LE LAI D’ARISTOTE – ARISTOTE & PHYLLIS – Poème de Jacky Lavauzelle

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Nino Chikovani
Les légendes et les dieux
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LE LAI D’ARISTOTE
ARISTOTE & PHYLLIS

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Poème de Jacky Lavauzelle
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Ni tempérant, ni modéré
Un vent innocent sans nuance se balançait et s’engouffrait
Jusqu’aux deux parties de l’âme
Renonçant
Immense
Nostalgique
Dans les longs cheveux défaits de Phyllis
Dans de longues lignes intenses
Humides et douces
Voluptueuses
Triomphantes en un dernier long souffle
Ondulaient les dunes sous la tente
Le jour égalait la nuit
Désormais
L’heure les secondes
Se valaient
Dans les longues interstices des âmes
Babylone se désolait
Les Diadoques se réjouissaient
Babylone s’effondrait dans le long silence du monde
Oubliant jusqu’à la bataille de Gaugamèles
Bucéphale avait quitté l’écurie
Sans inquiéter personne
Aristote déclamait que la sagesse est la forme la plus achevée du savoir
Sans que personne ne l’écoute
Justin et Quinte-Curce ne savaient plus quoi écrire
Il ne se passait plus rien
Le temps aurait pu se pendre
Tout le monde s’en moquait
Pseudo-Callisthène, Julius Valerius
Tout comme Callisthène aussi
Bucéphale s’est perdu dans le ciel de Perse
Pris dans les raies de lumière
Affolé par les abstractions de vie
Alexandre s’en moquait
Comme de sa première antilope
Et les hennissements ne faisaient plus désormais que frémir les nuages
La forêt aux pucelles s’est perdue dans les nimbes
Ses chemins aux espoirs se sont envolés
Alexandre s’en moquait
Comme de son dernier tigre
Les bêtes féroces se sont pendues dans des gueules
Où les crocs aux crocs répondaient
Plus féroces que les défenses des éléphants
Les plus tranchantes
Les lames de l’ennui ont décimé les lourds pachydermes
Les femmes aquatiques ont fini par se noyer
Ignorées
Alexandre s’en moquait
Les formes et les langueurs viennent et reviennent
Se lient et se délient

Toutes choses tendent vers le bien
Disait le Philosophe en recherche de rigueur
Que nul ne trouvait
Le bien je veux dire
Les colonnes d’Hercule semblait se toucher
Lassées d’attendre les bras et les armes
Que nul ne trouvait
Perdu dans les bras de Phyllis qui se perdaient dans ceux d’Alexandre
Qui se perdaient ensuite dans les yeux de Phyllis
A l’infini

Plus aucune chevauchée éclatée sur les merveilles de l’Inde
Plus d’étalements débridés
Plus aucune trace de ces merveilles,
Les biens et les futurs se résumaient à Phyllis
Qui s’attardait alanguie
Les aventures et les gloires n’avaient plus cours
Toutes les rigueurs s’effacent vers les cœurs
Dans un cœur rassemblé et de Darius et de l’Inde
Tu ne rêves plus, Alexandre, tu ne désires plus
Plus les mêmes rêves, ni les mêmes désirs
Porus semble si loin, les marécages aussi
Sur des boucles couché, tes montagnes sont là
Mais le grain des sables est devenu le grain de peau
Sur des boucles enroulé, tes vagues sont là
Plus flou que le sein qui t’aveugle.
Plus fou que ces mains qui te parlent
Tout seul tu penches vers ce bien
Que personne ne peut plus t’enlever
Que personne n’ose te confisquer
Le Philosophe pèse le juste et l’injuste
Et il reste encore le seul que le grand homme peut écouter
Les arbres du soleil se sont couchés sous les feuilles perdues
Le Philosophe se souvient de l’enchanteur Nectanebus
Comme la belle Olympias
Comme les rochers
Comme les vagues
Qui nettoient la mousse de ses écumes funestes
Et le seul qu’Alexandre peut écouter se fait entendre
Qui vient de coucher son cœur sur les langueurs des ombres
Comme des vagues
La lanterne se balançait au rythme des deux corps
Les rochers abrupts de Phyllis
Les vagues régulières d’Alexandre
Mais Aristote le lendemain aborda
L’homme le plus célèbre de toute cette célèbre Antiquité
Son esprit n’était plus là
Les affaires en sommeil
Les invasions à l’arrêt
Les possessions en péril
Et Alexandre regardait le Philosophe
Comme l’on regarde l’évidence
Comme l’on écoute la vérité
Le monde ne se résumait pas à Phyllis
Que lui
Surtout lui ne pouvait
Ne devait
S’abaisser dans cette volupté
Même d’une épaisseur et d’une grandeur
Plus grande que le grand océan

Alexandre acquiesça

Le soir suivant
Phyllis a fait taire les airs
Les lumières
Et les ondes
Quand de la tente elle est sortie
La nuit s’est éclaircie
Le jour s’est assombrie
Et Aristote ne pensait plus
Pendant qu’Alexandre sommeillait
Il admirait cette lumière insolente
Cette énergie inassouvie sur une crinière d’étoiles
Se sentait amoureux par sa seule présence
Son esprit oublié dans une terrible absence
Phyllis s’est retournée et avec elle un long parfum
Une lumière
Et sur une ronde
Dans sa tente elle est rentrée
La nuit est redevenue la nuit
Le jour a retrouvé ses rayons
Mais Aristote ne pensait toujours pas
Une étoile manquait dans le ciel
Sans grâce désormais
Mais Aristote est restait là
Mais ne regardait plus le ciel
Le jour suivant et tous les autres jours
Alexandre passait devant le Philosophe absent
Et se demandait quelle foudre s’était abattue sur lui
Le touchait
Le regardait
Attendait
Puis s’en alla à ses affaires qui recommençait

Quand Phyllis ressortie
Elle prit la main de cette statue vivante
En l’apportant sous sa tente
A force de caresses le grand penseur
Ses esprits retrouva
Son instinct récupéra
Il recommençait à parler
Comme parle les jeunes enfants
Quand Pyllis sourit
Aristote babillait
Il regarda la tente et mit un genou à terre
Et Aristote sourit
Phyllis caressa ses longues mèches
Et Aristote souriait encore

Les jours suivants
Aristote prenait les devants
Devenait gai et entreprenant
Comme si tous ces ans
En un instant
Avaient plongé dans un grand néant

Phyllis alors établit un accord
Pour qu’il se livre corps et corps
Sans aucun remord
Pour un sublime rapport
Que de cette union il deviendrait plus fort
Jusqu’à ce que vienne la mort

Or

Il fallait pour cela devenir son Bucéphale
Parcourir des contrées glaciales
Caresser les aurores boréales
Et venir se réchauffer à son sein pâle
Et qu’elle deviendrait sa cavalière fatale
Jusqu’à ce que se termine de plaisir le dernier râle

Aristote acquiesça

Et devient la risée de la cavalerie des Compagnons
De la phalange et des porte-boucliers
Et devint un Milésien
Agissant comme un fieffé crétin
Tant et si bien
Qu’Alexandre lui donne à son tour la leçon
En l’apercevant dans sa conduite indigne
De son âge vénérable
L’amour n’est-il pas l’arme la plus dangereuse au monde ?

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