LA VIRADE – Roman de Jacky Lavauzelle – 1er chapitre

JACKY LAVAUZELLE

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LA VIRADE

Roman

1er Chapitre

LA VIRADE Jacky Lavauzelle Roman Le Bûcheron et l’Hamadryade Aïgeïros par Émile Bin 1870 The_Hamadryad_by_Émile_Bin


 
La ville était là.
Après un déluge de pluie, de vents et de journaux de la veille. La ville était là, puante comme toujours après des jours de pluie. Seules les violettes se permettaient dans ce fatras d’odeurs de chanter leur tonalité, précise et pointue.
Seules ces violettes permettaient de supporter la ville et ceux qui s’y accrochaient.

Fumant, ainsi parlait le quartier. Un quartier qui se réchauffait d’un soleil devenu trop dur. Un quartier parmi tant d’autres, ni plus laid ni plus vilain, tout aussi bancal et improbable. Un quartier qu’avait imaginé un architecte après un burnout prolongé où alcool, soirées dans les bars interlopes, cuisses et fumettes faisaient bon ménage.
On y retrouvait le goût des peaux ratatinés après des trop longues heures de veille.

Ce quartier avec les autres, après cette mini-tempête, se retrouvaient en demi-cercle autour de la place de la Cathédrale, centre historico-affairo-bcbgo-à la modo, comme les anciens, comme les indiens avant le combat ou après l’humiliation d’une nouvelle défaite cuisante, et se racontaient des histoires, histoire de se redonner le moral qui était loin tombé dans les chaussettes, bien bas, bien au fond des galoches.
Dans ces moments, les quartiers se narraient des contes de vie, des contes de l’au-delà avec des retours sur le macadam décoloré. Et ces branlettes à langues finissaient toujours sur constats sur la nécessité de passer à autres choses, de tourner la page qui avait son poids de briques et de zincs.

Un bruit. Des pas désordonnés. Une course. Des pas qui se croisaient sans toutefois faire de nœuds. Des pas qui demandaient de l’air. Un air rare.
L’homme qui courait, claudiquant, laissa tomber un rouleau de papier jauni, à demi-brûlé. L’homme qui courait n’avait pas d’importance. Donc, nous n’en parlerons pas. Il courait, et, à cet instant, c’est à peu près tout ce qu’il pouvait faire. Pourquoi ? Nous n’en serons jamais rien ! Et on s’en fout.

Le soir vint sans que personne ne s’en occupât.
Qui s’occupe de ce soir qui arrive ? De ce soir où l’on baisse les pare-soleil comme si l’on voulait se cacher à sa vérité trop crue. La pluie, encore, puis le soleil, encore, arrivèrent.
Un vieux chien galeux le saisit, le fameux papier jauni, dans sa gueule à l’aube de cette journée qui s’annonçait ordinaire, encore, et l’apporta à son maître.

Les douze coups de midi n’avaient pas encore sonnés que Gabriel, qui s’apprêtait à se mettre à table, toujours à la même heure, sans que rien ne puisse lui faire manquer à cette sainte habitude mathématique, appela Noé, son fidèle toutou, bien que néanmoins extrêmement fugueur et têtu, un cavalier king-Charles sans papiers, sans origines, perdu lui aussi.
Les quatre yeux se fixèrent dans ce qui restait de la pénombre du matin. Noé à sa place, attendait sa caresse qui lui permettrait ensuite de profiter de deux à trois bonnes heures de navigation et de divagation dans la campagne où il retrouverait joyeusement la boue collante, les chemins noyés de feuillages colorés et divers que l’automne précoce avait apportés, et, surtout, la bande de chiens perdus, mais, eux, perdus à jamais des humains.

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LA VIRADE
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