussi. Le monsieur qui baisse, le vieux monsieur plaintif est une chose connue et qui prête moins à la sympathie qu’à la caricature. Commenter Salomon est de l’inutile rhétorique. Et voilà qu’après m’être décidé à vous écrire, je commence à regretter mon silence.

CAPDEVILLE
« Des journées obscures »
« Une seule bonne journée en trois mois »>
«  le Pays merveilleux, la Patrie du rêve« 

CORRESPONDANCE
Capdeville
9 octobre 1896
à N.D.

Votre lettre m’a trouvé, comme vous le supposez, à Capdeville où nous avons passé nos vacances, je ne dis pas l’été, parce qu’il n’y a vraiment pas eu d’été ; pas de chaleur du tout et à peine de soleil, hélas ! des journées obscures, des veilles ou des lendemains d’orage, des chansons de gouttières dans la maison, et dehors, des coulées de rivière jaune entre des verdures acides. Une seule bonne journée en trois mois ; une journée de chasse dans le causse avec la belle lumière fine sur la fierté des rochers. Vous rappelez-vous ces branches d’érable, ces bouquets de pierreries automnales que nous rapportions, et notre fuite dans la vallée crépusculaire, dans ce sentier de pierres au long de la rivière pleine d’étoiles ? C’est toujours pour moi le Pays merveilleux, la Patrie du rêve, encore plus depuis que votre image toute neuve s’y est mêlée aux images anciennes. Mais ce ne sera plus le souvenir l’an prochain, ce sera la présence réelle. Quelle fête de revoir avec vous ces pays adorés ! Ce me serait, à défaut d’autres, une raison suffisante de vivre jusque-là où ce sera la vraie vie…

CAPDEVILLE
« un Capdeville défleuri, dépouillé, vendangé, maussade de m’y avoir trop attendu.« 
« Trop tard…C’est l’hiver ! »
«  les apprêts de l’automne français »

CORRESPONDANCE
Capdeville
7 octobre 1898
à N.D.

Capdeville, 7 octobre 1898. Chère amie,
Me voici enfin à Capdeville, mais un Capdeville défleuri, dépouillé, vendangé, maussade de m’y avoir trop attendu. J’y suis d’ailleurs un hôte sans joie. Ces vacances manquées m’ont désorienté tout à fait. J’espérais ramasser encore en cherchant bien au bord de l’eau, dans les bois, quelques miettes des félicités estivales. Trop tard. Une pincée de froid, une matinée de gel blanc a tout emporté. C’est l’hiver ! Dans le ciel d’un bleu méchant s’affolent les hirondelles affamées. J’en ai ramassé une tout à l’heure sur le rebord de ma croisée ; elle s’était cognée à la vitre en poursuivant quelque insecte. Je l’ai ressuscitée, je l’ai relancée vers une mort plus cruelle.
Que n’êtes-vous avec moi, chère amie ? Le costume de vos servantes annamites nous donnerait une illusion de chaleur, ou bien votre horreur de l’Annam m’aiderait à goûter les apprêts de l’automne français. Et, puisque vous seriez là et qu’on causerait ensemble, ce serait toujours la saison la meilleure.

« LA DOUCEUR DE MA VIE MONTALBANAISE »

CORRESPONDANCE
Paris, 3 janvier 1899.
à N.D.

Oh ! ces après-midi, cinq, six heures d’affilée dans la pénombre de théâtre à respirer la poussière et les courans d’air. J’en meurs, j’en suis malade tout au moins, et si malade que je renonce à lutter. Ce soir, demain matin, au plus tard, je rentre à Montauban. Voilà toute une semaine passée derrière mes carreaux, en tête à tête avec la grippe. Je renonce à lutter, et veux retourner vers la douceur de ma vie montalbanaise.

« MA MERE, SEULE A CAPDEVILLE »
CORRESPONDANCE
Capdeville, 14 septembre 1900.
à N.D.

