LA VIRADE – Roman de Jacky Lavauzelle – chapitre 3

JACKY LAVAUZELLE

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LA VIRADE

Roman

Chapitre III

LA VIRADE Jacky Lavauzelle Roman Le Bûcheron et l’Hamadryade Aïgeïros par Émile Bin 1870 The_Hamadryad_by_Émile_Bin


 
Le lien était fait.
Enfin un premier lien. Une ficelle.
Les mots étaient là. Lisibles mais incompréhensibles.
Le regard que lança Gabriel à sa fenêtre ne renvoyait que son image.

Une nuit totale avait absorbé ce qui reste de vie dans la ville. Et l’image n’était pas folichonne. Une tête de déterré. Un regard hagard, des yeux de vieux, une bouche pâteuse.
Rien de réjouissant. Il s’était laissé aller depuis la mort de sa femme. Une bouteille que l’on glisse dans l’eau, comme un cri de désespoir, et qui, après le tumulte des flots et des coques de bateaux, s’échoue contre un minable rocher et coule dans un quelconque fond d’un quelconque  rivage au milieu de mille milliers de détritus entassés.
Longtemps, il avait cherché un remède. Essayé des conseils. Dernièrement, le jeûne. Mais il avait craqué et s’était rué sur son frigo quasi vide. Le yoga, aussi. Mais rien. Rien que d’y penser, ça lui donnait de l’urticaire. Rester sans bouger, à respirer par le ventre, non. Ses centres spirituels et ses chakras, ils pouvaient se les mettre où il pensait.
Les légumes bouillis aussi, il avait essayé. Mais nada. Pinuts.
Il tira le rideau.

Il lisait et relisait ces phrases fraîchement traduites et qui lui semblait un galimatias inutile et improbable.
Rien.
Ça ne voulait strictement rien dire.
Des mots, des suites de mots. Une énigme. Mais il n’avait pas la tête à jouer.
Même avec Noé il ne jouait presque plus.
Quelques balles. Et encore. Les jours de beaux soleils, une matinée ni trop chaude, ni trop glacial. Quand le cœur y était. Un peu plus. Et cette énergie, il la donnait à son chien qui ne se priait jamais pour ramener inlassablement une pauvre balle de tennis de plus en plus marron au fil des mois qui passaient.

Il retourna la feuille une dernière fois et retourna se coucher.
Epuisé.

Le sommeil ne vint pas. Il repensait aux mots traduits. A cette feuille égarée. Mais des images du crime s’immisçaient. De plus en plus durablement.
Il se leva et se prépara un café. Il mit enfin la laisse à Noé et sortit pour une salutaire balade. Il était deux heures du matin et il faisait un temps de merde. Comme toutes les nuits ou presque de cet hiver humide et gris.

Au milieu des hêtres décharnés, il repensait aux propos de Songrit, son traducteur. Il s’agissait de formules puissantes aux pouvoirs incroyables. Songrit en était sûr. Il avait pris la feuille avec une précaution qu’il ne lui connaissait pas. Lui, le combattant de muay-thai, le rouleau-compresseur des Sablières.
Puissantes de quoi ces phrase ? De rien. Des conneries, encore. Comme son yoga et son chakra. Comme les hommes pouvaient-être aussi crétins et tomber dans de telles fadaises.

C’est incroyable, se dit-il, ce besoin de se rassurer et de se fourrer toutes ces conneries dans le crâne. La vie n’était-elle pas assez courte pour se passer de telles emmerdes. M’enfin ! C’est comme ça. Et il ne se sentait nullement la force d’y changer quoi que ce soit.
Chacun ses problèmes.

En revenant de la promenade, Noé passa devant le vaisselier où se trouvait le manuscrit. Et comme à chaque fois, il pleura en courbant l’échine, se dépêchant de retrouver son tapis et se mit en boule en position fœtale.

Il ne prit pas garde au chien, ouvrit le frigo et se torcha une Adelscott d’un seul trait.

La nuit fut agitée, comme celles qui suivirent. Les questions se succédaient les unes aux autres, sans réponse aucune. Gabriel relisait et relisait encore ces phrases bizarroïdes et tarabiscotées. Sans réponses. Sans liens.

 

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LA VIRADE
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