UNE EFFROYABLE GÉNÉRATION DE CRIMES – GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET VII


Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
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ÇA IRA
VII

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« EFFROYABLE GÉNÉRATION DE CRIMES »
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Una bieca druidica visione
Une vision sombre druidique
Su gli spiriti cala e gli tormenta:
S’abat sur les esprits et les tourmente :
Da le torri papali d’Avignone
Depuis les tours papales d’Avignon
Turbine di furor torbido venta.
Vente un tourbillon de fureur.

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O passion de gli Albigesi, o lenta
Ô passion des Albigeois*, ô lente
De gii Ugonotti nobil passione,
Passion noble des Huguenots**,
 Il vostro sangue bulica e fermenta
Votre sang fusionne et fermente
 E i cuori inebria di perdizione.
Et enivre les cœurs de perdition.

 

Ecco la pena e il tribunale orrendo
Voici la peine, voici le tribunal qui marquent
Ohe d’ombra immane il secol novo impronta!
D’ombre gigantesque le nouveau siècle  !
Oh, sei la Francia tu, bianca ragazza.
Ô es-tu la France toi, jeune fille blanche.

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Ohe sul tremulo padre alta sorgendo
Qui sur ton père frémissant te jette
A espiare e salvar bevi con pronta
Et qui pour l’expier et le sauver bois avidement
Mano il sangue de’ tuoi da piena tazza?
A pleine tasse le sang des tiens ?

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« Effroyable génération de crimes, des Albigeois* à la Saint-Barthélemy**, et de là aux dragonnades, aux carnages des Cévennes. Nîmes se souvint des dragonnades. Avignon imita Paris. Paris imita Avignon.
Rien de plus imitateur, rien de moins original, on peut l’observer, que le crime
Jules Michelet
[21 août 1798 – 9 février 1874]
Histoire de la Révolution française
Volume II
Chapitre III

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ÇA IRA
VII

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GIOSUE CARDUCCI

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LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

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