Très beau, trop beau, l’éventail, ma chère amie. J’espère que vous assisterez à son début dans le monde, le soir ou la veille de la noce ; le cérémonial n’est pas encore réglé, ni la date, mais ce sera dans la première dizaine de novembre. Il manquerait quelque chose et même beaucoup à mon bonheur si vous n’étiez pas là, vous et G… Nous n’aurons pas cette fois l’intimité patriarcale de Saintrailles ni l’ampleur des horizons pyrénéens. Mais Sainte-Cécile d’Albi n’est pas un décor médiocre et vos toilettes seront belles à voir sous la splendeur des voûtes polychromées. Hélas ! il y aura bien de la tristesse mêlée pour moi à cette belle journée. Je penserai à ma mère, seule à Capdeville, errant comme une ombre dans la maison, tâtonnant des mains aux murailles, ou appuyée sur son bâton, car elle en est là, la pauvre mère. L’autre dimanche, j’ai eu une terrible alerte ; sa parole était embarrassée, elle n’y voyait plus ; j’ai cru à une attaque. Les médecins m’ont rassuré ; nous l’avons tirée de là, encore plus faible, il est vrai, plus chancelante. La crise est passée, mais demain. J’en ai toujours peur de ce demain. La nuit, au moindre bruit, je sursaute, je crois qu’on vient me chercher, que c’est la fin. Ah ! quelles vacances ! Je ne suis pas sorti de Capdeville depuis deux mois, pas même pour une journée à Montauban. Je m’extermine de travail pour oublier un peu. J’ai entrepris et achevé tout un drame rustique en quatre actes qui a chance d’être joué l’hiver prochain au Gymnase. Je vais me remettre à mon roman roussillonnais. Mais je me demande, non sans inquiétude, ce que peut valoir un travail fait dans de pareilles conditions. Je n’ose pas vous promettre d’aller vous voir à Périgueux. J’aurais pourtant besoin de quelques heures de distraction et de bonne amitié. Si je sors, ce sera pour aller chez vous. Pourrai-je sortir ? Je dépends de la maladie et des médecins. S’il y a un arrêt dans l’état de ma mère, si les médecins me garantissent un peu de sécurité pour quelques jours, je partirai. Pour le moment, je ne peux rien décider, ni rien prévoir. Vous me plaignez, n’est-ce pas ? en attendant de me plaindre davantage. Rien que des mois, peut-être des semaines me séparent d’une heure terrible à laquelle je ne peux pas penser sans frémir. Quand je pense à l’ébranlement nerveux que j’ai eu après la mort de mon père ! Et cette fois ce sera pire ! Où prendrai-je la force et la résignation nécessaires ? Pardonnez-moi cet accès d’égoïsme et croyez-moi votre toujours dévoué.

« RENTRER DE PARIS DIRECTEMENT A MONTAUBAN »
CORRESPONDANCE
Montauban, 1902.
à N.D.

Ma chère amie,
Savez-vous ce que c’est que des troubles de la circulation ? Je l’ignorais, moi qui vous parle, il y a encore une dizaine de jours. Maintenant me voilà instruit. Des troubles de la circulation, c’est une maladie qui vous oblige à rentrer directement de Paris à Montauban sans s’arrêter à Périgueux. J’ai beaucoup souffert de ce malaise — sans rire. J’ai déjeuné du reste chez L… quatre jours après ma première alerte et la veille de la seconde, c’est-à-dire en pleine horreur de moi-même, en pleine angoisse.

« DES IMAGES AUSSI PLAISANTES »

CORRESPONDANCE
Jacob-Bellecombette.
Dimanche
(automne 1903).
à N.D.

Mais la nature est belle partout et elle pourra nous offrir en Périgord ou en Quercy des images aussi plaisantes.

« A MONTAUBAN OU J’AI PRIS MES QUARTIERS D’HIVER. »

CORRESPONDANCE
Montauban, 1905
à N.D.

Au revoir, ma bien chère amie, je vous écris à Montauban où j’ai pris mes quartiers d’hiver. Il fait triste en moi ou autour de moi. Des rayons jaunes effleurent les gazons humides ; un rouge-gorge chante ; chanson brisée à travers les feuillages meurtris. Et je pense au jardin de Marennes aux traits automnals, aux rainettes que nous regardions palpiter sur les feuilles. Je vous serre les mains affectueusement.

« JE N’AI PAS VU ENCORE UN AMANDIER EN FLEURS. LE 10 MARS ! C’EST DESOLANT ! »

CORRESPONDANCE
Montauban, 10 mars 1905
à N.D.

L’hiver finit mal décidément, et il a tant de mal à finir. Hier je le croyais défunt et il a ressuscité ce matin, plus traître et plus grognon que jamais. Croiriez-vous que je n’ai pas encore vu un amandier en fleurs. Le 10 mars ! C’est désolant ! Et s’il n’y avait que les amandiers à souffrir de ce froid persistant ! Mais il y a les bronches de ma femme et les miennes qui en pâtissent. J’ai été tout ce mois dernier et encore au commencement de celui-ci malade ou garde-malade, et quelquefois les deux ensemble, et ce n’est pas drôle ! J’espère ressusciter avec les violettes. Mais elles ne se pressent guère.

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